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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 février 2011 |
Nombre de lectures | 50 |
EAN13 | 9782296800038 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Technique et vie
Antonella Cutro
Technique et vie.
Biopolitique et philosophie du bios
dans la pensée de Michel Foucault
L’H ARMATTAN
Michel Foucault. Tecnica e vita.
Biopolitica e filosofia del bios
Bibliopolis, Napoli, 2004
Traduction française par Claudine Rousseau.
© L’H ARMATTAN , 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54085-9
EAN : 9782296540859
Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
INTRODUCTION
Foucault a toujours manifesté un intérêt particulier pour l’histoire de la biologie et pour la médecine. L’attention qu’il prête au domaine biomédical caractérise en effet toute sa réflexion. Il suffit par exemple de penser à la compétence avec laquelle il évolue dans le domaine de l’histoire de la biologie, comme le montrent ses reconstructions présentes dans Les mots et les choses , l’ exposé qu’il a tenu sur Cuvier à l’Institut d’Histoire des Sciences, et ses discussions avec Canguilhem et Dagognet. Toutefois, on ne peut pas dire que le regard que Foucault a posé sur les questions concernant la vie soit seulement historiographique. Au contraire, il est toujours lié à l’apparition de problèmes bien précis, comme l’émergence de l’individualité vivante, la naissance de la clinique, la médicalisation de la société, les transformations épistémologiques et politiques liées à la découverte de l’ADN.
Du reste, l’ incipit du parcours foucaldien est précisément marqué par la question de la vie, au sens biologique du terme, et par l’analyse des conditions dans lesquelles elle devient un concept positif. Le terme ‘vie’ subit cependant une série de métamorphoses. Son emploi n’est jamais générique. Il reçoit au contraire une détermination précise selon le niveau d’analyse dans lequel il s’insère : archéologique, généalogico-politique ou éthique. Ainsi passe-t-on de l’existence rêvée de Binswanger à la vie biologique de l’anatomopathologie et à la vie comme indicateur épistémologique dans le domaine archéologique. Par contre, dans les analyses politiques, elle devient un objet de gouvernement et la politique devient une bio -politique. Au cours des années ’80, elle se transforme en objet du travail éthique et constituera le point d’Archimède pour penser les technai biotike.
Dans une de ses dernières interviews, Foucault déclare qu’il s’est exclusivement intéressé au rapport existant entre la subjectivité et la vérité. Quelle place ces métamorphoses de la ‘vie’ trouvent-elles dans un tel rapport ? Peut-être faudrait-il formuler la question différemment et se demander dans quelle mesure la ligne d’ascendance biomédicale est impliquée dans la question de la subjectivité, et de quelle façon elle caractérise le domaine archéologique, la généalogie du gouvernement et la problématisation éthique.
Par rapport à l’archéologie, le problème révèle aussitôt un double aspect, méthodologique et philosophique. En effet, d’un côté, le projet archéologique révèle des liens avec l’épistémologie canguilhemienne. Mais dans quels termes faut-il définir cette relation ? Quels sont les points de contact entre ces deux façons de faire l’histoire de l’actuel ? D’un autre côté, il semble que l’archéologie réduise le concept de vie à un simple indicateur de transformations épistémologiques. Il est toutefois possible qu’il contribue à articuler une critique du statut de sujet.
Dans la généalogie aussi, la ligne biomédicale continue à être active. Elle contribue à la formulation du diagnostic à propos de la naissance de la bio-politique. Le terme biopolitique, comme l’utilise Foucault, ne fait pas seulement allusion à une inscription de la vie dans les calculs du gouvernement, mais fait aussi progresser une problématique plus profonde, liée à une politique de la vie. Dans quelles coordonnées conceptuelles faut-il alors situer la question biopolitique ? Elle a une importance fondamentale parce que c’est justement du noyau bio-politique que partira l’offensive libératoire avec laquelle Foucault convertira la politique de la vie en une éthique de sa ‘propre’ vie.
Même si les dernières analyses foucaldiennes sont concentrées sur l’antiquité grecque, la ligne biomédicale ne disparaît pas. La plupart des concepts utilisés dans le champ éthique – régime, souci, thérapeutique – sont liés au langage médical. Il ne s’agit pas seulement d’une mimésis, mais cette opération cache une relation inattendue avec une certaine ‘philosophie biologique’. Réactiver cette relation permet de traverser le parcours sur l’éthique d’une façon originale.
Pourquoi faudrait-il donc reconstruire ces métamorphoses du problème de la ‘vie’ dans la pensée de Foucault ? La question est fondamentale, surtout parce qu’il s’agit d’un penseur que l’on ne peut aborder que par problématisation, au risque d’être rejetés. La force de répulsion est en effet presque aussi forte que la force d’attraction. Son type d’analyse exerce un charme incontestable, mais c’est surtout l’absence d’ontologie qui engendre un certain malaise. La pensée de Foucault nous situe dans un espace d’insécurité, pas tellement parce qu’elle dévoile les trames d’un pouvoir qui nous gouverne à notre insu, mais parce qu’elle est dominée par la volonté de rester constamment au niveau d’une ‘fragilité’. C’est une pensée qui s’exerce toujours dans les termes d’une fragilisation. Elle rend les choses du monde fragiles, au lieu de construire une réserve théorique de sécurités.
Analyser les différentes facettes de la ‘vie’ signifie avoir à faire avec une nouvelle déclinaison de la relation entre la politique et la vie, différente de celle de la théorie politique classique. Cela veut dire se situer dans une position alternative aussi bien par rapport à la vita necisque potestas souveraine que par rapport à la distinction libérale entre la vie publique et la vie privée , qui est intangible. Il s’agit donc de se déplacer et de devenir sensibles à la question fondamentale qui marque le parcours foucaldien : à quelles conditions une vie politique est-elle possible ?
Il suffit de formuler cette question pour qu’elle se désarticule et qu’elle montre la dualité de sa nature. Les conditions qui rendent une vie politique possible sont les mêmes que celles qui définissent sa gouvernabilité. La différence entre possibilité et limite dépend de la technique du montage, c’est-à-dire qu’elle dépend du rapport que nous entretenons avec la vérité. La technique devient ainsi un accès privilégié : la clé de comment on élabore l’histoire de l’actuel, de comment on est gouvernés à travers la vérité, de comment on peut structurer un rapport constitutif avec soi-même. Le jeu entre la technique et la vie s’ouvre sur un triple entrelacement : le lien méthodologique entre une technique historiographique et une conceptualisation de la vie biologique ; la grille politico-épistémologique des technologies politiques et plus particulièrement du gouvernement des vivants ; et le mouvement morphogénétique que les techniques du soi amorcent dans la subjectivité. Cette triple articulation peut éclairer la façon dont Foucault a eu l’intuition que la vie biologique était devenue un problème politique actuel {1} .
Forme de vie
I.De Georges Canguilhem et de l’épistémologie
1.Actualité et subjectivité
La préface de l’édition anglaise de l’ Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique est le dernier texte auquel Foucault a travaillé avant de mourir. Il ne s’agit pas d’une simple présentation, mais presque d’un testament philosophique, où les deux lignes fondamentales de son parcours : l’histoire et la subjectivité, dévoilent leur liaison intime.
Retraçant la situation de la philosophie française de l’après-guerre, Foucault oppose une philosophie du sujet et du sens, qui est celle de Jean-Paul Sartre et de Maurice Merleau-Ponty, et une philosophie du savoir, de la rationalité et du concept, qui est celle de Jean Cavaillès, de Gaston Bachelard et de Canguilhem. L’école épistémologique a représenté la réponse française à la question de l’ Aufklärung , à l’interrogation sur la possibilité d’élaborer une histoire de l’actuel. Elle a fait du problème de la méthode historique une question philosophique. Elle a fait du problème de la méthode historique une question philosophique. Tous ceux qui ont essayé de sortir de la philosophie du sens ont eu une dette envers Canguilhem, qui a opposé à une philosophie du sujet et du vécu « une philosophie du savoir, de la rationalité et du concept »