Debout les morts ! Pâques rouges
88 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Debout les morts ! Pâques rouges , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
88 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Debout les morts ! Pâques rouges

Lieutenant Jacques Péricard
Cet ouvrage a fait l'objet d'un véritable travail en vue d'une édition numérique. Un travail typographique le rend facile et agréable à lire. Il contient 27 illustrations.
Jacques Péricard, combattant de la Grande Guerre, était journaliste et écrivain.

Il effectua son service actif au 90e Régiment d'infanterie. Réserviste au 62e régiment d'infanterie territoriale en 1914, il est versé sur sa demande dans une unité d'active, le 95e RI, en octobre 1914. D'abord adjudant, il est nommé sous-lieutenant le 24 mai 1915, pour sa bravoure au Bois-Brûlé où il a crié « Debout les morts ! » le 8 avril. Ce cri est devenu célèbre par la suite.
Debout les morts ! Pâques rouges est le deuxième de deux volumes consacrés à la guerre de 14-18. Il a été publié dès 1918 ! Vous retrouverez le premier tome de ses souvenirs dans la même collection : Debout les morts ! Face à face.
Retrouvez l'ensemble de nos collections sur http://www.culturecommune.com/

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 16
EAN13 9782363078285
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Debout les morts !
Pâques rouges
Souvenirs et impressions d’un soldat de la Grande Guerre
Lieutenant Jacques Péricard
Cet ouvrage comporte 27 dessins originaux de M. Paul Thiriat
Première partie : La veillée des armes
Chapitre 1 : Adjudant 20 mars 1915. Une dernière poignée de mains aux camarades [DansFace à face, première partie de mes e souvenirs de guerre, je raconte mes débuts de mobilisé au 62 territorial, mon passage au e 95 d'activé en octobre 1914, le dur hiver 1914-1915 en forêt d'Apremont. Le 19 mars 1915, j'étais nommé adjudant. e Le 20. mars, je quittais Ronval, où se trouvait mon ancienne compagnie, la 6 , pour me e rendre au village de Boncourt Où cantonnait ma nouvelle compagnie, la 4 .] et, déboulant de la côte de Ronval, je m'engage sur là route de Boncourt. Un homme de ma section m'accompagne, portant son sac : — Donnez-moi également votre fusil, mon adjudant ! Mon fusil ? ah mais non ! Mon fusil, c'est un membre supplémentaire, un membre merveilleux, un vrai Maître-Jacques de membre. Dans les fondrières, la nuit, il me sert de troisième jambe, il devient troisième bras aux traversées de la forêt : il pile les ronces devant moi et écarte les branches. Parfois même, aux jours d'attaque, il se trouve promu au grade de cerveau : il est de mon individu la seule partie pensante. Non, je ne me séparerai pas de mon fusil, de ce bon serviteur, de ce gardien vigilant, de ce toutou fidèle. J'aime à sentir la caresse de son mufle froid sur ma main et l’alanguissement confiant de sa masse .à mon épaule. Sur la route élastique nos pieds sonnent, une bonne route empierrée, unie, polie, solide, quelle friandise pour de pauvres pieds gavés de boue et d'entonnoirs ! Mon compagnon se tait. Il sait que je ne suis guère causeur, hors à certaines heures de fièvre. La conversation est l'art de s'ennuyer en commun. C'est également l'art de parler pour ne rien dire. Qu'ils' suppléent aux pensées par de vains bruits de paroles ceux dont la cervelle est vide ! Un soleil opulent accroche des paillettes d'or aux arbres dénudés de la forêt. De légers nuages le voilent et le dévoilent. Ombre et lumière : la vallée change de robe à chaque minute. La brise fraîche, glacée à point, me coupe le visage aussi délicieusement que l'eau du tub matinal, aux temps jadis. Je suis heureux. Je déguste à l'avance les félicités qui m'attendent à Boncourt. À grand renfort de brosses et de savon de Marseille, je lessiverai, des pieds à la tête. mon corps négligé de poilu. Du linge parfumé remplacera les loques malodorantes où s'est accumulée la saleté de plusieurs semaines. Je boirai à ma soif du vin, non de cet infortuné pinard que vitriolèrent les fournisseurs de l'armée, que noyèrent les cuistots, mais du bon vin blanc d'auberge, à dix-huit sous le litre. À la pensée du vin blanc je saute comme Perrette. Allons, la vie est belle. Pour un peu je crierais : Vive la guerre !… — Hé, là ! vieux frère, attention ! Cet avertissement amical.s'adresse à un gros rat. jailli brusquement de son trou, et qui a failli s'écraser sous les clous de mes souliers. D'habitude, la vue d'un rat n'appelle que des malédictions à ma bouche. Tant de mauvais souvenirs nous séparent, eux et moi, tant de rancœurs. Aujourd'hui ma bonne humeur s'étend à toutes les créatures. Je considère avec sympathie les rats innombrables qui, attirés par les cuisines, courent, de la colline à l'étang, en hordes affairées. Je leur trouve un air humain, un air narquois, qui me rappelle le sourire de Voltaire. Dans quelle catégorie eût-il rangé les rats, notre vieux professeur, pour qui les animaux ne comprenaient que deux familles : les moutons et les insectes ? Il appelait les bœufs ; gros
moutons ; les oies : petits moutons ; les souris : gros insectes. Il hésitait devant certains animaux encore peu connus, à l'anatomie indécise. C'est ainsi qu'une poule s'étant un jour fourvoyée dans sa classe, il s'était écrié, pâle d'effroi : — Faites sortir cet insecte ! oubliant que la veille, devant un poulailler aux belles poules de Houdan, son admiration s'était exprimée en ces termes : — Oh ! les jolis petits moutons ! Des êtres passent, aux vêtures étranges, barbares de lointaines Asies et de mystérieuses préhistoires. Voici les Khans velus, barbouillés de fumée, avec une peau de chèvre en travers des épaules ; les Négritos demi-nus, aux pommettes saillantes, aux dents rougies par le bétel ; les Indiens à la chevelure hérissée, vêtus de haillons multicolores où l'œil exercé reconnaît des morceaux de drap bleu et des lambeaux de flanelle ; les Scythes aux bonnets pointus, aux amples bottes de cuir rapetassées de cordes effilochées ; les Arabes somptueux, drapés dans des toiles de tente que retiennent des lacets de souliers ; les Huns qui se nourrissent de chair crue et qui portent sur leurs épaules massives d'énormes quartiers de vache dont tout à l'heure, sans doute, ils vont se repaître ; les Samoyèdes, ensevelis dans leurs fourrures : mollettières de fourrure collets de fourrure, bonnets de fourrures et les poils longs de leurs fronts, de leurs joues, de leurs lèvres, sont à leurs visages non lavés comme une fourrure naturelle ; d'autres encore, à la race indécise, aux vêtures hétéroclites – bonnets de Kirghiz, turbans de mollahs, culottes bouffantes de Toungouses – la bouche fermée d'une bande de laine comme les femmes haïkanes, le corps enseveli parmi, d'amples tcherkeska caucasiennes, dont les cartouchières, aux innombrables alvéoles, portent en guise de cartouches un arsenal de pipes… Autant d'individus autant de costumes ; seule la crasse est commune à tous et les apparente. Tombés captifs en nos mains – par suite de quels avatars ! – ils ont la charge de la cuisine. Nous leur donnons à tous, et quelle que soit leur race, le nom de cuistots. Je connais plusieurs de ces Barbares. Ils s'en viennent rôder autour de moi. Ils me tendent leurs mains poisseuses et leurs sympathies enduites de graisse de bœuf : —Alors, on se débine ?… On se fait la paire ?… V'avez soupe d'note fiole ?… V’ariez pas une cibiche en rab ?… L'perlot, siouplait ! ma bouffarde a les d'dans vides… Ah ! v'allez en gangner de c'te braise à présent que vous v'ià adjupète ! Le péage acquitté, je repars. Au fond de moi je trouve cette familiarité peu respectueuse. Que l'on se permette certaines privautés avec de simples sergents, à cela rien à dire : des sommets hiérarchiques où je plane, sergents et soldats se confondent à mes yeux dans la même indifférente grisaille. Mais un adjudant, c'est un adjudant, que diable ! Non ea te moles Romani Nominis urget. Inque tuis humeris tam leve fertur onus… Ces réflexions faites sur le mode badin, je m'aperçois bientôt qu'elles répondent à un état d'esprit véritable. Comme une ridelle me croise montant à Vignot, je fais signe au soldat qui la mène : — Pouvez-vous me prendre avec vous ? Je m'arrête à Vignot. Je suis l'adjudant Péricard. De quel ton j'ai dit ces mots : adjudant Péricard ! Ils ont parfumé ma bouche, ils ont vibré délicieusement jusqu'au fond de ma chair. Plus de doute, mon vieux. Que tu t'en défendes ou que tu l'avoues, le fait est acquis : tu tires de ton nouveau grade une abondante fierté. Fier d'être adjudant ! Ah ! le sonore éclat de rire par lequel j'eusse répondu, naguère encore, à qui m'eût fait cette prédiction baroque ! Dans l'antimilitarisme farouche qui fut le mien pendant de longues années, le raisonnement entrait pour une petite part et, pour une grande part, ma rancune contre les adjudants. Je me mettais en rage au seul souvenir des chiens de quartier qui
m'avaient empoisonné mon séjour à la caserne. Je me rappelais leurs persécutions tatillonnes et je grinçais des dents. Je haïssais les hommes et je haïssais le grade. Et voilà que je suis « chien de quartier » à mon tour ! Tout en m'installant dans la ridelle, je me vois, adjudant et rengagé, trônant au milieu de mon royaume. Minuscule en vérité, ce royaume, que bordent les trois blocs de maçonnerie de la caserne, mais quel ordre, quelle propreté, quelle discipline ! Dans les regards, quelle soumission ! Quelle humilité dans les attitudes ! Un geste de moi et des jambes galopent ; un mot de moi et des bras s'affairent : — Dites donc, là-bas, les punis, quand vous aurez fini de vous tourner les pouces ?… Caporal, vous aurez quatre jours pour vous apprendre à faire votre service… Vous, le sergent, je vous fous deux jours !… Pourquoi ? Vous voulez savoir pourquoi, mon garçon ? Eh bien, c'est parce que vous avez un bouton déboutonné à votre tunique. Mais vous aurez deux jours de plus pour l'explication… Hé là, le tampon, vous avez la prétention de sortir ficelé comme une andouille ? Demi-tour au pas de gym ! et quatre jours pour vous dresser les côtes… Clairon, votre instrument a une tache de vert-de-gris : deux jours de boîte !… Oui, mon garçon, oui, vous avez raison… Mais au lieu de deux jours vous en aurez quatre ! Et à l'évocation burlesque, soudain, j’éclate de rire. Le conducteur me regarde de côté : « Quel vieux fou ! » À la vérité,-il ne dit pas, en syllabes articulées : « Quel vieux fou ! » mais ce jugement je le lis dans ses yeux, clairement, nettement, correctement écrit, sans une faute d'orthographe… Halloo ! d'où vient ce subit pincement au cœur ? Du roulement des canons, plus distinct à mesure que nous approchons du couloir de Tête-à-Vache ? Ou de cette balle perdue qui s'est abattue en gémissant juste en avant de notre cheval ? Ma gaieté disparaît comme un caillou jeté dans la mer. Du cimetière de Marbotte, aux multiples croix neuves, une tristesse descend, qui m'enveloppe comme un brouillard. Pressentiment ? Je ne crois guère aux pressentiments. « — Moi je sais que je reviendrai de la guerre sain et sauf. Pourquoi je le sais ? Je ne pourrais le dire. Mais je le sais. » Ainsi me parlait un jour le sergent Janet. Et douze jours après… « — J'ai fait un rêve épatant. Je me voyais chez moi, près de mes vieux. Je les embrassais, ils m'embrassaient. Cela annonce sûrement quelque chose d'heureux, par exemple une bonne blessure qui, pour un tout petit bobo, me rapportera une longue convalescence. » Ainsi me parlait un jour le caporal Daviet. Et huit jours après… Non, je ne crois pas aux pressentiments, et cependant… À quelques jours de là, j'allais connaître en pleine lucidité, les affres de l'agonie ; j'allais être jeté, épave menue mais consciente, aux extrêmes rivages de la terreur ; j'allais sentir ma raison crépiter comme une brindille sèche dans l'embrasement de la fournaise. N'était-elle pas, cette appréhension obscure qui me saisissait en plein épanouissement, le premier frisson de la fièvre, la première flamme de l'incendie, le premier grondement de la tempête ?
Chapitre2 : Espion Comme nous débouchons dans Mécrin, une sentinelle nous arrête : — Vous avez vos laisser-passer ? C'est en vain que je retourne mes poches : toujours distrait je suis parti, laissant mes papiers sur une étagère de ma cagna ; je n'ai pas même mon livret militaire ! Regard soupçonneux de la sentinelle. Elle appelle le chef de poste. Regard soupçonneux du chef de poste : il m'ordonne de descendre.
Je veux commencer des explications… Je veux commencer des explications. On me coupé; la parole : — Vous donnerez vos explications à la Place. Au bureau de la Place, un capitaine me reçoit, entouré de deux lieutenants et de trois ou quatre secrétaires. — Votre nom ? — Adjudant Péricard. — Comment ! adjudant ? Et ces galons alors ? Et l'officier, d'un doigt sévère (qu'on me pardonne cette image audacieuse) montre les galons de sergent-qui ornent mes manches. J'explique ma nomination toute récente ; le temps m’a manqué pour changer mes galons, mais dès mon arrivée à Boncourt… Un hum ! très sec me coupe la parole. Le-front plissé du capitaine et son regard inquisiteur me prouvent qu'il n'est pas dupe. Sa sagacité a percé à jour mes mensonges. Ma qualité véritable ne fait pour lui, aucun doute : je ne suis ni adjudant, ni sergent, mais tout simplement, un espion ! Il me fallut subir un interrogatoire long et. minutieux que ne facilita nullement un malencontreux lapsus. C'est qu'au dedans de moi, j'étais vraiment ennuyé de cette histoire : ce serait une piteuse façon de débuter au premier bataillon que d'arriver à Boncourt, encadré, de plusieurs soldats et accompagné d'un gradé chargé d'enquêter sur mon cas ! À la question : — De quel régiment êtes-vous ? e — Du 62 territorial, répondis-je. e — Je ne.connais pas de 62 territorial dans notre secteur.
e Il me fallut alors expliquer, le lapsus : que j'avais bien été mobilisé au 62 territorial au e début de là guerre, mais que j'étais-ensuite passé au 95 d'active sur ma demande. — Quel âge avez-vous ? — Trente-huit ! —Trente-huit ans ! Rien de surprenant à cette exclamation incrédule. Mes cheveux blancs me vieillissent en effet d'une dizaine d'années et je devais paraître plus vieux encore avec mes traits tirés par la fatigue et ma barbe non rasée, Mais, je me ressaisis. C'était trop fort, à la fin, cette méprise ! D'une seule haleine, je dis le nom du colonel du régiment, des chefs de bataillon, du e médecin-chef. J'énumérai les divers secteurs occupés par le 95 . Je détaillai la forêt d'Apremont, depuis les plaines de la Petite-Woëvre jusqu'au bois d'Ailly, en passant par le camp Touret, le Bois-Brûlé, la Louvière, le Fer-à-Cheval, la Tête-à-Vache et la Croix-Saint-Jean. — Enfin, terminai-je, il est un moyen bien simple, mon capitaine, de constater mon identité : faites-moi accompagner jusqu'à Boncourt ! Cette éventualité, je l'ai dit, ne me souriait en aucune manière, et c'était uniquement pour l'éviter que je la mettais en avant avec tant d'assurance. Mon machiavélisme réussit, on me permit de confirmer ma route en liberté. Qu'on ne s'étonne pas de ces soupçons du capitaine ! J'ai, dansFace à faceraconté l'invraisemblable histoire de ce Boche qui, déguisé en officier de l'état-major français, était venu donner des ordres dans une de nos tranchées. Une histoire analogue prendra place bientôt dans cette série de mes souvenirs. À Mécrin même, où se passait la scène que je viens de raconter, un vacher du pays renseigna pendant plusieurs mois l'ennemi sur les mouvements de nos troupes : tel emplacement occupé par ses vaches correspondait à tel renseignement convenu d'avance. Et à Liouville, non loin de là, des signaux avaient été envoyés au Mont Sec au moyen des aiguilles de l'horloge placée dans le clocher de l'église. De l'audace des Boches, l'arrière a vu des exemples non moins extraordinaires. Et vraiment, ils auraient bien tort de se gêner, les Boches et leurs complices, quand ils voient la faiblesse de nos lois à leur égard et de quelles formes s'entoure le jugement des espions les plus notoires. (Censuré.)
Chapitre3 : Premier contact
J'arrivai à Boncourt… J'arrivai à Boncourt sans autre avatar. e La 4 compagnie était alors commandée parle le sous-lieutenant Achet. Achet venait, de la e 6 nous avions été sergents ensemble, et quand je lui eus dit, en me présentant à lui. — Mon lieutenant, je suis l'adjudant Péricard, j'étais persuadé qu’il allait me répondre : — Mon cher Péricard, tu vas me faire le plaisir de me tutoyer comme auparavant, hein ! Mais pas du tout. Sa réception fut aussi froide et distante que celle d’un ministre. J'en conçus quelque gêne et, l’avouerai-je quelque mauvaise humeur, mais à la réflexion, j’approuvai Achet sur sa réserve. Et puis peut-être ne m'avait-il pas reconnu ? C’est une aventure qui m’est arrivée souvent e depuis que je fais partie du 95 . Combien de fois l'ai-je vécue, cette scène ! une main se tend vers moi : — Eh bien, Péricard, ça va ? — Mais oui, mon vieux, mais oui. Et toi ? Et du diable si je puis mettre un nom sur le visage du « vieux ». Je suis arrivé à connaître, en trois ans de campagne, presque tous les anciens du régiment. On me salue avise un sourire entendu. Je réponds par un sourire entendu. Mais le nom ?… Heureusement que « mon vieux » sert à masquer mon ignorance : — Bonjour, mon vieux ! Et le «-vieux » est persuadé que je l’ai sans peine localisé dans ma mémoire. Du premier contact avec ma nouvelle section, je remportai une impression de tous points favorable. L'aspirant Vignaud, une vieille connaissance à moi, confirma cette impression : — Tu as la meilleure section de la compagnie.
La meilleure ? Je ne sais, car je ne vis autour de moi, tout le temps que je demeurai à la e 4 , que de braves gens et des gens braves. Mais, en laissant de côté les comparaisons, où aurais-je pu trouver des visages plus ouverts et des âmes plus transparentes ? Tout de; suite je me sentis en sympathie avec mes hommes et avec mes gradés. Il y a plus de deux ans que.je leur ai dit adieu et je ne puis penser à eux, maintenant encore, sans que l'émotion mouillé mes paupières. Je n'ai pas de plus grande joie que de retrouver l'un d'eux : ils sont de ma famille. Vingt fois, cent fois, j'ai médité sur cette affection qui lie les combattants, et j'ai cru découvrir en elle le ressort caché qui donne le battement au balancier de notre cœur. Des soldats pleurent en quittant leur escouade, en quittant leur compagnie, des soldats qui, à la fin des permissions passées dans leur, famille, conservent les yeux secs. Pour rester avec leurs camarades, des hommes refusent les galons de caporal, des caporaux refusent les galons de sergent. De cette fraternité mystérieuse nous avons au régiment un mémorable exemple : par deux fois le colonel de Bélenet a repoussé le commandement d'une brigade pour conserver son e 95 . Il a fallu, pour l'arracher à nous, un ordre formel [Il intéressera sans doute ceux de nos lecteurs, qui ont admiré dansCeux de Verdun la magnifique conduite du colonel de Bélenet, d'apprendre que le général de Bélenet commande maintenant une des plus glorieuses divisions d'infanterie.]. En guerre, la famille n'est plus au pays, elle est au régiment. Je m'excuse auprès des familles qui liront ceci, mais les marques d'affection que les soldats reçoivent, au front, de leurs camarades, jamais femmes, ni sœurs, ni fiancées ne donnèrent à ceux qu'elles aiment des marques d'affection comparables. Ont-elles, ces femmes, ces sœurs, ces fiancées, partagé avec l'époux, le frère, le fiancé, la dernière bouchée de pain ? L'ont-elles remplacé au créneau, pendant un bombardement, quand il était fatigué ? L'ont-elles rapporté blessé, sur leurs épaules ? Ont-elles, pour lui, risqué cent fois leur vie ? e Ô mes gars de la 4 , mes petits gars, où êtes-vous maintenant ? Et où sont les feuilles qui, en l'avril 1915, paraient le Bois-Brûlé ? Le lendemain de mon arrivée, je me dirigeais vers la route de Saint-Julien où la compagnie se rassemblait pour l'exercice quand, en passant près des cuisines, j'entendis un cuisinier dire à son voisin en me montrant du coin de l'œil : — Regarde-moi ce pauvre vieux comme il est flapi ! Flapi en argot signifie : déprimé. De cette réflexion je ne tirai pas une satisfaction très vive, on me croira sans peine. Je redressai ma taille, tendis mes muscles… Et quand la compagnie revint de exercice, je l’arrêtai non loin de la cuisine : — Compagnie, halte ! Ma voix est naturellement assez forte ; c’est une facilité dont je tire maint orgueil. Pour l'occasion, je l’enflai le plus possible, et, comme les maisons environnantes formaient une chambre sonore, mon commandement gronda comme tonnerre en montagne. J’aimai à m'imaginer que j'avais produit sur les hommes une impression très forte. Aussi aux temps héroïques, Stentor, par le seul exercice de ses cordes vocales, stimulait l’ardeur de ses compagnons d'armes et frappait les Troyens d'effroi. — Eh bien, demandai-je à Vignaud, quelques heures plus tard, qu'est-ce qu'ils en disent du « pauvre vieux », leshommes ? Le coffre est encore bon, je pense ! — Ce qu'ils en disent ? Tu ne te fâcheras pas ? — Me fâcher, et pourquoi donc ? — Eh bien, ils disent : « Oh ! ,là là,c’te gueule ! »
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents