Les Juifs dans les manuels scolaires d histoire en France
266 pages
Français

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Les Juifs dans les manuels scolaires d'histoire en France , livre ebook

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Description

Ce livre se propose d'examiner la dissonance entre la mémoire nationale et l'histoire, à travers ce que l'Ecole a retenu des Juifs dans l'histoire enseignée depuis plus d'un siècle, et qui se trouve à présent conservé dans les manuels scolaires. Des débuts de la 3e République à nos jours, les manuels permettent d'observer quelle sorte de représentation des Juifs la mémoire historique de la France a pu élaborer et comment ces images perdurent, s'effacent ou se modifient.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2011
Nombre de lectures 159
EAN13 9782296807549
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES JUIFS
DANS LES MANUELS SCOLAIRES
D’HISTOIRE EN FRANCE
Une minorité dans la mémoire nationale
Michel Groulez


LES JUIFS
DANS LES MANUELS SCOLAIRES
D’HISTOIRE EN FRANCE
Une minorité dans la mémoire nationale
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54784-1
EAN : 9782296547841

Fabrication numérique : Actissia Services, 2013
À la mémoire d’Emeric Wellisch
(1892 - 1943)
AVANT-PROPOS
Cette recherche prend son origine dans une réflexion concernant les Juifs de France, leur histoire, et plus précisément la façon dont cette histoire a été reçue dans l’opinion publique, lorsque celle-ci pense la nation, réagit comme conscience nationale, appuyée sur une mémoire.
L’hypothèse de départ est celle-ci : la nation aurait méconnu ce qu’il faut bien appeler une part d’elle-même. Il serait alors possible d’affirmer – ou de suspecter – un problème d’ignorance, dont l’étendue et la profondeur resteraient à apprécier, au sein de la conscience nationale. Il y aurait alors lieu de s’interroger sur les fondements d’une telle ignorance, et de déterminer si le défaut de reconnaissance provient d’un préjugé condescendant ou d’un oubli.
Bien certainement, le problème n’est pas unique : il paraît établi que d’autres groupes de populations, nombreux, pourraient aisément évoquer un traitement similaire. Plusieurs d’entre les éléments constitutifs de la nation ont pu faire état, en des termes divers, du peu de cas que la collectivité nationale semblait faire d’eux. Les Juifs n’auraient finalement pas un sort différent.
Il nous semble toutefois qu’en la matière, les Juifs présentent une forte originalité. Ils introduisent dans la diversité de la population française un élément peu courant, dans la mesure où leur groupe n’est pas territorialisé, et où il relève d’une religion faiblement partagée sur le territoire du pays. Et, bien que pouvant légitimement invoquer une fort ancienne présence sur le territoire, au même titre qu’un bon nombre des populations « fondatrices », ils ne seraient pas, jusque dans l’histoire la plus récente, reconnus pour tels. Qu’au contraire, les Juifs auraient été durablement l’objet, de la part des autres constituants de la nation, d’un regard préjugeant une évidente et irréductible étrangeté. À un point tel que, une fois levée par la Révolution, l’incapacité des Juifs à être des nationaux français a persisté longtemps, en bien des cas et dans bien des têtes. On pourrait donc, mettant côte à côte cette défiance / méconnaissance, et l’ancienneté juive sur le territoire français, supposer sur ce point comme une erreur de mémoire, une image altérée.
Si nous cherchons à déterminer les contours de cette image, pâlie, faussée, « en dépit de l’histoire », nous sommes conduits tour à tour à une interrogation sur les modes de construction et de fonctionnement de cette mémoire nationale, et à un examen de la place des Juifs de France dans l’histoire de la nation – et plus exactement, la part assignée aux Juifs dans la mémoire nationale française, ainsi que les termes sous lesquels la mémoire nationale a choisi de transmettre ce qui touchait une de ses composantes.
Cette interrogation se double d’une autre, sous-jacente sans doute, sur les raisons de l’enracinement des préjugés, et tout particulièrement dans des pays économiquement et culturellement développés, où des systèmes éducatifs élaborés et généralisés ont été précocement mis en place. Le XX e siècle a permis à chacun de constater que, pour ce type de pays même, le niveau de développement économique et humain, non plus que les « leçons » de l’histoire, n’étaient toujours une garantie d’immunisation contre l’ignorance ou même la sottise.
Il nous a semblé que la recherche des éléments de réponse à ces questions pouvait utiliser avec profit l’une des manières dont a été diffusée, justement, la mémoire nationale dans l’histoire récente : aussi s’est imposé le dessein de sonder ce qui s’était enseigné à l’École, pièce essentielle d’un dispositif de transmission de la mémoire nationale depuis plus d’un siècle, à partir du moment où elle touche, au moins dans les âges les plus jeunes et les niveaux élémentaires, l’ensemble des générations. Le champ de cette recherche, potentiellement vaste, a donc été circonscrit au discours scolaire sur l’histoire de France, c’est à dire son récit, et plus encore sa trace écrite, source aisée d’accès et que chacun a d’ailleurs eu l’occasion d’utiliser pour son propre compte, dans son plus jeune âge pour la totalité de la population, dans l’exercice de sa profession pour quelques uns : les manuels scolaires.
Longtemps négligés comme objets des plus ordinaires, les manuels sont désormais considérés comme des sources dignes d’intérêt, ce qu’ont bien établi notamment les travaux d’Alain Choppin. Sous des formes qui varient sensiblement au cours du temps, répondant aux évolutions de l’état des connaissances, des réflexions pédagogiques, des préoccupations sociales, ces livres de classe, sans avoir été conçus pour cela, offrent de précieux témoignages sur la représentation du passé historique adoptée par une société à un moment donné, et qu’elle estime alors digne d’être enseignée aux jeunes générations comme fondement d’une mémoire commune.
Un parcours de l’histoire des manuels scolaires français, si rapide soit-il, permet de relever certains traits originaux importants : ainsi évitera-t-on d’adopter trop précipitamment l’idée d’une irrépressible contrainte venant des autorités académiques ou politiques, souvent plaisantée sous le terme d’ « histoire officielle », et qui ferait du contenu des manuels des textes de pure conformité idéologique, pour ne pas dire de propagande. Mal gré qu’en aient eu les régimes politiques du XIX e siècle, l’évolution conduit à un renoncement au contrôle étatique, à une réelle autonomie dans la rédaction des manuels scolaires et dans le choix opéré par les enseignants entre les propositions de nombreux éditeurs. Ces derniers, entrepreneurs libres, travaillent par ailleurs dans le cadre d’un puissant centralisme qui, à l’image des structures du pays, régit l’éducation nationale, et délimite à toute époque en un cadre uniforme instructions et programmes du monde scolaire. La diversité éventuelle des livres de classe n’est donc pas géographique et locale. Elle tient aux choix pédagogiques et narratifs des auteurs, et à la chronologie.
Les manuels de classe, détournés de leur objet initial, donnent la possibilité d’accéder au contenu d’un « discours » scolaire, de savoir ce qui, passant pour convenable et nécessaire, s’est enseigné. On pense atteindre à travers ces textes, à quelque chose de la conscience collective de la société considérée. Il ne s’agit pas de prendre le manuel scolaire comme une source d’histoire érudite, ce qu’il n’est évidemment pas, mais comme un document d’histoire. Les manuels scolaires peuvent exprimer avec clarté, dans le cadre d’un récit à la fois simplifié et structurant, les traits jugés les plus significatifs et en quelque sorte dignes de mémoire de l’histoire de la nation. Nous obtenons ainsi une sorte d’enregistrement, précisément daté, d’histoire nationale (et/ou de façon nationale de faire de l’histoire). Les manuels apparaissent ainsi, destin imprévu, mais légitime, comme des « lieux de mémoire » de la collectivité nationale – rôle qui n’avait point paru déraisonnable à Pierre Nora lui-même (1997, p.15).
A partir de ces sources, on peut en particulier observer les états successifs de ce qui, dans le récit, concerne cette minorité dans la nation que sont les Juifs de France. Examiner ce qu’effectivement il s’est dit dans les textes de l’histoire scolaire sur plusieurs générations, depuis la création d’un système d’enseignement généralisé, permet de préciser la nature des images proposées. Des débuts de la Troisième république à nos jours, il s’agit de relever ce qui est avancé ou omis au sujet des Juifs de France, et par là de rechercher, au-delà des simplifications de la pédagogie et des constructions liées à une conception jacobine de l’unité nationale, la trace possible d’une minorité au sein de la nation ; il s’agit aussi d’examiner si cette image est restée ou non immobile, figée sous les contraintes d’un mode français et républicain de construction nationale, si elle s’est modifiée et comment, au cours de la période étudiée.
Il est fort probable que ce travail n’aurait pu être projeté aisément il y a seulement quelques décennies. Son propos aurait alors risqué d’apparaître sans objet. L’histoire de la nation française a été depuis longtemps élaborée de telle sorte que le groupe humain qui la porte apparaisse comme un ensemble original, aux constituants sans doute divers, mais vu comme un bloc. Quelle pertinence y aurait-il eu à rechercher dans les textes les moins érudits et les moins nuancés de l’histoire de France, les textes scolaires, ce qui par nature n’avait aucune raison de s’y trouver ? Les auteurs de ces leçons historiques destinées à éduquer les enfants de France faisaient, autant et plus que l’histoire du pays, œuvre d’édification civique en valorisant le Français, à travers les apparences de sa diversité régionale, sociale, culturelle, comme réalité profonde d’une communauté nationale de citoyens égaux. Proposer de découvrir au sein d’une histoire fondamentalement unitaire dans ses thèmes d’étude, ses perspectives et son vocabulaire, ce que précisément elle n’avait pas voulu et dont elle n’avait cure, aurait pu passer pour un exercice particulièrement vain. La recherche des traces d’un particularisme au sein de la nation française ne pouvait que se heurter à une tradition historique et civique contraire, et d’une force singulière. L’histoire de la nation française a été principalement une sorte d’histoire sacrée de la France toujours-déjà-là , où les peuples et les territoires

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