Paysan au cœur du pouvoir
351 pages
Français

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Description

Témoin des bouleversements de l'après-guerre, acteur syndical et politique du demi-siècle écoulé, François Guillaume, né dans un village de Lorraine, se voyait promis dès son plus jeune âge à un destin de paysan dans une France rurale immobile qui semblait se satisfaire de la paix des champs. Le conflit mondial en a décidé autrement.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 29
EAN13 9782812916434
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

UN PAYSAN AU COEUR
DU POUVOIR
Autre éditeur
DU MÊME AUTEUR
Le Complot des maîtres du pouvoir Le Pain de la liberté Vaincre la faim : pour en finir avec l’inacceptable
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©
, 2014
FRANÇOISGUILLAUME
UN PAYSAN AU COEUR
DU POUVOIR
Avant-propos
« Bos suetus aratro »(« Le bœuf attaché à sa charrue »), tel se décrit Bossuet, le célèbre prédicateur, en jouant de la co nsonance d’une locution latine avec son patronyme aux fins de traduire son ardeur au travail.
Paysan sans destin particulier, sans antécédent pro tecteur, j’ai fait de cette représentation symbolique d’un caractère la discipl ine de ma vie. De là est née ma persévérance terrienne et politique, jusqu’à l’o bstination, à défendre les miens, les paysans ; à revendiquer une participatio n institutionnelle des syndicats ouvriers, agricoles, patronaux dans le dé bat démocratique alors qu’ils sont cantonnés dans la contestation : une absence d u champ décisionnel qui laisse libre cours aux délires des politiciens ; à dénoncer le scandale de la faim dans le monde, le refus de vivre dignement opposé à une multitude. Sans céder à l’autosatisfaction, ce défaut d’humilité qui flét rit le dévouement et ternit l’engagement pour de belles causes. « Dans les gran des actions, affirmait l’éloquent et rigoureux prélat, il faut uniquement songer à bien faire et laisser venir la gloire après la vertu. » Rester modeste, c ’est aussi rendre leur part de mérite à celles et ceux qui ont partagé à un moment ou l’autre de mon parcours notre ambition commune d’être à la hauteur des miss ions confiées. Aussi j’ai des scrupules à écrire et à parler au singulier quand i ls furent si nombreux à m’avoir beaucoup donné de leur temps, de leur intelligence, de leur courage et de leur générosité pour m’aider dans ma recherche du bien c ommun.
Alors pour que rien ne soit oublié de leur vertu, j’ai écrit pour eux.
Chapitre I
Un village en orraine
ILLE NEUF CENT TRENTE-DEUX. On était à la mi-octobre. En cette M matinée d’automne, sous un soleil encore chaud qui semblait refuser de céder la place aux gelées à venir, la campagne lorr aine dépouillée de ses moissons livrait ses dernières récoltes. Sur le pla teau duVermois, proche de Nancy, s’affairaient encore les travailleurs des ch amps selon une gestuelle qui, depuis des siècles, n’avait guère changé. Au creux d’un vallon, à l’entrée d’une étroite parcelle de terre, deux hommes dans la forc e de l’âge arrachaient méthodiquement du sol les pommes de terre plantées au printemps, jetant sur le côté les fanes déjà sèches et déposant derrière eux , en un beau tapis jaune, les tubercules pour qu’ils sèchent au soleil avant que les femmes et les enfants à la sortie de l’école, ne viennent les ramasser et les ensacher après en avoir fait le tri selon leur calibre, entre ce qui serait réservé à la consommation familiale et ce qui serait, après cuisson, destiné aux porcs de la ferme.
Sur un champ voisin, on s’affairait à la récolte de s betteraves qui seraient stockées sur place dans de grands silos recouverts de paille et de terre et qu’on viendrait chercher en hiver, tombereau après tomber eau, pour nourrir les animaux. Manches retroussées, chemise au vent décou vrant une ceinture de flanelle destinée à protéger les reins, les hommes les arrachaient en un tour de main en les tirant par les feuilles et en les libér ant parfois du sol durci d’un coup de talon, sans les casser, si elles résistaient à l a traction. À trois ou quatre et à raison de cinq lignes chacun, ils avançaient vite, travaillant nerveusement pour donner assez d’ouvrage aux femmes de leur équipe qu i les décolletaient et les nettoyaient de leur terre avec un large couteau. Ag enouillées pour accomplir leur tâche, ces femmes d’âge mûr, protégées de la rosée matinale par un sac de jute serré à la taille, entreposaient en tas soigneuseme nt alignés ces betteraves fourragères qui seraient recouvertes le soir d’amas de feuilles vertes pour ne pas être abîmées par la gelée nocturne, si toutefois el les n’étaient pas ramassées dans la journée par les charrois sillonnant la plai ne.
Le beau temps invitait à la bonne humeur. Aussi les langues allaient bon train : commérages, confidences d’alcôves, provocations des hommes auxquelles répliquaient hardiment les femmes. Le travail n’en souffrait pas, il en paraissait même moins pesant. Mais au-delà des gaudrioles, ce qui alimentait les conversations du jour après l’absence remarquée sur le chantier de Jean, jeune agriculteur installé depuis trois ans sur la ferme de sa belle-famille, c’était la naissance attendue et espérée d’un fils, promis à l a terre, après celle d’une fille, née deux ans plus tôt. On avait même appris, car on accouchait encore au foyer, que la sage-femme qui exerçait ses talents sur le c anton en dépit de l’absence de tout diplôme autre que son « acquis de connaissa nces », était arrivée sur place à Ville-en-Vermois, petit village de deux cen ts âmes aux maisons profondes, collées les unes aux autres et alignées sur chacune des rives d’un ruisseau à ciel ouvert qui ne charriait beaucoup d’ eau qu’en période de fortes
plancés au trot, tirant unluies. Peu avant midi un équipage de quatre chevaux lourd chariot vide aux roues cerclées de fer, arriv ait au champ si bruyamment qu’on aurait pu croire que son attelage s’était emb allé. Non point, car il était parfaitement maîtrisé par Jean manifestement heureu x, juché en amazone sur le cheval de tête et qui annonçait, sitôt descendu de sa monture, l’arrivée de son premier fils. C’est ainsi que je suis né paysan.
Le plus lointain souvenir de mon enfance est lié à la terre, à ce qu’elle produit de plus beau : les fleurs. Ce sont celles que j’app ortais à ma mère en bouquets triomphants : les violettes odorantes, premier sign e du printemps, tapies au pied d’un mur inondé de soleil et protégées ainsi des ve nts frileux de mars ; le gros bouton d’or des prairies humides que l’explosion de la végétation en mai fait jaillir de l’herbe grasse ; l’églantine délicatemen t prélevée des haies sauvages où se niche toute une population d’oiseaux, ou bien les gerbes blanches d’aubépine qui frissonnent du bourdonnement d’abeil les en quête de pollen.
Aux yeux de l’enfant que j’étais, tout était découv erte. La fuite échevelée des nuages dans le ciel d’automne m’a fait rêver autant que m’a captivé l’incessant cortège d’une légion de fourmis véhiculant on ne sa it où ses œufs menacés. Je me suis laissé prendre à la course faussement boiti llante de la perdrix nous invitant à la pourchasser pour nous éloigner de sa couvée, ou aux crochets secs du jeune lièvre échappant par feintes successives à la menace d’être capturé.
Je n’ai pas à chercher mes racines, elles plongent dans le sol lorrain que des générations de paysans ont remué avant moi. Elles m ’ont transmis cette religion du sol qui s’appuie sur une double attache foncière et familiale. L’histoire de notre terre se confond avec celle de notre famille qui vivait alors tout naturellement au rythme des saisons. C’est pourquoi j’aime la terre de l’été qui brûle sous le soleil, mais aussi celle de l’automne libérant comme à regret des écharpes de brume. Je plains la terre en hiver lors qu’elle craque sous le gel et je m’apaise de la deviner, lasse de souffrir, s’engourdir sous la neige. Je guette son réveil au printemps : elle fermente et soudain débo rde de sève.
Entre le paysan et sa terre s’établit un lien viscé ral ; il explique les luttes sournoises qui ont parfois mobilisé les énergies de plusieurs générations pour conquérir le verger ou le bout de terrain convoité, et ceci avec un entêtement tel qu’on ne savait plus très bien ce qui était importa nt, le titre de propriété ou l’exécution de la volonté familiale. L’ambition de tout paysan est d’arrondir son bien pour le transmettre meilleur. Il se survit ain si à lui-même non seulement par sa descendance, mais aussi par la « ferme » ; il la isse une œuvre dont les générations suivantes sont invitées à poursuivre l’ accomplissement. Aussi les paysans dont la succession n’est pas assurée sont g énéralement tristes : c’est comme s’ils étaient appelés à mourir deux fois.
Aîné des fils d’une famille de quatre enfants, mes parents me destinaient aux études et mon plus jeune frère, à la terre. Ce fut l’inverse.Tout un concours de circonstances nous a conduits vers des voies différ entes de celles prévues. Cependant, pour moi, l’influence des grands-pères f ut prépondérante par leur seul point commun : leur attachement au métier. Car ils étaient animés du même
désir : voir tous leurs petits-fils s’installer agr iculteurs et leurs petites-filles épouser des paysans. Mon grand-père maternel était bon par nature, taquin et aussi soudainement emporté qu’il était jovial quelq ues minutes auparavant. Plus cultivateur qu’éleveur, il avait ses outils préféré s : le bisoc, équipé d’une pioche pour arracher les pierres apparentes, et la houe tr aînée par un cheval conduit par mes soins que l’on passait trois ou quatre fois entre les rangs de betteraves au cours de la saison. Très souvent, il m’obligeait à arrêter l’attelage pour ramasser des pierres qu’il fourrait dans les poches de sa veste dans l’intention de les déverser au bout du champ. Je redoutais cett e épreuve de la houe dans les betteraves parce qu’elle n’en finissait pas. Ma grand-mère aussi, au point qu’elle avait finalement décidé de supprimer toutes les poches des vestes de son mari, régulièrement déformées par des charges a busives. Il était d’un courage simple et tranquille. À la débâcle, il est resté pour tenir la ferme alors que la famille avait amorcé un début de fuite à l’a rrivée des Allemands. Pendant la guerre, comme la plupart des Français, il était officiellement pétainiste, estimant que le maréchal protégeait efficacement le pays des exigences croissantes de l’ennemi, et secrètement gaulliste d ans l’espoir d’une libération prochaine. À la nuit tombée, tous feux éteints, il écoutait Radio Londres et me faisait promettre de n’en parler à personne. Dans l a petite cuisine toute sombre, les yeux fixés sur le cadran faiblement lumineux d’ un poste fatigué, j’entendais au milieu du brouillage la voix de la liberté : « I ci Londres, les Français parlent aux Français… » J’avais l’impression de participer à une conspiration.
Mon grand-père paternel était tout différent. C’éta it un patriarche au sens dominateur du terme. Sévère et fier, il n’admettait aucune faiblesse, ni pour lui ni pour les autres. Ses jugements étaient péremptoires et personne, parmi ses fils, n’osait les contester. Lorsqu’il visitait les ferme s de ses enfants, tout devait être impeccable ; rien n’échappait à l’œil du maître. Le s chevaux méritaient de sa part une attention particulière : il voulait que la famille brille dans les concours. Pour parfaire l’éducation de ses petits-enfants, il les accueillait pendant les grandes vacances. Pour moi ce n’était pas de gaîté de cœur, car il prétendait nous faire découvrir les joies du travail lors du r amassage des mirabelles, le fruit d’or lorrain, dans ses vergers dont les lignes d’ar bres chargés à mitraille me paraissaient interminables et leur propriétaire tro p exigeant tant sur le rythme à tenir que sur la qualité du fruit livré, pourtant u niquement destiné à la distillerie.
En compensation à ces tâches ingrates, nous avions droit à quelques distractions. Le meilleur souvenir qui m’en reste e st celui de la première et… dernière leçon de natation dans la Pissotte, petit cours d’eau alimenté par quelques sources et des eaux de ruissellement. En é té le débit était faible. Des trous d’eau nous serviraient donc de lieu d’exercic e. Emmenés par notre grand-père, mon cousin Roby et moi partîmes courageusemen t, bien décidés à savoir nager dans la journée. Une grosse ceinture de solda t et une bonne corde devaient permettre à notre moniteur improvisé de di riger et de soutenir nos ébats en évitant la noyade, depuis le pont qui enjambait le ruisseau. Pour l’exemple, il commença par une démonstration personnelle qui ne n ous parut pas très concluante, l’opacité des flots ne permettant pas d e constater si ses pieds avaient bien décollé de la vase. Le reste paraissai t correct : de grandes brassées agitaient l’eau boueuse de la cuvette dans laquelle grand-père était
descendu en pantalon de coutil et maillot de corps, et des geysers sortaient de sa bouche dans un effrayant gargouillement. Tout ce la était quand même impressionnant, si impressionnant que Roby, premier désigné pour le bain, avait pris le large et campait à distance de sécurité, re fusant de s’approcher d’un pas. Alors j’entrai prudemment dans l’eau noire à distan ce respectueuse du grand-père, tenu en laisse par celui-ci, en ayant au préa lable vérifié la boucle du ceinturon et le bon arrimage du lien. Vingt seconde s après, j’étais sur la berge, tirant désespérément sur la corde qui me ramenait a u bain. J’avais cru étouffer. Enfoncé dans l’eau jusqu’au cou pour la première fo is de ma vie, j’avais éprouvé cette suffocation que provoque l’eau fraîche lorsqu ’elle presse la poitrine. Grand-père n’insista pas : peut-être ne tenait-il pas non plus à faire une nouvelle et peu convaincante démonstration. «Cré nom de Diou,dit-il, vous me faites de sacrés soldats ! » Nous rentrâmes à la maison. « Donne-leu r tout de même à goûter », concéda-t-il à ma grand-mère.
Notre grand-père était chef de tribu, et la tribu a vait ses rites. Notamment celui des vœux, le 1er janvier, où les dix-sept petits-en fants affrontaient l’épreuve de ses moustaches pour recevoir ensuite chacun un peti t billet, repassé la veille pour qu’il craque mieux dans les doigts. Parti de r ien, notre aïeul connaissait la valeur du travail. Il s’était fait une place dans l e milieu paysan en achetant l’exploitation dont il était fermier, à force de la beur et d’économies. Il était fier de son bien au point d’avoir fait graver à sa retraite , sous sa sonnette : « Fernand GUILLAUME,Propriétaire»
Son épouse, ma grand-mère, était une femme soumise : elle n’avait pas le choix. Son principal talent s’exprimait dans la cui sine. Elle n’avait pas son pareil pour mijoter le civet de lièvre « au sang » qu’elle préparait pour les invités de son royal mari ; principalement lorsque, président du S tudbook, il recevait le directeur des haras de Rosières-aux-Salines, personnage, à l’ époque, respecté et redouté, car lors de la présentation annuelle des é talons candidats à la monte publique, il désignait pratiquement seul les bénéfi ciaires de la « marque » au fer rouge, preuve officielle de la qualité génétique su pposée de l’animal. Or, c’était en conclusion de tout un cérémonial d’épreuves ponc tué d’ordres impératifs du directeur des haras à l’éleveur, sommé de tenir son cheval par la bride pour le faire trotter, galoper et terminer cet exercice par une présentation de l’étalon, immobile, tête haute, antérieurs « au garde-à-vous », la crinière étant soigneusement peignée et tressée pour cette mini-pa rade.
Acteur à plusieurs reprises de ces cérémonies, j’ét ais terrorisé à l’idée que je pouvais faire échouer l’agrément de notre étalon pa r quelque gaucherie au cours de l’épreuve. Ce souvenir m’est revenu douloureusem ent alors que, ministre de l’Agriculture, je présidais un concours de chevaux àVittel, en entendant le directeur des haras lancer à un humble éleveur ses ordres secs et impératifs que j’avais autrefois si craintivement exécutés : « Tro t ! Galop ! » Aussi ai-je apprécié à titre de revanche les courbettes au ministre que j’étais devenu de ce haut fonctionnaire sans doute étonné de ma froideur.
Ma grand-mère maternelle était la bonté même ; elle était aimée et respectée de tout le village, atténuant de sa gentillesse la vivacité de caractère de son mari
que sa droiture et sa franchise ne prédisposaient g uère à la diplomatie. Généreuse dans la discrétion, elle donnait sans com pter ; ce qu’elle fit au début de la guerre de 1914-1918 en avançant à un jeune du village, mobilisé et totalement désargenté, un pécule dont elle refusa t oujours le remboursement. Elle ne craignait pas de s’opposer aux Allemands ni d’héberger des prisonniers français évadés ; pas plus qu’elle n’a redouté la m itraille quand il fallut nourrir la moitié du village, réfugiée dans les caves de sa ma ison, en 1940 comme en 1944. Rendre service sans ostentation était sa règl e de vie, sa façon d’aimer son prochain. Elle assurait la médiation au sein de la famille avec tact et indulgence. Elle était pour moi un recours, la confidente de me s soucis et de mes peines d’enfant. Elle me consolait de la sévérité de mes p arents sans les désavouer et me soulageait de mes petites misères : tout jeune, étant couvert de taches de rousseur et honteux de cette tare qui me valait les quolibets de mes camarades, elle alla au printemps recueillir les pleurs de vig ne (sève collectée au moment de la taille) censés les effacer. Effectivement, elles disparurent sans qu’on sache vraiment si cette vieille recette y était pour quel que chose. Moi j’en étais persuadé. Car les vertus des plantes étaient estimé es efficaces, au moins pour les maux les plus bénins, le docteur n’étant consul té que dans les cas jugés sérieux. Avec pour autre raison : le coût des honor aires à payer ; la Sécu n’existait pas encore.
Notre médecin de famille avait toute autorité pour soigner les maladies infantiles qu’on se repassait allégrement à la mais on ou à l’école : la rougeole, les oreillons, la coqueluche ou la varicelle. Je n’ en ai pas manqué une. Pour les grippes, bronchites et angines, les remèdes de gran d-mère gardaient leur suprématie. Le cataplasme et les ventouses étaient les médications les plus utilisées et les plus redoutées, dès lors que l’app lication d’un onguent sur la poitrine, dont la forte odeur d’eucalyptus dénonçai t à l’école le malade potentiel, n’avait pas produit l’effet salutaire attendu. Reco mmandé pour décongestionner les poumons encombrés, le cataplasme était réservé aux petits. Composé d’une bouillie de farine de lin enveloppée dans un linge léger et chauffé au bain-marie, ce sinapisme saupoudré de graine de moutarde noire écrasée pour accentuer son efficacité était appliqué sur le torse du malad e aussi longtemps que d’insupportables démangeaisons appelaient son retra it. Les adultes étaient traités aux ventouses, petites cloches de verre don t le vide relatif était obtenu en enflammant un coton imbibé d’alcool à brûler avant de les positionner prestement sur le dos du patient. Inquiet pour lui, j’observais le travail de succion qui tirait le sang à fleur de peau et je m’étonnais , une fois les ventouses retirées, de l’existence d’un damier de ronds rouge violacé q u’elles avaient laissé sur le dos de la victime. Parfois les sangsues étaient req uises pour pomper « le sang mauvais » et uniquement celui-là nous affirmait-on. La difficulté était de mettre fin à leur voracité. Car bien que gorgées de sang, elles s’obstinaient à rester accrochées à la peau. Les arracher était un supplic e que s’évitaient, dit-on, les légionnaires en patrouille dans les rizières du Ton kin où elles fourmillaient, en les brûlant avec leur cigarette pour leur faire lâc her prise. Mais on ne savait ni on n’aurait osé le faire.
À la maison, on ne restait jamais inactifs. Les men us travaux, domestiques ou fermiers, auxquels nous étions soumis dès le plus j eune âge, bien que mesurés
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