Itinéraires déracinés
256 pages
Français

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Itinéraires déracinés , livre ebook

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Description

Dans le milieu populaire des cités, l'enfant déraciné dès l'aube de sa naissance, s'institue béquille d'un parent en mal de vie. Il sera fantasmé comme un être de soutien, un "chargé de mission" qui consolide l'existence. Il survit dans une extrême solitude aux plans filial, familial, culturel et socio-économique. Il s'accomplira par les rares étayages qu'offrent les réseaux sociaux d'une cité de banlieue.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 102
EAN13 9782296466463
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ITINÉRAIRES DÉRACINÉS
Tao Adohane
ITINÉRAIRES DÉRACINÉS
Journal de bord d’un psy de cité
L’Harmattan
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55392-7
EAN : 9782296553927
À Myna
À Olga
À ma mère
À toutes les mères déracinées
À leurs enfants
Présentation
Il faut être de son temps
Proverbe populaire
Préambule
Cet essai est un « témoignage à froid », dans l’après coup, d’une expérience clinique, longue de deux décennies sur un même territoire populaire. Un essai qui a d’abord vocation de narrer, décrire et révéler des itinéraires singuliers. Il n’est pas, en effet, d’emblée évident de distinguer, parmi les manifestations de souffrance d’un enfant qui advient dans le déracinement, ce qui est de l’ordre des conditions de vie sociale et ce qui relève de la dimension psycho-dynamique à proprement parler.
L’idée que l’environnement influe sur la construction du sujet, son tempérament et son caractère est ici plus qu’une considération hypothétique. Cette idée façonne chacune de nos rencontres et nous oblige à questionner les reliefs de chaque itinéraire.
Dire aussi, se faisant, les natures et les frontières d’un métier aux prises avec les réalités déchirantes du déracinement. C’est là pourtant l’une des questions profondes qui ont suscité et qui suscitent toujours - au-delà des débats passionnés - un certain désarroi chez tout professionnel soucieux d’accomplir tout à la fois une relation de soins psychiques et de lien social, dans la dignité et le respect de l’autre. Mais faire profil bas n’est pas se soumettre aux diktats du réel, au contraire.
C’est même probablement la condition idéale pour questionner ce réel, s’y ajuster en adaptant l’écoute au temps de l’éclosion du sens.
La pratique clinique dans le champ social soulève encore de nombreuses interrogations épistémiques auxquelles nous aurons à répondre en profondeur. Dès l’introduction et tout au long des chapitres, le propos s’attachera à examiner des manières de pratiquer le lien, des manières instruites dans l’informel, « ici et maintenant », au gré des vicissitudes et selon la temporalité qu’ordonne la vie des gens dans une cité populaire. Il faut donc « être de son temps », comme dit le dicton populaire et pour l’exercice d’un métier de soins, il sied de « prendre le temps comme il vient » et les gens « pour ce qu'ils sont . »
Dans un environnement où dominent lutte des classes et – pour les plus précaires - lutte entre catégories, aucune approche de soin ne peut avoir de valeur universelle, si elle ne s’adapte pas au contexte ; prendre sens au fur et à mesure, dans l’informel et par le cours des choses, dans la foulée… Une pratique qui, peu à peu, prend corps et se révèle thérapeutique, à l’instar du jeu du squiggle1 (Winnicott, 1971). Car ici, ce qui importe n’est pas tant – pour paraphraser Winnicott - « tout ce qu’il faudrait faire », mais « le peu que l’on a besoin de faire. 2» Une pratique qui s’édifie dans les méandres qu’obligent l’ urgent ou l’ imprévu et le prompt , l’ ici et le maintenant . Et la « demande » du sujet dans tout cela, rétorqueront certains ? Elle restera implicite, prise tacitement dans les arcanes pudiques du transfert momentané ou à venir. Le transfert ? Il s’établira dans et par la constance informelle, comme l’union à l’ancienne : « on s’unit d’abord, on s’aime - ou non - ensuite. » Ici, le patient (celui qui attend) c’est le professionnel qui s’adapte, qui s’ajuste, s’accommode, faisant avec ce qui advient. Et comme l’écrit Masud Khan :
« Toutes les différences entre la psychanalyse proprement dite et la psychothérapie sont souvent stériles, en raison de l’accent mis sur le fait que c’est l’analyste qui choisit le rôle qu’il va jouer. » (Khan, 1974, p. 293)
Citant Althusser dans L’avenir dure longtemps et Lettres à Franca 3, Michel Martin écrit que « l’application très stricte des canons de l’analyse a fait le nid du mythe trop répandu d’une analyse et d’un analyste désincarnés, largement caricaturés. Il faut dire que certains, appliquant farouchement et aveuglément ces principes, les substituant à la vérité humaine de la rencontre, ont desservi la cause… La réalité d’un processus analytique offre en elle-même des occasions de déplacements légers ou importants de ces critères. » (Martin, 2001, p.107) Et l’on a pu évoquer les « débordements » de Diatkine dans son analyse d’Althusser.
Celui-ci tua sa compagne Hélène, en analyse également chez Diatkine.
Un « ménage à trois » surgit ainsi dans l’échange d’articles entre cet analyste et le philosophe. Dans les nombreuses citations de ce dernier, il fut évoqué un Diatkine « engagé, très actif, proche de la figure du thérapeute héroïque. »
À mesure de l’expérience, nous avons eu à renoncer à l’ a priori d’un cadre tendu et du « rôle à jouer » ; préférant lui substituer, au cas par cas, notre capacité thérapeutique et de counseling (Rogers, 1977). Soigner c’est savoir se ménager, s'adapter tout en aménageant une bordure psychique, une « membrane » (Laplanche), un « contenant maternel » ou « enveloppe contenante » (Anzieu), un « setting » (Winnicott). Et ce qui est présenté ici cherche à relater certains états de la pratique clinique dans un champ versatile et vacillant, imprégné d’errance et de déracinement.
Un champ ébranlé par le temps social de l’autre, ses rythmes et ses pérégrinations déracinées. S'adapter à la contingence et au fortuit, à l’inhabituel et à l’inopiné, c’est accepter l’incertitude qui désoriente la démarche et le cadre. Advenir, chemin faisant, auprès d’humains, d’enfants ou d’adultes et familles, accueillis au sein de structures à vocation de service public. Des publics venant là avec une « demande » induite génériquement par le nom de la structure. En PMI4, on vient lorsqu’on est « enfant à naître » ou « déjà né », accompagné d’une « femme-mère », multipare ou en voie d’advenir à la maternité, seule ou en compagnie d’un homme, un conjoint, un mari, un frère, un père ou tout autre membre de la famille ; voire avec un(e) ami(e), des proches, d’ici ou d’ailleurs.
L’exercice d’un métier de soins psychiques dans un espace tel qu’en PMI, ou plus généralement dans le champ social, répond à une « demande non directe », « biaisée », née par étayage sur les rencontres de l’enfant ou de l’adulte avec les autres professionnels, qui eux reçoivent non pas vraiment toujours une « demande de soins psychiques », mais les signes d’une souffrance psychique ; des signes qui traduisent le « besoin » de recourir à des soins psychiques.
« La première fois que j’ai rencontré cette dame, c’était il y a deux mois. Son bébé venait de naître et j’avais l’impression que le bébé allait lui tomber des bras, tellement elle n’arrivait pas à le contenir. Cela m’avait peinée et, je l’avoue, j’avais du mal à me contenir émotionnellement pour mieux la soutenir, sans me mettre à sa place. J’ai surtout ressenti une grande solitude chez cette dame qui n’avait vraiment personne pour lui rendre visite dans cette chambre d’Hôtel triste et au mobilier sommaire. Son regard n’était pas vide mais profondément abattu. Elle portait un désarroi qui me paraissait être d’une autre nature. Il était chargé d’une sorte de… mélancolie. Elle m’avait dit qu’elle se sentait seule, qu’elle était aussi triste et fatiguée. Je lui ai répondu qu’elle allait s’en sortir si elle acceptait bien mon aide. Aujourd’hui, elle tient mieux son fils, un beau bébé. Elle vient souvent à la PMI et accepte de te parler de son parcours… chaotique. Merci de la recevoir. » Une puéricultrice de PMI.
Notre rencontre avec l’enfant et sa famille dépend en pa

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