L invisibilité sociale
226 pages
Français

L'invisibilité sociale , livre ebook

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Description

L'invisibilité sociale apparaît de plus en plus comme un aspect essentiel de l'injustice dont pâtissent nombre de personnes dans les sociétés. Mais comprendre en quoi elle consiste exige un travail d'analyse et de réflexion qui ne fait que commencer. C'est à une analyse et à une réflexion philosophiques que sont conviés non seulement des philosophes, mais aussi des spécialistes de sciences humaines et des personnes qui oeuvrent avec des personnes en difficulté et des exclus.

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Publié par
Date de parution 01 novembre 2013
Nombre de lectures 70
EAN13 9782336329994
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Sous la direction de Hubert FAES
L’invisibiLité sociaLe Approches critiques et anthropologiques
L’invisibilité sociale
Sous la direction de Hubert FAES
L’invisibilité sociale Approches critiques et anthropologiques Avec la participation de Jean-Marc BOISSELIER, Hubert FAES, Nathalie FROGNEUX, Marc GRASSIN, Kysly JOSEPH, Jules KÉDÉ, Jean-François PETIT, Fred POCHÉ, Sylvain ROUX, Dominique SAINT-MACARY, Bernard THIBAUD, Olivier VOIROL
Ouvrages deHubert Faes Peiner, œuvrer, travailler. Sur le travail et la condition humaine.Paris, L’Harmattan, coll. « Questions contem-poraines », 2003.Avec Guy BASSET (dir.),Camus, la philosophie et le christianisme,Paris, Éd. du Cerf, coll. « La nuit surveillée », 2012. Ouvrages publiés par le Laboratoire d’Anthropologie philosophique et de Philosophie pratique de l’Institut Catholique de Paris Dans la collection « Ouverture Philosophique » :Alfredo GOMEZ-MULLER (dir.),La reconnaissance : Réponse à quels problèmes ?,Paris, L’Harmattan, 2009. Alfredo GOMEZ-MULLER (dir.),Sartre et la culture de l’autre, Paris, L’Harmattan, 2006.Alfredo GOMEZ-MULLER (dir.),La Question de l’Humain entre l’éthique et l’anthropologie,Paris, L’Harmattan, 2004.Alfredo GOMEZ-MULLER (dir.),Du Bonheur comme question éthique,Paris, L’Harmattan, 2002. © L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01652-8 EAN : 9782343016528
Introduction La question de la visibilité et de l’invisibilité revêt une importance réelle dans les débats politiques et sociaux contemporains. Elle se pose de manière particulièrement aiguë à propos de personnes qui, bien qu’étant très exposées, dans une situation qui devrait retenir particulièrement l’attention, semblent rester invisibles dans la société où elles vivent. Certaines d’entre elles vivent en permanence dans les espaces communs et errent dans les rues ; elles ne retiennent pourtant pas une attention à la mesure de leur situation. L’invisibilité est un aspect de l’exclusion. Tout se passe comme si ces personnes, bien que présentes au milieu de nous, vivaient ailleurs dans une existence fantomatique ou de mort-vivant. Luc Boltanski les a mises en scène dans une pièce intituléeLes Limbes. Assimilant l’espace où vivent les exclus au lieu où vivent les âmes qui ne vont ni au ciel ni en enfer, il les présente de la manière suivante : « Les êtres qui peuplent ces limbes sont dispersés dans un espace indéterminé au sein duquel ils sont installés, comme ils peuvent, pour attendre. Mais ce lieu n’est pas conçu pour l’attente. Ce n’est pas une salle d’attente. Chacun s’est fait une petite niche, un petit espace où il peut se maintenir, en attendant. Par exemple un journal posé sur le sol. Un réduit clos par des caisses en carton. Un sommier défoncé poussé dans un coin. Une grande maison de poupée vidée de ses meubles, dépouillée de ses bibelots anciens. Des pneus de tracteurs empilés etc. 1 Qu’attendent-ils ? De quelle liste sont-ils rejetés ? »
1 Boltansky Luc :Les Limbes, Paris, Éd. Musica falsa, 2006, p. 29. Le Prof. Jean Greisch nous a signalé cette œuvre, à l’occasion du Colloque sur l’invisibilité sociale dont il sera question plus loin. Qu’il en soit remercié.
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L’invisibilité toutefois, ne concerne pas que les exclus et plus précisément les SDF. Ceux-ci ne sont eux-mêmes que la partie émergée d’un iceberg constitué par l’ensemble de ceux qui vivent dans la pauvreté, la grande précarité, et qui sont les véritables ignorés. Au-delà, un souci de la visibilité existe très largement dans la société. Les entreprises et les Églises s’en préoccupent. Des associations se donnent pour mission de rendre visibles des causes diverses. On peut craindre que l’accent mis sur la visibilité et l’invisibilité dans la vie sociale contemporaine ne soit qu’une façon superficielle d’aborder certains problèmes, voire une façon de nous détourner des véritables problèmes. On peut y voir l’effet de l’influence des médias et de la publicité. Mais on ne peut conclure avant d’avoir fait l’examen approfondi de la question. Quoiqu’il en soit des distorsions qui peuvent résulter de l’influence de la sphère médiatique, la question de la visibilité et de l’invisibilité a à voir avec la distinction du domaine privé et de l’espace public, avec le fait que les hommes, étant chacun un voyant/visible et vivant ensemble, constituent un public pour chacun d’eux-mêmes. Le problème est donc de savoir à qui et à quoi s’étend l’espace public. Il semble que les sociétés modernes et contemporaines se caractérisent par une tendance à l’extension de l’espace public, avec en perspective une coïncidence de cet espace et du tout de la société elle-même. C’est dans ce contexte que l’invisibilité dont certains sont victimes pose problème. Telle est à la fois la teneur non superficielle et la situation de la question dont nous traitons dans cet ouvrage.
L’apport de la philosophie. A priori cette question concerne avant tout les sciences sociales et politiques et l’on peut déjà trouver nombre d’études qui la concernent dans ces domaines. Ces sciences sont engagées d’une double manière : elles doivent prendre la mesure du phénomène, en le définissant objectivement par delà les apparences peut-être trompeuses d’une part, en précisant jusqu’où il s’étend, en le déterminant quantitativement d’autre part. La connaissance du phénomène peut les conduire à revoir toute la théorie sociale pour lui faire sa place. Le présent ouvrage
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ne relèvera pas de ces sciences ; son ambition sera principalement philosophique. Les enjeux de la question sont tels qu’elle ne peut être traitée sans la contribution des philosophes. Les sciences humaines elles-mêmes impliquent généralement une dimension de réflexion et d’interprétation ou encore de pensée critique qui est inévitable et qui, aux yeux de certains, affecte négativement leur qualité scientifique. Par cette dimension, elles confinent à la philosophie. L’approche philosophique s’impose parce que des présupposés généraux, de caractère anthropologique principalement, sont engagés dans la question elle-même et méritent d’être réfléchis. Elle s’impose aussi en raison du caractère problématique du discours relatif à l’invisibilité sociale et de sa capacité à mettre en lumière ce phénomène. Est-il possible, par une parole, par un discours, par un récit de rendre visible l’invisible, et par suite de remédier à la dite invisibilité sociale ? Un discours scientifique peut-il jouer ce rôle ? Autrement dit, une connaissance de l’invisibilité et de ses causes ferait-elle disparaître l’invisibilité ou du moins donnerait-elle des moyens de la faire disparaître? Sinon, y a-t-il un discours qui puisse jouer ce rôle et la nature du phénomène permet-elle qu’on y remédie de cette façon ? Ces questions qui concernent les pouvoirs du discours et de la science relèvent d’une réflexion philosophique et celle-ci ne peut intervenir elle-même sur cette question comme une discipline qui détiendrait la clé du phénomène lui-même. La question ultime, philosophique par là même, est bien celle des pouvoirs du discours humain en général à propos des phénomènes de visibilité et d’invisibilité sociales, question qu’il faut prendre par les deux bouts : d’une part la réalité sociale elle-même permet-elle qu’un discours parvienne à élucider parfaitement et donc à dissiper l’invisibilité qui frappe certains de ses aspects ? D’autre part les pouvoirs du discours et de la science peuvent-ils avoir cet effet et cette portée par rapport à la réalité sociale ? De telles questions relèvent d’une discipline, la philosophie, qui ne prétend pas trancher ces questions par la connaissance, mais qui donne un jugement, une appréciation.
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Visibilité et invisibilité : le questionnement philosophique. En ce qui concerne les aspects généraux du problème à propos desquels le philosophe peut intervenir, on les distinguera de la manière la plus simple qui soit à partir de son énoncé immédiat. Le premier aspect est celui de la visibilité et de l’invisibilité. Depuis qu’elle existe en Occident, la philosophie accorde une importance majeure à la vision et s’interroge en même temps sur la place qu’il faut lui donner dans la réflexion sur l’homme, la connaissance et la pensée. La Phénoménologie a largement renouvelé l’approche de la question en décrivant l’expérience humaine de la perception. Grâce à elle on connaît beaucoup mieux non seulement les conditions de possibilité mais les conditions réelles de l’activité perceptive et donc de la visibilité et de l’invisibilité des choses et des personnes. Mais on peut reprocher aux analyses devenues classiques de la Phénoménologie d’avoir largement ignoré les conditions sociales de la perception. Même quand elle prend en compte les relations entre les sujets qui perçoivent, en traitant de l’intersubjectivité, elle ignore la condition sociale de l’intersubjectivité elle-même. Il reste donc beaucoup à faire pour comprendre l’expérience humaine de la visibilité et de l’invisibilité qui s’inscrit toujours dans l’horizon d’un monde qui n’est jamais seulement naturel mais toujours aussi social. Se vérifie la condition générale mise en évidence par M. Merleau-Ponty de l’être compris/comprenant dans le monde, mais à cette condition générale, il convient d’ajouter la relation par laquelle on est toujours à la fois vu et voyant, perçu et percevant, acteur et spectateur. En même temps que je me vois voyant, je suis vu/voyant par d’autres qui sont et font comme moi. Or quand on pose aujourd’hui le problème de l’invisibilité sociale, le fait que les hommes soient à la fois voyants et visibles et dans une condition de réciprocité à cet égard avec les autres, n’est pas pris en compte. Les invisibles ne sont pas simplement ceux auxquels on ne prête plus attention, que l’on ignore. Ils ne sont plus vus voyants, ils ne sont plus reconnus comme tels. Leur vision des choses ne compte plus. Ils n’ont plus voix au chapitre. La tâche de la philosophie est de
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contribuer à prendre toute la mesure de la condition complexe de l’être humain voyant visible au sein d’un monde sensible, social et public. A partir de là, l’analyse peut tenter de comprendre aussi les mécanismes plus spécifiquement sociaux de la visibilité et de l’invisibilité sans oublier qu’il faut également sans cesse se demander s’il est vraiment possible et jusqu’à quel point d’arriver à une connaissance sur cette question. Notre condition de perçu/percevant inclus dans la société des perçus/percevants permet-elle d’accéder à un point de vue théorique qui permettrait d’élucider complètement les problèmes de visibilité et d’invisibilité ? Rien n’est moins sûr. On ne peut qu’explorer modestement les dimensions du problème. Il n’est pas sûr que l’on puisse se prononcer sur la question de savoir si notre condition humaine est telle qu’en toute société, il y a nécessairement une répartition différenciée de l’invisibilité et de la visibilité entre les hommes, ou si cette répartition résulte toujours d’organisations et de systèmes sociaux particuliers qui pervertissent une condition qui, en elle-même, n’est pas nécessairement inégale. Notre situation réelle et pratique est plutôt, à l’inverse, que dans des sociétés où des différences dans la répartition de la visibilité et de l’invisibilité sont devenues sensibles et posent problème, nous cherchons à comprendre et à modifier la réalité. Les différentes directions possibles de l’analyse sont les suivantes : 1. On peut se tenir dans les limites d’un problème de perception et de connaissance. De ce point de vue, avec la Phénoménologie classique, on reconnaîtra qu’il n’y a pas de visibilité sans invisibilité. Pour que des choses ou des aspects de celles-ci soient perçus, d’autres ne le sont pas. Invisibilité et visibilité sont toujours relatives. Il s’agit d’une nécessité inhérente à l’attention. Dans une perspective dynamique, tout ce qui est invisible peut devenir visible et réciproquement. Le problème est alors de comprendre ce qui peut entraver le mouvement et bloquer dans l’invisibilité certains aspects du réel. Les causes sont-elles dans la perception ou dans la connaissance elles-mêmes ?
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