La Grande Robe, le mariage et l argent
302 pages
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La Grande Robe, le mariage et l'argent , livre ebook

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Description

L'étude des familles parlementaires est en pleine révolution. Plusieurs équipes d'historiens revisitent les conditions de l'ascension sociale des fils de marchands ou de laboureurs qui, grâce à la culture littéraire ou juridique, réussirent une progression sociale et qui, pour les plus visibles d'entre eux, occupèrent les hautes fonctions judiciaires et administratives dans la France des XVIe et XVIIe siècles.


C'est à travers une famille « archétypale », celle des Lamoignon, c'est-à-dire aussi celle de Malesherbes (l'avocat de Louis XVI), celle aussi des d'Ormesson, qu'Yves Lemoine démonte les mécanismes stratégiques et économiques d'acquisition des hauts postes du pouvoir, accession essentiellement due à l'achat de charges ou d'offices et à des mariages influents.

Yves Lemoine, magistrat, est membre de la Commission d'Histoire du Collège de France.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2000
Nombre de lectures 71
EAN13 9782876233409
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0110€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PRÉFACE
En entrelaçant l’histoire de la société en régime de monarchie pendant un long siècle – des Valois au début du règne person-nel de Louis – avec le récit détaillé de l’ascension d’une famil-le de robe – les Lamoignon – l’auteur de cet essai incisif est parvenu à retracer l’évolution complexe qui conduit par des stratégies diverses, un groupe en continuelle et laborieuse avancée jusqu’à un anoblissement incontestable, gage du pou-voir. Analyse toute en finesse, car cette transformation s’ex-prime moins par des procédés mécaniques, le jeu de ressorts successifs, que par un lent travail de germination et d’éclosion. S’appuyant sur les sources du temps et sur le meilleur de la plus récente historiographie-prosopographie, institutions et finances, réseaux religieux et caritatifs – Yves Lemoine fait revivre trait à trait le monde de la grande robe, si exemplaire-ment illustré par les Lamoignon, soit qu’il remplisse les hautes 9
charges du Parlement, soit qu’il figure dans les diverses for-mations du Conseil du Roi. Les moyens pour s’élever au-des-sus de la condition d’origine se combinent : éducation huma-niste soignée, qui donnera le lustre de la culture aristocratique lettrée, mariage et dot minutieusement calculés, incessants achats et échanges d’offices de judicature, acquisition de terres nobles, œuvres de charité discrètement ostentatoires, service de plus en plus rapproché des princes et du souverain.
Les physionomies – un Chrétien de Lamoignon, président au Parlement de Paris en 1633, un Guillaume de Lamoignon, pre-mier président, un François-Chrétien de Lamoignon, président à mortier – conservent au premier coup d’œil un peu de la solennité empesée de leurs portraits d’apparat en grand costu-me de magistrat. Mais leur correspondance, et jusqu’aux actes notariés qu’ils ont passés, leur bibliothèque aussi, trahissent les appétits, les goûts, les convictions qui les habitent, en par-ticulier un certain fond d’indépendance par rapport au monarque au nom de qui ils jugent ou administrent.
Le procès Fouquet et les financiers impliqués avec lui est à cet égard révélateur. Le surintendant est lui aussi une incarnation du mouvement ascensionnel vers la noblesse. Il devint en 1650 procureur général du Parlement de Paris. Sa famille, ses alliances l’unissent à un univers de grande piété charitable, d’hommes d’église, de lettrés (il a été reçu à l’Académie fran-çaise à dix-neuf ans). Colbert « le Rémois » l’attire par l’accusation de Péculat dans un piège judiciaire qui permettra de blanchir Mazarin, et à travers Fouquet on vise tout un grou-pe dévot qui a exercé une influence politique que l’on veut
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faire cesser, comme le montre dès 1660 la suppression de la Compagnie du Saint Sacrement. Le premier président de Lamoignon dirigea seul les opérations de la Chambre de justice instituée en 1661 et présidée par le chancelier Séguier, puis il décidera du sort d’un accusé dont il était l’obligé, préservant ainsi l’idée qu’il se faisait de la justi-ce et des missions du Parlement, dont il réaffirme la « part de royauté », amoindrie par l’ordonnance de 1667. Par le prisme d’une généalogie emblématique, d’une famille en marche vers les hautes destinées de Malesherbes, Yves Lemoine a su rendre visible et intelligible un singulier proces-sus d’alchimie sociale. Bruno Neveu Directeur d’Études à la IVe section de l’école Pratique des Hautes Etudes (Sciences Historiques et Philologiques) Ancien président de l’école Pratique des Hautes Etudes.
AVANT-PROPOS
Je conçus d’abord ce livre comme une « remontée » dans l’arbre généalogique des Lamoignon-Malesherbes. En 1994, je publiai aux éditions Michel de Maule un essai biographique sur Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, avant dernier surgeon mâle – et sans aucun doute le plus célèbre de la lignée. Je n’avais donc, semble-t-il, qu’à remonter sagement l’arbre généalogique, d’aïeul en aïeul, jusqu’au premier dont l’Histoire ait retenu le nom au mitan du seizième siècle : Charles, l’avocat, le conseiller au Parlement de Paris.
Tributaire des recherches et des lectures que je devais faire dans une historiographie foisonnante où des universitaires français tels R. Descimon occupent une place éminente, je compris qu’un enjeu plus important se dessinait qui dépassait beaucoup le cadre d’une simple généalogie. Dépositaire – comme tant d’autres – du précieux conseil de mon maître et ami Fernand Braudel, je changeai vite d’objectif et rejetai vers la périphérie ce qui était, d’abord, l’objet central du livre.
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Ces lectures et au premier rang d’entre elles, les documents et les articles publiés par cette génération d’historiens français ou étrangers qui s’intéressent au seizième et au dix-septième siècle. Leur pénétration permet d’éclairer ce que leurs prédé-cesseurs avaient déjà compris : la société française, puisque c’est elle qui nous occupe, est, dans cette période, moins une société d’ordres qu’une société de clientèles. La hiérarchie sociale n’est pas celle que l’Eglise bénit et enseigne comme intangible volonté du créateur. Loin d’être fermés, les ordres s’entrouvrent aux nouveaux venus par le biais de l’acquisition « d’offices » anoblissants de notaires et secrétaires du roi ou de juges en ses juridictions. Ces « nou-velles familles » anoblies en deux ou trois générations consti-tuent l’essentiel du nobiliaire français où elles ont pris la place de la vieille aristocratie « immémoriale » ; elles sont le triomphe de « l’office » sur les « compagnons d’arme ». L’irrésistible montée de la noblesse d’office est contemporaine de ce temps entre le quinzième et le dix-septième siècle. Et l’on verra avec surprise que le passage du tiers état au second ordre de la nation, voire au premier, ne leur est pas si malaisé. Pourvu, bien sûr, qu’elles remplissent de nombreuses condi-tions et que le destin ne leur soit pas trop cruel. Et, Braudel l’enseignait, il fallait commencer par la ville, par le milieu. L’appartenance à la ville, au « marché » résonne dans nos têtes d’une façon très contemporaine. C’est aussi de capitalisme qu’il s’agit. Participer au partage, commercer pour devenir un bourgeois puis, selon l’expression de l’historien américain G. Huppert, un gentilhomme. Devenir bourgeois – gentil-14
homme. Les Lamoignon, comme tant d’autres familles ajoutent à leur bourgeoisie la particule frauduleuse, l’anoblissement trompeur. Les Lamoignon, savent bien, que dans leur stratégie, à un moment de leur histoire, cet anoblissement est essentiel. Faire croire à la société qui, poliment, feint de le croire, que l’on est de nobleextrace, achève un long travail qui n’est nullement un travail de mémoire mais, bien au contraire, un travail d’oubli des origines sociales de la famille. Ce travail réclame une constante énergie. Il implique aussi des alliances solides tant matérielles que spirituelles. Et ces alliances ne sont pas seulement de mariage, mais encore d’amitiés ou d’affiliations qui seront autant, le moment venu, de patronages utiles. L’avancée sociale fait assez penser à la démarche d’un crabe qui semble prendre et ramasser sous sa carcasse tout ce qui tombe sous ses pinces. Accumuler, se cacher derrière un nom « relevé », acheter des charges, se marier honorablement, faire parrainer ses enfants. Une multitude de soucis qui font de la « famille » non pas une conjonction de sentiments mais une fusion de patrimoines. Quoi encore, une fois de plus, auda-cieusement contemporain. Se marier c’est marquer son terrain social. Les stratégies seront « agressives » quand il s’agira de conquérir du terrain puis « défensives » quand il faudra défendre le terrain acquis. Quand la famille sera elle-même devenue attractive pour d’autres plus riches mais moins avan-cées socialement (jamais l’inverse). Jusque, là tout est permis et même conseillé. La tromperie, le vol, la captation d’héritage, 15
les clauses secrètes, les faux-serments, les trafics, les achats d’offices réputés gratuits. Les achats de titres nobiliaires, les fallacieux changements de noms, tout est objet de contrat. Et c’est bien là que notre étude trouve une application singulière.
La deuxième recommandation de Fernand Braudel est de per-muter d’objet. Lui même, biographe, à l’occasion de sa thèse sur PhilippeIId’Espagne, rejeta ce dernier à la périphérie de son étude dont le centre devînt la Méditerranée « la Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de PhilippeII» et, force de l’exemple, mon travail devient non plus un travail sur une généalogie mais sur les instruments de la généalogie : la grande robe, le mariage et l’argent. On peut froncer les sourcils devant une si trompeuse perfec-tion. Devant une triple et péremptoire affirmation. Et d’abord que recouvrent les expressions « La grande robe », le « maria-ge », « l’argent » ? C’est un constat peu original. Les rois vendirent le devoir de juger qu’ils tenaient de leur serment au jour du sacre et donc, directement de Dieu. Ils vendirent le savoir-faire le plus lucra-tif, le remirent aux familles et en tirèrent d’autant plus d’argent qu’ils abandonnaient cet office de juger à la sphère privée, au commerce intra et inter familial. Les rois, débiteurs de leurs sujets devinrent leurs obligés une fois qu’ils eurent abandonné l’office de juger à l’intérieur des familles qui possédaient un ou plusieurs de ces « offices ». Mais cet abandon n’était réelle-ment intéressant que s’il s’agissait de « grands » offices, ceux de conseillers et présidents au et du Parlement, et des cours 16
souveraines. D’autres opérations sur des juridictions moins illustres (par exemple les présidiaux) furent tentées avec un succès mitigé. Cette hiérarchie subtile, qui n’a pas complète-ment cessé d’exister dans le monde judiciaire, reste ce peu d’ancien régime qui suppose l’incompréhension du néophyte.
Cet abandon aux « familles », que les historiens intériorisèrent dans l’expression « familles parlementaires » sans autrement se poser de questions, du moins en apparence, impliquait des conséquences considérables. Ces conséquences se verront clairement dans différentes périodes critiques de la monarchie en France, dans les luttes entre la « ville » et la « cour », entre l’aristocratie (que le roi subit) et la noblesse (que le roi fait). Ces familles seront donc agrégées au pouvoir royal. Et c’est une autre constante : les rois qui « font » les nobles se servent d’eux contre les aristocrates. C’est qu’entre eux les intérêts sont contradictoires.
Et, les « mariages » étant faits pour cela. Les filles de la noblesse épouseront dans l’aristocratie et en épouseront les orgueilleuses valeurs, cependant que les fils de premiers pré-sidents devenus marquis et quelquefois ducs, épouseront dans l’aristocratie. C’est la fortune, « l’argent », qui guide ces alliances. Ces familles sont, depuis longtemps, secrètement liées et leurs intérêts mêlés, même si les plus orgueilleux appa-raissent par prête-noms interposés, Ces affaires sont réputées indignes, dérogeantes de la noblesse comme le démontre si bien l’historien Daniel Dessert dans son maître – travail sur l’argent le pouvoir et la société au Grand Siècle. 17
Il faut aussi pour cela des intermédiaires. L’histoire de la monarchie française est moins une histoire d’ordres qu’une histoire de composition sociale. Tôt, l’Eglise en prit acte. Dès que l’argent produisit des intérêts, dès que des chrétiens fabri-quèrent de « l’usure », c’est-à-dire de l’argent sans travailler, les théologiens pensèrent insérer entre les deux inaccessibles : l’enfer et le paradis, un lieu, sommes toutes assez convivial : le purgatoire. Lieu d’incertitude sur le temps de l’union a Dieu mais pas sur son principe. On est sauvé quand on est au pur-gatoire, on est sauvé mais on reste dans la salle d’attente ! Pour accéder au purgatoire, comme pour entrer dans les « familles », il faut des intermédiaires. Et sur ce point précis l’historiographie américaine nous appor-te un travail définitif, celui de Sharon Kettering qui, avec son livrePatrons, brokers and clients in 17 th century,nous ren-seigne sur les véritables fondements de notre société : l’amitié et les sociétés secrètes. « L’amitié » que Fouquet « offrira » à Lamoignon. Les sociétés secrètes comme le fut, sous l’œil inquiet de la hiérarchie catholique, la compagnie du Saint Sacrement. C’est donc dans une société complexe que nous entraîne la famille des Lamoignon, la moindre des surprises n’est pas de constater qu’elle est la matrice de la nôtre.
LIMINAIRE
L’étude des familles parlementaires est en pleine révolution. Plusieurs équipes d’historiens revisitent les conditions de l’ascension sociale des fils de marchands ou de laboureurs qui, grâce à la culture littéraire ou juridique, réussirent une pro-gression sociale et, pour les plusvisiblesd’entre eux, occupè-rent les hautes fonctions judiciaires et administratives dans la e e France desXVIetXVIIsiècles. Certes Philippe le Bel a mis en place une administration bien modeste dont il trouva les servi-teurs fidèles et efficients dans la roture savante. Chacun d’entre nous connaît les noms de Marigny, Pierre Flotte, e Guillaume de Nogaret qui, jusqu’à l’aube duXIV, siècle tinrent en main, aux côtés du roi, l’unité du royaume et sa bonne admi-nistration.
e Mais c’est auXVIsiècle que nous voyons « l’assomption » des savants, clercs et juristes qui connaissent une ascension sociale souvent rapide quand les stratégies d’amitiés et de
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