Miroirs anthropologiques et changement urbain
174 pages
Français

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Miroirs anthropologiques et changement urbain , livre ebook

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Description

Aujourd'hui, la recherche anthropologique dans les quartiers populaires ne peut se faire en vase clos disciplinaire. Cet ouvrage trace d'abord le bilan de l'histoire de l'anthropologie « urbaine » en France, et s'attache ensuite à analyser, à l'époque des rénovations urbaines des quartiers populaires, les interactions entre les processus sociaux et les mutations de l'espace. Quelles sont les dynamiques d'adaptation et de rejet qu'elles provoquent ? C'est grâce à une étude de long terme et un engagement associatif dans un quartier de Strasbourg que l'auteure déconstruit des identités multiples et des relations complexes de l'intérieur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2017
Nombre de lectures 16
EAN13 9782336788920
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

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4e de couverture

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Dernières parutions

CollectionAnthropologie critique

dirigée par Monique SELIM

Cette collection a trois objectifs principaux :

– renouer avec une anthropologie sociale détentrice d’ambitions politiques et d’une capacité de réflexion générale sur la période présente,

– saisir les articulations en jeu entre les systèmes économiques devenus planétaires et les logiques mises en œuvre par les acteurs,

– étendre et repenser les méthodes ethnologiques dans les entreprises, les espaces urbains, les institutions publiques et privées, etc.

Dernières parutions

– Marie-dominique GARNIER,Alphagenre,2016.

– Julie LORAU,Fêtes populaires et carnaval, le commerce de rue en temps de fête à Salvador de bahia,2015.

– Wenjing GUO,Internet entre Etat-parti et société civile en Chine,2015.

– Anne QUERRIEN, Monique SELIM,La libération des femmes : une plus value mondiale,2015.

– Ferdinando FAVA,Qui suis-je pour mes interlocuteurs ? L’anthropologue, le terrain et les liens émergents,2014.

– Roch Yao GNABÉLI,Les mutuelles de développement en Côte d’Ivoire. Idéologie de l’origine et modernisation villageoise,2014.

– Gaëtane LAMARCHE-VADEL,Politiques de l’appropriation,2014.

– Mathieu CAULIER,De la population au genre. Philanthropie, ONG, biopolitiques dans la globalisation,2014.

– Bernard HOURS & Monique SELIM,L’enchantement de la société civile globale, ONG, femmes gouvernance,2014.

 

– Nicole KHOURI & Joana PEREIRA LEITE,Khojas isamiili du Mozambique colonial à la globalisation2014.

– Claire MESTRE,Maladies et violences ordinaires dans un hôpital malgache,2014.

– Françoise HATCHUEL,Transmettre ? Entre anthropologie et psychanalyse, Regards croisés sur des pratiques familiales,2013.

– Yannick FER & Gwendoline MALOGNE-FER,Le protestantisme évangélique à l’épreuve des cultures,2013.

– Monique SELIM,Hommes et femmes dans la production de la société civile à Canton,2013.

– Nicole FORSTENZER,Politiques de genre et féminisme dans le Chili post-dictature,2012

– Marie BONNET,Anthropologie d’un service de cancérologie pédiatrique,2011.

 

Exergue

 

Penso oggi che la politica registri con molto ritardo cose che, per altri canali, la società manifesta…

Italo Calvino

La Repubblica, 13 décembre 1980

Copyright

 

De la même auteure

Direction d’ouvrage :Mobilités,Éditions Horizome, Strasbourg, 2011.

Article pour revues scientifiques à comité de lecture (sélection) : « Créations sonores et émotions : une géographie strasbourgeoise », avec Pauline Des-grand-champs, dansCarnets de Géographesn° 9, « Géographies des émotions », Pauline Guinard et Benedicte Tratnjeck (dir), décembre 2016. En lignehttp://cdg.revues.org/689

« Quel “droit de cité” ? L’anthropologie en partage dans les quartiers populaires », dansJournal des anthropologues,146-147, pp. 277-297.

« Entre stigmates et mémoires : dynamiques paradoxales de la rénovation urbaine », dansArticulo, Journal of Urban research,numéro sur la mémoire urbaine, G. Busquet, C. Lévi-Vroelant, C. Rozenholc (dir.) 2014. En lignehttp://articulo.revues.org/2529

« Entre stéréotypes et contradictions : comment imaginer le quartier populaire ? », Cahiers thématiques du LACTH n° 12,Représentations de l’architecture contemporaine,ENSAP Lilles, 2013, pp. 155-166.

Chapitres d’ouvrage (sélection) :

« Médias, rénovation urbaine et associations artistiques : faiseurs d’images dans les quartiers populaires en France », dans Juliet Carpenter et Christina Horvath (dir.)Regards croisés sur la banlieue,2015, Peter Lang.

« Quartier réel, quartier rêvé : parcours des femmes et rénovation urbaine à Strasbourg » dansDynamiques des parcours sociaux. Espace, temps, profession,Vincent Caradec, Servet Ertul, Jean-Philippe Melchior, (eds.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes (PUR), 2012, pp. 199-213.

 

 

 

© L’Harmattan, 2017 / 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris

www.harmattan.fr/ EAN Epub :978-2-336-78892-0

Image de couverture : Aménagement de la Place Érasme – Dario Gleitz, 2014.

Conception graphique : Hugo Feist / Horstaxe.

Avec le soutien de l’ENSAS / AMUP.

Titre

 

 

BARBARA MOROVICH

 

 

 

 

MIROIRS
ANTHROPOLOGIQUES
ET CHANGEMENT URBAIN

 

QUI PARTICIPE À LA TRANSFORMATION
DES QUARTIERS POPULAIRES ?

 

 

 

 

 

 

Préface de Monique SELIM

 

 

 

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REMERCIEMENTS

Cet ouvrage a bénéficié d’apports pluriels et son chemin fut long. Il a été pensé pour la première fois en 2007, à l’époque de mes premières enquêtes à Hautepierre, quartier populaire de Strasbourg, et de l’éclosion du projet « Hautepierre a 40 ans », initié avec Marguerite Bobey. Ce projet, au sein de l’association Horizome, m’a permis de rester sur le terrain avec l’aisance et les contraintes d’un engagement associatif. Cet ouvrage a été précédé par un autre, Mobilités, dans lequel l’expérience d’Horizome et certains projets ont été explicités et partagés. Des artistes, des membres associatifs et des personnes du quartier se sont engagés dans ce processus. Mobilités est un livre expérimental d’échange de pratiques, une œuvre hybride qui a pourtant jeté les bases du livre présent. Les deux retracent de manières différentes et complémentaires des étapes du travail de terrain, des actions et des réflexions menés à Hautepierre depuis 2007.

C’est aux membres de l’association Horizome que j’adresse en premier mes remerciements, car c’est la participation à ce projet associatif qui m’a permis de naître en tant qu’anthropologue engagée. Un merci particulier à l’artiste Grégoire Zabé qui a été un interlocuteur précieux pour tant de projets transdisciplinaires, à Pauline Gaucher pour son enthousiasme de jeune anthropologue et son goût pour le terrain, à Yann Didierlaurent pour son dynamisme, à Colline Guinchard pour son investissement dans le livre Mobilités et à tant d’autres… La liste des remerciements risque d’être longue, cependant la dette envers des associations hautepierroises est très importante : merci à « Table et Culture », et à Meriem Chemlali en particulier, pour sa disponibilité, à l’association AMI pour les débats animés autour de la Place Érasme, à Joëlle Quintin d’Ecoconseil et à la JEEP, et plus particulièrement à Raya Gustafson pour leur engagement et leur générosité. Un merci particulièrement fort à celles et ceux qui, même en dehors des associations, se sont accommodés au jeu de ma présence, et notamment aux « jeunes » et moins jeunes de la maille Éléonore pour le projet « Place Érasme », pour leur écoute, leur patience, leur endurance au quotidien. Ils ont été des co-producteurs essentiels de mon anthropologie. Je leur dois beaucoup.

Au-delà de la dette la plus importante, celle envers les personnes rencontrées et côtoyées tout au long du terrain, ma dette est aussi scientifique. J’ai pu bénéficier de discussions et d’échanges au sein de l’équipe AMUP (Architecture Morphologie/Morphogénèse, Urbanisme et Projet) de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg, surtout avec des collègues ayant participé à la recherche « Grands ensembles, urbanité et politiques de la ville dans le Rhin supérieur : Strasbourg-Hautepierre et Heidelberg-Emmertsgrund » dirigée par Volker Ziegler. Merci, plus particulièrement, à Christian Dehaynin, Bernard Pagand et à Gilles Vodouhé, auteur d’une thèse sur Hautepierre. Ces échanges sur des problématiques aussi bien urbanistiques que socio-anthropologiques ont nourri mes réflexions et mon positionnement. Je remercie aussi Caroline Birghoffer qui, dans le même cadre, m’a fourni des documents des Archives Municipales de Strasbourg. Merci encore une fois à Pauline Gaucher et Gilles Vodouhé, mais aussi à Camille Chan, pour l’expérience du partage de l’enquête socio-anthropologique. Je tiens aussi à remercier les responsables et les bénévoles de la Paroisse Saint-Benoît de Hautepierre pour leur disponibilité lors de ma consultation de leurs archives et Irène Cogny pour l’accès aux archives du Maillon.

C’est particulièrement dans le champ des sciences sociales que j’ai bénéficié d’interlocuteurs et de critiques qui ont fait évoluer ma démarche. Très importants ont été les apports et les conseils de Simona Tersigni sur l’anthropologie et la sociologie urbaine. Mon premier chapitre a nettement évolué grâce à ses relectures. J’ai soumis certaines parties de mon travail à Catherine Deschamps qui les a commentées. À plusieurs reprises, j’ai présenté mes travaux au sein du Laboratoire Architecture et Anthropologie (LAA-LAVUE) à Paris, ceci a également permis à ma problématique de s’affiner. Merci notamment à Alessia de Biase, à Marianita Palumbo et à Piero Zanini pour leurs conseils. Les longs entretiens avec Anne Raulin et Monique Selim ont fait évoluer de manière décisive mon approche sur la genèse de l’anthropologie urbaine française. Je les remercie pour leur générosité et leur confiance. Je tiens à remercier également Annie Benveniste qui m’a orientée sur des lectures et m’a permis de passer de manière définitive au « je » anthropologique.

La publication de cet ouvrage est rendue possible par deux financements que mon laboratoire, l’AMUP, m’a octroyés. Je tiens à remercier aussi Isabelle Freyburger pour ses relectures et sa patience, et Hugo Feist pour la conception graphique de l’ouvrage.

Cet ouvrage ne pourrait pas exister sans les conseils précieux de Christophe Gleitz, ancien habitant du quartier et interlocuteur privilégié. C’est lui qui m’a orientée sur l’étude de Hautepierre lors d’une lointaine balade dans les Vosges et, par la suite, m’a constamment lue et encouragée. C’est tout naturellement que je lui dédie ce livre.

PRÉFACE

QUELLE ANTHROPOLOGIE URBAINE
AU XXIÈME SIÈCLE ?

Monique Selim (IRD-CESSMA)

Faisant effraction dans l’habitus ethnographique exotique d’une grande partie de ce qu’on dénommait la « communauté anthropologique » française dans les années 1970, l’anthropologie urbaine telle que la conçut Gérard Althabe apparaissait une aventure minoritaire, refoulée hors de l’entre-soi académique, déportée vers la sociologie. Il puisait alors, de retour d’un long séjour à Madagascar, son inspiration chez Georges Balandier, récemment disparu en 2016, qui, pour échapper à l’ontologie structuraliste, avait porté l’anthropologie dynamique autant dans les villes que les villages, balayant la différence essentialisée par l’ethnologie coloniale entre ces deux univers qu’on avait opposés. C’est dans le cadre de cette lignée, qu’entend, en 2017, se situer Barbara Morovich dans cet ouvrage qui nous restitue dans un premier temps avec beaucoup de finesse une histoire intellectuelle autant que politique qu’elle a patiemment retissée, allant, après de multiples lectures, s’entretenir avec les uns et les autres, pour mieux comprendre le contexte des débats, des affrontements, des ruptures personnelles et épistémiques. Menant avec une distance bénéfique, accentuée par son parcours tout d’abord italien, une anthropologie des anthropologues français postés sur la ville, l’auteure réussit à passionner le lecteur pour une atmosphère et un contexte largement dépassés, tant l’anthropologie dite urbaine s’est généralisée en quelques décennies, faisant même oublier qu’il y ait pu avoir une sorte d’abcès autour de son émergence. La dichotomie urbain/rural semble désormais quasi dissoute à l’heure d’une globalisation économique, idéologique et numérique accélérée. Beaucoup des protagonistes sont aujourd’hui décédés et les champs et objets de l’anthropologie ne connaissent maintenant quasiment plus de limites tandis que l’ethnographie est redevenue le régime obligatoire, la « description » étant valorisée en regard d’interprétations et d’analyses toujours suspectes d’ethnocentrisme. Ce retournement épistémique actuel, Barbara Morovich ne s’y plie pas et s’attelle, dans un second moment de cet ouvrage, à son terrain urbain à Strasbourg, renouant avec les premières études françaises initiées par Gérard Althabe, sur les ZUP et les cités HLM rebaptisées étrangement en « quartiers » par des représentations médiatiques stigmatisantes. L’auteure s’inscrit alors dans plusieurs positions évolutives et liées aux associations et contrats au sein desquels elle œuvre et analyse avec beaucoup d’acuité leur enchevêtrement et leurs effets sur la perception de l’anthropologue comme acteur social révélateur des rapports sociaux internes au champ étudié. L’intelligibilité de la situation est produite par l’articulation permanente aux politiques de la ville, éclairant la dimension proprement politique de l’anthropologie urbaine. La mise en scène de ses carnets de terrain, associée à une grande culture livresque, permet à Barbara Morovich de donner chair à l’actualisation d’une perspective épistémologique bien précisée, centrée sur une anthropologie politique du et au présent, dégagée du narcissisme qui imprègne nombre d’exercices dits de réflexivité et les rend épistémologiquement vains. La démystification des slogans qui innervent les zones dites périphériques au double sens du terme-participation, mixité sociale, lien social, développement social, etc.-, l’engagement actif de l’anthropologue dans différents projets qui modulent son immersion dans la complexité des jeux relationnels et institutionnels, la conduisent à revisiter à partir de l’histoire et de la transformation de son terrain la question des processus d’ethnicisation des représentations, des rapports et des pratiques. La figure imaginaire de l’étranger resurgit, cristallisant de façon épique les sentiments de dévalorisation de l’habitat et de perte de statut de ses habitants, et confirmant des logiques déjà en jeu à la fin des années 1970 dans la périphérie de Paris. Se donnait à voir à cette époque le commencement d’un procès de plus en plus partagé et impitoyable fait à l’altérité, aux autres comme intrus à expulser du territoire de l’entre-soi identitaire. L’apport indéniable de Barbara Morovich est de ne pas s’arrêter à ce constat sombre et de mettre en lumière, à travers une opération de rénovation urbaine et une très longue présence particulièrement attentive aux changements micro et macrosociaux, les péripéties contradictoires des acteurs et des dispositifs. La volonté de contrer une négativité continuellement matraquée, étouffante, mortifère, apparaît et mobilise des projections valorisantes, renversant les pôles avec fermeté et instruisant sur le mode d’une ritournelle inédite, des dynamiques notables. L’art comme action et création collectives est ici central, tout comme les multiples associations qui s’efforcent de regrouper, faire bouger, porter des aspirations. Ainsi est offerte au lecteur une analyse des tentatives de dépassement en cours aujourd’hui, absentes hier : par exemple au Clos Saint Lazare à Stains, en 1977, l’Amicale des locataires, le Parti communiste, la collectivité sépharade se déchiraient en leurs seins respectifs, les familles de confession musulmane se terraient, encore sous le coup des « ratonnades » de la guerre d’Algérie, laissant triompher les Témoins de Jéhovah et le Front national. Les capacités critiques des sujets sont soulignées par Barbara Morovich, tout comme d’ailleurs la reprise persistante d’accusations de certains acteurs, les « jeunes » constituant la cible la plus facile. Sans idéalisation ni caricature, sans embellissement ni enlaidissement des situations, face à un multiculturalisme de fait, qui a perdu son aura des années 1970 pour devenir pour nombre d’intellectuels dominants l’objet d’une véritable haine, des portraits d’acteurs et d’actrices de profils variés permettent de dessiner un paysage riche de contrastes et aussi d’espoirs autour de multiples initiatives. Dans ce lieu à la fois territorialisant et déterritorialisant, molaire et moléculaire, la chercheure accomplit avec élégance la vocation de la discipline anthropologique : elle montre la singularité et la pertinence d’une démarche méthodologique de façon permanente, réinventée au gré des contextes sans jamais tomber dans un militantisme stérilisant par son dogmatisme, qui se présente pour d’aucuns comme la seule riposte possible à l’exclusion. Elle donne donc envie d’en savoir encore plus sur le devenir de ce quartier emblématique auquel elle a dédié avec bonheur tous ses efforts de compréhension, loin des déterminismes et des clivages culturalistes et racialisant qui tendent à faire déjà du XXIème siècle des « années de plomb » ou pour reprendre l’expression de Guattari, « les années d’hiver » que le philosophe et psychanalyste voyait déjà poindre en 1980.

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

L’anthropologue n’est pas un simple observateur de sa société mais est impliqué dans sa « poiétique ». Son intervention, loin d’être neutre, favorise et accompagne certaines dynamiques. La conscience de cette relation est le fil rouge qui traverse cet ouvrage.

J’entends reparcourir mon cheminement dans un quartier périphérique strasbourgeois, Hautepierre, pour construire en miroir cette anthropologie qui aborde un sujet peu traité dans la discipline : les transformations urbaines et sociales des quartiers populaires à l’époque de leur rénovation. Au préalable, une étape épistémologique permettra de situer la recherche par rapport à l’essor d’une anthropologie née en France dès les années 1950. Cette anthropologie des mondes contemporains est en grande partie urbaine et se révèle être également métisse : elle puise largement dans les méthodes des urban studies anglo-saxonnes, est redevable à des chercheurs pluridisciplinaires, comme Georges Balandier, et tire aussi le fil de l’engagement anthropologique sur des questions de politique coloniale et de décolonisation. Cette « nouvelle » anthropologie française a deux branches majeures, le Laboratoire d’Anthropologie Urbaine (LAU) et le Centre d’Anthropologie des Mondes Contemporains (CAMC). Leur différence se joue sur la question de l’engagement de l’anthropologue et sur une certaine divergence méthodologique que j’entends éclairer. Je rappelle à ce propos à quel point les méthodes réflexives de Gérard Althabe sont fondatrices de l’approche que j’examine ici. Ces deux laboratoires jouent en faveur de la fin du « grand partage », selon lequel les anthropologues seraient destinés à l’ailleurs et les sociologues à l’ici. Les anthropologues et leurs interlocuteurs sont depuis lors des contemporains, et l’anthropologie se joue au présent.

Je souhaite poursuivre ces défis épistémologiques en déplaçant l’objet d’étude dans un contexte qui reste peu abordé par la discipline : la transformation des quartiers populaires. Sujet largement traité par la sociologie et, pour ce qui concerne la formation des grands ensembles, par l’histoire, ces contextes ne sont pas, ou peu, l’objet d’an thropologies. C’est pourtant dans ces lieux que se sont construites, dans les années 1960-1970, des théories fondatrices sur l’altérité. C’est ici qu’aujourd’hui se mettent en place des jeux de miroir entre des sociétés en formation, alors que des changements urbains cherchent à effacer les questions sociales qui y apparaissent et s’y développent.

Dans une première partie, j’aborde donc une épistémologie de l’anthropologie urbaine française, afin de la positionner par rapport à une tradition scientifique mouvante. En France, ce champ a commencé à se constituer en savoir spécifique à la fin des années 1950. À partir de cette époque, la sociologie urbaine à produit un nombre important d’ouvrages1. En revanche, l’anthropologie urbaine, cette « sœur cadette au sein de la famille des anthropologues »2, a du mal à s’imposer comme discipline autonome face à des objets et des terrains investis par les sociologues. Plutôt que d’insister sur l’autonomie de l’anthropologie sur ces questions, j’entends revendiquer (et montrer) sa construction en lien avec les autres champs de l’urbain. Par cette posture, le découpage disciplinaire français est mis à mal. Nous traversons en effet une époque dans laquelle l’interdisciplinarité, surtout pour des questions aussi cruciales que celles qui concernent l’urbain, est largement souhaitable et bien souvent déjà en action. Ne serait-il pas en effet préférable d’abandonner les cloisonnements disciplinaires au profit du champ des « études urbaines » comme dans les pays anglo-saxons (Collet & Simay, 2013) ? Je propose une première esquisse d’une histoire de la naissance de l’anthropologie urbaine en France. Cela me permettra aussi de toucher la question, délicate, de l’impact des institutions dans sa construction. Mon propos vise à éclairer certaines controverses, en mettant en avant plusieurs débats et questionnements.

En second lieu, une exigence méthodologique liée à l’enquête s’impose : comment me situer par rapport aux différents discours sur « l’engagement » de l’ethnologue sur son terrain ? Cette question, au-delà de sa simplicité apparente, cache des positions divergentes et peu traitées en anthropologie urbaine alors que les défis contemporains concernent principalement des contextes urbains. Le retour sur des ouvrages et des enquêtes connues permettra de dérouler un fil quant à des positionnements fondateurs et leur impact sur des recherches plus récentes. Finalement, la mise en miroir des entretiens que j’ai menés auprès de Monique Selim et Anne Raulin, anthropologues issues des deux écoles « historiques » de l’anthropologie urbaine, permettra de poser quelques jalons sur l’état actuel de la discipline et ses évolutions.

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