Hier encore Saigon
166 pages
Français

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Hier encore Saigon , livre ebook

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Description

Après vingt ans d'exil, une femme retourne en Asie. Elle y fait la rencontre d'un photographe de guerre épris de liberté. Ils partagent leurs souvenirs sur des événements qui se sont passés en 1975, notamment la chute de Saigon et la prise de Phnom Penh. Histoire d'une double passion entre un homme et une femme, entre une femme et une ville,Hier encore Saigon est un lieu où l'on peut encore aimer.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2009
Nombre de lectures 271
EAN13 9782296930063
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Hier encore Saigon
 
Du même auteur
D'Ivoire et d'opium, Éditions Naaman (Québec), 1985
 
 
Conception graphique : Florence Payette
 
Illustration de la page couverture : Saigon
Cathédrale Notre-Dame
Hôtel Continental
Théâtre municipal
 
Révision : Lise Lortie
 
Bach Mai
 
 
Hier encore Saigon
 
 
roman
 
 
L'Harmattan
 
 
© L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-10127-2
EAN : 9782296101272
 
On est son propre refuge.
Qui d’autre pourrait être le refuge.
Bouddha
 
 
À Marc et Benjamin
 
1
 
J’ai l'impression qu'au cours d'une vie antérieure, j’étais un poisson de mer. Le même rêve se reproduit souvent. Je me vois voguer, voguer comme un petit poisson dans l'infini bleu, légère et libre, délivrée de la pesanteur, déchargée des peines terrestres. Alors, par les mille labyrinthes de ma vie, je retourne immanquablement voir la mer. Comme un petit poisson, je reviens me ressourcer dans mon élément. Pour marcher pieds nus sur le sable chaud, pour contempler ces guirlandes mousseuses venues du large, pour respirer cette odeur d’algues, pour entendre le bruit si apaisant des vagues et pour savourer cette osmose entre le ciel et la mer.
Lorsque je visite une ville côtière, je vais toujours voir la mer. Et, assise sur un rocher, j’imagine que la masse d’eau vient de la mer de Chine méridionale, plus précisément du cap Saint-Jacques, avant-port de Saigon. Douce mer qui berçait mon enfance. Mer de jade qui m’enseignait les nuances de la beauté. Lorsque le soleil y dardait ses rayons, elle se plissait en vagues successives et reproduisait des millions d'écailles d'argent sur le dos du grand dragon dormant dans son lit. Mer indifférente qui effaçait d'un coup de vague les grottes creusées dans le sable par des crabes de mer.
Une légende vietnamienne raconte qu’un pêcheur reçut une perle noire d’un serpent de mer. En posant la perle sous la langue, il fut en mesure de comprendre la conversation des animaux. Le roi entendit parler du pêcheur, le convoqua et lui emprunta sa perle. En la mettant dans la bouche, le roi émerveillé entendit bavarder les poissons qui nageaient autour de la barque royale. Amusé, il pouffa de rire : « Ha, ha, ha… » Malheureusement, le roi laissa tomber la perle noire dans l’eau. L’infortuné pêcheur passa son temps à creuser pour retrouver sa perle et mourut d’épuisement. Il fut transformé en un petit crabe de mer, condamné à rouler du sable jour après jour pour retrouver sa perle rare.
Quand je suis loin de la mer, quelque chose, plutôt quelqu'un, me manque. Il y a ce souvenir de l’autre côté du monde au port de Saigon, un soir où j’attendais mon père. Le bateau avait finalement accosté, mais je m’étais déjà endormie de fatigue. Mon père m’avait rapporté de son voyage un foulard en soie. Le contact de la soie sur la peau était comme une douce caresse, le genre de caresse que je voulais garder sur moi tout le temps. C’était mon premier contact avec de la soie et depuis, il me fait penser à la tendresse d’un homme trop souvent absent. Il y a en chacun de nous une sensation issue de notre enfance que nous ne pouvons oublier.
Pourquoi certaines personnes que je rencontre pour la première fois me donnent-elles l'impression que je les ai toujours connues, qu'elles font simplement partie de mon existence ? Pourquoi ces mains s'emboîtent-elles si aisément ? Pourquoi ces corps se retrouvent-ils si naturellement ? Selon le bouddhisme, notre apparition dans la vie fait partie d'une chaîne ininterrompue dans la nuit des temps. Notre corps physique se désagrège dans la mort mais notre expérience de vie forme un continuum de conscience de l’univers. Cette conscience est éternelle. Et nous passons ainsi toute notre vie comme ces crabes de mer à creuser dans le sable à la recherche des parfums d’antan.
 
2
 
« Nous ferons de belles photos aujourd’hui. La lumière est splendide… », dit-il d’un ton dégagé.
Mon voisin, yeux bleus et mèches châtains sur le front, m’adressa ces paroles en anglais. À la vue de son safari beige à pochettes et de ses deux appareils photo suspendus au cou, je présumai qu’il était photographe. Nous étions assis dans un grand hélicoptère à l’aéroport de Phnom Penh en compagnie d’une dizaine d’autres personnes. Dans le cockpit, le pilote et son copilote vérifiaient leurs instruments pour le départ.
« Je m’appelle Mark Oliver ou Mark O pour les amis, se présenta-t-il. Je suis photographe, enfin, je crois ! ajouta-t-il en souriant.
– Enchantée ! Mon nom est Kim Lê… Appelez-moi tout simplement Kim, dis-je, troublée. Je vous présente mon collègue Bunlong. »
Mark serra la main de Bunlong assis en face de nous dans l’hélicoptère. En effet, j’étais privilégiée de faire partie d’un groupe de photographes, de journalistes et de travailleurs humanitaires invités à visiter le temple d’Angkor Vat en 1994, un an après les élections législatives organisées par les Nations Unies. Le Cambodge venait d’avoir un gouvernement de coalition sous la direction de deux copremiers ministres, le prince Norodom Ranariddh, fils du roi Sihanouk et Hun Sen. Originaire du Cambodge et parlant couramment khmer, mon collègue Bunlong semblait connaître tout le monde à Phnom Penh. La veille, en me mentionnant notre participation à cette visite guidée, Bunlong avait souligné que le site d’Angkor, jusqu’à tout récemment, servait de base arrière aux Khmers rouges. Cette visite pouvait comporter quelque danger pour nous. Mais voir le temple d’Angkor Vat était mon grand rêve et je préférais ne pas trop penser aux conséquences. La nouvelle administration cambodgienne voulait démontrer au monde entier qu’elle était en train de gagner la guerre contre les Khmers rouges et qu’on pouvait maintenant circuler à l’intérieur d’Angkor. Nous étions les premiers à le faire.
Malgré les rugissements des rotors, je me retrouvai comme dans une bulle silencieuse lorsque mon voisin se pencha vers moi pour m'aider à mettre la double ceinture de sécurité et le casque d'écoute. De très loin, par bribes, parvinrent les instructions du pilote pour le décollage. Mon œil, en un fragment de seconde, tel l'objectif d'une caméra, enregistra cet instant qui submergea ma conscience. Le monde s'arrêta de tourner pendant un court moment. L'instant magique où l'on capte le regard de l'autre et où rien n’est plus pareil.
« Si cela ne vous dérange pas d'avoir un photographe pour vous servir de guide, j’en serais ravi ! dit Mark Oliver. J'adore cet endroit. Cela fait plus de vingt-cinq ans que je couvre l’Asie du Sud-Est. Mon bureau est à Phnom Penh. Avant la période de guerre avec les Khmers rouges, lorsque je n’étais pas en reportage, je venais ici pour me ressourcer. Je suivais les travaux de restauration entrepris par une équipe de l’École française d’Extrême-Orient sur l’enceinte extérieure d'Angkor Vat. Vous verrez, elle a repris ses anciennes couleurs. Avec cette lumière vous pourrez prendre de très belles photos.
– Je suis plutôt amatrice, dis-je. Bunlong et moi travaillons dans une organisation humanitaire qui s’appelle Aide aux enfants. Bunlong est revenu s’installer à Phnom Penh, alors que je suis seulement en visite de travail. Notre siège social se trouve à Montréal.
– L’aide humanitaire aux enfants ? dit-il, pensif. Les enfants de ce pays ont tellement besoin d’aide internationale pour pouvoir se relever un jour et voler de leurs propres ailes. Je le souhaite ardemment. »
Un regard suffit pour que mon univers chavire. Ses yeux me fixèrent, des yeux amusés qui sourirent même avant que les lèvres ne bougent, avant qu'aucun mot ne soit échangé. Un regard qui venait chercher au fond de moi, en l'espace d'un éclair, tout un monde de tendresse, une flamme intérieure cachée, enfouie, oubliée. Oui, tout cela fut très court, le temps d'un léger battement de paupières. Et quelque chose en moi trembla et je me sentis toute faible. Et sans que je ne puisse comprendre ce qui se passait, une grosse vague toute bleue me renversa et me secoua comme une brindille, puis me lâcha au milieu d'un creux. Un vertige nouveau me submergea pendant que j’essayais de me maint

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