L Acier
54 pages
Français

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L'Acier , livre ebook

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Description

Ce roman est l'aboutissement imaginaire des recherches de l'auteur sur la vie extraordinaire de son grand-père, conducteur de locomotive en usine à sucre dans la Martinique des années 50/60.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2007
Nombre de lectures 259
EAN13 9782336280332
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Harmattan 5-7, rue de l’École-Polytechnique; 75005 Paris
www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattanl@wanadoo.fr
© L’Harmattan, 2007
9782296038554
EAN : 9782296038554
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace
L'Acier

Miguel Duplan
Il y a dans la possession du langage une extraordinaire puissance...
Frantz Fanon ( Peaux noires masques blancs )
Pour Emmanuelle, Pour Maman, Et pour Mon Père, ce Gros Bonhomme. Pour Paule pour Nathalie pour Aude et pour Roland et pour Gérard aussi.
Et puis, des remerciements chaleureux à Isabelle, Thiphaine, Corinne et Karine.
La photographie représente l’Acier. Il est debout près de la chaudière de la locomotive et il regarde l’objectif avec hargne. Tout à côté de lui, le gros Pruneau de l’Usine, Plombard, est heureux d’être là. À croire qu’on voulait lui voler un droit. La photographie représente l’Acier, Plombard, et en arrière-plan les tristesses de l’Usine. Il y a, à cet instant, une grâce volatile qui unit ces trois être-là. Le photographe d’ailleurs s’en doute un peu. Il a daté le cliché et l’a annoté... Un moment calme après la récolte... J’ai toujours entre les doigts la photographie de l’Acier. Comme il est sérieux. La hargne du début semble être maintenant un défi.

Mon grand-père maternel est né au début du siècle dernier de il n’en sait rien et de Josèphe Mambert, elle-même fille d’esclave et de violée par le maître, peut-être bien.

L’œil exercé reconnaît les rails et pèse la hauteur du sucre derrière lui. L’expérience lui confère une sainteté : Luciole n’est plus très loin.

Il disait, un peu avant sa mort, à tous ceux qui lui accordaient encore de l’importance, il disait que le chemin de fer lui avait donné des merveilles dans la tête. Il se rappelait le pont suspendu qui était comme une image pieuse, un sommet pour regarder ce monde-là. Et, qui était aussi une palpitation : respirer ce bout de terre déchiqueté qui avançait fièrement à la rencontre de la mer souvent grise.

Toute la famille est rassemblée autour de la table dominicale. Les souvenirs de l’ancienne époque ressurgissent. Le mari de Maman raconte souvent des histoires de luttes. Luttes magiques précise-t-il car les bonshommes tuaient froidement d’un seul coup de poing ou bien vous éclaboussaient le crâne d’un sonore dos de pied circulaire. D’ailleurs, dit-il en s’adressant à Maman, ton frère Pierre était souvent dans ces fêtes-là, il était même très craint. Maman qui pleure...

Le nom lui avait été donné par son premier patron quand il s’était présenté, adolescent, un papier de l’instituteur en main, pour être apprenti mécanicien, aide au conducteur de la locomotive. L’homme surpris avait remarqué la facilité avec laquelle l’Acier conversait avec les machines. Et aussi une certaine dureté dans ses paroles quotidiennes. Et le nom lui était resté. Et les raideurs aussi.

L’Acier est souvent loin. Il ne pense pas beaucoup à sa famille. Il est seul, grand dans sa tête, ébloui par ses déterminations.

Quand viennent les temps de La Noël, certains soirs, il n’est pas rare de voir l’Acier posé droit sur le dos de Victoire, son cheval, parcourir les campagnes verdoyantes, l’air hébété, ivre certainement, mais prenant avec certitude le chemin qu’il s’est choisi.

Quand il arrivait à La Richer, petite plaine de cannes balayée par les vents salins, il ralentissait la machine. Il respirait bruyamment, heureux d’être là. Tout venait en lui.

Il boit toujours seul. D’un coup sec, porte à la bouche son verre de rhum. Tout autour de lui le regard méchant des ouvriers agricoles. Ils baissent les yeux sur son passage. Cette sorcellerie n’use que la cervelle des faibles.

La maison, construite sur deux niveaux, était située à la Rue Paille, concentration de pauvres gens qui tous les matins s’en allaient par paquets porter pitance à l’Usine. La Rue Paille elle aussi s’en allait par paquets, mangée par la mer furieuse et le je-m’en-foutisme de la municipalité. La Rue Paille rassemblait toutes les envies et toutes les rancœurs. Elle s’en allait doucement...

Le chemin de fer contourne le gros bourg, il monte doucement de l’Usine vers Belle Étoile, s’entrelace à travers champs au gré des mornes, traverse un pont suspendu, longe le littoral, pour enfin s’arrêter aux quais de la sous-préfecture, les wagons gorgés de sacs de sucre prêts à être embarqués pour l’En-Ville.

L’Acier a deux frères. L’aîné, Hébert est boulanger et silencieux. Le dernier, Dyonès est mécanicien à son compte. Ces trois-là ne s’aiment pas beaucoup. Pourtant ils se croisent tous les jours. Ils habitent la Rue Paille.

Ceux qui y vivent entendent les hurlements que pousse la femme de l’Acier quand il rentre de l’Usine ivre, cherchant des histoires pour un oui pour un non. Ces soirs-là, ils jurent à mi-voix et baissent la tête. Et les enfants qui se terrent dans la petite écurie.

Le mariage avec Man Yolande est célébré pompeusement. Il se déroule à l’église du bourg un samedi de grande chaleur. L’Acier est trop sérieux. La photographie de la cérémonie montre une épouse appliquée et inquiète. Elle tient la main de son mari avec fermeté. Sur le parvis, elle s’est plantée au soleil de midi comme une élève punie et son corps transpire. Le mari est, lui, toujours trop sérieux. Le costume de lin blanc souligne son extrême maigreur. Le vent agite doucement les tissus un peu comme une illusion.

Le petit jardin devant la maison est peuplé d’herbes à guérir tous les maux du corps, et souvent ceux de l’âme. L’Acier ne comprend pas pourquoi sa femme arrose chaque matin plantes chétives et arbustes vétustes.

Il pleuvait beaucoup ce jour-là ; temps qui annonce cyclone. La locomotive roulait à vive allure cherchant un élan pour le morne qui se préparait. L’homme guettait la course gratuite pour aller à la sous-préfecture. À peine assis sur les sacs de sucre, il glisse, il est déjà sous les roues. Sa mort fait grand bruit dans la commune. L’Acier laisse toutes les langues se délier. En rentrant, à ceux qui l’attendent sur le devant de la maison, il proclame qu’une bonne journée s’est déroulée.

L’Usine est implantée sur l’Habitation Union qui fournit l’essentiel de la canne à sucre nécessaire pour fabriquer ce rhum industriel que l’on destine à l’Autre-Bord. Il donne encore un sucre rouge de bonne qualité.

Au bout de l’Union, au pied des premières pentes rouges, le terrain de football de la commune.

Il arrivait à des heures suspendues.

Le rhum lui offrait solitude et grandeur.

Mon Père, ce gros monsieur, garait sa jeep près du garage de l’oncle Dyonès. De là, il pouvait guetter celle qui faisait palpiter son gros cœur. Cela était peu discret. À la fin, toute la Rue Paille savait qu’il épiait la fille de l’Acier. La dernière que l’on disait belle comme un arbre à soleil, et sombre comme lui.

Elle travaillait à la boutique de Madame Mierre donnant son sourire à tous ceux qui voulaient bien acheter huile, morue, margarine ou rhum à crédit.

Sur la fin de sa vie, l’Acier aimait entendre les affaires de Jude, ce fameux major qui, sûr de ses sorts, avait interdit à tous les gens de la campagne de se rendre au cinéma le dimanche, à la séance de onze heures, réservée, disait-il aux gens du bourg. Il est vrai que pareil commandement n’était pas souvent respecté. Quelquefois pourtant, le film, une production italienne, prenait fin brutalement et là, on assistait à une envolée de sièges entre ceux du balcon, le bourg, et le parterre peuplé pour l’essentiel de campagnards.

L’Acier aimait dire des paroles pour lui-même : était-il poète ?

Il est entré dans la boutique le pas incertain... cela était déjà trop tard.

Maman, quand elle évoque sa mère, parle d’une femme toujours debout, calcinée dans une petite cuisine, dans la pénombre - la pièce est taillée à flanc de colline - qui s’acharne sur une vieille cuisinière à charbon. Elle dit aussi avoir gardé en mémoire l’odeur de la friture d’un poisson rouge. Elle dit encore : l’Acier

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