Le noeud
131 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Mbi-Ekola incarne les rêves de toute une tribu qu'il doit sortir de la misère. Pour ce faire, aucun effort n'est épargné. Soutenu par son vieil oncle, il s'endette auprès de son frère Tseni, qui lui prête son diplôme d'études et son acte de naissance. Recruté d'abord dans les forces armées nationales sous ce nom d'emprunt, il décidera ensuite de travailler pour lui-même, pour sa famille et pour le village entier. Mais les moments d'euphorie passés, commence une longue période de doute, d'angoisse et désillusion...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 243
EAN13 9782296713833
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le nœud
Pierre OBAMA-ÉTABA


Le nœud

Roman
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13583-3
EAN : 9782296135833

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
A monsieur A lain B adet


Monsieur Alain Badet, notre professeur de langue française de la classe de troisième, venait de nous remettre nos copies de composition française, en cette fin d’année scolaire. Une fois de plus, il m’avait très bien noté. Il m’avait donné la première note, me permettant ainsi de distancer définitivement mon éternelle rivale en la matière, mademoiselle Mendomo, une albinos.
Mais, ce qui m’intrigua ce jour-là, ce fut la remarque au stylo rouge et en gros caractères qui bariolait toute l’introduction de mon devoir : « Introduction digne d’un roman », avait-il écrit.
Qu’il soit encore en vie ou pas, je rends ici un vibrant hommage à ce Français pour toute la peine prise pour nous, ses élèves du Lycée d’Obala, en publiant ce roman.
Avant-propos
C’est une fierté, pour chacun de nous, que de vivre suivant sa propre culture, de la fructifier en la transmettant aux générations futures. A vouloir tout imiter, on risque d’être comme cet humain qui, s’étant joint aux fantômes pour jouer au « lance hernie » en pleine nuit, dernier relayeur, se retrouva seul sur les lieux, le jour paru, avec une énorme hernie entre les jambes, tous les fantômes ayant disparu avant les premiers rayons du soleil. La hernie, qui n’était qu’un jouet pour fantômes, devint une calamité humaine.
Qui peut aujourd’hui, comme Pepa Mekoung, faire tomber la pluie en pleine saison sèche, la circonscrire, ou transporter de l’eau dans une nasse ?
Qui peut, comme Mbi-Ekola, pousser un cri reconnu par les siens ? Sait-on encore tout simplement, comme Mema Sita, comment faciliter l’accouchement ou hâter l’ossification de la fontanelle ?
Loin d’écrire un traité sur la sorcellerie ou un répertoire des pratiques mystiques, j’ai voulu tout simplement magnifier la diversité, la richesse, la singularité des coutumes, la fascination qu’elles suscitent, les secrets qu’elles nous cachent et qu’elles nous cacheront toujours.
La brume matinale couvrait encore le petit village de Mboyam en ce début du mois de décembre. Logé au fond d’une impasse, sillonné d’innombrables craquèlements, il présentait son éternel visage d’angoisse, frileux, terreux.
Les premiers rayons du soleil, à peine perceptibles, traversaient paresseusement la voûte végétale qui l’enveloppait, on eût dit qu’associés à ses habitants, ils s’inquiétaient, eux aussi, de l’effrayante perspective des lendemains incertains. Mais dans ce gouffre de misère, un homme espérait.
Mbi-Ekola était un grand sportif. Il avait longtemps représenté son village à des compétitions de lutte traditionnelle et remporté des victoires décisives. Véritable sculpture en bois d’ébène massif, il inspirait crainte et respect. Il était surtout le directeur de l’école publique de la localité. Son salaire, aussi dérisoire qu’incertain, lui était payé, à intervalles irréguliers, par l’association des parents d’élèves. Dès l’aube, on l’entendait marmonner les leçons d’histoire ou d’éducation civique qu’il allait dispenser le jour même.
Ce qui le caractérisait, c’était surtout sa soif de savoir. Autodidacte, il n’avait jamais cessé de lire, de se cultiver, de suivre les nouvelles du monde entier à travers sa petite radio dont il ne se séparait guère. Ses connaissances débordaient largement les frontières de son petit village qu’il inondait, au quotidien, des scoops des lointaines Inde, Chine ou Australie ; ce qui lui valut affectueusement le surnom de « Politicos » connu même de l’autorité administrative de la région.
Le lendemain, le soleil se fit plus vaillant. Il surprit les villageois dans leur sommeil. Tôt le matin, il suspendit sa boule de feu au-dessus de leurs têtes, les pulvérisant de ses rayons incandescents. Ils crurent alors qu’il leur apporta l’annonce que la saison sèche était arrivée. Du haut de ses ergots, il les observa pendant longtemps avant de s’éloigner, majestueux, vers l’ouest.
Personne ne s’était douté de quelque chose ! Personne n’avait décrypté ces signaux envoyés à l’homme par le roi du jour.
Le soir venu, tous les jeunes gens du village, rassemblés au domicile de Mbi-Ekola pour suivre une émission de musique traditionnelle diffusée en langue locale par la station de radio régionale, en parlaient comme d’un signe prémonitoire de malheur : un roi était certainement en agonie quelque part ! se disaient-ils. A la fin de l’émission, une voix d’homme annonça la lecture, lors des prochaines tranches d’antenne, des résultats du certificat de probation de l’enseignement du premier degré. Une telle annonce parut à l’évidence sans intérêt, n’ayant éveillé l’attention de personne.
Mbi-Ekola n’avait pas fermé l’œil de toute la nuit, et pour cause : il avait présenté cet examen à l’insu de tous, en toute clandestinité, craignant qu’une publicité précoce n’ameutât les sorciers, briseurs de destin. Au réveil, il se leva, plongea un pied, puis l’autre dans un vase en bois contenant un mélange hétérogène de rosée, de bave de crapaud, de poudre d’aiguillons de scorpion et de pattes antérieures de mante religieuse. Il se lava ensuite les orifices et les extrémités du corps avec de l’eau de pluie recueillie depuis longtemps, et conservée sous son lit, dans une vieille outre. Une bonne séance de purification matinale avant de commencer une journée de dur labeur !
« Quelle nuit interminable ! » dit-il dans un long bâillement.
Il prit sa petite radio, enleva les deux piles qui s’y trouvaient, les enfouit dans un coin de la chambre qu’il arrosa d’un peu d’eau fraîche, dans le but de les recharger en vue de s’assurer une meilleure écoute des résultats annoncés.
Aux premières lueurs du jour, il s’agenouilla, bredouilla mécaniquement les paroles d’une prière imaginaire, ramassa sa radio, son chapelet, son crucifix, un morceau d’écorce d’« Essingang {1} », et les mit en vrac dans son sac qu’il porta en bandoulière, puis il s’éloigna furtivement du village. Il voulait ainsi échapper, avant la lumière du soleil, aux yeux invisibles qui l’épiaient dans l’ombre, œuvraient pour son anéantissement. Il voulait se réserver la primeur de cette nouvelle, bonne ou mauvaise, loin des nez fureteurs et des cœurs haineux de ceux qui ramaient à contre-courant, luttaient contre le progrès du village.
N’étaient-ils pas capables, par leurs puissances occultes, de modifier les résultats d’un examen officiel ? de les rendre mauvais même s’ils étaient initialement bons ? de les dissimuler ? de les brouiller ? Il prononça encore quelques mots de « Je crois en Dieu… » sans y croire vraiment. Son esprit était perturbé par le cas du petit Angamba dit « Quatre-litres », ainsi appelé à cause de son ventre ballonné, qui, admis quelques années auparavant au certificat d’études de base, ne fut informé de son succès que dix ans plus tard, grâce à l’annonce faite à l’église par le curé lui-même, invitant ceux des élèves dont les diplômes étaient en souffrance à la paroisse depuis des années à passer les retirer. Quand Angamba alla retirer le sien, il avait déjà trente ans, et ce bout de papier ne lui fut d’aucune utilité, ayant largement dépassé l’âge requis pour les recrutements à la fonction publique. Son nom, oublié, n’avait jamais été publié sur la liste des candidats déclarés admis à cet examen !
A cette idée, Mbi-Ekola fut pris de contractions spasmodiques, et se mit à transpirer abondamment malgré l’air frais ambiant. Il accéléra le pas et disparut dans la pénombre, comme happé par un tourbillon. En pleine foret, il se jucha sur un volis, à l’abri des prédateurs, pour attendre l’heure fatidique.
La brise du matin poursuivait inlassablement sa course folle à travers bois et fourrés, récoltant au passage les senteurs les plus enivrantes,

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