Si seulement Abraham avait eu deux filles...
357 pages
Français

Si seulement Abraham avait eu deux filles... , livre ebook

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357 pages
Français

Description

Jocelyne, petite fille à l'esprit curieux et mutin, est élevée à La Goulette par sa grand-mère maternelle Clémence, une femme au tempérament audacieux. Saupoudré d'expressions judéo-arabes, ce roman dépeint les péripéties d'une famille juive de la petite bourgeoisie. On y entrevoit la position de la femme dans la société tunisienne du début des années soixante, le brassage des populations juive, arabe, italienne, maltaise, jusqu'au jour où un amour interdit bouleverse l'ordre établi.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2008
Nombre de lectures 222
EAN13 9782296204836
Langue Français
Poids de l'ouvrage 13 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1400€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

SI SEULEMENT ABRAHAM AVAIT EU DEUX FILLES...
LA GOULETTE SERAIT ENCORE DE TOUTES LES FÊTES@ L'Harmattan, 2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan 1@wanadoo.fr
ISBN: 978-2-296-06236-8
EAN : 9782296062368Michèle Madar
SI SEULEMENT ABRAHAMAVAIT EU DEUX FILLES...
LA GOULETTE SERAIT ENCORE DE TOUTES LES FÊTES
L'HarmattanNous sommes tissés de l'étoffe dont sont faits nos rêves.
William ShakespeareJe dédie cet ouvrage à Mickaël et Camille,
à Aylin et Elliott,
à Isabelle née durant les événements de Bizerte,
à Jean-Claude pour m'avoir soutenue et éclairée notamment
en matière de stratégie militaire.
Et aussi à la mémoire de Jocelyne, ma si douce camarade de l'école
élémentaire de La Goulette fauchée à l'âge tendre de l'enfance par
une effroyable maladie.l
L'écho de la voix vibrante du muezzin appelant les fidèles à la prière
résonnait encore dans les oreilles de Jocelyne. Elle était réveillée mais elle
hésitait à sortir du lit. Emmitouflée dans ses couvertures remontées jusqu'au ras
des yeux, elle contemplait la buée qui suintait le long des murs jaunes de la
chambre.
Elle se trouvait bien. Au chaud. Pelotonnée comme un chaton frileux dans
ce lit douillet empreint du parfum discret et rassurant d'une douceur
printanière. Celui de sa grand-mère.
Sa voix suave lui parvenait de la cuisine. Elle fredonnait l'air d'une vieille
chanson arabe de sa jeunesse. «A laAsfoun».Jocelyne huma avec délice l'odeur
familière du café turc.
Un lourd silence précéda le carillon d'annonce des informations matinales
suivie de la voix grave et régulière du journaliste.
Des murmures inquiets, un soupir et un court silence imprégna de
nouveau l'atmosphère.
Sa grand-mère devait se douter que Jocelyne était réveillée. Elle l'appela en
chantonnant:
- Jocelyne,ya benti (ma fille), lève-toi, on va aller au marché.
Le marché! Mot magique. Pour rien au monde Jocelyne n'aurait manqué
le marché. Elle perçut le bruissement des babouches sur le sol carrelé, le pas
traînant qui s'approchait du lit. Elle garda ses yeux fermés, feignant de dormir
encore comme elle le faisait tous les matins. Sa grand-mère lui caressa le visage
puis les cheveux en murmurant à son oreille:
- Qoûm ya amri ! Elle rajouta en français: lève-toi ma chérie. Va vite te
rafraîchir le visage. On doit respecter le bon Dieu et ne manger qu'après s'être
lavé. Je ne t'embrasserai que lorsque tu auras la figure et les mains propres.
Après s'être étirée, Jocelyne repoussa les couvertures énergiquement avec
ses pieds. Elle sortit du lit et s'exécuta sans rechigner.
Une fois débarbouillée, elle courut l'embrasser. Elle entoura sa taille de ses
bras et posa sa tête sur son ventre rebondi. Elles rirent. Sa grand-mère effleura
ses cheveux de sa main. Elle l'aida ensuite à se laver dans la cuvette métallique
qu'elle avait déjà remplie d'eau chaude. Jocelyne s'assit en tailleur dans la
bassine alors que sa grand-mère s'agenouillait près d'elle. Elle l'aspergea
doucement d'eau avec ses mains. Elle trempa le gant de toilette dans l'eau
chaude et le pressa sur les épaules frissonnantes de sa petite-fille pour la
réchauffer, en répétant:
- Chè, Chè, ça va te faire du bien ya amri.
Elle enveloppa le corps grelottant de la fillette d'une grande serviette.
- Crache dans la bassine maintenant, ordonna la grand-mère.
- Pourquoi est-ce que je dois cracher dans la bassine Mémé? demanda
Jocelyne comme elle le demandait presque tous les matins d'un air malicieux.
- Pour que ce ne soit pas la dernière fois que tu te laves ici... chez
7moi, répondit sa grand-mère calmement comme si elle répondait pour la
première fois à cette question.
- Pour que je reste toujours avec toi? demanda de nouveau Jocelyne
sur un ton enjoué.
Sa grand-mère souria sans répondre. Elle sécha sa petite-fille et l'habilla.
- Viens manger maintenant,ya amn.
- Mémé, j'ai mal au ventre. Je ne veux pas de lait, dit Jocelyne en
grimaçant.
- Viens prendre un peu de café avec moi, tu verras, ça te passera.
Ourass benti (sur ta tête ma fille) !
Le café était déjà prêt. Elle l'avait peaufmé à la manière turque, dans la
tenèqè.Elle le versa dans une tasse en faïence vert bouteille bordée d'un filet
doré. Elle rajouta son comprimé de saccharine et remua. Jocelyne observait
chacun de ses gestes se délectant de ce délicieux arôme.
Sa grand-mère s'assit enfin et prit sa petite-fille sur les genoux. Une gorgée
pour elle, une cuillérée pour Jocelyne. Un instant béni pour la fillette! Quel
régal ce café! Pensa-t-elle. Rien à voir avec le lait écœurant que ses parents
s'obstinaient à lui faire ingurgiter parce qu'ils la trouvaient trop maigre.
Le café terminé, la grand-mère prisa une pincée de nejè.Elle éternua et se
moucha. Elle saisit son grand couffm en déclarant:
- Un café c' es t très insuffisant pour grandir! Je t'achèterai un beignet
au marché. Au miel ou à l'huile comme il te plaira.
Elle ferma la porte de son appartement, posa ses doigts sur la mezouzah
fixée sur le linteau de la porte et les porta à ses lèvres en susurrant des mots
incompréhensibles. Elle exécutait ce rituel dès qu'elle rentrait ou sortait de chez
elle.
Et les voilà dehors... enfin presque. Ce serait un doux euphémisme que
de déclarer que les Goulettois prennent tout leur temps. C'est le pire cauchemar
des enfants pressés d'aller au marché. Le bavardage, les échanges de civilités
interminables sont incontournables. Jocelyne espérait secrètement qu'il n'y eut
personne sur le palier.
Une chance! Ce matin, nul intrus à l'étage. Il était probablement encore
trop tôt. Jocelyne tira sa grand-mère par la manche afm de descendre plus vite
l'escalier. Un étage à dévaler et elles seraient dans la rue. Pourvu qu'aucun
voisin du rez-de-chaussée ne s'avise de sortir! Surtout pas la vieille Ginette qui
était sourde comme un pot à qui il fallait répéter cent fois la même litanie.
8II
L'air était légèrement frais et doux. Il ne pleuvait pas. Les chênes liège et
les mûriers noirs étaient chauves. Leurs branches noueuses et tourmentées
avaient été élaguées durant l'automne. Seuls les palmiers, ces géants robustes
conservaient leur éventail à plumes majestueuses. Elles frémissaient au contact
d'un souffle léger balancé au rythme des musiques arabes qui s'échappaient des
cafés.
Sur le chemin bordé de ces imposants plumeaux desquels pendaient des
grappes de dattes jaunes encore minuscules, la grand-mère et sa petite-fille
ftrent une halte devant le réduit du marchand de beignets. Il faisait frire sa pâte
dans un énorme chaudron noir tout droit sorti de l'antre d'une sorcière.
Jocelyne se trouvait en contrebas de l'ouverture de son échoppe. Il lui
apparaissait si haut, si inaccessible, qu'elle le croyait suspendu dans les airs. Elle
se hissa sur la pointe des pieds lorsque sa grand-mère l'interrogea:
- Qu'est-ce que tu as décidéya benti?
- Je veux un beignet à l'huile, chuchota-t-elle timidement à l'oreille de sa
grand-mère.
Elle commandait invariablement un beignet à l'huile. Elle le préférait aux
pâtisseries au miel trop sucrées.
Pendant la cuisson, Jocelyne observait tous les gestes de ce
sorciercuisinier. Dans un mouvement rapide, précis mais néanmoins souple et
gracieux, il jetait la pâte dans l'huile bouillonnante. La posture hautaine et raide
de son buste tenu éloigné des vapeurs étouffantes et des projections de graisse
brûlantes, sa façon leste et élégante de se servir d'une grande pince pour
retourner et égoutter ses beignets, la fascinaient. Elle s'imaginait qu'il s'adonnait
à la danse mystérieuse d'un mage.
Avant de lui remettre son beignet, le marchand le déposa grésillant dans
une grosse passoire. Il entoura le beignet d'un carré de papier blanc et le lui
tendit encore chaud avec un grand sourire:
- Saha à la benti! s'exclama-t-il.
- l qetèrkhirèq (merci), répondit la gran

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