Droit rural et fait - article ; n°1 ; vol.260, pg 9-19

Louis Lorvellec

Description

Économie rurale - Année 2000 - Volume 260 - Numéro 1 - Pages 9-19
La relation du droit et du fait contient à la fois la majeure partie des réflexions sur la théorie générale du droit et des critiques usuelles contre telle règle particulière, jugée excessive ou insuffisante. L'analyse empirique du droit rural français conduit à considérer la relation du droit au fait selon un rapport plus complexe, où la règle juridique n'est pas seulement un instrument de l'allocation ou de la répartition des richesses et ne doit donc pas être appréciée en fonction de son utilité ou de son efficacité. Le droit dans un pays fort peu juridique comme la France est la forme la plus solennelle du discours politique, destiné à donner au pouvoir l'occasion de renvoyer à la société une image vertueuse d'elle-même. Loin de permettre d'agir sur les faits, il les décrit avec des tabous et des mythes, exprime des représentations sociales ou des certitudes scientifiques et parvient à faire naître des faits plus qu'à les organiser par une norme.
AGRICULTURAL LAW AND FACTS
This article focuses on the relations between Law and Facts. Instead of bringing a new theory of law or a new method to discover how to improve the efficiency of a particular statute or regulation from a social or an economical analysis, this article tries to explain the French legal system for agriculture as the most formal form of a political speech aimed at reflecting a honorable image of the French rural society. The real purpose is not to shape and frame agriculture but both to express with taboos and myths the traditional urban perceptions of this society and to transform the scientific standards into social schemes of behaviour.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: ECONOMIE_RURALE
• Publié le: 01 janvier 2000
• Nombre de lectures: 30
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

M Louis Lorvellec
Droit rural et fait
In: Économie rurale. N°260, 2000. pp. 9-19.
Résumé
La relation du droit et du fait contient à la fois la majeure partie des réflexions sur la théorie générale du droit et des critiques
usuelles contre telle règle particulière, jugée excessive ou insuffisante. L'analyse empirique du droit rural français conduit à
considérer la relation du droit au fait selon un rapport plus complexe, où la règle juridique n'est pas seulement un instrument de
l'allocation ou de la répartition des richesses et ne doit donc pas être appréciée en fonction de son utilité ou de son efficacité. Le
droit dans un pays fort peu juridique comme la France est la forme la plus solennelle du discours politique, destiné à donner au
pouvoir l'occasion de renvoyer à la société une image vertueuse d'elle-même. Loin de permettre d'agir sur les faits, il les décrit
avec des tabous et des mythes, exprime des représentations sociales ou des certitudes scientifiques et parvient à faire naître des
faits plus qu'à les organiser par une norme.
Abstract
AGRICULTURAL LAW AND FACTS
This article focuses on the relations between Law and Facts. Instead of bringing a new theory of law or a new method to discover
how to improve the efficiency of a particular statute or regulation from a social or an economical analysis, this article tries to
explain the French legal system for agriculture as the most formal form of a political speech aimed at reflecting a honorable
image of the rural society. The real purpose is not to shape and frame agriculture but both to express with taboos and
myths the traditional urban perceptions of this society and to transform the scientific standards into social schemes of behaviour.
Citer ce document / Cite this document :
Lorvellec Louis. Droit rural et fait. In: Économie rurale. N°260, 2000. pp. 9-19.
doi : 10.3406/ecoru.2000.1106
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecoru_0013-0559_2000_num_260_1_1106Louis LORVELLEC
roit rural et fait
de la norme, volontairement conçue par la
puissance publique pour s'appliquer - terme
volontairement vague - à ces activités. Les toujours droit par au qualificatif l'excès deux et du «vide» substantifs fait de droit, juridique paraît et «obstacle». comme toujours les dans plus si caractérisée souvent les le La médias droit relation accolés étouffsont soit du
Comment préciser la méthode de cette
réflexion? La logique commanderait de vé
ait la vie (le droit est un obstacle aux faits), rifier s'il existe un principe général de la rela
soit par l'absence de droit, comme si le droit tion du droit au fait puis d'observer les éven
oubliait par endroit de normer la vie: le vide tuelles réfractions subies par ce principe
juridique, tout comme l'obstacle juridique, s lorsqu'on le trempe dans la réalité rurale. Ce
ignalent le retard ou l'inadaptation du droit aux droit pourrait même être rural parce que dans
faits. la ruralité, la relation de la norme au fait serait
originale. Or, cette idée simple est une mauvCette position simple et légitime repose sur
aise idée. Il n'existe pas de principe général un a priori acceptable mais limité de la fonc
exprimant la relation du droit au fait et, à part tion du droit. Le droit serait un instrument
quelques réflexions de pure logique formelle, d'ordre par la création de standards de conduit
toute théorie du droit n'est qu'une mise en e sociale sanctionnables. La sécurité routière
relation de la norme juridique et du fait. La est menacée par les excès de vitesse, donc le
définition du droit elle-même n'est qu'une rdroit doit fournir les armes contre les chauff
éponse à la question: comment sait-on qu'il y a ards. Par là même, la forme du droit est pres
du droit dans telle situation et pas seulement que prédéterminée, selon un principe binaire
du fait1 ? Ainsi toute approche philosophique, de permis et d'interdit. Or, si tel était le cas,
sociologique, ethnologique, voire même non seulement les études, l'enseignement et la
pragmatique du droit, conduit à s'interroger recherche en droit seraient totalement sans
sur la relation du droit au fait entendu largeintérêt, mais surtout la Sfer n'aurait pas
ment. Ce serait une tâche impossible et fastéprouvé le besoin de faire de la réflexion sur
idieuse que de résumer en quelques lignes les le droit le thème de son colloque. Les écono
grandes théories sur la relation de la norme mistes, les sociologues, les ethnologues ont
aux rapports sociaux, de la loi à la vie, pourdécouvert que tout le droit ne fonctionnait pas
rait-on dire par un raccourci facile. comme le code de la route et que cette vérité
Alors, si la méthode ne peut être aussi logise vérifiait particulièrement dans le droit ap
que, elle peut être pragmatique et cet exposé plicable à l'agriculture, à l'agro-alimentaire et
à l'environnement, pour nous en tenir à une
1. V. Teubner, Les multiples corps du Roi: l'auto- définition simple des termes de rural.
destruction de la hiérarchie du droit. In Philosophie Le sujet de cet article pourrait ainsi se con du droit et droit économique, Mélanges en l'honneur
cevoir comme une interrogation sur les rap de G. Farjat, Ed. Frison-Roche, Paris, 1999, p. 309 et
s. etpp.312-313. ports des activités de production agricole et
Économie Rurale 260/Novembre-décembre 2000 peut se limiter à un témoignage engagé, rela droit rural est un discours de connivence entre
42 tant quelques années de travail sur le droit le pouvoir et les "citoyens ruraux", comme si
rural aux côtés des sculpteurs du fait que sont le droit était d'abord une image vertueuse, un
2 reflet que le pouvoir renvoie d'elle-même à la les économistes, les sociologues et parfois les
société rurale, afin qu'en retour ce pouvoir ethnologues, des dessinateurs du fait que sont
soit aimé de la société rurale. Il a alors gagné les géographes, des enracineurs du fait que
a la légitimité pour être le pouvoir, pour résont les historiens et des brasseurs du fait que
genter les faits. sont les représentants de la profession agricol
e (l'on peut prendre le mot brasser au sens de Trois affirmations devraient permettre de
saisir avec les bras ou de provoquer une fe vérifier très simplement cette hypothèse, par
rmentation maîtrisée). une analyse limitée à la relation du droit rural
au fait, sans aucune prétention à l'extension à De cette expérience, émerge une hypothèse
d'autres domaines du droit. Cette analyse peut simple: le droit rural est une forme solennisée
se configurer en trois parties. de discours de pouvoir sur l'agriculture, per
1 . Comme le droit est discours, il ne se soucie mettant de donner réalité à deux mythes : ce
pas uniquement des faits. Destiné à montrer à lui de l'agriculture, qui n'existe que par le
la société que le pouvoir parle de l'agriculture discours juridique et celui de l'existence d'un
et solennisant sa posture, il est un merveilleux certain pouvoir de l'État dans le domaine de la
instrument proclamatoire . production des biens alimentaires et de l'o
2. Comme le droit est expression de pouvoir, ccupation des campagnes. Autrement dit, ce
il régente les faits, en fait naître et justifie leur discours de pouvoir serait fondateur de pou
voir et ce discours sur l'agriculture serait fon présence dans l'action du pouvoir. Le droit est
dateur de l'agriculture, qui n'existerait plus en alors créateur du fait .
dehors de son affirmation légale. Mais cette 3. En sens inverse, il est aussi le résultat d'un
pouvoir sur les faits et donc le reflet de faits hypothèse paraît, à l'expérience, trop simple
pour enserrer l'impression d'ensemble. Le qui le précédent.
Le droit
sans les faits
Sous cet aspect, la règle de droit est analysée 1. Justice
comme forme du discours politique. pour le droit rural proclamatoire
Discours ritualisé par la cérémonie du vote
Depuis quelques années, les juristes ont écrit parlementaire, il tire toute sa valeur de la
des centaines de pages pour dénoncer les lois solennité de son expression et non de son
dont l'appartenance au droit doit tout au rite caractère performatif. Le droit proclamatoir de sacralisation du vote parlementaire - critè
e, sans caractère normatif, sera d'abord ana re formel - et rien à leurs prescriptions judilysé (1). En tant que discours, la règle de
ciairement sanctionna