Franc-maçonnerie, guerre et paix - article ; n°1 ; vol.95, pg 75-105

José Gotovitch

Description

Publications de l'École française de Rome - Année 1987 - Volume 95 - Numéro 1 - Pages 75-105
« Association d'hommes probes, libres et dévoués, liés par des sentiments de liberté, d'égalité et de fraternité... », la franc-maçonnerie situe la paix au centre de ses aspirations. Mais ses principes mêmes rendent problématique toute intervention dans le domaine « profane » et plus encore sa structuration au plan international. L'amour de la patrie, autre principe maçonnique, va s'exacerber au travers des conflits européens. La guerre de 1870 et plus encore celle de 1914-1918 déchire le monde maçonnique, chaque obédience embrassant avec ferveur la cause de son gouvernement, malgré les espoirs lyriques de paix universelle nés et développés par les loges. Cependant, les maçonneries alliées et neutres élaborent en 1917 les principes mêmes de la SDN et beaucoup de Frères s'illustreront dans le fonctionnement de celle-ci. Une structure internationale timide et partielle, l'Association maçonnique universelle naît en 1921. Ses protestations sont impuissantes à empêcher la destruction de l'ordre dans tous les états autoritaires et fascistes et bien entendu dans l'Europe occupée. À travers la maçonnerie, sinon par elle, s'opérèrent de grandes mobilisations antifascistes. Mais l'antimaçonnisme nazi fut surtout arme de propagande contre les alliés, les forces conservatrices nationales s'étant le plus souvent chargées elles-mêmes d'opérer contre leur propre maçonnerie. Si les loges se rétablirent aussitôt la paix revenue, la coopération internationale s'avéra fort lente à revivre.
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: PUBLICATIONS_DE_L-ECOLE_FRANCAISE_DE_ROME
• Publié le: 01 janvier 1987
• Nombre de lectures: 375
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

José Gotovitch
Franc-maçonnerie, guerre et paix
In: Les Internationales et le problème de la guerre au XXe siècle. Actes du colloque de Rome (22-24 novembre
1984). Rome : École Française de Rome, 1987. pp. 75-105. (Publications de l'École française de Rome, 95)
Résumé
« Association d'hommes probes, libres et dévoués, liés par des sentiments de liberté, d'égalité et de fraternité... », la franc-
maçonnerie situe la paix au centre de ses aspirations. Mais ses principes mêmes rendent problématique toute intervention dans
le domaine « profane » et plus encore sa structuration au plan international. L'amour de la patrie, autre principe maçonnique, va
s'exacerber au travers des conflits européens. La guerre de 1870 et plus encore celle de 1914-1918 déchire le monde
maçonnique, chaque obédience embrassant avec ferveur la cause de son gouvernement, malgré les espoirs lyriques de paix
universelle nés et développés par les loges. Cependant, les maçonneries alliées et neutres élaborent en 1917 les principes
mêmes de la SDN et beaucoup de Frères s'illustreront dans le fonctionnement de celle-ci. Une structure internationale timide et
partielle, l'Association maçonnique universelle naît en 1921. Ses protestations sont impuissantes à empêcher la destruction de
l'ordre dans tous les états autoritaires et fascistes et bien entendu dans l'Europe occupée. À travers la maçonnerie, sinon par
elle, s'opérèrent de grandes mobilisations antifascistes. Mais l'antimaçonnisme nazi fut surtout arme de propagande contre les
alliés, les forces conservatrices nationales s'étant le plus souvent chargées elles-mêmes d'opérer contre leur propre maçonnerie.
Si les loges se rétablirent aussitôt la paix revenue, la coopération internationale s'avéra fort lente à revivre.
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Gotovitch José. Franc-maçonnerie, guerre et paix. In: Les Internationales et le problème de la guerre au XXe siècle. Actes du
colloque de Rome (22-24 novembre 1984). Rome : École Française de Rome, 1987. pp. 75-105. (Publications de l'École
française de Rome, 95)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1987_act_95_1_2889JOSÉ GOTOVITCH
FRANC-MAÇONNERIE, GUERRE ET PAIX
Vecteur essentiel de la problématique de ce colloque, l'institution
politique ou religieuse est par essence médiatique. Son objectif étant
d'emporter l'adhésion et les suffrages, plus large sera la publicité faite
à ses idées, son action, ses leaders, plus grandes seront ses chances
d'efficacité.
À l'opposé, la franc-maçonnerie se veut, avec des variations consi
dérables, discrète, sinon secrète, dès que l'on s'aventure - au-delà des
principes généraux - dans l'étude des processus de décision et de pres
sion s'exerçant sur la société profane. Ainsi, à quelques exeptions près,
est-il possible et presque légitime de voyager dans l'histoire du XXe siè
cle sans rencontrer la franc-maçonnerie comme telle, alors même que
s'y promènent de nombreux francs-maçons. C'est dire la difficulté d'un
bilan là où le degré d'information - en ce y compris celui des historiens
- varie à ce point.
Il nous faut donc préalablement vérifier la pertinence du sujet.
Quelques exemples rendront heureusement la tâche aisée1.
Le 25 août 1913, un orateur soulevait l'enthousiasme des cinq cents
convives rassemblés à La Haye à l'occasion de la VIe Manifestation
maçonnique internationale. Sa péroraison s'achevait en une «Marseill
aise », paraphrase lourde mais enflammée :
«Aux armes francs-maçons
Formons nos bataillons
Marchons, ça ira, marchons, ça ira
Que guerre à la guerre résonne de nos rayons»2.
1 Par l'étendue de ses connaissances et la gentillesse avec laquelle il les mit à notre
disposition, Fernand Borné a permis de gagner un temps précieux, de frapper aux bon
nes portes, de suivre les bonnes pistes. Qu'il en soit tout particulièrement remercié.
2 VIe Manifestation maçonnique internationale, La Haye, 23, 24, 25 août 1913, Publica
tion du Bureau international des relations maçonniques, Neuchâtel, 1913, p. 88. 76 JOSÉ GOTOVITCH
Ce vibrant «guerre à la guerre» correspondait en plus musclé aux
règlements maçonniques fixés en 1723 par un pasteur anglican.
Connues sous l'appellation de «constitutions d'Anderson» comme le
fondement programmatique de la maçonnerie spéculative universelle,
elles énonçaient que «... le maçon n'est jamais impliqué dans des comp
lots contre la paix ... la guerre et les effusions de sang . . . ont tou
jours été funestes à la Maçonnerie qui toujours prospéra en temps de
paix».
En écho actualisé, la déclaration de principes adoptée en 1921 par
l'Association maçonnique internationale (voir plus loin) précisait et
l'idéal poursuivi et la méthode appliquée :
«... La franc-maçonnerie, institution traditionnelle, philosophique et
progressive basée sur l'acceptation du principe que tous les hommes sont
frères, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude et la pratique de la
morale et de la solidarité. Elle travaille à l'amélioration matérielle et
morale, ainsi qu'au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité.
Elle a pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-
même, la liberté de conscience. Elle a pour devoir d'étendre à tous les
membres de l'humanité les liens fraternels qui unissent les francs-maçons
sur toute la surface du globe . . . Elle forme donc une association d'hom
mes probes, libres et dévoués, qui, liés par des sentiments de liberté, d'égal
ité et de fraternité, travaillent individuellement et en commun au pro
grès social, exerçant ainsi la bienfaisance dans le sens le plus élevé. »
À l'abri des tumultes de la cité, la maçonnerie veut donc opérer
comme un laboratoire dans le secret duquel se préparent et s'expér
imentent les avancées pacifiques et fraternelles du monde profane.
Nous nous situons donc bien dans le champ délimité pour cette
rencontre.
Encore faut-il savoir s'il est possible, malgré cette universalité
auto-proclamée, de l'appréhender comme une Internationale, organisa
tion structurée et cohérente, alors même qu'elle insiste sur la notion
d'autonomie : «le maçon libre dans une loge libre». La vision «interna
tionaliste» est néanmoins incontournable, ne fût-ce que par le fait de
ses adversaires. Ceux-ci, de nature et nationalités diverses, ont eu en
commun à travers les décennies, à la fois l'acharnement - doux euphé
misme - et surtout la conjonction de leurs attaques contre la nature
internationale de l'ordre.
Un ouvrage mieux que tout autre consacre cette doctrine. Réédité
et actualisé près de vingt fois entre 1919 et 1942, son titre est un pro- GUERRE ET PAIX 77 FRANC-MAÇONNERIE,
gramme : Weltfreimaurerei, Weltrevolution, Weltrepublik3. C'est dans
ces pages que, fondant l'héritage d'Humanum genus (Léon XIII, 1884)
et de l'antisémitisme français, Friedrich Wichtl assit avec autorité
l'équation qui servira de slogan à l'Ordre nouveau sous ses divers or
ipeaux : le complot international maçonnico-judéo-bolchevique4. Ce
n'est point ici le lieu de développer cet aspect du problème. Mais je ne
résiste pas au plaisir d'épingler dans le sottisier qui jaillit de cette veine
la perle suivante : l'assimilation graphique non seulement de l'étoile
rouge à l'étoile flamboyante maçonnique mais surtout celle de la faucill
e et du marteau à la lettre G qui figure en son centre5!
Un désert bibliographique
Mais le flot, le torrent de la littérature anti-maçonnique n'est mal
heureusement qu'un mirage cachant mal le désert de la bibliographie
scientifique à son propos. La lacune est double en ce qui nous concer
ne : le XXe siècle d'abord, le plan international ensuite. Ce n'est point
faute à mes yeux de l'inaccessibilité des sources, mais plutôt d'une
démarche inhibitrice des maçons eux-mêmes qui aboutit au fait que
trois histoires ma