175 - LE RÔLE DE L INFORMATION : INFORMATION OU ABUS DE POUVOIR
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175 - LE RÔLE DE L'INFORMATION : INFORMATION OU ABUS DE POUVOIR

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Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA 25 mars 2004 LE RÔLE DE L’INFORMATION : INFORMATION OU ABUS DE POUVOIR Franz-Olivier GIESBERT Directeur du Point 175 Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA e suis venu, aujourd’hui, jouer le rôle de l’avocat du diable, bien que n’ayant jamais eu la réputation d’être confraternel. C’est peut-être d’ailleurs laJraison de l’intitulé de cet exposé : "les abus de pouvoir de la presse". Le nombre des dérives me paraît très important et il me semble essentiel d’en parler de l’intérieur. C’est ce que je vais tenter de faire. Avant cela, je tiens à vous donner lecture de l’extrait suivant : « Mon inquiétude devant le journalisme actuel est l’état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la Nation. Aujourd’hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait : des centaines de journaux le publient à la fois, le commentent, l’amplifient et pendant une semaine il n’est pas question d’autre chose. Ce sont, chaque matin, de nouveaux détails, les colonnes s’emplissent, chaque feuilletage doit pousser au tirage en satisfaisant davantage la curiosité des lecteurs. De là, des secousses continuelles dans le public qui se propagent d’un bout à l’autre du pays. Quand une affaire est finie, une nouvelle commence, car les journaux ne peuvent vivre sans cette existence de casse-cou. Si les sujets d’émotion manquent, ils en inventent. Jadis les faits, même les plus graves, étant moins commentés, moins répandus, ne donnaient pas chaque fois un accès viru- lent de fièvre au pays. Eh bien c’est ce régime de secousses incessantes qui me paraît mauvais. Ah, cette presse ! que de mal on en dit ! Il est certain que depuis une trentaine d’années, on évolue avec une rapidité extrême, les changements sont complets et formidables. C’est l’information qui, peu à peu, en s’étalant, a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion, tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles, aux procès-verbaux des reporters et des interviewers. Il s’agit d’être renseigné tout de suite. Est-ce le journal qui a éveillé dans le public cette curiosité croissante ? Est- ce le public qui exige du journal cette indiscrétion de plus en plus prompte ? Le fait qu’ils s’enfièvrent l’un l’autre, que la soif de l’un s’exaspère à mesure que l’autre s’efforce dans son intérêt de la contenter, et c’est alors qu’on se demande, devant cette exaltation de la vie publique, si c’est un bien ou un mal. Beaucoup s’inquiètent. Tous les hommes de cinquante ans regrettent l’ancienne presse, plus lente et plus mesurée, et l’on condamne la presse actuelle ». Emile Zola signait cet article dans Le Figaro daté du 24 novembre 1888 : d’au- tres, avant moi, sont déjà intervenus sur le thème que je traite aujourd’hui. Depuis de nombreuses décennies, on constate, en effet, des abus de pouvoir dans la 176 Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA presse. L’objectif de cet exposé est d’approfondir le sujet avec vous. J’essaierai, pour l’atteindre, de vous faire profiter de mon expérience en la matière, même si, comme le dit l’Ecclésiaste, « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » dans ce domaine. eLe problème me semble cependant aujourd’hui plus important qu’au XIX siècle : tout, de nos jours, passe progressivement sous la meule du Léviathan des médias : nos habitudes, nos mœurs, nos frontières et nos idées. Quelques chiffres me semblent significatifs de cette invasion : notre monde compte trois milliards et demi de postes de télévision, quatre milliards et demi de postes de radio, un milliard d’ordinateurs portables et un milliard de téléphones portables. Le pouvoir des journalistes, du seul fait de ces chiffres, est beaucoup plus important qu’il y a 150 ans et il paraît beaucoup plus facile d’en abuser. Kierkegaard écrivait : « Les nouvelles Saintes Écritures seront bientôt les vaticinations de la presse ». Nous y sommes aujourd’hui parvenus. Oscar Wilde donnait une définition du journalisme que je trouve très intelligente : « C'est un métier qui consiste à expliquer aux autres ce qu’on ne comprend pas soi- même ». D’autres décrivent le journalisme comme « une profession qui ne sait pas distinguer entre les accidents de vélo et les fins de civilisation » et cette observation me semble également juste. Tout d’abord, avant d'entrer dans le cœur du sujet, je dois dire qu’il faut se méfier du journalisme. Ces dernières années ont connu d’inquiétantes dérives en la matière. Ainsi, la rigueur indispensable de tout journaliste, puisque la base de son métier réside dans l’enquête, me paraît avoir été l’objet de graves manquements. Une des meilleures définitions du journalisme serait alors la suivante : "essayer de débusquer les vérités que l’on veut vous cacher". Humphrey Bogart, dans Bas les masques, illustre parfaitement cette idée : son personnage se bat pour savoir ce que les autres n’ont pas envie qu’il sache. C’est ainsi que j’essaie d’exercer mon métier. Pierre Lazareff avait pour principe de licencier, sans préavis, tout stagiaire en cas de faute sur un prénom ou un nom. Il est vrai qu’il s’agissait alors d’une autre époque. Aujourd’hui, je le regrette, une telle attitude serait impossible. D’ailleurs, on constate que ceux qui commettent ce type d’erreur, par manque de rigueur journalistique, continuent de signer des articles. 177 Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA Mais je ne connais pas de meilleure définition du journalisme que celle qui suit et qui invite à la plus grande des modesties. Il s’agit de la célèbre histoire de Mark Twain, alors reporter dans un petit journal du Nevada, le Territorial Enterprise. Malgré son talent, le rédacteur en chef lui reproche souvent la déformation des faits qu’il rapporte. Mark Twain, soucieux d’éviter de telles remontrances, signe alors un article dont je vous lis un bref extrait : « Une dame, qui dit s’appeler Miss Jones, et qui serait considérée comme l’une des personnes importantes de cette ville, aurait donné hier ce qui semblait être une fête où se serait rendu un certain nombre de femmes ou prétendues telles. L’hôtesse affirme être l’épouse d’un avocat connu. » Si les journalistes devaient vérifier toutes leurs informations, ils écriraient ainsi, au conditionnel. Nous travaillons constamment dans l’improbable et dans l’ap- proximation : c’est une des bases essentielles du journalisme et il faudrait l’incul- quer à tout débutant. Mais nous n’avons pas les scrupules de Mark Twain et vous ne liriez plus les journaux si nous les avions. Son article est pourtant un modèle de rigueur, car rien n’est avancé avec certitude. Mais imaginez le traitement des problèmes du Tibet, du Rwanda, du Proche-Orient, sur le même mode... un tel article serait évidemment illisible. Le manque de rigueur est donc la première source des abus de pouvoir du jour- nalisme. Le manque de modestie est la seconde : il est toujours plus simple d’écrire à l’indicatif sans se poser de questions. Le journalisme est une des profes- sions les plus immodestes qui soient. François Mitterrand, à cet égard, employait la formule très juste de « L’impunité totale du journaliste ». Comparant la profession au statut de l’homme politique, il constatait l’absence totale de sanction du journaliste. Un homme politique qui commet une erreur est immédiatement et durement sanctionné, alors qu’un jour- naliste ne connaît jamais les retombées négatives de ses fautes. La force du journaliste réside justement dans son impunité vis-à-vis du lecteur, y compris lorsqu’il commet les erreurs les plus graves. Un sentiment particulier de solennité naît ainsi au sein de la profession, car l’échec n’est jamais sanctionné. La reconnaissance de la faute, par la publication de démentis ou de non-lieux, est elle-même optionnelle et souvent peu effective. 178 Les Jeudis du CHEAr - Ministère de la Défense - DGA A ce titre, j’ai toujours été frappé par la facilité de la presse américaine à publier des démentis, des rectificatifs, des précisions. Ainsi, le New York Times consacre chaque jour sa troisième page à recenser toutes les erreurs commises par le journal dans les jours précédents. C’est une très grande force pour un jour- nal d’atteindre un tel niveau de modestie. Je regrette profondément que cela ne soit pas le cas en France. Le manque de rigueur et le manque de modestie vont souvent de pair avec la paresse intellectuelle dans l’explication de ce que l’on nomme les abus de pouvoir du journalisme. Il y a aussi le suivisme. Sur bien des questions, c’est la même infor- mation que l’on sert en boucle. En France, le système de presse demeure extrême- ment centralisé si on le compare aux situations italienne ou allemande, où chaque grande ville abrite un quotidien national, ce qui permet à la presse de ne pas toujours dire la même chose. En France, tout se trouve à Paris. C’est une des raisons qui expliquent l’engouement pour la presse qui dénonce les complots, les réseaux, les manipulations : les Français peuvent avoir parfois le sentiment que quelques dizaines de personnes détiennent, en circuit fermé, l’ensemble de l’information. Je me souviens de la panique mondiale orchestrée par les médias et les États- Unis lors de la campagne militaire du Kosovo en 1999. A l’époque, Bill Clinton, pris dans le "Monica Gate", devait sans doute avoir intérêt à détourner l’atten- tion en engageant une guerre. La presse organisa de toutes pièces la nécessité d’intervenir militairement. Je ne nie absolument pas les persécutions des Albanais, mais j’observe l’exagération évidente avec laquelle on a parlé de char- niers. En contrepoint, je ne trouve aucune mention, à de rares exceptions près, des problèmes rencontrés aujourd’hui par les Serbes. Pour le moment, la grande masse moutonnière n’est pas intéressée par le sujet, même si elle peut l’être demain ou dans quelques semaines. Lorsque cette "bien-pensance" touche des personnes, l’abus de pouvoir revêt un caractère p
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