«Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques - article ; n°34 ; vol.9, pg 77-86
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Description

Politix - Année 1996 - Volume 9 - Numéro 34 - Pages 77-86
«Clandestines» or «excluded» ? How to make policies with words.
Didier Fassin [77-86].
The désignation of foreigners in an irregular situation as «clandestines» contributes to the making of an image which appears less and less true to reality, since the State, through its legislations and the way it modifies and implements them, increasingly participates in the production of irregularity. By depriving them of the words to name their condition those who are legally «excluded» from citizenship, French society justifies in advance policies decided against them.
«Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques.
Didier Fassin [77-86].
La désignation des étrangers en situation irrégulière comme «clandestins» contribue à forger une image qui s'avère de moins en moins conforme à la réalité, dans la mesure où l'État, à travers ses réglementations et la manière dont il les modifie et les applique, intervient de façon croissante comme producteur d'irrégularité. En privant ces «exclus» de la citoyenneté des mots pour nommer leur condition, la société française justifie par avance les politiques prises à leur encontre.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 47
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Didier Fassin
«Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques
In: Politix. Vol. 9, N°34. Deuxième trimestre 1996. pp. 77-86.
Abstract
«Clandestines» or «excluded» ? How to make policies with words.
Didier Fassin [77-86].
The désignation of foreigners in an irregular situation as «clandestines» contributes to the making of an image which appears
less and less true to reality, since the State, through its legislations and the way it modifies and implements them, increasingly
participates in the production of irregularity. By depriving them of the words to name their condition those who are legally
«excluded» from citizenship, French society justifies in advance policies decided against them.
Résumé
«Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques.
Didier Fassin [77-86].
La désignation des étrangers en situation irrégulière comme «clandestins» contribue à forger une image qui s'avère de moins en
moins conforme à la réalité, dans la mesure où l'État, à travers ses réglementations et la manière dont il les modifie et les
applique, intervient de façon croissante comme producteur d'irrégularité. En privant ces «exclus» de la citoyenneté des mots
pour nommer leur condition, la société française justifie par avance les politiques prises à leur encontre.
Citer ce document / Cite this document :
Fassin Didier. «Clandestins» ou «exclus» ? Quand les mots font des politiques. In: Politix. Vol. 9, N°34. Deuxième trimestre
1996. pp. 77-86.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1996_num_9_34_1032«Clandestins» ou «exclus» ?
Quand les mots font les politiques*
Didier Fassin
Centre de recherche
sur les enjeux contemporains en santé publique
Université Paris-Nord
LES MOTS ne servent pas seulement à nommer, qualifier ou décrire. Ils
permettent aussi de fonder les actions et d'orienter les politiques. En
désignant comme «clandestins» les étrangers en situation irrégulière sur
le territoire français, on les classe dans une catégorie qui mobilise des
images — le travailleur entré illégalement dans le pays — et justifie des
mesures — pour prévenir et réprimer cet état de fait — , images et mesures qui
sont en quelque sorte incluses dans la façon même de dire les choses. Dès
lors, la caractéristique première de l'irrégularité — à savoir qu'elle est le
produit des lois et de leur application, et qu'elle est donc indissociable des
contextes sociaux, économiques et idéologiques dans lesquels s'inscrit
l'activité législative et administrative de l'Etat — ne peut pas être
appréhendée. Parce qu'il est désigné comme celui qui s'est délibérément mis
hors-la-loi, l'étranger en situation irrégulière n'est pas pensable aussi comme
celui qui est mis à son insu hors-la-loi. Parce qu'il est un «clandestin», il n'y a
pas lieu de le considérer comme un «exclu», en l'occurrence du droit, puisque
ce terme trouve sa place dans un autre référentiel de l'action publique, celui
du chômage ou des banlieues. C'est à cette forclusion de la réalité que je
voudrais m'attacher ici, afin d'en dévoiler les ressorts et d'en montrer les
conséquences.
Car il ne s'agit pas de se livrer à un exercice savant de linguistique ou de
sémantique, ni même plus simplement de proposer une nouvelle définition ou
le remplacement d'un terme par un autre, mais bien de montrer que, dès lors
qu'il est question de représenter le monde social, les choix lexicaux ont
toujours des implications politiques. Les mots ne se contentent pas de dire une
réalité. Ils la construisent et la construction qu'ils opèrent sert à la fois à
décrire et à prescrire, à donner une certaine image du monde social et à
intervenir sur lui pour le transformer. Le travail de déchiffrement du sens des
mots est d'autant plus important que le vocabulaire est considéré
généralement comme un simple instrument d'enregistrement, par conséquent
neutre et transparent. Certes, le propos n'est pas nouveau et il est facile de
• Ce texte s'appuie sur des données recueillies dans le cadre de recherches en cours sur les
étrangers en situation irrégulière (programme «Modes de participation et processus d'exclusion»
du CNRS) et sur l'expérience de la maladie chez les migrants d'origine africaine (programme
■Sidaction» de la Fondation pour la recherche médicale). Les enquêtes se déroulent dans la
région parisienne à la fois auprès d'étrangers, en particulier africains, dont certains sont en
situation irrégulière, et auprès d'intervenants des secteurs médical, social et associatif. Les noms de
personnes qui sont cités sont évidemment inventés.
Politix, n°34, 1996, pages 77 à 86 77 Didier Fassin
l'inscrire dans une tradition sociologique qui a trouvé son aboutissement dans
le constructivisme. Mais c'est moins comme théorie générale ou dispositif
méthodologique que je veux le développer ici que comme point de départ
d'une analyse empirique, afin de rappeler la portée politique des mots dans
un domaine particulièrement sensible : celui de l'immigration.
Je commencerai donc par décrire les réalités sociales complexes que recouvre
aujourd'hui l'expression «étranger en situation irrégulière», en les illustrant
d'exemples précis. Je reprendrai ensuite la manière dont ces réalités sont
traduites dans l'espace public, notamment dans le cadre du débat actuel sur
«l'immigration clandestine». Je conclurai en montrant comment le langage
utilisé pour nommer l'irrégularité permet d'éluder la responsabilité de l'État
dans la précarisation et l'exclusion des étrangers, autrement dit comment on
fait des politiques avec des mots.
L'irrégularité dans tous ses états
La régularité du séjour d'un étranger en France est un critère a priori facile à
repérer. Elle est en effet conditionnée par la possession de l'un des titres —
depuis la carte de séjour de dix ans jusqu'à l'autorisation provisoire de séjour
d'un ou trois mois — délivrés par les préfectures ou, pour ce qui est du cas
particulier des demandeurs d'asile, par l'obtention du statut de réfugié.
L'étranger en situation irrégulière est celui qui n'a pas de documents
administratifs en règle et qu'on appelle communément un «sans papiers». Si
l'on met de côté la grande diversité des statuts juridiques particuliers, en
fonction notamment de conventions spécifiques entre les États, et si l'on ne
tient pas compte des situations en apparence régulières d'étrangers munis de
faux papiers, qui peuvent être des titres de séjour prêtés, falsifiés ou fabriqués,
on peut dire en première approximation que l'on a affaire à un cas de figure
relativement simple où la loi définit clairement une limite entre ceux qui ont
le droit d'être sur le territoire français et ceux qui n'en ont pas le droit.
L'étranger en situation irrégulière apparaît donc comme celui qui ne respecte
pas la loi en s'introduisant dans un pays qui n'est pas le sien sans y avoir été
autorisé. Le cas paradigmatique est celui de l'homme en provenance d'un pays
du tiers monde, le plus souvent d'Afrique en ce qui concerne la France, à la
recherche d'un travail qui aura de très grandes chances d'être lui-même
irrégulier, puisqu'un emploi normalement salarié suppose en principe un titre
de séjour en règle. Telle est la représentation sociale habituelle de l'étranger
en situation irrégulière qui a donné lieu à une désignation semi-officielle avec
l'expression «immigration clandestine».
À y regarder de près, les choses sont cependant plus complexes et surtout plus
différenciées. Si l'on s'en tient au critère de non-possession d'un titre de
séjour en règle, il est en réalité de nombreuses voies qui conduisent à cette
situation. Le cas des « immigrés clandestins» à la recherche d'un travail n'est
que l'une d'elles, la plus visible, ou to

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