Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle - article ; n°45 ; vol.12, pg 7-20
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Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle - article ; n°45 ; vol.12, pg 7-20

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Description

Politix - Année 1999 - Volume 12 - Numéro 45 - Pages 7-20
«A Contradictory Friendship. Interested and Desinsterested Exchanges in Clientelistic Relationships».
Jean-Louis Briquet [7-19].
Clientelistic relationships seem to be contradictory : on the one hand, they are perceived like affective relations among friends ; on the other hand, they are oriented to the satisfaction of material interests. This contradiction is only apparent : friendship in clientelistic relationships is a specific cultural form, which resuit from a particular process of politicization, above all in society in the periphery of modem states (like southern Italy or Corsica, especially analysed in the paper). In these societies, political relationships are embedded in social relationships, like relations among friends, in which interested objectives and desintested consideration don't appear contradictory.
«Des amitiés paradoxales. Échanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle».
Jean-Louis Briquet [7-19].
Les rapports de clientèle sont utilisés en fonction des intérêts pratiques des participants à l'échange, mais ces derniers les présentent simultanément comme une relation d'amitié. Les sciences sociales envisagent généralement cette dualité comme un paradoxe, l'amitié «véritable» ne pouvant être utilisée à des fins utilitaires. Pourtant, l'amitié clientélaire ne peut être considérée comme un simple moyen de dissimulation des intérêts des individus. Elle témoigne plutôt de modalités spécifiques d'évaluation culturelle des relations politiques, produit de processus particuliers de politisation dans les sociétés clientélaires (comme la Corse ou les régions d'Italie du Sud) et atteste de la manière dont les groupes populaires ont pu réinterpréter selon leur culture propre des phénomènes dont leur étaient a priori interdit la maîtrise légitime, comme les phénomènes politiques.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 37
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Louis Briquet
Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du
désintéressement dans les relations de clientèle
In: Politix. Vol. 12, N°45. Premier trimestre 1999. pp. 7-20.
Abstract
«A Contradictory Friendship. Interested and Desinsterested Exchanges in Clientelistic Relationships».
Jean-Louis Briquet [7-19].
Clientelistic relationships seem to be contradictory : on the one hand, they are perceived like affective relations among friends ;
on the other hand, they are oriented to the satisfaction of material interests. This contradiction is only apparent : friendship in
clientelistic relationships is a specific cultural form, which resuit from a particular process of politicization, above all in society in
the periphery of modem states (like southern Italy or Corsica, especially analysed in the paper). In these societies, political
relationships are embedded in social relationships, like relations among friends, in which interested objectives and desintested
consideration don't appear contradictory.
Résumé
«Des amitiés paradoxales. Échanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle».
Jean-Louis Briquet [7-19].
Les rapports de clientèle sont utilisés en fonction des intérêts pratiques des participants à l'échange, mais ces derniers les
présentent simultanément comme une relation d'amitié. Les sciences sociales envisagent généralement cette dualité comme un
paradoxe, l'amitié «véritable» ne pouvant être utilisée à des fins utilitaires. Pourtant, l'amitié clientélaire ne peut être considérée
comme un simple moyen de dissimulation des intérêts des individus. Elle témoigne plutôt de modalités spécifiques d'évaluation
culturelle des relations politiques, produit de processus particuliers de politisation dans les sociétés clientélaires (comme la Corse
ou les régions d'Italie du Sud) et atteste de la manière dont les groupes populaires ont pu réinterpréter selon leur culture propre
des phénomènes dont leur étaient a priori interdit la maîtrise légitime, comme les phénomènes politiques.
Citer ce document / Cite this document :
Briquet Jean-Louis. Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de
clientèle. In: Politix. Vol. 12, N°45. Premier trimestre 1999. pp. 7-20.
doi : 10.3406/polix.1999.1776
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1999_num_12_45_1776Des amitiés paradoxales
Échanges intéressés et morale du désintéressement
dans les relations de clientèle
Jean-Louis Briquet
Centre d'études et de recherches internationales
CNRS - FNSP
IL N'EST pas d'analyses du clientélisme politique qui, bien qu'elles
insistent avant tout sur les aspects matériels de la relation qui lie
un patron et ses clients1, ne fassent état, même simplement en
passant, de sa dimension morale. Dans les communautés paysannes,
la domination des propriétaires terriens, pour lesquels la possession de
la terre se transforme aisément en moyen de la suprématie politique, se
dit souvent dans les termes de la fidélité et de la reconnaissance2. La
parenté fictive vient fréquemment officialiser la relation de dépendance
clientélaire, en Sicile par exemple3 ou en Espagne4, pour s'en tenir à des
cas de l'Europe méditerranéenne. Même au sein des machines
politiques, alors que l'orientation pragmatique et opportuniste de la
relation est la plus clairement apparente, la personnalisation du
rapport politique implique qu'il soit formulé dans l'idiome de l'amitié et
ritualisé sous l'aspect d'un lien affectif entre personnes solidaires5. C'est
dire qu'est couramment avérée la coexistence, à l'intérieur de sociétés ou
1. Le clientélisme est généralement défini comme un rapport personnalisé d'échanges
réciproques entre inégaux, permettant la satisfaction pragmatique des intérêts distincts
des partenaires (dans le cas du clientélisme politique, le soutien politique et le vote
contre des avantages matériels particularisés : emplois, subventions, accès privilégié aux
biens publics, médiations avec l'administration, etc.)- Pour une analyse générale de la
notion, voir par exemple Eisenstadt (S.), Roniger (L.), Patrons, Clients and Friends,
Cambridge, Cambridge University Press, 1984, ou Médard (J.-F.), «Le rapport de clientèle.
Du phénomène social à l'analyse politique», Revue française de science politique, 25 (1),
1976 ; pour une critique de son usage dans les sciences sociales, Briquet (J.-L.), «La
politique clientélaire. Clientélisme et processus politiques», in Briquet (J.-L.), Sawicki
(F.), dir., Le clientélisme politique dans les sociétés modernes, Paris, PUF, 1998.
2. Powell (J. D.), «Peasant Society and Clientelist Politics», American Political Science
Review, 64, 1970.
3. Boissevain (J.), «Patronage in Sicily», Man, I, 1966.
4. Pitt-Rivers (J.), «La parenté spirituelle en Andalousie», in Pitt-Rivers (J.),
Anthropologie de l'honneur, Paris, Le Sycomore, 1983.
5. «La machine soude ses liens avec les hommes et les femmes par des réseaux compliqués
de relations personnelles. La politique est transformée en liens personnels [...]. Dans
une société essentiellement impersonnelle, la machine, par ses agents locaux, remplit la
fonction sociale importante d'humaniser et de personnaliser tous les procédés
d'assistance» (Merton (R. K.), Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris,
Pion, 1965, p. 128).
Politix, n°45, 1999, pages 7 à 19 Liaisons politiques
d'institutions marquées par le clientélisme, de rapports sociaux fondés
sur la satisfaction pragmatique des intérêts et la prégnance de codes
culturels qui tendent à faire de ces rapports le produit de l'amitié ou de
la solidarité entre alliés.
Cette coexistence peut sembler paradoxale. La relation entre amis, au
moins idéalement, exclut en effet tout motif instrumental. En guise de
profits, elle ne devrait chercher que ceux procurés par l'«élargis sèment
du dévoilement réciproque» de l'intimité entre des individus autonomes
qui renoncent à tout calcul d'intérêt1 ; en guise de motivations, celles
que commande l'impératif catégorique, lequel renvoie au principe de
vouloir qui fonde l'action et non à l'objet de cette action2. À l'inverse, le
rapport clientélaire vise clairement autre chose que lui-même : il est,
pour les clients, un moyen d'accéder par le vote aux biens rares que
contrôlent leurs patrons ; pour ces derniers, un instrument de
constitution et de préservation de leur influence politique par les
échanges de services qui les lient aux premiers. Comment, dans ces
conditions, peut-il être perçu et présenté comme le résultat d'une
relation d'amitié qui le transcende en même temps qu'elle le rend
possible ? Qu'en est-il de cette amitié paradoxale dont l'opposition,
ancrée dans les représentations ordinaires, de l'intérêt et du
désintéressement, de l'utilité et de la gratuité, ne permet pas de rendre
compte ?
Les fonctions utilitaires de l'amitié
Pour répondre à ces questions et, par là, lever le paradoxe qui vient
d'être évoqué, la littérature portant sur le clientélisme politique oppose
généralement, dans la sphère des relations d'amitié, celles qui relèvent
de l'engagement authentique et désintéressé des partenaires, et celles
qui, au contraire, servent prioritairement à la satisfaction de leurs
intérêts. La distinction proposée par Eric Wolf entre l'«amitié
expressive» et l'«amitié instrumentale» se retrouve en effet, de façon
plus ou moins systématisée, dans les nombreux travaux qui constatent
la différence entre un lien sui generis, strictement fondé sur les «attentes
émotionnelles» des individus, et un rapport institué à des fins
d'«assistance mutuelle», dont l'échange réciproque de services matériels
est seul à même d'assurer la continuité3. Le clientélisme est une des
1. Simmel (G.), Secret et sociétés secrètes, Strasbourg, Circé, 1991, p. 32 et s.
2. Dans sa forme idéale, la r

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