L entrée en expertise - article ; n°36 ; vol.9, pg 33-50
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Description

Politix - Année 1996 - Volume 9 - Numéro 36 - Pages 33-50
Becoming an expert
Jacques Chevallier [33-50].
Based on two personal experiments in steering commitees, the paper describes the logics involved in the construction and practices of being an expert. As an expert, the researcher copes with a range of contradictions linked to the overlapping of different principles of legitimacy (scientific acquired legitimacy versus social and political given legitimacy). He tries to make them consistent and to articulate them.
L'entrée en expertise.
Jacques Chevallier [33-50].
En partant de deux expériences personnelles de participation à des commissions de réflexion, l'auteur s'attache à mettre en évidence les logiques qui président à la construction puis à l'exercice du rôle d'expert. Devenu expert, le chercheur se trouve confronté à un ensemble de contradictions, liées à la superposition de plusieurs principes de légitimité (légitimité scientifique conquise/légitimité sociale et politique octroyée), qu'il s'efforce de rendre compatibles et d'articuler.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Chevallier
L'entrée en expertise
In: Politix. Vol. 9, N°36. Quatrième trimestre 1996. pp. 33-50.
Abstract
Becoming an expert
Jacques Chevallier [33-50].
Based on two personal experiments in steering commitees, the paper describes the logics involved in the construction and
practices of being an expert. As an expert, the researcher copes with a range of contradictions linked to the overlapping of
different principles of legitimacy (scientific acquired legitimacy versus social and political given legitimacy). He tries to make them
consistent and to articulate them.
Résumé
L'entrée en expertise.
Jacques Chevallier [33-50].
En partant de deux expériences personnelles de participation à des commissions de réflexion, l'auteur s'attache à mettre en
évidence les logiques qui président à la construction puis à l'exercice du rôle d'expert. Devenu expert, le chercheur se trouve
confronté à un ensemble de contradictions, liées à la superposition de plusieurs principes de légitimité (légitimité scientifique
conquise/légitimité sociale et politique octroyée), qu'il s'efforce de rendre compatibles et d'articuler.
Citer ce document / Cite this document :
Chevallier Jacques. L'entrée en expertise. In: Politix. Vol. 9, N°36. Quatrième trimestre 1996. pp. 33-50.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1996_num_9_36_1978en expertise L'entrée
Jacques Chevallier
Université Paris II
LES RELATIONS entre les sciences sociales et le politique sont des relations
complexes, équivoques, ambivalentes, à base d'attraction/répulsion
réciproques. À première vue, la distinction est pourtant nette et la ligne
de démarcation tranchée. En tant que sciences, les sciences sociales se
situent dans un rapport d'extériorité principielle au politique : relevant de
l'ordre de la connaissance, le travail scientifique implique une prise de
distance vis-à-vis des impératifs de l'action ; par essence critique, il est exclusif
de toute dimension pragmatique1 et ne peut s'accomplir qu'à l'abri des
engagements militants et de la pression des pouvoirs de toute nature. Comme
le souligne Norbert Elias2, les «tendances à l'engagement» qu'on trouve chez
les scientifiques, comme chez les autres hommes, sont combattues par des
procédures de contrôle institutionnalisées, prémunissant contre l'intrusion de
jugements de valeurs hétéronomes et visant à faire prévaloir cette
«distanciation» qui est la marque de la démarche scientifique. La constitution
d'un champ scientifique présuppose ainsi l'existence d'une coupure avec le
champ politique, dont les valeurs et les règles de fonctionnement sont
radicalement différentes : l'autorité scientifique est fonction de
l'indépendance présumée du chercheur par rapport aux déterminations
politiques ; et toute interférence ne pourrait que saper les fondements de cette
autorité.
Néanmoins, cette première approche reste trop simple. Travaillant sur la
réalité sociale, les sciences sociales sont partie prenante à cette réalité : non
seulement les chercheurs sont eux-mêmes «inscrits dans les configurations
qu'ils cherchent à comprendre»3 — ce qui explique les difficultés d'une
distanciation qui est souvent plus apparente que réelle, l'utilisation de
méthodes empruntées aux sciences physiques ne donnant que «le vernis d'un
haut degré de distanciation ou d'objectivité qui manque en réalité» — , mais
encore les sciences sociales exercent un effet en retour sur le réel, en
contribuant à modifier la connaissance que le société a d'elle-même et à
produire le savoir indispensable à l'action ; du fait de cette double dimension
reflexive4 et instrumentale, elles constituent un enjeu social et politique, que
1. Chevallier (J.), Science administrative, Paris, PUF, 1994, p. 62-63-
2. Elias (N.), Engagement et distanciation, Fayard, 1993.
3. Ibid.
4. Pour R. Fraisse («Les sciences sociales : utilisation, dépendance, autonomie«, Sociologie du
travail, 4, 1981, p. 370), il y aurait un véritable -contrat- entre les sciences sociales et la société :
•Aux sciences sociales, la société demande : "Dites-moi ce que je suis, maintenant"».
Politix, n°36, 1996, pages 33 à 50 33 Chevallier Jacques
nul pouvoir, et les chercheurs eux-mêmes1, ne sauraient prétendre ignorer. Le
recours massif aux sciences sociales est ainsi devenu dans les sociétés
contemporaines un moyen de rationalisation de l'évolution sociale et un
dispositif de pilotage des politiques publiques : les chercheurs sont dès lors
conduits à entretenir inéluctablement des relations d'échange avec les
autorités politiques, au risque de compromettre leur autorité scientifique. Cette
proximité nouvelle se traduit par le déploiement de politiques de recherche,
par lesquelles les gouvernants cherchent à obtenir la production des
connaissances nécessaires à l'action publique2, par le développement d'un
véritable marché de l'expertise et du conseil visant à améliorer l'efficacité de
la gestion publique3, mais aussi, et surtout, par l'appel plus direct aux
chercheurs dans le cadre de procédures d'expertise destinées à éclairer les
choix. Ce phénomène de «scientifisation de la politique» relèverait, selon J.
Habermas4, moins d'un «modèle décisionniste», dans lequel le pouvoir
technique est mis au service de la domination politique, ou d'un «modèle
technocratique», dans lequel le pouvoir de décision réel aurait été transféré à
une intelligentsia scientifique, que d'un «modèle pragmatique», fondé sur un
dialogue permanent entre experts scientifiques et instances politiques, sous le
regard de l'opinion publique, modèle qui tend à se profiler au moins en
filigrane. Dans tous les cas, rendant plus floues les frontières entre activité
scientifique et activité politique, le développement de ces pratiques impose
aux chercheurs de s'interroger sur la nature du rôle qu'ils jouent lorsqu'ils sont
ainsi appelés par les gouvernants en tant qu'«experts»5.
Cet appel aux chercheurs en sciences sociales s'effectue de manière privilégiée
à travers l'invitation à participer à des «commissions», mises en place par le
pouvoir politique pour éclairer les choix publics par l'élaboration d'un
«rapport». La formule est sans doute ancienne dans l'univers administratif, au
point qu'on pouvait parler dès les années trente de «polysynodie
administrative» : cependant, à côté des commissions «de procédure», visant à
recueillir l'avis des personnes directement intéressées par une décision, et des
commissions «de concertation», destinées à obtenir le point de vue des divers
partenaires sociaux, sont apparues plus récemment des commissions nouvelles
«de réflexion»6, chargées, sur des questions délicates, ou «sensibles», de
concevoir et d'énoncer des solutions praticables7, en recherchant les voies
d'un consensus entre les différents acteurs en présence ; alors que les
chercheurs n'avaient pas place dans les commissions traditionnelles, ici ils
sont appelés à siéger, le plus souvent à côté d'autres intervenants de
1. D'où les interrogations dans la communauté scientifique sur «la responsabilité sociale- des
chercheurs.
2. Fraisse (R.), «Les sciences sociales : utilisation, dépendance, autonomie«, art. cité.
3. Henry (O.), «Entre savoir et pouvoir : les professionnels de l'expertise et du conseil», Actes de la
recherche en sciences sociales, 95, 1992, p. 37 et s.). Les logiques qui structurent cet espace
pourraient être retracées à partir de deux axes : logique intellectuelle/économique, d'une part ;
prestations générales/techniques, d'autre part.
4. Habermas (J.), La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1973, p. 97 et s.
5. Comme le souligne L. Tanguy («Le sociologue et l'expert. Une analyse de cas«, Sociologie du
travail, 3, 1995, p. 459), «les pratiques accomplies dans l'activité d'expertise et les conditions qui
les régissent sont autant d'opérations qui doivent être soumises à la critique, si l'on veut éviter qu

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