Le pouvoir «médiacratique» ? Les logiques du recrutement des invités politiques à la télévision - article ; n°30 ; vol.8, pg 183-198
17 pages
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Le pouvoir «médiacratique» ? Les logiques du recrutement des invités politiques à la télévision - article ; n°30 ; vol.8, pg 183-198

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Description

Politix - Année 1995 - Volume 8 - Numéro 30 - Pages 183-198
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 99
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Éric Darras
Le pouvoir «médiacratique» ? Les logiques du recrutement des
invités politiques à la télévision
In: Politix. Vol. 8, N°30. Deuxième trimestre 1995. pp. 183-198.
Citer ce document / Cite this document :
Darras Éric. Le pouvoir «médiacratique» ? Les logiques du recrutement des invités politiques à la télévision. In: Politix. Vol. 8,
N°30. Deuxième trimestre 1995. pp. 183-198.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1995_num_8_30_2072pouvoir «médiacratique» ? Le
Les logiques du recrutement
des invités politiques à la télévision
Éric Darras
CURAPP, Université de Picardie-Jules Verne
LA LITTERATURE d'analyse de la télévision produit une multitude de
néologismes autour de l'idée d'une légitimation médiatique de
l'homme politique : légitimité «cathodique», «écranique» ou
«cybernétique- ; «télécratie», «vidéocratie», «télépolitique». Pour autant,
ces «concepts» ont comme effet paradoxal de faire écran au réel dont ils
proposent l'explication. Derrière une apparente polysémie, ils peuvent être
résumés sous le terme le plus usité, celui de «médiacratie» célébré notamment
par François-Henri de Virieu1. Ce dernier revendique explicitement, avec
d'autres journalistes, un pouvoir de consécration du personnel politique au
moyen d'une sélection rendue visible par la cérémonie d'adoubement que
constitue son émission L'heure de vérité. L'émission de France 2 a pu ainsi
être décrite par Le Monde comme un rite de passage vers le «gotha
politique»2. Parallèlement, quelques travaux universitaires attribuent à ces
journalistes politiques le pouvoir de faire et de défaire les hommes politiques,
reprenant presque in extenso leurs discours d'auto-investitures. Considérée
comme un embryon de démocratie directe, la «médiacratie» provoquerait le
déclin de la démocratie représentative : 1) les représentants, c'est-à-dire les
élus, seraient remplacés par la démocratie directe des sondages, voire de
l'audimat ; 2) les émissions ou les journalistes politiques se substitueraient aux
partis destitués de leur fonction de sélection des candidats ; 3) la politique
«décentrée» quitterait le Parlement pour la télévision. Se poserait alors le
problème du lien représentatif : la «médiacratie» menacerait le fondement
électoral de la délégation politique et proposerait une légitimation
concurrente par la visibilité télévisuelle ou l'ordination journalistique. Il
s'agirait alors d'une véritable tentative de démonétisation du capital
(électoral) spécifique au champ politique, une remise en cause de la
démocratie représentative par la «démocratie cathodique». En conséquence,
les variables sociologiques classiques (réseaux, expériences militantes, liens de
parenté, diplômes, origines sociales et géographiques), dont beaucoup ont
montré qu'elles déterminent la carrière politique (par leur actualisation au
sein des entreprises et sur les marchés politiques) semblent reléguées au profit
d'un nouvel attribut jugé indispensable à l'acteur politique moderne : la
performance télévisuelle. Celle-ci apparaîtrait aujourd'hui surdéterminante
dans la trajectoire politique de l'élu. Son nom l'indique, la «médiacratie»
présuppose la suprématie du champ journalistique sur le champ politique. La
bonne fortune médiatique, politique mais aussi scientifique de la
«médiacratie» est donc un défi au champ politique comme à la sociologie
politique, qui entend rendre compte de ses logiques de fonctionnement.
1. De Virieu (F.-H.), La médiacratie, Paris, Flammarion, 1990.
2. Le Monde, 6 mai 1986.
Politix, n°30 1995, pages 183 à 198 183 Tableau 1 L'heure de vérité 7 sur 7
1982-1993 % 1982-1993 %
Nombre total d'invitations politiques 167 100 165 100
Capital politique (titres au jour de l'invitation)
Président de la République et Premier ministre 43 25,75 41 24,85
34,55 Ministres d'Etat et ministres cités parmi les dix premiers 51 30,54 57 et anciens 23 13,77 25 15,15
Ministres délégués 2 1,20 11 6,67
Secrétaires d'Etat 6 3,59 6 3,64
Chefs de partis et candidats à la présidence de la République 27 16,17 7 4,24
Autres professionnels de la politique : "second rang" 10,91 15 8,98 18
89,09 Total personnel politique de premier rang 1 52 91 ,02 1 47
Appartenance gauche-droite
Professionnels de la politique de gauche et extrême gauche 75 44,91 86 52,12 de la de droite et droite 86 51,50 78 47,27 de la politique écologistes 6 3,59 1 0,61
Répartition selon les partis politiques
Ecoloqistes : Les Verts, Génération écologie 6 3,59 1 0,61
1 0,60 0,00 Extrême qauche (1) 0
Parti communiste 12 7,19 4 2,42
Parti socialiste et affiliés (Maj. présidentielle) (2) 62 49,70 37,13 82
45 36 21,82 UDF (3) 26,95
RPR et affiliés (4) 33 19,76 41 24,85
Front national 8 4,79 1 0,61
Total partis de gouvernement (UDF+PS+RPR) 1 40 83,83 159 96,36
Invitations de femmes politiques 1 1 6,59 1 5 9,09
(1) P. Juquin, PC (7 sur 7 : 3/11/85) puis dissident PC (HDV : 1/2/88)
(2) dont E. Faure, membre au sénat du groupe Gauche démocratique (7 sur 7 : 8/3/87)
dont M. Gallo (HDV : 26/4/92),
dont C. Tasca, Ministre déléguée du Gouvernement Rocard sans étiquette (7 sur 7 : 16/10/88)
dont B. Kouchner, idem (HDV : 24/6/91 ; 24/1/93 - 7 sur 7 : 23/4/89 ; 5/1/92 ; 20/12/92)
(3) dont J.-J. Servan-Schreiber (7 sur 7 : 11/12/82 ; 22/5/88)
(4) dont M.-F. Garaud (HDV : 14/4/83 ; 18/12/85 ; 23/8/92 - 7 sur 7 : 13/5/84),
dont C. Malhuret, Secrétaire d'Etat du gouvernement Chirac sans étiquette (7 sur 7 : 24/5/87)
dont A. Pinay, Président du conseil, Indépendant (1952) ; Président d'honneur du CNIP entre 1953 et 1974 (HDV : 22/12/91) 'pouvoir médiacratique' ? Le
Anne Sinclair, animatrice de 7 sur 7, est ainsi convaincue de la réalité de son
pouvoir discrétionnaire. «La télévision n'est pas seulement le reflet d'une
arithmétique électorale : vous avez tant de pourcentages, eh bien ! on vous
donne tant de temps d'antenne. Ça n'existe pas. Le métier de journaliste est un
métier de choix, tous les jours»1. Le présentateur de L'heure de vérité est plus
explicite encore : «II y a toujours quelque chose d'arbitraire dans la sélection,
c'est quelque chose d'assez injuste. Il y a des gens à qui l'on donne leur
chance quand ils sont jeunes et d'autres à qui on ne la donne pas. Le véritable
pouvoir, à mon avis, ce n'est pas dans la façon dont on pose la question, mais
c'est dans le choix des invités, c'est particulièrement net quand j'établis la liste
pour les prochaines législatives, j'ai un pouvoir, un arbitraire absolument
considérable dans le choix de Pierre ou de Paul... C'est le fait du Prince, c'est à
mon avis un pouvoir essentiel du journaliste... exorbitant même»2. Une telle
hypothèse ne résiste pourtant pas à son examen empirique, à une analyse du
choix des invités de L'heure de vérité et de 7 sur 7. Les termes de l'échange
entre journaliste et professionnel de la politique sont plus complexes que le
modèle «médiacratique» de l'assignation à comparaître ne le suggère. Reste
que l'avènement de la télévision a considérablement transformé les règles du
jeu politique et que les journalistes — comme l'ensemble des agents intéressés
au champ politique — ont de bonnes raisons de souscrire à la croyance
«médiacratique». Il faudra alors, sur un mode programmatique, s'intéresser à
l'étude des fondements de cette représentation professionnelle3.
La loi d'airain de l'oligarchie
Formellement tous les hommes politiques peuvent accéder à la télévision ; en
réalité, son usage est réservé. Entre la première de L'heure de vérité avec
Jacques Delors le 20 mai 1982 et l'émission du 2 juillet 1993 avec Edouard
Balladur, on dénombre 167 invitations politiques pour seulement 62 invités4.
De même 66 professionnels de la politique français sont passés sur le plateau
de 7

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