Lettre de Martine Aubry à Arnaud Montebourg
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Réponse de Martine Aubry à la lettre d'Arnaud Montebourg.

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Publié le 14 octobre 2011
Nombre de lectures 275
Langue Français

Extrait

Paris, le 12 octobre 2011
Mon cher Arnaud,
J’ai bien reçu ta lettre et j’y réponds avec grand plaisir.
Je veux d’abord nous féliciter collectivement du succès des primaires. C’est
un grand succès pour tous les socialistes. Ensemble, depuis le Congrès de Reims,
nous avons reconstruit le Parti socialiste et nous l’avons doté d’un projet, ce qui était
le préalable à la réussite des primaires et de l'alternance. Tu sais combien je voulais
lier les primaires et le projet, toi qui a initié l’idée des primaires avant même le
Congrès de Reims. Tu as accepté la présidence de la Convention nationale sur la
Rénovation et je suis fière du travail que nous avons accompli. Avec la rénovation, la
mise en place des primaires, le non-cumul des mandats, nous avons redonné sa
fierté et sa force au Parti socialiste, et nous avons bien servi la gauche et la
démocratie française. Parce qu’il a fallu vaincre de nombreux conservatismes, ces
combats ont été difficiles et je suis heureuse que nous les ayons menés ensemble,
avec l’aide, que je veux saluer, de Ségolène Royal.
La campagne des primaires et les débats que nous avons eus ont convaincu
les Français de venir voter massivement dimanche dernier. C’est dire combien, loin
des prévisions les plus pessimistes et des attaques de la droite, ils ont intéressé les
Français. Nous avons montré un Parti vivant, nourri par le débat d’idées. La
confrontation respectueuse des points de vue est féconde, là où la volonté
d’unanimisme à tout prix sur fond de divisions personnelles, qui a trop longtemps
prévalu à la tête du PS, stérilise la pensée et appauvrit les projets.
Au terme de ces débats, le 1
er
tour a dégagé une majorité claire et forte pour
un changement profond porté par une gauche forte. Les électeurs ont dit leur volonté
d’une politique de sortie de crise par l’invention d’un nouveau modèle économique,
social et écologique. Ils ne se retrouvent pas dans une politique d’aménagement du
système actuel. La volonté de battre le Président sortant est forte mais s’y ajoute une
volonté de changer ce système qui a failli, une envie d’espoir, l'envie d’une société
plus respectueuse, plus juste, où l’argent ne peut pas tout et où les solidarités
sociales, locales et républicaines sont reconstruites. On ne battra pas M. Sarkozy
avec du flou, mais avec de la clarté.
Cette aspiration majoritaire n'est pas une surprise pour moi. Elle conforte le
projet que j’ai présenté au pays durant la campagne. En 2012, la France ne veut pas
seulement une alternance : elle veut une alternative. C'est ma conviction : si on
change de présidence, c'est pour changer de politique. Je ne suis pas moi, par
exemple, favorable à ce que nous fassions voter une règle d’or après les élections
que nous avons refusée avant. De même que je ne souhaite pas associer d’anciens
ministres de M. Sarkozy aux futures responsabilités. Nos électeurs ne s’y
retrouveraient pas. La France ne s’en sortirait pas. Je suis persuadée que doit
émerger une gauche d’après crise, porteuse d’un nouveau modèle qui associe les
Français, un modèle plus viable, plus équitable, plus durable.
Alors que le débat se poursuit entre les deux tours de nos primaires, je
souhaite répondre et réagir aux propositions que tu m'as transmises. Nos valeurs
sont communes, nos idées se renforcent : ta lettre me permet d'exposer
concrètement et politiquement ce que je crois essentiel.
Tu connais mon engagement à reprendre la main sur la finance. C’est un
préalable au nouveau modèle que nous devons bâtir : l’efficacité dans la justice ! Les
mesures que j’appelle de mes voeux n’ont pas changé tout au long de cette
campagne : recapitaliser les banques en faisant entrer l’Etat à leur conseil
d’administration et en leur imposant en contrepartie d’une part une stricte limitation
des bonus bancaires, d’autre part des obligations précises de financement des
entreprises et des ménages ; séparer les banques de dépôts et les banques
d’investissement, c’est essentiel pour protéger l’épargner des Français ; interdire
certaines pratiques spéculatives comme les ventes à découvert ; plafonner les frais
bancaires et mieux encadrer le crédit revolving qui plonge dans le surendettement de
nombreux ménages ; créer à l’échelle européenne une taxe sur les transactions
financières pour casser la spéculation, faire porter le poids du remboursement de la
dette au système bancaire et non aux contribuables nationaux, mais aussi pour
lancer des programmes d’investissement ; mettre en oeuvre une agence de notation
publique européenne ; interdire les relations des établissements financiers et
bancaires avec les paradis fiscaux et bancaires qui sont le trou noir de la finance
mondiale, ainsi qu'agir pour la suppression des paradis fiscaux à l'échelle
européenne et du G20. En parallèle, nous devrons créer une Banque Publique
Européenne, à partir du Fonds de Stabilisation Financière, pour empêcher la
spéculation contre les dettes souveraines, et en France même, créer une Banque
publique d’investissement sous forme de fonds régionaux. La finance doit être mise
au service de l’économie et non l’inverse, et l'économie au service de l'humain.
Concernant le commerce international, tu sais le travail que j’ai mené au sein
de notre parti pour dépasser une forme de libre échangisme dogmatique qui a trop
longtemps prévalu dans nos orientations générales. Tu sais aussi que j’ai tenu à
convaincre nos partenaires européens de militer à nos côtés pour une Europe qui
protège son économie, ses industries et ses travailleurs. Le PSE et le SPD ont repris
à leur compte nos propositions pour réguler les échanges et les rendre plus justes.
C’est une avancée décisive, car, à l’évidence, nous ne pourrons pas pratiquer cette
politique tout seuls. Nous avons besoin de le faire avec nos partenaires, à l’échelle
de l’Europe. Aujourd’hui, une nouvelle politique commerciale européenne fondée sur
une réciprocité exigeante est possible. C'est à l'Europe de la pratiquer sans attendre
: nos intérêts en seront renforcés dans la compétition mondiale et nos exigences
mieux prises en compte dans les négociations internationales. Europe ouverte, oui ;
Europe offerte, non.
Je suis pour l’égalité dans les échanges commerciaux. L’Europe devra
augmenter les droits de douane au niveau européen sur les produits ne respectant
pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale.
Comment être de gauche sans être intransigeants sur le social et l’environnement ?
Elue présidente de la République, je proposerai à nos partenaires européens de
renforcer les clauses de sauvegarde et de réciprocité visant à garantir la loyauté des
échanges. Il n’est pas acceptable, par exemple, que la Chine impose aux entreprises
étrangères de produire localement pour alimenter son marché alors que l’Europe ne
se donne pas les moyens d’obtenir la réciprocité : je ne me résigne pas à la fatalité
des délocalisations de nos industries hors d’Europe. Je n’accepte pas davantage que
nos marchés publics soient ouverts à des entreprises non européennes quand ceux
de la nationalité de ces entreprises ne le sont pas. L'Europe doit être active, pas
naïve. C'est tout le sens du combat pour la réindustrialisation que je n'ai cessé de
mener depuis que je suis à la tête du Parti socialiste.
Parmi les mesures que tu évoques, je suis favorable à un contrôle national et
européen de toute acquisition étrangère d’entreprises dont les technologies mettent
en cause notre souveraineté. Les Etats-Unis le font. Pourquoi pas nous ? En matière
de délocalisation, le principe qui doit prévaloir est simple : celui du délocaliseur
payeur. Il s'agira, pour une entreprise qui réalise des bénéfices et qui ferme un site
rentable, de rembourser les aides publiques, dépolluer le site et reclasser les
salariés. Quant aux entreprises qui déménagent l'outil de travail ou les brevets, elles
pourront être mises sous tutelle sur décision de la justice saisie par les salariés.
Je tiens aussi à préciser que la réindustrialisation de la France réclame
davantage qu’une politique strictement défensive. Nos emplois industriels réclament
une vraie stratégie de compétitivité-qualité : je souhaite augmenter progressivement
nos dépenses de R&D ; je souhaite relancer l’investissement public national et
européen dans les secteurs d’avenir ; je souhaite que les PME et leurs capacités
d'innovation soient réellement soutenues par les grands groupes et naturellement par
les banques ; j'entends réorienter la fiscalité et l'épargne vers l'outil productif plutôt
que vers la finance et la rente. A mes yeux, la vraie performance passe beaucoup
par une sécurisation des parcours professionnels pour réduire la précarité dans
l'emploi, par la présence des représentants des salariés dans les instances de
décision des grandes entreprises, ainsi que par la prévention des maladies
professionnelles et l'amélioration des conditions de travail
Tu le vois, je plaide pour une stratégie offensive et protectrice pour la France
et pour l'Europe. En cela, mon projet est porteur d'une vraie alternative qui lui permet
aujourd'hui de rassembler beaucoup de celles et ceux que le débat sur l'Europe en
2005 avait divisés.
Concernant la transformation de notre économie, je suis fière d’avoir affirmé
au coeur de notre projet le besoin d’un nouveau modèle. Notre volonté n’est pas
seulement d’aménager ou d’humaniser le marché, mais bien de transformer le
modèle de production libéral capitaliste. Plutôt que la financiarisation et la recherche
du profit maximal à court terme, enrichissons notre base productive par les valeurs et
les méthodes des entreprises du secteur mutualiste et coopératif. Nous les
soutenons dans les Régions et les Départements que la gauche dirige, mais l'actuel
Gouvernement, hélas, les ignore souvent quand il ne les méprise pas carrément.
J’ai eu aussi l’occasion, durant cette campagne, d'exprimer ma volonté de
développer et de soutenir l’économie sociale et solidaire, dont j’ai rencontré de très
nombreux acteurs. Il faudra leur faciliter l’accès à la commande publique. De même,
je me suis engagée à favoriser, en matière agricole, les circuits locaux de
l'agriculture paysanne et le renforcement des droits des producteurs face à la grande
distribution et ses marges abusives : les paysans ne sont pas seulement des
jardiniers du territoire, ils doivent pouvoir vivre de leur travail et subvenir aux besoins
de leurs familles. Cette transformation sera d'abord sociale et écologique. Elle
conduira la société française à produire, à consommer, à se déplacer autrement. J'ai
pris des engagements très fermes sur la manière de conduire cette transition, à la
fois en matière énergétique, pour le logement et pour les transports.
Concernant la démocratie, tu sais les engagements clairs que j’ai pris sur le
non-cumul des mandats et des fonctions. J'ai souhaité, avec l'immense majorité des
militants socialistes, que ces règles soient applicables dès maintenant et pour 2012
et sans attendre la loi qui doit venir ensuite. Je n'ignore pas les résistances qui
s'expriment encore aujourd'hui, mais sache bien que je serai intransigeante sur ce
point.
Au-delà, l’essentiel pour moi est de changer profondément la République Mon
engagement est clair : je veux une nouvelle République qui mette fin à la monarchie
présidentielle anachronique de la Vème République. L'échec de l'hyper-présidence
Sarkozy nous montre, s'il en était besoin, la voie à ne pas suivre. Dans cette
République, la mobilisation des citoyens sera l'une des conditions des changements
que nous voulons. Je sais comment l'action publique peut être revivifiée par les
budgets participatifs, les débats publics, les référendum d'initiative populaire, mais
aussi
en
associant
loyalement,
effectivement,
les
réseaux
associatifs,
les
mouvements de consommateurs, et en ouvrant largement à tous les données
publiques. J'ajoute – car c'est pour moi un combat constant depuis vingt ans – que le
droit de vote aux élections locales sera étendu aux étrangers en situation régulière
sur le territoire national.
Je veux une République exemplaire qui combattra sans compromis ni
compromissions les conflits d’intérêt – renforcement des incompatibilités de
fonctions, amélioration des contrôles, surveillance accrue du lobbying – et qui sera
sans merci contre la corruption ici et ailleurs. Je défendrai le principe d'inéligibilité
pour les élus condamnés par la justice pour des faits de corruption. Et je réduirai de
30 % la rémunération du chef de l’Etat comme celle des ministres.
Je veux une République équilibrée, avec un Président qui préside, un
Gouvernement qui gouverne et un Parlement capable de jouer pleinement son rôle
de contrôle. Le Conseil constitutionnel deviendra une véritable Cour constitutionnelle,
dont le mode de nomination sera revu.
La nouvelle République, c’est une justice pleinement indépendante. Beaucoup
de magistrats m'ont confortée dans ce choix. Je ne transigerai pas avec
l’indépendance du parquet que je réaliserai en rendant la nomination des procureurs
et le déroulement de leurs carrières indépendants du pouvoir politique ; je mettrai fin
par la loi aux instructions individuelles qui ont été réintroduites par J. Chirac puis N.
Sarkozy depuis 2002. De même, le statut pénal du chef de l'Etat et des ministres
sera révisé afin qu'ils répondent de leurs actes devant des juridictions de droit
commun, comme tout citoyen. J’abrogerai les dispositions choquantes du code pénal
que sont les peines planchers et la rétention de sûreté, et j’engagerai une profonde
réforme du code de procédure pénale. Je maintiendrai la spécificité de la justice des
mineurs. Je rendrai la justice et la défense accessibles à tous, notamment par une
revalorisation de l’aide juridictionnelle.
La nouvelle République, c’est aussi le pluralisme des médias. Il faut en finir
avec cette spécificité française qui voit les principaux médias écrits et audiovisuels
appartenir à des groupes de l'armement ou des travaux publics qui vivent de la
commande publique. J'imposerai par la loi des règles anti-concentration pour
consacrer l’indépendance des rédactions.
Ces engagements exigeront des modifications législatives et constitutionnelles
profondes que je soumettrai aux Français par référendum. Nous procéderons à la
révision la plus importante de notre loi fondamentale depuis son établissement par le
Général de Gaulle et Michel Debré. Nous ferons entrer notre République dans le
XXIème siècle.
Dès 2012, je tiens aussi à le rappeler, il ne faudra pas attendre les
modifications constitutionnelles pour s’attaquer concrètement aux problèmes des
Français. Le vote de dimanche dernier a confirmé la grande aspiration des Français
à plus de justice sociale. Il faudra refonder notre système éducatif, rétablir l’accès à
la santé pour tous, rendre effectif le droit au logement, garantir le droit à une retraite
décente et l’âge légal de départ à 60 ans, permettre la revalorisation des salaires et
notamment du SMIC, agir pour le pouvoir d’achat en encadrant certains prix et
revoyant la tarification des biens essentiels comme l’eau et l’énergie.
Cette réponse que je t'adresse confirme et approfondit la Lettre que j'ai écrite
aux Français en août dernier. J'y disais notamment : «
En Europe comme en France,
nous savons bien que la crise n’est pas ponctuelle. Il ne suffira pas d’éteindre des
incendies, toujours plus coûteux, mais bien d’être les architectes d’un nouveau
modèle de développement économique, social et durable
».
Depuis des mois et des semaines, je fais une campagne de propositions, pas
de communication ni de clientélisme. Je resterai constante, fidèle à ce que je suis et
à ce que j’ai dit aux Français. C’est cela aussi la morale en politique. Tu seras
d’accord avec moi pour dire que la première rénovation en politique, c’est de
défendre ses idées devant ses électeurs et de respecter le mandat que l’on a reçu
d’eux.
Sur cette base claire et ambitieuse, je souhaite qu'ensemble, nous puissions
continuer pour la France en 2012 le travail que nous avons déjà accompli depuis
2008. Nos convergences ne sont pas de façade ou de circonstance. Tu peux
compter sur moi et j’espère pouvoir compter sur toi. Nos électeurs nous regardent :
dimanche, je ne doute pas qu’ils feront le choix d’un vrai changement et d’une
gauche forte.
Bien amicalement à toi,
Martine Aubry
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