Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah - article ; n°61 ; vol.16, pg 81-94
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Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah - article ; n°61 ; vol.16, pg 81-94

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Description

Politix - Année 2003 - Volume 16 - Numéro 61 - Pages 81-94
Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah
Christian Delage
La période des années 1950 se distingue-t-elle vraiment par une absence d'intérêt historiographique pour l'histoire du génocide des juifs d'Europe ? L'analyse du film réalisé en 1955 par Alain Resnais, Nuit et Brouillard, grâce à l'ouverture des archives du producteur Anatole Dauman, démontre qu'il n'en est rien. La genèse du film révèle une attention nouvelle portée par son commanditaire, le Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale (présidé par Henri Michel), à la politique d'extermination nazie au moment de la commémoration du dixième anniversaire de l'ouverture des camps. En comparant le manuscrit du scénario rédigé par Alain Resnais et le commentaire de Jean Cayrol, l'on apprend que c'est in extremis que la mention du génocide a disparu. Cet article revient sur les conditions de collaboration entre les différents partenaires du film et propose une série d'explications sur la vision du système concentrationnaire proposée.
Night and Fog: A Turn in the Memory of the Shoah
Christian Delage
Night and Fog is the first major French film about the concentration camps. Since its first release, in 1956, it was played both in commercial and art theaters, thanks to a short running time (31 min.). Some demanding teachers organized current screenings of the picture in the classroom. Then, the authorities required the film to be one of the readers of the students, allowing it to become a sort of compulsory reference when it cornes to dealing with the Holocaust in schools or fighting the resurgence of antisemitism in French society (it was broadcast on all TV channels after the desecration of the Jewish cemetery in Carpentras in 1990). This official recognition could make us believe that Cayrol and Resnais's work, produced by Anatole Dauman for Argos Pictures, received as soon as it was released an enthusiastic welcome. Or that, at least, a consensus had been finally reached over the years, because of the gravity of the film's purpose and the aesthetic and ethic framework within which it was made. Actually, it proved to be problematic in 1956, and still is some 46 years latter. This paper deals, for example, with the following: why, at the very last moment, was the mention of the Final Solution cut from the commentary?
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 210
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Christian Delage
Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah
In: Politix. Vol. 16, N°61. Premier trimestre 2003. pp. 81-94.
Citer ce document / Cite this document :
Delage Christian. Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah. In: Politix. Vol. 16, N°61. Premier trimestre 2003.
pp. 81-94.
doi : 10.3406/polix.2003.1257
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2003_num_16_61_1257Résumé
Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah
Christian Delage
La période des années 1950 se distingue-t-elle vraiment par une absence d'intérêt historiographique
pour l'histoire du génocide des juifs d'Europe ? L'analyse du film réalisé en 1955 par Alain Resnais, Nuit
et Brouillard, grâce à l'ouverture des archives du producteur Anatole Dauman, démontre qu'il n'en est
rien. La genèse du film révèle une attention nouvelle portée par son commanditaire, le Comité d'histoire
de la deuxième guerre mondiale (présidé par Henri Michel), à la politique d'extermination nazie au
moment de la commémoration du dixième anniversaire de l'ouverture des camps. En comparant le
manuscrit du scénario rédigé par Alain Resnais et le commentaire de Jean Cayrol, l'on apprend que
c'est in extremis que la mention du génocide a disparu. Cet article revient sur les conditions de
collaboration entre les différents partenaires du film et propose une série d'explications sur la vision du
système concentrationnaire proposée.
Abstract
Night and Fog: A Turn in the Memory of the Shoah
Christian Delage
Night and Fog is the first major French film about the concentration camps. Since its first release, in
1956, it was played both in commercial and art theaters, thanks to a short running time (31 min.). Some
demanding teachers organized current screenings of the picture in the classroom. Then, the authorities
required the film to be one of the readers of the students, allowing it to become a sort of compulsory
reference when it cornes to dealing with the Holocaust in schools or fighting the resurgence of
antisemitism in French society (it was broadcast on all TV channels after the desecration of the Jewish
cemetery in Carpentras in 1990). This official recognition could make us believe that Cayrol and
Resnais's work, produced by Anatole Dauman for Argos Pictures, received as soon as it was released
an enthusiastic welcome. Or that, at least, a consensus had been finally reached over the years,
because of the gravity of the film's purpose and the aesthetic and ethic framework within which it was
made. Actually, it proved to be problematic in 1956, and still is some 46 years latter. This paper deals,
for example, with the following: why, at the very last moment, was the mention of the Final Solution cut
from the commentary?Nuit et Brouillard : un tournant
dans la mémoire de la Shoah
Christian Delage
Nuit et Brouillard est le premier film français d'importance évoquant
le système concentrationnaire nazi1. Depuis sa première diffusion,
en 1956, il a connu une carrière autant commerciale qu'artistique, sa
courte durée - trente minutes - permettant de le projeter facilement dans les
salles de cinéma comme dans les circuits d'Art et Essai. Quelques
enseignants exigeants, comme Henri Agel, le firent découvrir à des
générations d'étudiants2, avant que les pouvoirs publics en imposent à
plusieurs reprises la projection à l'école pour lutter contre la résurgence de
l'antisémitisme dans la société française. Il fut ainsi programmé sur toutes
les chaînes de télévision lors de la profanation du cimetière juif de
1. Cet article n'aurait pu être rédigé sans l'opportunité d'accéder aux archives de la société Argos,
de J.Cayrol et du Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale. Mes remerciements
s'adressent particulièrement à Florence Dauman (Argos Films), Thierry Frémaux et Nicolas Riedel
(Institut Lumière) Albert Dichy (IMEC) et Jean Astruc (IHTP-CNRS), ainsi qu'aux institutions qui
m'ont permis de présenter ce texte, et de l'amender au fil des communications : l'Impérial War
Museum (Londres), l'Université Paris I (séminaire sur l'histoire de la Shoah), l'Université de
Pennsylvanie (Philadelphie), la New York University et la Holocaust Educational Foundation
(Lessons and Legacies Vu, University of Minnesota, Minneapolis).
2. « Henri Agel - professeur de lettres au lycée Voltaire - fut un de ces passeurs singuliers,
rapporte S. Daney. Pour s'éviter autant qu'à nous la corvée des cours de latin, il mettait aux
voix le choix suivant : ou passer une heure sur un texte de Tite-Live ou voir des films. La classe,
qui votait pour le cinéma, sortait régulièrement pensive et piégée du vétusté ciné-club. Par
sadisme et sans doute parce qu'il en possédait les copies, Agel projetait des petits films propres
à sérieusement déniaiser les adolescents. C'était Le Sang des bêtes de Franju et surtout Nuit et
Brouillard de Resnais » (« Le Travelling de Kapo », Trafic, 4, 1992, p. 7).
Politix. Volume 16 - n° 61/2003, pages 81 à 94 Politix n° 61 82
Carpentras en 1990. Cette reconnaissance officielle pourrait laisser croire que
l'œuvre d'Alain Resnais et de Jean Cayrol, produite par Anatole Dauman,
reçut dès l'origine un accueil favorable, ou du moins qu'elle a fini par
devenir consensuelle, sans doute en raison de la gravité du sujet traité et des
principes éthiques et esthétiques mis en avant par l'équipe de réalisation. Or
il n'en fut rien en 1956 et, de manière plus diffuse, on peut affirmer qu'il
n'en est rien quarante-six ans plus tard.
A peine terminé, Nuit et Brouillard, pourtant immédiatement distingué par la
critique grâce à l'attribution du prix Jean-Vigo3, eut d'abord à composer
avec plusieurs formes de censure. La première vint de la Commission de
classement des films qui voulut obliger A. Resnais à supprimer des plans de
cadavres, jugés trop choquants, et, surtout, la photographie montrant en
amorce un gendarme français surveillant le camp de Pithiviers4. Puis, à
l'annonce de sa candidature à la sélection officielle du Festival international
de Cannes, le film se trouva impliqué dans un imbroglio politico-
diplomatique : l'ambassade allemande en France tenta d'en interdire la
présence, provoquant une polémique dont la portée devint rapidement
internationale5. Commencée de manière houleuse, la carrière de Nuit et
Brouillard connut par la suite une sorte d'institutionnalisation qui entraîna
une deuxième vague de critiques concernant la pertinence de son statut de
référence en regard de l'histoire du génocide des juifs. Serge Klarsfeld
rapporte que si, à l'époque, le film l'a « ému profondément [...], aujourd'hui,
il peut être vu avec un autre regard étant donné que c'est un film dont le
défaut majeur est de ne pas véhiculer correctement la spécificité juive.
3. Le 31 janvier 1956. Resnais l'avait déjà obtenu deux ans auparavant pour Les statues meurent
aussi, ce qui n'empêchait pas le film d'être toujours interdit en 1956.
4. Resnais, rappelle H. Rousso, fut « obligé d'effacer un malheureux képi de gendarme, aperçu
lors d'une scène au camp d'internement de Pithiviers (créé par les Allemands, mais administré
par les Français). Etrange coup de gouache, car ce n'est en rien l'imagination ou le discours d'un
auteur qu'on bride, mais bien une image d'époque, donc un fait patent » (Le syndrome de Vichy,
1944-198..., Paris, Le Seuil, 1987, p. 244-245).
5. Le ministre français des Affaires étrangères, C. Pineau, avait en effet reçu une lettre de
l'ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne réclamant le retrait de Nuit et Brouillard
de la sélection officielle, invoquant l'article 5 du règlement du festival qui stipule qu'un film
peut être exclu de la compétition s'il porte atteinte à la réputation de l'un des pays participant
au festival. Pour la Berliner Zeitung : « Le scandale de Cannes est un scandale allemand et non
français. Nos représentants officiels n'avaient ni l'envergure ni la maturité nécessaires pour
accepter un film qui montre des fautes des Allemands. » Les Français n'avaient pourtant pas de
quoi être fiers : outre la censure du cliché du gendarme de Pithiviers, le ministre français des
Affai

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