« Porter assistance » aux pauvres du monde
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« Porter assistance » aux pauvres du monde

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©Raison Publiquen° 1, octobre 2003, Paris, Bayard, pp. 104-148, trad. fr. par Patrick Savidan.,
 
« Porter assistance » aux pauvres du monde
Thomas W. Pogge 
  Nous, citoyens des pays prospères, avons tendance à discuter de nos obligations à légard de ceux qui, au loin, sont dans le besoin en termes de dons et de transferts, dassistance et de redistribution : Quelle part de notre richesse devrions-nous, le cas échéant, donner à ceux qui, à létranger, meurent de faim ? En mappuyant sur la façon dont un théoricien de premier plan conçoit le problème, je montrerai que cela constitue en fait une erreur sérieuse  et qui plus est une erreur que les pauvres dans le monde paient très cher. Dans son ouvrage,Le Droit des gens, John Rawls ajoute, par rapport à la façon dont il avait traité antérieurement de la question, une huitième loi : « Les peuples ont le devoir dassister les autres peuples vivant dans des conditions défavorables qui les empêchent de disposer dun régime social et politique juste ou convenable ».1 Par cet ajout, il entend montrer quil est possible, à partir de sa théorie de la justice, de justifier une représentation  qui demeure moins égalitaire que celle que ses critiques cosmopolites lenjoignaient dadopter  de la justice économique globale.2 Ce devoir nouvellement ajouté est cependant dune portée qui est à la fois trop grande pour que Rawls soit en mesure de le justifier et dune portée trop faible pour quil puisse résoudre à lui seul le problème de la pauvreté dans le monde.
                                             Pogge est Professeur de  Thomasphilosophie à lUniversité de Columbia aux États-Unis. Parmi ses publications, signalons : Realizing Rawls (Cornell University Press, 1989) et World Poverty and Human rights (Polity Press, 2002). 1Rawls (1999, p. 37). Pour une présentation de sa position antérieure, voir Rawls, 1993b, p. 55. 2Cf. Rawls, 1999, p. 115-119, discutant les positions de Beitz (1979) et de Pogge (1994).
Il est douteux que ce nouvel amendement sera adopté à la faveur de la position originelle, telle que Rawls la conçoit, puisque ny participeront que les peuples libéraux et convenables (decent). Chaque représentant est rationnel3 et cherche à établir un ordre international qui permette à son peuple de sorganiser de manière stable en fonction de sa propre conception de la justice et de ce qui est convenable.4 De tels représentants pourraient sentendre sur le fait de se porter assistance les uns les autres, lorsquil arrive que lun dentre eux est dans le besoin. Mais pourquoi serait-il rationnel pour eux de sengager à assister les peuples qui, vivant dans la pauvreté, nont jamais disposé dun ordre institutionnel libéral ou convenable ? Cette question attire notre attention sur le fait que la position originelle internationale de Rawls insiste par trop sur la préservation du caractère bien ordonné des sociétés libérales ou convenables et quelle se révèle, par conséquent, triplement contestable : en premier lieu, les peuples qui ne sont ni libéraux, ni convenables ne sont pas représentés au niveau de la position originelle internationale. Il en résulte que les intérêts de leurs membres sont complètement laissés pour compte.5 parce que les Ensuite,peuples (libéraux et convenables) comptentégalement, les intérêts de leurs membres individuels (selon la viabilité et la stabilité de leur ordre domestique) sont représentés de manière inégale au détriment de ceux qui appartiennent à des peuples plus nombreux.6 Enfin, dautres intérêts importants des membres de peuples libéraux et convenables ne sont pas
                                            3Rawls, 1999, pp. 32, 63 et 69. 4 Ibid., pp. 29, 33, 34-35, 40, 63-67, 69, 115, 120. Une société est bien ordonnée si elle sappuie sur un ordre institutionnel stable dont on peut dire quil est soit libéral soit convenable. 5rend problématique non seulement le devoir affirmé par Rawls de Cette caractéristique porter assistance aux sociétés connaissant de profondes difficultés, mais également son appel à des « interventions dingérence » dans les affaires des sociétés qui ne sont nullement bien ordonnées et qui commettent des atteintes flagrantes contre les droits de la personne (ibid., p. 94 n. 6). Même si de telles interventions ne correspondent pas à des actes de guerre (qui ne doivent pas être engagés pour des raisons autres que lauto-défense ibid., p. 37), elles peuvent impliquer des risques considérables pour ceux qui les entreprennent et dont les représentants naccepteraient pas, dun point de vue rationnel, le principe dune intervention qui irait au-delà de lautorisation ainsi accordée. 6moins en termes généraux, et se préoccupe de défendre sonRawls perçoit ce problème, du utilisation dune position originelle qui « soit équitable pour les peuples et non pour des personnes individuelles » (ibid., 17, n. 9)
représentés  par exemple, lintérêt quils portent à leur position socio-économique par rapport à celle dautres sociétés7  . Bien quil manifeste une exigence supérieure à ce que peut justifier sa position originelle internationale, Le devoir rawlsien dassistance demeure insuffisant. Ce devoir ne stipule quune viséeabsolue: aucun peuple ne devrait être empêché, du fait de sa pauvreté, de former une société libérale et convenable. Rawls soppose à toute viséerelative: passé le seuil absolu, les inégalités internationales ne sont pas limitées et deviennent par là même une question moralement indifférente. Rawls justifie ainsi son refus de faire place à la moindre viséerelative: dès lors quun peuple dispose des modestes capacités économiques nécessaires pour soutenir un ordre institutionnel libéral ou convenable, il est moralement libre de décider sil souhaite ou non accroître son épargne net. Sil ne le souhaite pas, son revenuper capita diminuerapar rapport à celui des peuples qui toujours plus choisissent dépargner et dinvestir davantage. Il a bien sûr le droit de prendre une telle décision, mais il doit aussi assumer la responsabilité des conséquences qui en procèdent. Il ne peut évidemment pas se plaindre ensuite des différences de prospérité qui se font jour  et encore moins demander une part du revenu plus important que les autres sociétés ont réussi à générer.8  On pourrait objecter à cet argument que les effets de décisions cruciales pour une société pèsent souvent sur des personnes qui ne jouèrent aucun rôle dans sa détermination  les générations futures ou les individus qui se situent au bas de léchelle dans une « société hiérarchique décente ».9 deux parties du second Les principe de justice domestique interdisent les institutions sociales qui font peser (au-delà de quelque seuil absolu) sur les seuls membres de cette famille, le poids de décisions coûteuses prises pour une famille. Les sociétés décentes, dans la définition quen donne Rawls, pourraient bien être engagées dans une démarche similaire de partage des charges domestiques. Il est donc difficile de voir pourquoi                                             7Pogge, 1994, p. 208-209. 8Pour cet appel au juste principe de lépargne, cf. Rawls, 1999, p. 106-107 et pour les deux histoires inventées illustrant de telles plaintes injustifiées en ce qui concerne linégalité internationale, cf.ibid., p. 117-118. 9 examine de manière extensive de telles sociétés, illustrée par un imaginaire Rawls Kazanistan, estimant que les peuples libéraux devraient accueillir celles-ci comme « des membres se tenant en bonne place au sein de la société des peuples ».
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