Sous le clavier d été, peut-on bronzer ?
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Page 1 sur 10 11.07.2012 - Sous le clavier d'été, peut-on bronzer ? Ici je réfléchis avec mon clavier. Je laisse de côté, volontairement tout ce qui concerne l'action du gouvernement de François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Je n'ouvre pas ici une succursale du mur des lamentations ! Je suis ailleurs. Pour être mieux là, ensuite. A partir du bilan que je fais de ma participation au « Foro de São Paulo » à Caracas, je fais des projets. Au total ça parle du Foro, de son histoire, du point où en est l'autre gauche internationale, de mes relations avec des personnages décriés par la presse vénézuélienne, du coup d'Etat qui vient d'avoir lieu au Paraguay, du scandale de la diffusion de délires du tueur en série toulousain. D'une réunion à propos de la façon d'être traités dans la presse de nos pays. Je ne sais pas si ce sont de bons sujets à lire en période de vacances. Mais il m'aura été utile de les mettre en mots. J'y trouve au moins mon compte, tant mieux si c'est le cas pour vous aussi. En ce moment je passe pas mal de mon temps avec deux vénézuéliens hors du commun. Tous deux parlent un français parfait. Le premier est Témir Porras, ministre des affaires européennes. Un intellectuel puissant, personnage montant, dans le sillage du puissant ministre des affaires étrangères, Nicolas Maduro. Ce dernier est au c?ur d'une tourmente médiatique qui implique aussi mon second partenaire quotidien du moment, l'ambassadeur du Venezuela au Brésil. Il s'appelle Maximilien Arvelaiz.

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Publié le 18 juillet 2012
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Langue Français

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Page 1 sur 10
11.07.2012 - Sous le clavier d'été, peut-on bronzer ?
Ici je réfléchis avec mon clavier. Je laisse de côté, volontairement tout ce qui
concerne l'action du gouvernement de François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Je
n'ouvre pas ici une succursale du mur des lamentations ! Je suis ailleurs. Pour être
mieux là, ensuite. A partir du bilan que je fais de ma participation au « Foro de São
Paulo » à Caracas, je fais des projets. Au total ça parle du Foro, de son histoire, du
point où en est l'autre gauche internationale, de mes relations avec des
personnages décriés par la presse vénézuélienne, du coup d'Etat qui vient d'avoir
lieu au Paraguay, du scandale de la diffusion de délires du tueur en série
toulousain. D'une réunion à propos de la façon d'être traités dans la presse de nos
pays. Je ne sais pas si ce sont de bons sujets à lire en période de vacances. Mais il
m'aura été utile de les mettre en mots. J'y trouve au moins mon compte, tant mieux
si c'est le cas pour vous aussi.
En ce moment je passe pas mal de mon temps avec deux vénézuéliens hors du
commun. Tous deux parlent un français parfait. Le premier est Témir Porras,
ministre des affaires européennes. Un intellectuel puissant, personnage montant,
dans le sillage du puissant ministre des affaires étrangères, Nicolas Maduro. Ce
dernier est au c?ur d'une tourmente médiatique qui implique aussi mon second
partenaire quotidien du moment, l'ambassadeur du Venezuela au Brésil. Il s'appelle
Maximilien Arvelaiz. J'ai déjà évoqué cet homme à plusieurs occasions dans ce blog
puisque nos routes se sont croisées à de nombreuses reprises, au hasard des
événements latino-américains dans lesquels je me suis impliqué. Qualifié « d'enfant
gâté de Chavez », Arvelaiz est devenu une sorte de bête noire de légende pour la
presse contre-révolutionnaire de ce pays. C'est-à-dire pour à peu près toute la
presse. On lui reproche d'être une sorte d'agent international du chavisme, porteur
de mallettes de dollars, organisateurs de coups électoraux et stratège régional
présent comme agent d'influence bolivarien partout et ailleurs. Cette mise en scène
surgit à propos des suites du coup d'état qui vient d'avoir lieu au Paraguay contre
un président de gauche, Fernando Lugo. Les réactionnaires du Paraguay ont fait
leur jonction avec ceux du Venezuela pour essayer de retourner l'opinion
internationale latino-américaine outrée par ce coup tordu qui se veut
« constitutionnel » ! Peut-être en avez-vous entendu parler en France ? Mais y a-t-il
de la place entre deux éructations médiatiques sur l'affaire du tueur en série
toulousain ? Ça m'étonnerait. Un résumé sera donc bienvenu je suppose.
Le président du Paraguay, Fernando Lugo, a été mis en cause au prétexte de son
incapacité à faire face à une tuerie entre forces de police et paysans à l'occasion
d'une occupation de terres chez le responsable du parti de droite du coin. Tel quel.
Le parlement a destitué Fernando Lugo en une après-midi, la cour suprême l'a
entendu et jugé en deux heures. Le record du monde de vitesse de l'impeachment !
Un gros coup monté, mal ficelé et stupide à huit mois des élections. Toute la région
sans exception, gouvernements de gauche et de droite pour une fois d'accord, a
condamné ce putsch de la même veine et méthode que celui perpétré il y a trois
ans contre Manuel Zélaya au Honduras ! Les putschistes paraguayens et les
réactionnaires du Venezuela s'accordent donc en ce moment pour essayer de
retourner la situation. Ils accusent le ministre Maduro et l'ambassadeur Arvelaiz
d'avoir fomenté un coup d'état contre la décision de destitution ! Un comble. «
»
s'est exclamé Chavez devant l'assemblée nationale du Venezuela à l'occasion de la
Fête de l'indépendance. Toute la fable s'appuie sur la présence sur place aux côtés
de Lugo des deux hommes. En fait les deux étaient là, en même temps que leurs
collègues des autres pays, envoyés en mission d'urgence sur place pour rencontrer
tous les protagonistes. Le montage tourne court depuis quarante-huit heures.
Nicolas Maduro, qui était accusé d'avoir appelé les soldats à désobéir, a été
disculpé par les militaires eux-mêmes témoignant devant les députés. Et le
procureur général du Paraguay a disqualifié les bandes vidéos produites à charge
contre Maduro et Arvelaiz. Je n'entre pas davantage dans les détails. Ce qui me
semble de très bon augure c'est que tous les gouvernements soient tombés
d'accord pour faire échec au coup d'Etat. Les Etats-Unis d'Amérique ne sont plus si
intimidants semble-t-il. Ce qui est de mauvais augure c'est que ce coup ressemble
tant à d'autres récemment commis, par sa méthode, ses protagonistes et sa
communication. Et qu'une fois de plus on doit déplorer un coup tordu dans un des
pays que vient de visiter Léon Panetta, le proconsul nord-américain. Ce qui me plait
beaucoup, c'est qu'avec Témir Porras, comme avec Max Arvelaiz j'ai l'occasion
d'apprendre en direct beaucoup de choses utiles sur le maniement gouvernemental
des relations internationales avec un pays voisin dangereux et paranoïaque comme
l'est l'empire nord-américain.
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Je suis venu ici comme observateur au titre de mon groupe au parlement européen
suivre le « Foro de São Paulo ». Celui-ci a duré la semaine prévue à Caracas, avec
son temps fort concentré sur les trois derniers jours. Des ateliers par dizaine ont
permis l'habituel exercice d'échanges et de constats partagés. Pierre Laurent est
intervenu au nom du PGE à la séance d'ouverture. J'étais prévu comme orateur
européen à la séance de clôture. Je me trouvais donc parmi les heureux élus qui
ont pu suivre les interventions, et notamment celle de Chavez, depuis la tribune, ce
qui est un poste d'observation privilégié pour apprendre des autres en regardant
faire les intervenants. Une certaine angoisse me nouait, à l'idée de l'exercice auquel
je devais me livrer avec cette prise de parole en espagnol devant deux mille
personnes dans une ambiance imprévue de meeting. J'en fus vite libéré. En effet
mon temps de parole a été avalé, ainsi que celui de cinq autres orateurs, par les
quatre premiers intervenants qui ont parlé une demi-heure au lieu des dix minutes
attribuées à chacun. J'ai donc pu m'absorber tranquillement dans l'écoute du
discours d'Hugo Chavez. Il a parlé deux heures. C'est peu pour lui qui peut faire
bien plus long et même davantage qu'on arrive à l'imaginer. N'a-t-il pas parlé une
fois, l'an passé, neuf heures et demie ? Ce soir-là, je l'observais donc avec
attention. Je suivais autant le contenu du propos que j'observais sa forme et son
mode d'organisation. A première vue, le discours semble aller à l'improviste. Il est
entrecoupé de cris et de slogans de la salle. L'orateur lui-même entremêle son
propos d'interpellations personnelles à l'un ou à l'autre, à la tribune ou dans la salle.
L'impression est trompeuse. En fait le propos est très contrôlé. Le thème central est
un fil rouge toujours maintenu. Chavez y revient avec une très grande précision. Il
renoue au millimètre, comme un arrimage de vaisseau spatial, après chaque
digression qui illustre parfois de loin le sujet central. Je m'amusais à le voir faire ces
raccords, en pensant aux méthodes que moi-même j'emploie dans de telles
circonstances. Mais on comprend vite combien son discours est un objet très
construit quand on voit se succéder, sans crier gare, des événements qui illustrent
le contenu du propos. Ils ne peuvent être improvisés. Ainsi quand son officier
d'ordonnance lui amène une très grosse édition commentée du « Capital » qu'il
exhibe comme illustration de ce qu'il décrit. Ou bien quand montent sur scène des
enfants des écoles à qui il remet un ordinateur. Ou encore quand une liaison
internet est prévue avec une ministre qui est ailleurs sur le terrain. En fait on ne voit
pas le temps passer. Surtout, l'aridité du propos est si largement épicée et enrobée
qu'on ne la sent plus vraiment.
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Ce soir-là le sujet était la nécessité d'organiser la transition vers le socialisme par
des politiques concrètes. Tous les ingrédients vivant du discours venaient illustrer
sa thèse. Comme je le décris ici le lecteur pourrait avoir l'impression qu'il s'agissait
d'un discours un peu académique. Il n'en est rien. C'est au point que certains,
même à la tribune, se sont laissés totalement emporter par les moments
d'interventions inattendues. Ils étaient ensuite bien plus perdus que l'orateur au
moment de reprendre le fil du propos. Je sais que certains ont été indisposés par
cette forme d'expression. Pas moi. Je comprends trop le souci d'éducation populaire
de cette méthode. Et puis il y a le fond. Pour moi l'essentiel, au-delà de la forme, est
l'accord que j'ai ressenti avec le fond du propos. C'est à dire avec l'obsession
d'inscrire le changement de société dans la dimension du concret. Et aussi de
l'implication populaire permanente. Ce n'est pas facile à penser et encore moins à
faire. C'est tout le thème de la révolution citoyenne et de la radicalité concrète, si
centraux dans notre campagne présidentielle que je retrouvais ici. Dit autrement,
bien sûr. Et en partant d'un point de départ totalement différent, cela va de
soi, après treize ans de pouvoir et plus d'une élection par an depuis le début du
processus. Ce que cette façon de faire apporte est neuf. Nous ouvrons une nouvelle
piste. Je voudrais montrer comment. Ne perdez pas le fil, je vais faire d'abord un
détour.
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Le « Foro de São Paulo » ne se réunit plus seulement à São Paulo du Brésil où il
est né. La preuve : nous étions cette fois-ci à Caracas. Et j'y ai déjà participé
lorsqu'il s'est réuni à Mexico en 2009. Sa réunion est à présent un événement
politique continental. Cela a été rappelé par Lula lui-même, qui en est un fondateur
avec son parti, le PT du Brésil. Dorénavant chaque session réunit un nombre
croissant de ministres et de dirigeants de partis de toutes tailles. Des observateurs
de toutes sortes y viennent des cinq continents et de tous les horizons de la
gauche. C'est même le cas de certains partis socialistes qui s'y inscrivent quand ils
sont dans l'opposition. Donc pas de PS français cette année ! Ah ! Comme il était
drôle de croiser des membres du PSOE ! Mais cette audience s'est construite de
longue main.
Le « Foro de São Paulo » a été créé en Juillet 1990, un an après la chute du mur, à
l'initiative du PT brésilien, à São Paulo au Brésil, d'où son nom. Il comportait alors
48 organisations de la gauche latino-américaine. Il en compte 90 aujourd'hui. Le
contexte compte beaucoup pour comprendre. Voici ce qu'en dit Lula :
[et]
les
gouvernements sociaux-démocrates adoptaient leurs premières mesures
d'ajustement néolibérales en Europe de l'Ouest ». Et puis c'était aussi au lendemain
de l'agression des Etats-Unis contre le Nicaragua, contre le Salvador et c'était le
moment de leur intervention militaire au Panama. C'était aussi l'époque des
premières négociations pour mettre en place le grand marché unique de toutes les
Amériques (ALENA) que l'empire menait à la baguette. Sans oublier l'interminable
et cruel siège de Cuba ! Les buts étaient donc tous tracés par la déclaration
fondatrice de 1990. Il s'agissait alors de « rénover la pensée de gauche et le
socialisme, de réaffirmer son caractère émancipateur, d'en corriger les conceptions
erronées, de dépasser toute conception bureaucratique et toute absence de
véritable démocratie sociale de masse ». A mesure du temps s'affirma la vocation
de «
». Au plan continental, le « Foro de São Paulo » affirme en outre sa volonté de
«
».
Quoiqu'il en soit, à cette époque, la mode était plutôt à l'adhésion à l'Internationale
socialiste. De son côté, le « Foro » paraissait très mineur et même marginal. Il n'en
fut rien. Avec l'effondrement quasi généralisé des partis socialistes dans la
corruption, le néo libéralisme et les alliances à droite, le « Foro » est vite devenu un
recours général.
S'y retrouvèrent tous ceux qui cherchaient vraiment, chacun à sa
manière, le moyen de fonder une alternative au capitalisme de notre époque en
Amérique du sud. Les observateurs venus se faire voir ne sont arrivés que bien
après.
En fait, le « Foro » ne serait rien de ce qu'il est devenu s'il n'avait été bénéficiaire de
la dynamique produite par les « forums sociaux mondiaux » qui se sont tenus à
partir de l'an 2000 également au Brésil. En France, les deux figures emblématiques
de ces forums sont Bernard Cassen et Ignacio Ramonet. Forum et « Foro », ne pas
confondre ! Les « forums sociaux mondiaux » de Porto Alegre ont vraiment rempli
une fonction de dynamisation pour toute cette autre gauche mondiale. Après la
chute du mur de Berlin, c'est de cette façon, à partir de leur dynamique que tout a
pu être recommencé. Chacun avait besoin de voir les autres, de se reconnaître
mutuellement. Et de prendre conscience de l'état des forces disponibles. Rude
épreuve ! Tout le monde semblait perdu et sûr de rien. Se chevauchaient au plan
politique, dans une ambiance de foire aux idées, les restes des partis communistes
et des mouvements qui s'étaient en partie lourdement entre-combattus. Et il y avait
aussi de nouvelles formations politiques, quasi totalement vierges des anciens
conflits. Celles-là aussi, comme leurs dirigeants, ont fait du chemin ! Tous les
actuels chefs de gouvernement de la vague démocratique sont passés par les
« forums sociaux mondiaux » et, d'une façon ou d'une autre, certes pas toujours
très réussie, par le Foro de São Paulo ! Il régnait cependant dans ces lieux de
débats une grande curiosité joyeuse. Et beaucoup de modestie. Au point parfois de
paraître finalement velléitaires. L'idée magique des forums sociaux mondiaux fut
d'avoir immédiatement lié mouvements politiques et mouvements sociaux dans une
même dynamique d'échanges. Et davantage encore d'avoir rassemblé sans aucun
sectarisme tous ceux qui acceptaient de se retrouver. Le brassage était incroyable.
J'en garde un souvenir formidable ! Comment oublier qu'étant ministre en exercice,
je fus associé à la commission de rédaction de la motion sur l'enseignement que
produisit le forum en 2001, assis entre des syndicalistes de toutes les Amériques et
d'Europe ? Le niveau d'extrême généralité auquel se tenaient les documents
conclusifs n'était pas un problème. Ce fut surtout une période d'ébullition, de
brassage, ou peu comptait en définitive ce qui se concluait. La prise de contact et le
brassage était l'essentiel. Selon moi cette période est achevée. Il faut passer à autre
chose. A une autre étape.
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Voici le retour au fil conducteur, après cette digression destinée à mettre en scène
le moment présent. J'ai dit qu'il fallait passer à une autre étape de la vie des
rencontres internationales de l'autre gauche. Evidemment, le système des
rencontres de type « Forum social » et « Foro » conserve une utilité évidente. C'est
un terreau qui est toujours capables de faire lever des contacts et des
apprentissages mutuels. Mais pourquoi en rester à des analyses générales, des
échanges de bilan et de descriptions, même bien informées ? Comment et pourquoi
passer à côté du fait que nous gouvernons déjà tant de pays décisifs en Amérique
du sud ? Que dire des pratiques gouvernementales ? Ne sont-elles pas une
ressource formidable d'idées et de savoir-faire ? Ne sont-elles pas un matériau de
base pour évaluer ce que peuvent être des transitions vers d'autres modèles
d'organisation de la société ? En France, une démarche de ce type a été initiée
avec la formation du réseau « la gauche par l'exemple » qu'anime en particulier
Gabriel Amard du Parti de Gauche. C'est à partir de pratiques à vocation universelle
que beaucoup peut se construire. Si je cite ici Gabriel Amard c'est évidemment pour
sa participation théorique et concrète à la bataille pour la propriété publique de l'eau
et de sa distribution. Ce n'est pas pour rien que la multinationale lyonnaise a pris le
risque d'embaucher une agence pour le déstabiliser, notamment en se proposant
d'acheter des influences dans les médias locaux et nationaux (c'est donc
possible !). « Marianne 2 » et « Médiapart », en sortant cette affaire ont ouvert un
dossier qui est une première en France. Une multinationale se donnant ouvertement
pour objectif de nuire à un élu ! Dès lors, pour nous, quoi de plus concret comme
démarche collectiviste, écologiste et anti-capitaliste que cette sorte de bataille-là ?
N'est-elle pas d'autant plus révolutionnaire dans son contenu, ses méthodes, et sa
portée qu'elle repose sur une réalisation concrète, ici à l'échelle d'une communauté
d'agglomération ? N'est-elle pas d'autant plus clivante qu'elle permet de situer de
façon simple et compréhensible, par tous et pour tous, ce que veulent dire deux
orientations politiques aussi distinctes que la mise ou non en régie publique de cette
ressource fondamentale indispensable à toute vie humaine ? Tel doit être selon moi
le nouvel âge des forums politiques internationaux.
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J'ai commencé ici à Caracas, à tester autour de moi avec des camarades, des plus
illustres aux moins connus, cette idée. Evidemment avec mes amis Vénézuéliens.
Mais c'est avec les Equatoriens que la discussion est entré dans le vif, après que
j'ai rencontré Ricardo Patiño le ministre des affaires étrangères de Rafael Correa, le
président de l'Equateur. Il est vrai que c'est eux qui m'ont entrepris sur la nécessité
d'avoir des modes opératoires entre latino-américains et européens partisans de
« la révolution citoyenne ». C'est à partir de cette discussion que j'ai avancé des
propositions. L'idée d'un forum international pour la Révolution citoyenne est née de
cet entretien. J'en tiens la prémisse, déjà bien échafaudée, de la commission
internationale du Parti de Gauche avec qui je travaille très étroitement. Je ne vais
pas détailler à cet instant le contenu complet de cette démarche. Ce serait sans
doute trop pesant. Je veux juste en évoquer le cadre pour mes lecteurs qui ont la
patience de venir me lire en plein été !
La question posée serait de donner son contenu concret à la théorie de la
Révolution citoyenne. D'abord en tant que pratique gouvernementale. Ce serait déjà
considérable ! La radicalité concrète par l'exemple, voilà l'idée. J'ai vu, par exemple,
Hugo Chavez présenter à la tribune, pendant le discours, des billets de monnaies
locales comme un exemple de bonnes pratiques sociales. Auparavant il avait
évoqué la formation d'un réseau bancaire public au niveau des collectivités locales.
Il présentait tout cela comme des transitions vers le socialisme. Pourquoi ce type de
sujets et de pratiques seraient-ils les absents de nos discussions « sérieuses » ?
Mais il y a un autre aspect à mettre en mots pratiques. C'est celui de la stratégie de
conquête du pouvoir. Comment « Révolution citoyenne » et victoire par les urnes
s'articulent-elles concrètement. Pourquoi n'en parler jamais ? Rien ne m'agace
davantage que les formules qui restent dans le vague ou qui font l'objet de mines
entendues en lieu et place de plans clairement énoncés. Si l'on veut que l'idée d'une
transformation aussi profonde que celle que nous avons en vue et que nous
nommons pour cela « révolution » sorte du nuage dévastateur des idées confuses
et anxiogènes, il faut décrire et ancrer dans le réel ce que nous voulons dire, à la
fois pour ce que nous ferons et pour ce qui est du moyen de parvenir à le faire.
Cette sorte de démarche pragmatique est la marche d'escalier intermédiaire
dorénavant indispensable entre la méthode des « forums » et celle d'une
improbable nouvelle internationale. De cette façon je réponds à Hugo Chavez qui a
posé la question dans son discours de clôture du « Foro » l'autre jour. Il demandait :
«
» Et aussi : «
». Plus piquant il soulignait : «
». On peut faire tous les reproches
que l'on veut à Chavez mais pas celui de parler à mots couverts. Ce qui a été dit
aussi crûment mérite une réponse. Je crois que je viens de le faire et je pense que
mes lecteurs en mesurent la portée possible.
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C'est un hasard, mais il peut être parfois si distrayant ! Notre repas ce dimanche-là,
dans ce restaurant italien de Caracas, était déjà sévèrement perturbé par les échos
d'un meeting de l'opposition. Il se tenait en effet à quelques dizaines de mètres de
là. Comme il était tellement surréaliste de faire le point sur la campagne électorale
au Venezuela dans de telles conditions ! Le hasard étendit son empire. Arrive un
type immense qui parle fort et serre la main du patron avec une vigoureuse
accolade. Mon voisin de table éclate de rire : il a reconnu le directeur de la
campagne présidentielle de la droite. Monsieur Briquet, un descendant de français
me précise-t-on. Une certaine soupe à la grimace commence donc en face de nous,
à la table de Briquet. Car nous sommes trois pestiférés bien connus et reconnus :
Témir Porras, ministre des affaires européennes de Chavez, Ignacio Ramonet et
moi. Le diable rouge en trois personnes ! Madame Briquet nous mitraille
abondamment avec son portable. Ses regards me fascinent plus que tout. On dirait
qu'elle observe des martiens gluants.
Il est vrai que peut-être finissent-ils par croire à leur propre propagande. Les
caricatures et insultes les plus abjectes courent sur Chavez et ses partisans avec
une violence dont nous commençons seulement à connaître l'équivalent en Europe
et surtout en France. J'ai mentionné et illustré ce point dans chacun de mes
précédents carnets de voyage en Amérique du sud tant j'avais été frappé par le
niveau de bassesse des coups portés. Je m'arrête un instant sur ce point. Car j'ai
de l'inédit. Ici, au Foro de São Paulo, nous nous sommes vus, à plusieurs, venus de
divers pays d'Europe et des Amériques, pour faire un état sur la façon dont la
presse traite les porte-paroles de notre gauche dans nos pays respectifs. Les
hommes font l'objet d'un registre d'arguments quasi identiques d'un pays à l'autre.
On montre du doigt leur agressivité, leur amitié pour Cuba et ainsi de suite.
Plusieurs sont comparés à des animaux. Le singe tient le haut du pavé. Un d'entre
nous a eu droit à être comparé à un porc avec cette précision supposée amusante :
"grouink ! grouink !". Les femmes dirigeantes souffrent d'un niveau plus élevé
d'insultes personnelles incluant évidemment leur vie sexuelle supposée ou leurs
liaisons supposées. Le recours au vocabulaire connoté pour introduire nos citations
tel que « éructe », « vocifère », dont je croyais qu'il m'était réservé, est en réalité
partout présent. Ce constat commun nous fit un bien inimaginable. En effet le
harcèlement dont nous faisons l'objet dans ce registre provoque chez chacun de
nous des réactions psychologiques convergentes. Par exemple ce sentiment
d'encerclement que chacun a décrit avec ses mots. Ou bien le dégoût quasi
physique, si difficile à surmonter, à l'égard des « journalistes » qui se spécialisent
dans cette activité et qui peut conduire à des décisions contre-performantes. Mais
nous étions moins préoccupés de psychologie que de sens politique. Le problème
soulevé n'est pas réservé aux seules victimes de ces traitements dégradants. C'est
surtout l'enjeu de l'accès à une information honnête et décente qui est posé.
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L'épisode de la diffusion des délires du tueur en série Toulousain en atteste. Le
croisement entre le goût morbide du voyeurisme, rebaptisé « devoir d'information »,
les coups de billard à dix bandes entre officines qui en jouent et les effets pervers
de la reprise en boucle nous ont montré une fois de plus jusqu'où peut aller
l'irresponsabilité sociale du système médiatique. S'agissant du tueur en série je ne
sous-estime pas non plus le coût désastreux de l'exhibitionnisme prétendument
religieux de l'assassin, complaisamment relayé par une certaine presse écrite,
heureusement encore moins lue en cette période de l'année. Cet épisode répugnant
de la vie médiatique ne servira naturellement pas de leçon. Au contraire. La
concurrence libre et non faussée dans ce domaine justifiera de nouveaux excès.
Dans le cas de l'information politique, cette situation implique gravement la vitalité
démocratique de nos sociétés.
D'ailleurs le problème du niveau d'abaissement polémique des médias et de leur
inclusion aux avant-postes des dispositifs du combat néo-libéral jusque dans ses
formes les plus répugnantes fait l'objet d'une mention particulière de la résolution
finale du Foro de São Paulo. Le point six de ce texte pose un diagnostic et ouvre le
débat. «
» Je précise que je ne suis pas l'auteur de ce paragraphe et que je n'ai
pas participé à la décision de l'inclure.
Voilà qui rejoint totalement ce que j'ai pu en dire ici tant de fois, après tant d'autres.
Le travail d'Acrimed, ou de « Arrêt sur Images » ont maintes fois démontré le
caractère grégaire des ritournelles médiatiques. Le livre d'Ignacio Ramonet sur le
passage des mass-médias à la masse des médias le décrit si bien. Rien n'est plus
propice à la propagation des manipulations que ces bégaiements du mouton
médiatique. Comme il est frappant alors de constater combien, trop souvent, on
croit qu'il est question d'une affaire personnelle ! Combien de fois nous a-t-on
susurré que tout pourrait se régler si nous mettions de l'eau dans notre vin face à tel
ou tel des médiacrâtes ou de ses deuxièmes couteaux ! Quelle illusion nombriliste !
Le regard croisé à ce sujet, sur tout un continent, permet de mieux comprendre
l'enjeu en prenant la mesure du caractère systématique de l'engagement partisan
de l'essentiel des grands réseaux médiatiques. Nous nous souvenons tous avoir vu
la sphère médiatique quasi au complet se mettre en chaîne pour matraquer le vote
« Oui » à la constitution européenne. Et, depuis cette date, on ne compte plus les
campagnes partisanes de cette sorte. Elles sont surtout menées pour soutenir de
toutes les façons possibles, du mensonge à l'omission, les plus piteuses palinodies
de la scène européenne et accabler par tous les moyens de dénigrement leurs
adversaires. On vient d'en avoir une nouvelle démonstration avec le traitement du
dernier sommet européen et la pitoyable affaire du pacte de croissance de François
Hollande. A notre tour, nous devons prendre en main une campagne sans
complexe et sans connivences pour le renouveau et l'émancipation du travail
médiatique qui est une tâche de notre Révolution citoyenne. L'épisode de la
disqualification professionnelle de six prétendus « journalistes » du « petit Journal »
qui n'ont pas eu droit à une carte de presse montre qu'il est payant de tenir bon et
de ne pas se laisser faire, contrairement aux recommandations et intimidations qui
avaient été faites à l'époque.
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Je reviens à mes voisins de table dans ce restaurant italien. Je m'efforçais de
deviner à leur mine l'ampleur du dégât qu'a subi leur campagne du fait de notre
meeting de clôture du Foro de São Paulo. Vous allez apprendre pourquoi. En effet,
le candidat de la droite avait largement amorcé sa campagne sur le thème «
».
C'était assez bien joué dans la mesure où ce candidat est issu de l'aile dure de la
droite. La stratégie du choc frontal n'a pas donné de grands résultats pour la droite
à ce jour ici, comme on le sait. Le subterfuge n'a pu être tenté qu'en raison de l'aide
des socialistes locaux. En effet le candidat de droite a été désigné à l'issue d'une
primaire à laquelle le parti socialiste local s'était associé. Mais oui. Vous avez bien
lu. Le PS local a participé à une primaire avec la droite. Le candidat de la droite en
béton, Henrique Caprilès Radonski l'a emporté. Il jouait donc le personnage du
gentil centre gauche, aussi incroyable que cela puisse paraître de la part de tels
gorilles. Patatras ! Vendredi a été diffusé devant tout le public du « Foro de São
Paulo », et les millions de téléspectateurs qui suivaient la séance, une vidéo de
Lula. Il y affiche un soutien lyrique et émouvant à Hugo Chavez. Il y rappelle sa
contribution à l'histoire de l'émancipation de l'Amérique latine. Il conclut en disant : «
» Ici au moins la campagne de confusion qui dure encore sous nos latitudes ne
fonctionne plus. La thèse du gentil Lula face au méchant Chavez a vécu. Lula en
personne s'est chargé de la démentir. Que cela nous serve aussi définitivement à
comprendre qu'il s'agit en Amérique du sud d'un processus unique de changement
dont les formes différentes, d'un pays à l'autre, loin de pousser à la divergence
pousse aux efforts d'unité d'action. Cette leçon doit nous servir pour bien penser et
préparer ce qui va nous arriver, le moment venu, en Europe.
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