Claire Cossée Cossee.claire@wanadoo.fr 0140331364 Thèse pour l'Université Paris 8 Tsiganes et politiques : vers quelle re-présentation ? Représentation politique et mouvements minoritaires en France et en Hongrie présentée et soutenue le 9 décembre 2004 à Paris 8 Saint-Denis. Résumé Objet : Le mode d’écriture du mot re-présentation, utilisé dans le titre de cette thèse, entend souligner trois significations différentes mais liées entre elles de la notion : Le préfixe « re » signifie l’idée d’une nouvelle présentation de soi – en tant que soi collectif-, de la part de leaders associatifs ou institutionnels tsiganes, en réaction aux multiples images négatives entachant les personnes et les groupes qu’ils re-présentent alors sous un nouveau jour. La deuxième signification s’inspire de la terminologie théâtrale : l’espace de négociation entre représentants des intérêts tsiganes et leurs interlocuteurs, notamment les pouvoirs publics, est entendu en tant que métaphore de la scène et de la représentation théâtrale. La scène politique est scène de théâtre, et nécessite une mise en scène de soi. Enfin, la troisième signification est la plus commune, il s’agit de la représentation politique au sens classique. En effet, dans la plupart des pays européens, mais aussi au niveau international, émerge depuis quelques dizaines d’années un mouvement politique, subdivisé en plusieurs branches, cherchant à influer sur le sort et le traitement des ...
Claire Cossée Cossee.claire@wanadoo.fr0140331364 Thèse pour l'Université Paris 8 Tsiganes et politiques : vers quelle re-présentation ? Représentation politique et mouvements minoritaires en France et en Hongrie présentée et soutenue le 9 décembre 2004 à Paris 8 Saint-Denis. Résumé Objet : Le mode décriture du motre-présentation, utilisé dans le titre de cette thèse, entend souligner trois significations différentes mais liées entre elles de la notion : Le préfixe re » signifie lidée dunenouvelleprésentation de soi – en tant que soi collectif-, de la part de leaders associatifs ou institutionnels tsiganes, en réaction aux multiples images négatives entachant les personnes et les groupes quils re-présentent alors sous un nouveau jour. La deuxième signification sinspire de la terminologie théâtrale: lespace de négociation entre représentants des intérêts tsiganes et leurs interlocuteurs, notamment les pouvoirs publics, est entendu en tant que métaphore de la scène et de la représentation théâtrale. La scène politique est scène de théâtre, et nécessite une mise en scène de soi. Enfin, la troisième signification est la plus commune, il sagit de la représentation politique au sens classique. En effet, dans la plupart des pays européens, mais aussi au niveau international, émerge depuis quelques dizaines dannées un mouvement politique, subdivisé en plusieurs branches, cherchant à influer sur le sort et le traitement des Tsiganes. Ces tentatives daction collective signifient, pour les Tsiganes historiquement absents des principales formes de luttes collectives, lexpérimentation dune réelle transformation de leur mode dinscription dans nos sociétés. Des tentatives militantes de représentation de leurs intérêts et de défense de leurs droits émergent y compris en France, où les pouvoirs publics recherchent des interlocuteurs autonomes. Ainsi la demande dune reconnaissance et dune participation politique prend de limportance de la part des populations tsiganes, tout autant que les volontés politiques de prise en compte de ces revendications se développent, voire sinstitutionnalisent. Comme cest le cas en Hongrie, où les minorités définies comme telles, dont les Tsiganes, peuvent élire des représentants au niveau local et national, qui constituent des Conseils minoritaires. Lémergence dune parole collective tsigane est grandement influencée, dune part, au niveau supranational, par les directives européennes en matière de participation des minorités » et plus généralement, de redéfinition des modalités de consultation des administrés (lempowerment) ;dautre part, au niveau national, par les velléités dorganisation et dinstitutionnalisation de cette représentation, dans un souci de participation des bénéficiaires des politiques publiques mais aussi, de contrôle de populations considérées comme potentiellement dangereuses ».En France cette reconnaissance institutionnelle dinterlocuteurs est embryonnaire et chaotique. Ce phénomène émergent pose des questions spécifiques, à la fois dordre sociologique et politique, que naurait pas posé de façon aussi emblématique lorganisation dautres collectivités ensituation minoritaire (Pierre-JeanSimon, 1996). Car, sils sont comparables
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historiquement à dautres groupes,à la fois sans pays dorigine et marginalisés dans ceux où ils ont vécu, les Tsiganes présentent plusieurs spécificités. Ils nont pasunterritoire autonome de référence, ni un Etat dorigine commun à tous et qui pourrait se porter garant de leur existence sur dautres territoires. Ils nont globalement ni terre mythique, ni revendication territoriale politique à caractère nationaliste. Par ailleurs, contrairement à dautres groupes historiquement minoritaires et marginalisés, rares sont les contextes, à lintérieur des pays européens, où une élite tsigane sociale, économique ou intellectuelle se serait constituée. Ainsi, avant lémergence des diverses branches de ce mouvement à partir des années 1970, qui sest particulièrement développé depuis, ils navaient que très rarement défendu avec une telle ampleur leurs intérêts selon le mode majoritaire. A léchelle historique, lorganisation de la défense des droits politiques tsiganes est à létat embryonnaire. Leur existence collective sest donc, jusquà la période contemporaine, perpétuée sans le support des élites, contrairement à dautres groupes minoritaires : Lesystème tsigane est un mode dêtre collectif et individuel qui permet à des familles, sans aucun appui des élites, de constituer une culture non subalterne pour éviter le piège de la déchéance physiologique et morale qui guette toute population pauvre ».(Asséo, janvier – février 2002, p.196). Cest notamment cette absence délite qui fait communément apparaître la perpétuation historique des Tsiganes comme un mystère »,dautant plus que le traitement qui leur a été infligé jusquà aujourdhui aurait voué à disparition, en tant quexistence collective, bon nombre dautres groupes minoritaires. Historique et contexte : Bien quabsents de la scène politique jusquà des temps récents, ils constituent pourtant, de longue date, et dans la plupart des pays européens, une question » récurrente, de même quune population cible des politiques publiques, et ce, quelles que soient l'histoire et les particularités des divers groupes tsiganes. En Hongrie, on parle de la question tsigane ».En France, bien que de façon moins visible mais avec autant de passions, du problème des gens du voyage » dun côté, et des problèmes dus à limmigration récente de familles roms de lautre. Ces deux dernières populations étant largement confondues alors que les modalités et lancienneté de leur inscription en France sont totalement différentes. Il suffit de parcourir les débats parlementaires autour de la mise en place des lois récentes sur linsécurité », pour sassurer de cet amalgame. Or, à moins dentendre la locution gens du voyage » selon une définition euphémique cest-à-dire ethnicisée, les Roms migrant des pays de lEst ne sont plus des voyageurs». Dailleurs, certains de leurs intellectuels récusent totalement ce vocable qui ne désigne en rien leur mode de vie. Les Gens du voyage» français, quant à eux, sont extrêmement conscients du risque que représente pour eux cet amalgame avec les Roms migrants, puisque que la reconnaissance de leur citoyenneté et de leur appartenance aucorps national est dores et déjà perpétuellement sujette à caution. Ainsi, les deux désignations ne se recoupent pas, comme le montre une partie importante de cette thèse consacrée à la déconstruction des multiples épithètes qualifiant cet ensemble pluriel, en dautres termes, des hétéro et auto désignations au sein des deux pays, ainsi que sur la scène européenne. Appellations qui relèvent denjeux beaucoup plus larges, notamment celui du pouvoir de nommer, et pour le mouvement tsigane, celui de la revendication dun droit à ne pas être uniquement définis de lextérieur. Il est sans doute difficile de définir avec certitude et selon une explication unilatérale le pourquoi de cette question tsigane ». Quelles sont les raisons de cette mise sous éclairage
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récurrente de la part des dispositifs institutionnels, administratifs et sociaux ? Contrairement aux lieux communs, la persistance dun racisme spécifique à légard des Tsiganes ne peut seule, suffire à comprendre la question ».Car encore faudrait-il prouver que ce rejet séculaire sest basé sur les mêmes fondements selon le lieu et lépoque. Or, dans tous les cas, cet anti-tsiganisme » est multiforme. Dans la plupart des pays dEurope, les Tsiganes représentent pourtant de manière tout à fait significative la figure emblématique de létranger, entendu dans le sens des travaux récents menés sous la direction de Anne Gotman(2004, p.3) : non seulement les étrangersstricto sensu(étranger national), mais [] tout groupe, famille ou individu qualifié comme autre en vertu de sa provenance, de sa mobilité, de sa culture ou de sa religion. ». Non pas létranger absolu et inconnu, mais un étrangermal connu,présent sous e diverses formes fantasmées dans la mémoire de nos sociétés depuis le 15siècle. A linverse de la figure du travailleur immigré du Maghreb des années 1950, puis post-colonial, la figure du Tsigane reste en dehors de léconomie industrielle en France, alors quil y a pleinement participé en Hongrie. Les institutions du Socialisme dEtat y ont mis toutes leurs énergies. Il nen demeure pas moins que les Tsiganes représentent une figure décalée au sein même de nos sociétés, de ce qui y fait sens et organise le lien social de façon centrale jusquà récemment. Mais ce contexte change dun pays et dune époque à lautre, en même temps que les fondements de laltérisation des Tsiganes en fonction de ces contextes. Cest pourquoi la comparaison internationale est intéressante. Cest aussi la raison pour laquelle lhistoricité prend une part relativement importante dans cette thèse. Ainsi, en Hongrie, les Tsiganes ont été la cible dune politique dassimilation extrême de la part du Socialisme dEtat, luttant contre le maintien de formes de vie communautaire et dun idiome minoritaire, mais peut être surtout, la non-affiliation systématique des enfants à lécole, et de leurs parents au salariat ouvrier. La politique menée par ce régime à l'égard des Tsiganes sest centrée sur une véritablement entreprise dinclusion selon les normes de la modernisation, définies en France en des termes similaires : éradication de lhabitat insalubre et ségrégué, hygiénisme, éducation scolaire et populaire »,inscription dans le monde ouvrier. Selon ce régime, et la plupart des pays communistes de cette période, le principe des nationalités» ne sappliquait pas aux Tsiganes (Asséo, janvier – février 2002, p.198) voués, pour la Hongrie, à une fusion totale avec les Magyars. e En France, durant le 20siècle, leur invisibilité sociale et politiqueest liée à leur non-affiliation,supposée ou réelle, au salariat, véritable souche du lien social des sociétés modernes, espace dorganisation de la défense dintérêts communs, à travers le syndicalisme et plus largement le monde ouvrier. En France aussi, la question » est liée à la persistance de liens communautaires forts et à litinérance ou en tout cas, la vie en caravane. La résidence et le domicile (fixe) étant aussi, au niveau local, la clé de linclusion citoyenne. Cependant, et toujours grâce à la comparaison avec dautres pays comme la Hongrie où les Roms ne sont pas itinérants et ne vivent pas en domicile mobile, on saperçoit que la mobilité nest peut-être pas lélément fondamental de ce qui fait problème». En France, itinérants ou pas, vivant en caravane, en appartement ou en maison, les Tsiganes posent question également du fait quils restent attachés à des liens familiaux de types communautaires liés à leurs modes dinscriptions économiques en dehors du salariat – bien que certains dentre eux soient ou aient été salariés à un moment de leur vie, et bien quà linverse, le fait de privilégier le statut de travailleur indépendant caractérise dautres personnes et groupes. Ce sont surtout les mécanismes daltérisation, de ségrégation et dassignations identitaires qui apparaissent transnationaux aujourdhui à légard des Tsiganes. Ces processus sont particulièrement observables au niveau de lhabitat et du logement. Les logiques,
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analysées en France, des politiques de relogement de populations migrantes et précaires sont comparables à celles observées en Hongrie vis-à-vis de ces familles roms pauvres, lorsque traversées par les enjeux de la rénovation urbaine. Lutte contre lhabitat insalubre que Claire Lévy-Vroelant et Jérôme Ségal (2003) qualifient, dans ce contexte, de cheval de bataille dhier et daujourdhui de politiques ambiguës dont le contenu très consensuel (comment être pour linsalubrité ?) cache le rejet hors périmètre des populations indésirables».Les problèmes de relogement des familles pauvres et roms en Hongrie sont innombrables et largement traités dans cette thèse; de même que la question de laccueil »des Gens du voyage »qui pose aussi des questions de ségrégation sociale et spatiale. Ce nest pas un hasard si laction des associations tsiganes dans les deux pays se focalisent grandement sur les problèmes dhabitat. Selon les périodes et les contextes, ce ne sont donc pas directement les Tsiganes en eux-mêmes qui fontmais plutôt le fait quils se trouvent à lintersectionproblèmes », denjeux sociétaux plus larges. Cest particulièrement le cas actuellement, où la question » surgit au niveau national, de façon de plus en plus visible et chargée politiquement. Au cours de lété 2002, le débat social et politique sur linsécurité » a placé les Gens du voyage » et leurs possibilités dexistence en plein cœur de lactualité ».Un long travail delobbyingmené par des élus locaux et des acteurs des champs professionnels en charge de lordre public, a conduit à la désignation des Gens du voyage» comme nouvelle classe dangereuse ». Un Collectif de militants a été crée par les associations de défense des intérêts tsiganes à cette occasion, qui fait lobjet dune analyse dans cette thèse. Son objectif était notamment de lutter contre la résurgence des discours racistes dans lespace médiatico-1 politique . Après la suspicion sur les revenus, la représentation criminogène dune population envahissante et dangereuse, lamalgame dune part avec les réseaux criminels en provenance des pays de lEst, ainsi que la confusion dautre part avec les Roms demandeurs dasile vont encore renforcer les images dune altérité dangereuse. Cette confusion touche les Tsiganes itinérants français ou établis de longue date en France, dont les problématiques nont guère à voir avec celles des demandeurs dasile. La confusion systématiquement effectuée entre immigration des Roms d'une part, et filières clandestines de prostitution et dexploitation de la ème mendicité d'autre part, nest pas plus juste. Tout comme au début du 20siècle et la mise en ème place de ses brigades du tigre », les Tsiganes français du début du 21siècle se trouventà lintersection de plusieurs enjeux qui les dépassent, notamment laréorganisation des forces de police sur le territoire national, en tant que population cible des dernières lois sur la 2 sécurité . Linflation sécuritaire correspond plus largement et parallèlement, à une réorientation des politiques publiques. Cette réorientation se caractérise, selon Loïc Wacquant, par une délégation des problèmes sociaux urbains à la main droite »de lEtat - celle qui rétablit lordre public et se base sur la pénalisation et la sanction-, au détriment de la main gauche » de lEtat - celle des politiques sociales, celle qui protège les individus en aval des risques du chômage, de la misère, de la violence, mais aussi du racisme, des discriminations, etc. A linstar de cette analyse, nous constatons une pénalisation de lexistence des Gens du voyage », de même que des demandeurs dasile roms, et dautres groupes stigmatisés soit par une précarité importante soit par le regard ethniciste et communautariste qui leur est appliqué. La question sinscrit donc dans un changement de paradigme des politiques publiques, pour reprendre cette fois-ci les termes de Zsuzsa Ferge à propos de la Hongrie (Ferge, 1998).
1 Ainsi un élu a t-il pu parler publiquement des gens du voyage » comme constituant le fléau de demain ». 2 Henriette Asséo, La gendarmerie et l'identification des "nomades" (1870-1914) », in Jean-Noël Luc (Dir.), Gendarmerie, Etat et société au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.
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Parallèlement, en France la place des Gens du voyage » relève denjeux mais aussi de contradictions plus globales dans bien dautres domaines: la référence persistante mais illusoire au modèle du travail stableet la nécessité de repenser la centralité du travail, aujourd'hui en miettes » ; La faillite de lEtat social, comme dans les autres pays européens, et le peu de réponses proposées par les services sociaux, au-delà de la psychologisation des bénéficiaires qui seraient incapables de se responsabiliser » ;Les discriminations qui existent, au sein des institutions françaises et sur le marché du travail dans un Etat qui brandit désespérément son modèle intégrateur. Par ailleurs, les migrants roms dEurope de lEst représentent un enjeu énorme pour les politiques migratoires de lespace Schengen, au moment de laccession à lUnion européenne de certains pays dEurope centrale et orientale, y compris la Hongrie, où la proportion de Roms est élevée. Ainsi, on ne sétonne guère de voir confondues politiques migratoires et gestion policière du territoire européen, y compris par une redéfinition au sein de chaque Etat-nation, des figures de létranger ».Selon Claire Lévy-Vroelant et Jérôme Ségal (2003), à propos des expulsions répétées des Roms roumains cherchant asile en France : Aussi, lacharnement actuel contre les Roms doit être compris comme un galop dessai pour décider et imposer rapidement des modifications nécessaires de lordonnance de 1945 relative aux conditions dentrée et de séjour en France des étrangers. » On se demande donc effectivement si la figure du Tsigane comme étranger intérieur de lEurope ne risque pas de simplanter réellement profondément avec laccession de certains pays dEurope de lEst à lUnion Européenne. Problématique Cette thèse interroge donc, au-delà de son principal objet - lémergence de représentants des Tsiganes sur la scène politique - des problématiques plus générales : -Dune part, celle de la redéfinition des politiques publiques en Europe, au niveau global et au niveau national (Ferge, Tausz, Darvas, 2003). Notamment, la gestion publique de lhabitat des familles précaires, y compris migrantes (Lévy-Vroelant, 2003) ou perçues comme étrangères, ainsi que la pénalisation de la précarité (Wacquant, 1999). -Dautre part, celle de la redéfinition des frontières entre membres et non-membres des collectivités locales (Gotman, 2003), ainsi que de la redéfinition des figures de létranger dans lespace européen (Asséo, 2002), dans le contexte évolutif des politiques de l'immigration et de l'ouverture des frontières (Fassin, Morice, Quiminal, 1997). Ainsi comme lécrit lhistorienne Henriette Asséo (2002, p. 198) : le traitement administratif imposé aux populations tsiganes en Europe anticipe toujours une évolution plus générale sur les questions sensibles de lattribution de la citoyenneté, de la libre circulation, de laccès aux droits sociaux. Lenjeu ne se résume pas, en effet, à lanalyse des fonctions politiques du droit des minorités nationales ». Cependant, lapproche principale de cette thèse constitue lanalyse de lémergence dune 3 plainte, et surtout de la mise en mot de cette plainte, oumise en récit, que conditionne laccession à la prise de parole sur lespace public de personnes et de groupes jusque là peu audibles ou peu visibles. Ces phénomènes dexpression et de mise en visibilité de soi de la
3 Les expressions soulignées sont empruntées aux travaux de Jean-François Laé (1996), mais pour analyser des phénomènes autres, bien que le processus de mise en récit de la plainte apparaisse similaire malgré les objets et contextes différents.
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part dindividus et de groupes minoritaires ont été globalement peu traités par les sciences sociales en France. Cest pourquoi cette thèse a pour objet de défricher ce domaine. En dautres termes, la thèse sinscrit principalement dans le champ danalyse des modalités démergence denouvelles formesdactions collectives, comme par ailleurs celle des sans-papiers et sans-papières étudiée par Catherine Quiminal (2000). Ces mouvements émergents, ici ceux des Tsiganes, sont analysés dans cette thèse comme participant à la recherche dunelégitimation desoi (en vue dobtenir légalité ou la reconnaissance) ainsi quune mise envisibilité surlespace public. Et ce, par des chemins aussi multiples que linvestissant des champs associatif, religieux ou encore médiatique et politique, les uns et les autres pouvant se recouvrir. Les deux pays détudes ont été choisis en raison de la quasi-opposition de leurs modalités de gestion des diversités et donc, de la place accordée aux droits collectifs minoritaires. Ainsi en Hongrie, le champ politique est beaucoup plus investi par les leaders tsiganes du fait de linstitutionnalisation des droits collectifs et de la représentation des minorités. Lorganisation militante et politique dune parolecollective tsiganeconstitue un objet 4 relativement peu étudiéet quasiment inconnu.En France comme en Hongrie, cette thèse montre comment des associations travaillent à faire reconnaître lancrage de longue date des Tsiganes, et leur qualité de citoyens et nationaux. Il sagit en effet, par le biais de cette mobilisation, de sélever contre une identité communautarisante qui leur est attribuée et imputée de lextérieur et qui tend à les définir de façon récurrente comme des étrangers. Dans le même temps, lauteure de cette thèse met en lumière un autre enjeu de cette mobilisation qui, tout autant que le premier, est avancé de façon récurrente dans les discours des acteurs : les Tsiganes font preuve dune double identification, être Français / être Hongrois, ou chercher à être reconnus comme tels, tout en se définissant comme partageant une culture propre et minoritaire, que certains acteurs de ce mouvement tentent de faire reconnaître. En cela, son analyse montre comment des militants des mouvements tsiganes engagent,vialaction associative et institutionnelle, des tentatives de renversement du déni du droit à se définir eux-mêmes. Lanalyse menée rend compte des conditions sociales de lémergence de cette parole, en la reliant à la fois à un contexte national, localet internationalainsi qu'aux portraits de celles et ceux qui prennent la parole au nom des autres. Cette thèse nhésite pas à aborder des tensions et des points de débat. De ce fait, lauteure questionne la possibilité de dérives essentialistes et communautaristes au sein de cette émergence construite et vécue comme une recherche collective de réappropriation de soi, sachant que ces dérives sont combattues à lintérieur-même du mouvement. Le rôle de la puissance publique, surtout en Hongrie mais aussi en France, dans cette ethnicisation du politique, y est largement abordé. Et ce notamment, à travers létude des influences mutuelles qui se jouent dans la relation entre pouvoirs publics et représentants institutionnalisés, comme certains pasteurs évangélistes tsiganes en France. Cette thèse examine donc comment des associations et les instances officielles de représentations des intérêts des Tsiganes se sont emparés, à travers leur histoire, jusquà nos jours, des enjeux qui traversent le traitement politique dont ils font lobjet. Ces initiatives réussiront-elles à faire accepter un mode original dancrage local, défendu et mis en pratiques par les familles, qui concilie autonomie familiale / culturelle ET inclusion locale / européenne de faitTsiganes ?Lenjeu est de taille. Car que ce soit dans un pays comme la Hongrie des aujourd'hui (reconnaissance de droits collectifs aux minorités) ou comme la France (modèle universaliste), les catégorisations institutionnelles ethnicisées simposent au plus profond des groupes ainsi stigmatisés. Les dérives du droit à la différence» et le spectre de 4 Voir les travaux pionniers de Jean-Pierre Liegeois (1976)
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lethnicisation du politique sont potentiellement présents dans les deux pays tout autant quau niveau européen. Références bibliographiques du résumé : ASSEO Henriette, Les Tsiganes dans la transition à lEst», Le post-communisme en Europe centrale et orientale,Historiens et Géographes, n° 377, Janvier – février 2002, p. 195-218. ASSEO Henriette, La gendarmerie et l'identification des "nomades" (1870-1914)», in: Jean-Noël Luc (Dir.),Gendarmerie, Etat et société au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002. CASTEL Robert,La métamorphose de la question sociale, Paris, Fayard, 1995. FASSIN Didier, MORICE Alain, QUIMINAL Catherine,Les lois de l'inhospitalité. Les politiques de l'immigration à l'épreuve des sans-papiers, Paris, La Découverte, 1997. FERGE Zsuzsa, L'évolution des politiques sociales en Hongrie depuis la transformation du système »,in :Laure DESPRES & Christine LE CLAINCHE, Évolution de la protection sociale dans les pays d'Europe centrale et orientale,Revue d'Etudes Comparatives Est-Ouest, Volume 29, Septembre 1998, N° 3. FERGE Zsuzsa, TAUSZ Katalin, DARVAS Ágnes,Le combat contre la pauvreté et lexclusion sociale. Tome 1 : la Hongrie, Budapest, Bureau international du Travail, 2003. GOTMAN Anne. (Dir.),Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs étrangers ». Paris, MSH, 2004. GOTMAN Anne, Lhospitalité façonnée par le droit : la loi Besson sur laccueil et lhabitat des gens du voyage », in :Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs “étrangers”. Paris, MSH, 2004, p. 199-234. LEVY-VROELANT Claire, SEGALLes Roms de Montreuil et dailleurs, desJérôme, immigrés européens particuliers »,Le courrier des Balkans,2 mai 2003. http://www.balkans.eu.org/article3024.htmlLAE Jean-François,Linstance de la plainte. Une histoire politique et juridique de la souffrance, Paris, Desclée et Cie, 1996. LIEGEOIS Jean-Pierre,Mutation tsigane, Bruxelles, Complexe, 1976. NEVEU Eric,Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996. QUIMINAL Catherine , Le mouvement des "sans papières" »,Cahiers du CEDREF, 2000. SIMON Pierre-Jean, Situation minoritaire ».Pluriel Recherches, Vocabulaire historique et critique des relations inter-ethniques, Cahier n°3, Paris, LHarmattan, 1996.WACQUANT Loïc,Les prisons de la misère, Paris, Editions Raisons dagir, 1999.