Expressions iconographiques et monumentales du pouvoir d'État en France et en Espagne à la fin du Moyen Âge : l'exemple d'Albi et de Grenade - article ; n°1 ; vol.82, pg 245-279

Jean-Louis Biget, Jean-Claude Hervé, Yvon Thébert

Description

Publications de l'École française de Rome - Année 1985 - Volume 82 - Numéro 1 - Pages 245-279
L'analyse du discours monumental où le pouvoir énonce ses justifications montre que l'État moderne trouve sa légitimation première dans le champ spirituel. À la cathédrale d'Albi, après 1470, la mystique de la royauté investit largement l'iconographie. À cet égard, la floraison - nouvelle - des lis apparaît comme une expression du droit divin. Le thème du Jugement dernier concourt à l'identification du prince avec le Christ, roi et juge ; il produit la réduction des éléments populaires de la croyance et l'intériorisation des normes régulant les comportements ; il favorise le développement d'un conformisme religieux et social qui le constitue en image fondamentale du temps de la monarchie centralisée. La qualité et la modernité du système des formes renforcent l'impact de ce dernier et produisent elles-mêmes du sens. Il en va de manière similaire à Grenade qui tient un rôle cardinal dans l'idéologie fondatrice de l'État moderne en Castille. La cathédrale N.-D. de l'Incarnation et le palais de l'Alhambra enracinent dans cette autre Jérusalem et dans la tradition de Croisade la souveraineté aux modalités neuves incarnée d'abord dans les rois catholiques.
35 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: PUBLICATIONS_DE_L-ECOLE_FRANCAISE_DE_ROME
• Publié le: 01 janvier 1985
• Nombre de lectures: 183
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 7 Mo

Extrait

Jean-Louis Biget
Jean-Claude Hervé
Yvon Thébert
Expressions iconographiques et monumentales du pouvoir
d'État en France et en Espagne à la fin du Moyen Âge :
l'exemple d'Albi et de Grenade
In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984).
Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 245-279. (Publications de l'École française de Rome, 82)
Résumé
L'analyse du discours monumental où le pouvoir énonce ses justifications montre que l'État moderne trouve sa légitimation
première dans le champ spirituel. À la cathédrale d'Albi, après 1470, la mystique de la royauté investit largement l'iconographie.
À cet égard, la floraison - nouvelle - des lis apparaît comme une expression du droit divin. Le thème du Jugement dernier
concourt à l'identification du prince avec le Christ, roi et juge ; il produit la réduction des éléments populaires de la croyance et
l'intériorisation des normes régulant les comportements ; il favorise le développement d'un conformisme religieux et social qui le
constitue en image fondamentale du temps de la monarchie centralisée. La qualité et la modernité du système des formes
renforcent l'impact de ce dernier et produisent elles-mêmes du sens. Il en va de manière similaire à Grenade qui tient un rôle
cardinal dans l'idéologie fondatrice de l'État moderne en Castille. La cathédrale N.-D. de l'Incarnation et le palais de l'Alhambra
enracinent dans cette autre Jérusalem et dans la tradition de Croisade la souveraineté aux modalités neuves incarnée d'abord
dans les rois catholiques.
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Biget Jean-Louis, Hervé Jean-Claude, Thébert Yvon. Expressions iconographiques et monumentales du pouvoir d'État en
France et en Espagne à la fin du Moyen Âge : l'exemple d'Albi et de Grenade. In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État
moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984). Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 245-279.
(Publications de l'École française de Rome, 82)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1984_act_82_1_2818JEAN-LOUIS BIGET, JEAN-CLAUDE HERVÉ et YVON THÉBERT
EXPRESSIONS ICONOGRAPHIQUES ET MONUMENTALES
DU POUVOIR D'ÉTAT EN FRANCE ET EN ESPAGNE
À LA FIN DU MOYEN ÂGE :
L'EXEMPLE D'ALBI ET DE GRENADE
La «crise» des XIVe et XVe siècles n'est que le processus de gesta
tion de l'État moderne, dont la finalité première est l'instauration d'un
prélèvement supplémentaire. L'impôt royal vient compenser, en partie,
la défaillance des revenus seigneuriaux et permet à l'édifice social de se
reproduire dans sa hiérarchie fondamentale, quitte à étoffer sa base en
y intégrant techniciens de l'écrit, de la justice et de la finance. L'élargi
ssement et l'alourdissement de la fiscalité ainsi que l'essor de l'appareil
d'État requièrent le support indispensable de la monnaie et constituent
les facteurs essentiels de l'inflation et de la famine monétaire des der
niers siècles du Moyen Âge. La plus grande part des charges nouvelles
repose sur les paysans et les classes moyennes des villes; le maintien du
système implique leur contrôle et leur accord : il postule l'existence
d'une idéologie génératrice de consensus. La mutation critique de la
monarchie féodale fait donc naître les justifications du nouvel État en
même temps que ses structures institutionnelles.
Comme à l'époque antérieure, le champ du religieux et celui du
politique demeurent consubstantiels et confondus. Le pouvoir royal se
trouve étroitement associé au pouvoir des clercs sous la forme des égli
ses «nationales» et les concepts politiques procèdent d'une matrice
ecclésiastique - Ernst Kantorowicz a depuis longtemps montré que
l'assimilation du royaume, comme État et comme nation, à un corps
mystique dont la tête est le prince, décalque l'image traditionnelle de
l'Église1. La genèse de l'État moderne met en jeu tout un ensemble de
1 Ernst Kantorowicz, The King's Two Bodies. A Study on Medieval Political Theology,
1957. Cf. également le recueil d'articles publié sous le titre Mourir pour la patrie, Paris,
1984. 246 JEAN-LOUIS BIGET, JEAN-CLAUDE HERVÉ et YVON THÉBERT
ressorts spirituels. Cette stratégie dépend des données mentales et
culturelles de l'époque; elle ne participe pas d'un projet conscient et
«machiavélique» mais elle obéit à une logique objective qu'il appartient
à l'historien de mettre en évidence. Il paraît donc intéressant de poser
quelques jalons en ce sens.
L'analyse des monuments figurés ou bâtis offre à cette fin une voie
particulièrement appropriée car ils constituent le traité de légitimation
accessible au plus grand nombre, quand les œuvres écrites ne touchent
que le public des élites; ils présentent aussi l'avantage d'exposer les sys
tèmes de formes et d'images inspirés le plus directement par les déten
teurs du pouvoir. Leur déchiffrement devrait permettre de saisir quelle
expression monumentale et quel sens prend, à l'articulation du Moyen
Âge et de la Renaissance, le discours de l'État.
Il s'agit de rechercher, quant aux thèmes et aux styles, la traduc
tion des changements politiques dans les domaines de l'architecture, de
l'iconographie et de l'urbanisme; il convient de mesurer la part relative
de l'héritage et de la novation, de suivre le développement de program
mes spécifiques, de dater l'apparition d'images nouvelles ou d'une
grammaire stylistique particulière et d'en déterminer la signification.
On peut espérer construire par ces moyens une sémiotique révélatrice
des principes fondateurs du pouvoir à l'époque moderne. L'entreprise
suppose des relevés nombreux, des inventaires précis et des confrontat
ions minutieuses mais elle paraît à même d'aboutir à des résultats int
éressants comme l'indiquent, à titre d'exemples, l'analyse rapide du pr
ogramme iconographique de la cathédrale d'Albi et celle du programme
monumental réalisé à Grenade au temps des rois catholiques et de
Charles Quint.
I - Le programme iconographique de la cathédrale d'Albi
ET SES INCIDENCES POLITIQUES
Entre 1474 et 1513 des travaux renouvellent totalement le décor
intérieur de la cathédrale d'Albi2. Évolution du goût? Peut-être, mais
changement de contexte avant tout. Les deux évêques responsables de
2 Pour les détails et les justifications nous renvoyons, une fois pour toutes, à J.-L.
Biget, La cathédrale d'Albi, 2e édition, Albi, 1984 et au volume du Congrès archéologique
de France, Albigeois (1982), Paris, 1985. DU POUVOIR D'ÉTAT EN FRANCE ET EN ESPAGNE 247 EXPRESSIONS
ces transformations appartiennent au cercle des familiers du roi. Ils se
nomment l'un et l'autre Louis d'Amboise : il s'agit de l'oncle et du
neveu. Le premier occupe le siège episcopal de 1474 à 1503, le second
de 1503 à 1510. La famille d'Amboise tient alors le tout premier rang
dans le royaume : l'évêque Louis Ier compte lui-même parmi les pro
ches conseillers de Louis XI, de Charles VIII, de Louis XII et joue,
pendant le règne de ce dernier, le rôle de mentor auprès de son frère
cadet, Georges, archevêque de Rouen et chancelier de France3. Sei
gneur de haute lignée, prince de l'Église et serviteur du roi, il est par
excellence un des hommes de l'État nouveau. La cathédrale Sainte-
Cécile doit à son mécénat et à celui de son successeur, Louis II, une
extraordinaire parure : un chœur flamboyant, un immense Jugement
dernier et des fresques qui couvrent l'ensemble des chapelles et des
voûtes. Ces œuvres révèlent la plupart des fondements religieux de la
monarchie française à la fin du XVe siècle.
1) Statuaire du chœur et peinture des voûtes.
La statuaire du chœur et les fresques des voûtes développent un
programme identique qui repose sur un symbolisme typologique cou
rant. Ce programme affirme la continuité - et la concordance - de
l'Ancienne Loi et de la Nouvelle, résumant quatre histoires homogènes
et conjointes : celle de l'humanité, celle de l'Al