Dernières nuits au Holiday Inn - Gregory Buchakjian
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DERNIÈRES NUITS AU HOLIDAY INN* Gregory Buchakjian « Il offre à ses visiteurs de luxueux appartements meublés avec une belle vue sur la mer, au milieu des meilleurs hôtels. Sous le même toit, tout un chacun peut choisir d’y exercer son travail, de faire du shopping, de manger, boire et se faire plaisir. Un rêve devenu réalité. En amer contraste avec ses brochures publicitaires, le Holiday Inn et ses 26 étages relevait plus, la semaine dernière, du cauche1 mar que du rêve. » Le 21mars 1976, des escadrons desMourabitounArmée du, de l’« Liban Arabe» et d’autres organisations «Palestino-Progressistes » s’emparaient du centre Saint-Charles, plus connu sous le nom de 2 « Holiday Inn » . L’immense bâtisse était un bastion phalangiste depuis le déclenchement de la bataille des grands hôtels, en octobre1975. Dite aussi bataille des tours, cette succession de combats qui s’inscrit dans l’installation de la guerre au centre de Beyrouth constitue un *:Cette communication est tirée d’une thèse de doctorat en coursHabitats abanre donnés dans la ville de Beyrouth. Occupations et transformations de l’espacepar-, 1 tie :Militarisation de l’espace privé ; L’espace disputé : La Bataille dite « des grands hôtels », Université Paris IV Sorbonne, Histoire de l’Art, sous la direction de JeanYves Andrieux. 1 Karsten Prager, « Beirut’s Agony Under the Guns of March»,Time 107,n° 14 (5 April1976) ,p. 31.

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Publié le 24 juillet 2018
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DERNIÈRES NUITS AU HOLIDAY INN*
Gregory Buchakjian
« Il offre à ses visiteurs de luxueux appartements meublés avec une belle vue sur la mer, au milieu des meilleurs hôtels. Sous le même toit, tout un chacun peut choisir d’y exercer son travail, de faire du shopping, de manger, boire et se faire plaisir. Un rêve devenu réa lité. En amer contraste avec ses brochures publicitaires, le Holiday Inn et ses 26 étages relevait plus, la semaine dernière, du cauche 1 mar que du rêve. »
Le 21 mars 1976, des escadrons desMourabitounArmée du, de l’« Liban Arabe » et d’autres organisations « PalestinoProgressistes » s’emparaient du centre SaintCharles, plus connu sous le nom de 2 « Holiday Inn » . L’immense bâtisse était un bastion phalangiste depuis le déclenchement de la bataille des grands hôtels, en octobre 1975. Dite aussi bataille des tours, cette succession de combats qui s’inscrit dans l’installation de la guerre au centre de Beyrouth constitue un
*:Cette communication est tirée d’une thèse de doctorat en cours Habitats aban re donnés dans la ville de Beyrouth. Occupations et transformations de l’espacepar, 1 tie : Militarisation de l’espace privé ; L’espace disputé : La Bataille dite « des grands hôtels », Université Paris IV Sorbonne, Histoire de l’Art, sous la direction de Jean Yves Andrieux. 1 Karsten Prager, « Beirut’s Agony Under the Guns of March »,Time 107, n° 14 (5 April 1976) , p. 31. 2 La chaîne Holiday Inn a été locataire de la moitié de la tour connue sous ce nom, l’autre moitié ayant été louée à des bureaux, tout comme l’immeuble qui lui est adjacent. Depuis plusieurs décennies, elle ne dispose plus d’aucun droit sur l’édi fice, qui continue à être appelé sous ce nom.
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traumatisme dans l’imaginaire collectif de par l’étendue des destruc 3 tions et leur caractère spectaculaire . L’assaut du 21 mars, dont la date avait été choisie pour coïncider 4 avec la commémoration de la « Karameh » , fut pour la gauche liba naise et ses alliés palestiniens, une victoire contre les forces « isola tionnistes » et « impérialistes ». De leur côté, les riverains du quartier de Ain el Mrayssé se réjouissaient de la fin des tirs desnipers. Enfin, les phalangistes déchus mirent en exergue l’héroïsme de leurs hommes qui se sont battus jusqu’au bout. Fait assez remarquable qui contredit l’idée selon laquelle ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, la bataille a généré dans les narrations un déséquilibre qui penche lar gement en faveur des vaincus. Retour sur les faits : suite à leur défaite dans le quartier cossu de Kantari, situé en bordure SudOuest du centre historique de Beyrouth, les combattants chrétiens s’étaient repliés, le 26 octobre 1975, sur les hôtels luxueux du front de mer. Pendant ce temps les groupes de 5 gauche se hissaient sur la carcasse inachevée de la Tour Murr . En décembre, les hommes de la gauche s’emparaient des hôtels Saint 6 Georges et Phoenicia qui partirent en flammes .
« Nous aurions pu tenir le Holiday Inn indéfiniment, même coincé entre le Phoenicia et la tour Murr, avec 30 éléments. Nous avions des fortifications très minimes, uniquement des sacs de sable. Le
3 La bataille dite des Grands Hôtels se déroule en quatre parties, du 26 octobre 1975 au 29 mars 1976. Elle oppose les « Forces Communes » ou « Palestino Progressistes » ou de gauche, composées de groupes palestiniens et libanais, notamment les Nassériens Indépendants (Mourabitoun), aux phalangistes (ou Kataëb) de la droite chrétienne et leurs alliés et s’achève par la défaite de ces der niers et leur retrait définitif de ce secteur. 4 Bataille de Karameh: attaque perpétrée par l’armée israélienne le 21 mars 1968 contre le camp palestinien de Karameh, en Jordanie. Au cours de la conférence de presse consécutive à la prise du Holiday Inn, lesMourabitoundéclarent avoir avancé l’opération de vingtquatre heures pour faire coïncider les dates. 5 Au cours des différents « rounds » de la bataille des hôtels, chaque camp accu sera son adversaire de s’être introduit le premier qui au Holiday Inn, qui sur la Tour Murr. 6 Les hôtels Phoenicia et SaintGeorges ont brûlé respectivement les 9 et 10 décembre 1975.
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Holiday Inn était imprenable. Il aurait fallu bétonner le premier et 7 le deuxième étage. »
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Ce ne sont pas trente, mais six (ou sept, ou huit, selon les versions) hommes « pour tenir tout le Holiday Inn », en mars 1976 : « Deux élé e e 8 ments au 2 étage, 2 au 24 étage, 2 à l’entrée. » À la midécembre 1975, un responsable desKataëbque déclarait « Personne n’a[vait] pu s’approcher à moins de quinze mètres du bâtiment », contredisant lesMourabitoun qui disaient avoir réussi à 9 y pénétrer quelques instants le 13 décembre . Trois jours plus tôt, ces derniers avaient tenté d’en forcer l’accès avec un véhicule blindé pris 10 à l’armée. Ils avaient dû se retirer sous une pluie de roquettes . Dans La Confession négative, Richard Millet, qui n’a jamais mis les pieds au 11 Holiday Inn, écrit :
« [Un] palestinien avait été capturé au soussol, qu’il avait réussi à atteindre on ne savait comment, tuant un des nôtres et en bles sant deux autres avant de se rendre. Il fallait l’abattre : nous ne pouvions ni le renvoyer aux siens, à qui il eût révélé la vérité sur notre nombre, ni le garder prisonnier, n’ayant personne pour le 12 surveiller. »
Les incursions eurent lieu dans les deux sens :
« Il y a eu des batailles dans les soussols du Phoenicia. Le groupe “Bégin” (Initiales de Pierre [Boutros, en arabe] Gemayel), formé
 7 Chahine Fayad, ancien responsable phalangiste, entretien avec l’auteur, 24 juillet 2013.  8 Ibid.: le faible nombre deUn certain nombre de témoignages s’accordent sur ceci défenseurs au Holiday Inn s’explique par le fait que la majorité des combattants envoyés au front, au lieu de se diriger vers leurs positions, étaient occupés à piller les magasins du centreville et les entrepôts du port. Le pillage a été une activité pratiquée de manière endémique par toutes les parties en présence et a touché tous types de biens.  9 « La Bataille du Holiday Inn rapportée par les agences internationales »,L’OrientLe Jour, 16 décembre 1975. 10 Dépêches de Presse, « Beirut Moslems Close In on Foes »,The Milwaukee Sentinel, 11 décembre 1975. 11 La Confession négativeest présentée comme un récit autobiographique. Toutefois, les anciens combattants que nous avons interrogés assurent que Millet n’a jamais pris part à la bataille des hôtels. 12 Richard Millet,La Confession négative,Gallimard, Paris 2010, p. 363.
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par [Élie] Hobeika, Fadi Frem et d’autres, entrait au Phoenicia, aux mains desMourabitoun. Une fois ils m’ont emmené. Nous sommes entrés dans la salle des chaudières. C’était cauchemardesque. M.J. allait au Phoenicia seul. Il tuait à l’arme blanche et revenait avec des trophées : armes, casques. Il l’a fait trois ou quatre fois. Il me disait avant de partir : si je ne suis pas revenu d’ici une heure, annonce 13 ma mort à la famille. »
Le déroulement des faits du 21 mars reste confus jusqu’à ce jour. Les combattants étaient isolés, dans des espaces clos avec une vision limitée. Le chef des défenseurs raconte que « l’opération d’attaque contre nous a débuté vers 2 heures du matin avec des tirs intenses 14 d’artillerie d’obus de 106 mm en provenance de l’école des frères » . Les premières salves anéantirent l’unique pièce d’artillerie lourde, un canon antiaérien monté sur une plateforme de char, ainsi que les murs en parpaing érigés par la direction de l’hôtel pour remplacer les 15 baies vitrées brisées du hall . « Le camarade martyr Élie Abou Frem a été mortellement blessé au vingtquatrième étage. Je l’ai transporté à l’entrée de l’hôtel, au rez 16 dechaussée », poursuit le commandant , sans préciser si l’ascenseur fonctionnait ou s’il a dû dévaler les vingtquatre étages à pied avec un cadavre. Trois semaines auparavant, un seul des ascenseurs était opé 17 rationnel, « par souci d’économie » . Une fois en bas, le commandant a « été surpris par une importante attaque avec des roquettes RPG ». Il faisait face à la première vague d’assaut. Cinq blindés, selon les « Forces Communes », « vingtcinq blindés transportant des comman dos, sur lesquels il était écrit “Armée du Liban Arabe” », selon les 18 Phalanges , s’approchèrent et ouvrirent le feu afin de couvrir l’infil tration des attaquants.
13 Ancien combattant phalangiste ayant requis l’anonymat, entretien avec l’auteur, 15 octobre 2013. 14 « Qui contrôle le Holiday Inn ? »,An Nahar, 23 mars 1976. 15 Joseph Fitchett, « The Shootout at Beirut Holiday Inn »,The Washington Post, 23 mars 1976. 16 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ». 17 Maudie Bitar, « 1 608 chambres endommagées dans 4 hôtels sortis du circuit tou ristique. Dégâts limités Holiday Inn, reprise du travail dans le chantier du Hilton, ou le travail a repris, au Phoenicia, rénovation à venir et le Saint Georges sera er probablement démoli et reconstruit. »,An Nahar, 1 mars 1976. 18 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ».
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Joana Hadjithomas & Khalil Joreige,Histoire d’un photographe pyromane, er 1 volet du projet Wonder Beirut (19982006), Diasec N°12 Vue orientale. Tirage photo sous diasec (70 x 105 cm). Courtesy Galerie In SItu/Fabienne Leclerc (Paris), CRG gallery (New York), The Third Line (Dubai).
« Nous sommes revenus à nos postes après le décès de Elie Abou Frem. Nous combattions en étant totalement isolés de l’extérieur et ignorant ce qui se passait par ailleurs. Nos munitions se sont épui sées mais nous sommes parvenus à nous emparer des armes et des munitions de certains assaillants qui étaient tombés à l’entrée de 19 l’hôtel [l’attaque a fait trois morts et quatre blessés, selon l’OLP ]. 20 Nous avons continué à combattre jusqu’à 6 heures ce matin. »
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Entretemps, selon leWashington Post, un homme a rejoint deux 21 tireurs se trouvant dans la boîte de nuit du vingtcinquième étage . Les cinq ou six autres descendirent dans les caves où ils se retrouvèrent encerclés : « J’ai jeté ma montre, croyant que mes jours étaient finis. Je voulais mourir juste avec mon arme ». C’est grâce à un employé de l’hôtel qui les a guidés dans les dédales obscurs qu’ils parviennent à se
19 Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) – Centre du Plan,Yawmiyat al harb al lubnaniyya(Beyrouth : Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP), 1977), p. 144. 20 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ». 21 Fitchett, « The Shootout at Beirut Holiday Inn ».
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frayer une sortie. Selon les forces de gauche, « lesKataëbavaient tenté d’envoyer des renforts avec trois véhicules VTT ». Les phalangistes confirment qu’à 6 heures, une force motorisée est arrivée « à prendre le quartier en tenaille ». Richard Millet évoque, non pas des VTT, mais 22 « un camion blindé par des forgerons de Dora » . C’est à bord de ce ou de ces véhicules que les rescapés quittent la zone. Millet raconte un sauvetage par le commandant des « Begins », Sami [Khoueiry], « allé délivrer [les combattants bloqués sur place] en passant par les égouts et qu’il avait ramené un blessé sur ses épaules, aussi larges, aije songé, que celles de Jean Valjean portant sur son dos le fiancé de Cosette dans 23 les entrailles de Paris » . À partir de 6 heures, il reste trois phalangistes sur place. « Je n’ai plus eu de leurs nouvelles depuis que nous nous sommes dispersés, 24 chacun d’entre nous se défendant avec ce qui lui restait. » À 10 h 45, un « groupe de dix combattants, “l’unité du Martyr 25 Maarouf Saad” pénètre dans le hall . (…) À 13 heures, les hommes des “Forces Communes” montent aux étages. Un des combattants s’est présenté à une fenêtre brandissant un drapeau libanais tandis 26 que d’autres installaient un canon de 75 mm dans la cour. » « Le ratissage de l’hôtel s’est poursuivi jusqu’à 15 h 30. », assure l’Union 27 Socialiste Arabe – Mouvement Nassérien . À 16 h 30, le Mouvement des Nassériens IndépendantsMourabitounorganise une conférence de presse dans le hall de l’hôtel. Nulle mention n’est faite de contact avec des miliciens adverses, de capture ou de découverte de cadavre(s). Les trois phalangistes du dernier étage sont volatilisés.
22 Millet,La Confession négative, p. 373. 23 Ibid. 24 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ». 25 Maarouf Saad (19101975) est un homme politique libanais, député sunnite de Saida et fondateur de l’Organisation populaire nassérienne. Le 26 février 1975, lors d’une manifestation de pêcheurs réprimée par l’armée, il fut mortellement atteint par balle. Sa mort est considérée comme un événement précurseur du déclenchement de la guerre libanaise. 26 Fitchett, « The Shootout at Beirut Holiday Inn ». 27 « Les “Forces Communes” ont occupé l’hôtel Holiday Inn après des affrontements qui ont débuté à l’aube et duré 10 heures »,An Nahar, 22 mars 1976.
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Lamia Ziadé,La Bataille des hôtels, 2007. Installation.
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La lutte pour le Holiday Inn n’est néanmoins pas encore termi née. Le 22 mars, à l’aube, les phalangistes tentent de le reprendre. Des sources citées parAn Nahar:indiquent que
« L’invasion a commencé depuis le Phoenicia après le percement d’un tunnel souterrain entre les deux hôtels. Les miliciens l’au raient emprunté, parvenant au parking du Holiday Inn, puis au Cinéma SaintCharles, arrivant aux bureaux de la Banque Royale 28 du Canada. »
Un porteparole du parti chrétien cité par l’agence UPI affirme avoir repris le Phoenicia après « une des batailles les plus féroces de 29 la guerre » . Il poursuit qu’avec l’appui de l’artillerie antiaérienne, le Holiday Inn a été repris et le drapeau du parti a été hissé sur l’hôtel. Ces informations seront relayées sans être remises en question dans des ouvrages historiques comme celui d’Antoine Khoueiry,Al Harb fi 30 Lubnan. 1976. Comment les phalangistes ontils fait pour récupérer
28 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ». 29 United Press International, « Conflicting Reports on Seizure of Strategic Holiday Inn in Beirut »,Times Union, 22 mars 1976. 30 Antoine Khoueiry,Al Harb fi Lubnan. 1976, Hawadeth Lubnan 2, Dar Al Abjadiya, 1977, p. 411.
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le Phoenicia, aux mains des « Forces Communes » depuis décembre ? Et comment auraientils pu y percer un tunnel en si peu de temps ? Réalité ou mythe ? LesKataëbont dû s’engouffrer dans le centre Saint Charles par son flanc Est, rue Fakhreddine. L’ensemble, construit sur un terrain à fort dénivelé, comporte sur les côtés Est et Nord des accès à des niveaux inférieurs de plusieurs étages à l’entrée principale. Les Mourabitouns’en étaient d’ailleurs précédemment servis lors de leurs incursions. Quoi qu’il en soit, un porteparole des forces de gauche admet la présence de « poches » infiltrées et de combats se déroulant dans les étages inférieurs. Pour faire face aux menaces d’invasion, les « Forces communes » auraient « incendié les étages inférieurs afin d’anéantir 31 toute poche phalangiste se trouvant à l’intérieur. » L’attaque est facilitée par [trois] « combattants phalangistes [qui] étaient demeurés dans les étages supérieurs du Holiday Inn », reprend 32 An Nahar. Selon un témoignage recueilli par Sarah Fregonese, ces derniersKataëbbarricadent au bar du dernier étage. Préparés à se un combat dans un champ de bataille vertical, les miliciens auraient inventé :
« un dispositif permettant aux grenades de se maintenir intactes dans leur chute de vingttrois étages en direction des assaillants qui progressaient depuis le rezdechaussée. Utilisant des objets dis ponibles au bar, ils ont introduit des grenades dans des verres, les 33 transformant en bombes à fragmentation une fois au sol. »
Ibrahim Abu Darwish, un ancien combattant ayant participé à la bataille aux côtés de l’OLP, raconte qu’un de ses camarades, « qui vou 34 lait monter làhaut, a été abattu [dans les escaliers] parderrière » . Ces derniers barouds n’empêchent pas la contreoffensive d’échouer.
31 Zainab Yaghi, « L’Hôtel Holiday Inn : Une histoire interrompue par la guerre »,As Safir, 19 mai 2014, http://www.assafir.com/Article/1/351109. 32 « Qui contrôle le Holiday Inn ? ». 33 Sara Fregonese, « Between a Refuge and a Battleground: Beirut’s Discrepant Cosmopolitanisms* »,Geographical Review102, n° 3 (2012), p. 31636, doi : 10. 1111/j. 19310846.2012.00154.x. 34 Alice Forham, « Beirut’s Holiday Inn : Once Chic, Then Battered, Still Contested »,  Parallels (NPR, 27 mai 2014), http://www.npr.org/blogs/parallels/2014/05/27/ 313960524/beirutsholidayinnoncechicthenbatteredstillcontested.
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Alfred Tarazi,Wishful Beginnings, 2009. Technique Mixte.
« Les phalangistes Chrétiens ont perdu l’hôtel, l’ont repris briève ment puis l’ont perdu pour de bon. […] Les tireurs Musulmans ont dévalé dans le hall dévasté, ont combattu durant leur ascension d’étage en étage et, alors qu’ils montaient, ont sauvagement jeté par 35 une fenêtre le corps d’unsniperPhalangiste. »
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Abu Darwish se souvient que « lorsqu’ils sont arrivés làhaut, ils ont vu lessnipers. Il les ont pris et les ont jetés d’en haut jusqu’en 36 bas » . Le récit enflamme les imaginaires collectifs dans un camp comme dans l’autre, tout comme une autre histoire véhiculée au même moment, celle des vaincus dont « les corps, certains décapités, ont été descendus au rezdechaussée, attachés par des cordes à l’ar 37 rière de véhicules, et traînés dans les rues » . Une pratique commune aux deux camps. Lamia Ziadé décrit « Charbel, un camionneur bagar reur de Kattine, [qui] traînait à l’époque des cadavres de musulmans 38 derrière son pick up. »
35 Prager, « Beirut’s Agony Under the Guns of March ». 36 Forham, « Beirut’s Holiday Inn : Once Chic, Then Battered, Still Contested ». 37 United Press International, « Conflicting Reports on Seizure of Strategic Holiday Inn in Beirut ». 38 Lamia Ziadé,Bye Bye Babylone. Beyrouth 19751979, Graphic, Denoël, Paris 2010. Ouvrage non paginé.
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La presse a diffusé des images de cadavres traînés triomphalement à l’arrière de véhicules. Alfred Tarazi a porté à notre connaissance une photographie de Abdel Razzak al Sayyed publiée un an après la bataille. Elle représente un cadavre nu avec la légende : « Le sniper du Holiday Inn est tombé nu depuis le vingtdeuxième étage. Ne deman 39 dez ni ce qui lui est arrivé, ni ce qu’il a fait… Le voilà devant vous ! » . Comment authentifier un tel document ? Le visage est visible et recon naissable. Les anciens combattants phalangistes seraientils capables de le reconnaître ? Le corps a subi des altérations. Un médecin légiste pourraitil statuer si elles sont consécutives à une chute ? Du ou des corps en chute libre, en revanche, aucune image, ni dans la presse, ni ailleurs, qui s’inscrive dans la lignée desSuicidesde Andy Warhol (1963) ou,a posteriori, des images terribles des occupants du World Trade Center choisissant de sauter dans le vide plutôt que de mou rir étouffés. Le journaliste britannique David Hirst dit se rappeler la bataille pour prendre l’hôtel Hilton :
« Les combattants phalangistes étaient en train de sauter par les fenêtres dans une tentative désespérée d’échapper. Ils sautaient pour leur malédiction. Nous devons nous souvenir que ceci a eu 40 lieu après le massacre du samedi noir. »
Ces actes ont généré, des années durant, des légendes urbaines. On a longtemps entendu : « À la fin de la bataille des hôtels, ils ont jeté les chrétiens du haut du Holiday Inn », laissant l’esprit imaginer des dizaines, voire des centaines de martyrs jetés morts ou vifs du haut de la tour dans une orgie d’horreur et de barbarie. Zena El Khalil reprend : « Durant la guerre civile, il [le Holiday Inn] fut pris par une milice qui trouva branché de jeter les gens depuis le toit et de leur tirer dessus au 41 cours de leur chute. » Le décalage entre l’ampleur du récit et le bilan humain, minime au regard de massacres survenus durant la même
39 Nayla Badih Itani,Harb Lubnan, Dar Al Massira, Beyrouth, Liban 1977, p. 112. 40 Omar Issaoui, « Harb Lubnan (La Guerre du Liban), 4 » (Al Jazeera, s. d.). En ligne : [http://www.youtube.com/watch?v=mDl__yxkwIU], consulté le 29 août 2013. « Samedi noir » désigne une série d’enlèvements et de massacres (entre 200 et 600 morts) perpétrés par les milices chrétiennes le 6 décembre 1975, en repré sailles à l’assassinat de quatre de leurs membres. 41 Zena el Khalil,Place Upon You, Artist Statement. En ligne: [http://fellows.ted. com/profiles/zenaelkhalil], consulté le 8 septembre 2013.
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Gregory Buchakjian,La bataille des hôtels, entrailles du Holiday Inn, de la série Habitats abandonnés de Beyrouth, 2014. Photographies (triptyque).
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période, s’explique, selon Thomas Richard, par le caractère exception nel de l’action : les défenestrations, telles celles de Prague, sont rares 42 dans l’histoire. Elles constituent un trauma, voire un tabou . Une histoire de défenestration du haut d’un hôtel a longtemps ali menté les rumeurs du Caire. En 1983, le Prince Turki bin Abdel Aziz, frère du roi Fahd d’Arabie Saoudite et son épouse la princesse Hind Chams alFassi s’installaient aux vingthuitième et vingtneuvième étages du Ramses Hilton. La princesse Hind prend l’image d’une figure cruelle, maltraitant le personnel. Lors de notre séjour dans cet établissement, en avril 2000, nous avons appuyé par mégarde sur le bouton d’ascenseur d’un des deux étages et nous nous sommes retrou vés face à des hommes armés jusqu’aux dents. Un guide touristique nous a alors raconté qu’un jour, les gardes ont eu une altercation avec un employé du service de chambre et l’ont jeté par la fenêtre. L’homme aurait fait une chute de près de trente étages avant de s’écraser dans la piscine. Nous n’avons trouvé aucune trace écrite de ce drame. En revanche, en novembre 1998, deux serviteurs de la princesse ont été battus et emprisonnés sans vivres dans une chambre. Les deux mal heureux se sont échappés en nouant des draps depuis le balcon pour 43 rejoindre un étage « libre » . Le même établissement aurait servi, en
42 Thomas Richard, entretien avec l’auteur, 19 mai 2014. 43 Maria Golia,Cairo : City of Sand, Reaktion Books, 2004, pp. 110111.
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