Les ailes du désir
Der Himmel über Berlin
de Wim WendersF
FICHE FILM
fiche technique
R.F.A France
1987 2 h 06
Réalisateur :
Wim Wenders
Scénario :
Wim Wenders
Peter Handke
Musique :
Bruno GanzJürgen Knieper
Résumé
Interprètes :
devenir un mortel animé de senti-Du haut du ciel berlinois, deux anges,Bruno Ganz
ments. A la fin, il entre en contactDamiel et Cassiel, contemplent les
Solveig Dommartin avec Marion...humains. Puis, sûrs de leur "immunité"
La Saison Cinématographique 1987puisqu’invisibles aux yeux desOtto Sander
hommes, donc en principe indifférentsCurt Bois
à leurs joies et à leurs souffrances, ils
Peter Falk se mêlent à eux. Ils hantent les rues,
les salles de lecture d’une vaste
bibliothèque, les cirques, les plateaux
de tournage... Ils captent les mono-
logues des humains et constatent que
ces derniers sont tristes et communi-
quent peu entre eux. Damiel en a
assez d’être un ange, surtout depuis
qu’il a vu la jeune trapéziste Marion
dont il est tombé amoureux. Puis, il
rencontre l’acteur Peter Falk, un
ex-ange qui sent sa présence, venu
tourner un film sur la période nazie. Le
comédien va aider Damiel à passer
"de l’autre côté de la barrière" et à
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dés, disséqués, et ordonnés par nous ne pourrons esquisser que desCritique
l’approche critique. On sait, dès ébauches de lectures à ces Ailes du
qu’on commence à scruter Les ailes désir. Cette œuvre foisonnante et
Les ailes du désir tranche avec les
du désir, que ce film ne livrera riche permet qu’on y pénètre par
autres films de Wenders qui propo-
qu’une parcelle de sa vérité, n’importe quel bout. Commençons
saient un parcours "à plat" de divers
quelques bribes... pas plus. Il en est par la dédicace. Le film est dédié à
lieux et territoires : d’abord
ainsi de toutes les créations fortes trois cinéastes décédés: Ozu (la
l’Allemagne comme métaphore de la
que les gloses les plus savantes rigueur formelle), Tarkovski (la spiri-
recherche de soi-même, dans les
n’arrivent pas à réduire à leurs tualité) et Truffaut (l’amour).
premiers films ; puis, le trajet
signifiants de base. Les nombreuses Pourtant, aucun de ces auteurs n’a,
Allemagne-Etats-Unis pour retrouver
exégèses qui prennent d’assaut, directement, inspiré Wenders (il
les sources de la fiction cinémato-
depuis des décennies, les textes s’est particulièrement intéressé à
graphique née, pour Wenders, sur
d’Artaud ou de Michaux n’ont pas Ozu, au point de lui consacrer un
le Nouveau Continent. Ici, il s’agit
pu contourner leur mystère constitu- film, Tokyo-Ga, 1984, mais comme
d’une vision verticale et cela au
tif qui demeure entier (en gros, et un critique s’attache au travail d’un
moins à deux niveaux: la spiritualité
pour simplifier, aucune de ces metteur en scène, sans volonté
incluse dans le regard des anges et
études ne permet à celui qui la lit aucune de mimétisme).
la proposition d’une coupe histo-
d’écrire ou de penser comme les
rique de Berlin, à travers l’évocation
auteurs analysés). Il en va de même L’amour est toujours insatisfait chez
du tournage de ce film sur l’époque
d’un film comme Citizen Kane, de Wenders ; son formalisme, pour
nazie. Nous pouvons prendre acte
Welles. rigoureux qu’il soit, est fondé (en
du changement éthique qui s’est
opposition avec celui d’Ozu) sur le
opéré chez Wenders. Au début des
Le phénomène est identique pour mouvement ; et la spiritualité fait
années soixante-dix, lorsqu’il renou-
Les ailes du désir, avec le handicap seulement son apparition dans Les
velle le fameux "Road movie", il se
supplémentaire de notre manque de ailes du désir, mais elle est extério-
place dans une problématique exis-
recul par rapport à une œuvre qui risée, symbolique et "décorative ",
tentielle: ses personnages sont des
vient à peine d’être terminée. Nous plus proche de Cocteau que de
déracinés qui n’ont plus— ou si peu
sommes condamnés, dans le Tarkovski. Il faut cependant prendre
d’attaches idéologiques ou fami-
meilleur des cas, à construire des de la distance et voir de plus loin.
liales. Ils vivent la philosophie du
discours satellites qui n’éclairent
moment. Le retour du spirituel dans
que des fragments du film, tout Le cinéma pratiqué par ces trois
les années quatre vingt a probable-
comme l’ange Damiel ne saisit, metteurs en scène est un cinéma de
ment marqué Wenders: il choisit ce
dans son "état céleste", que des la douleur, de l’exigence douloureu-
biais pour revenir tourner en
lambeaux de la pensée des se: chacun de leurs films est
Allemagne et nous proposer une
humains. "Déchu", devenu homme comme une expérience renouvelée
vision totalement différente de ses
par amour, il y a fort à parier qu’il ne pour atteindre à l’amour, à l’épure
concitoyens. Splendide et surpre-
possédera pas les codes néces- formelle ou à la transcendance spi-
nant, les ailes du désir complète, à
saires à une bonne communication rituelle. Expériences qui prouvent
merveille, les précédentes chro-
avec la jeune trapéziste. Comme que ces artistes ont traqué quelque
niques germaniques de l’auteur en
toujours, les rapports chose qu’ils n’ont pu atteindre. Et,
leur ajoutant la dimension métaphy-
hommes-femmes ne sont pas prêts comme un effet de miroir lointain,
sique qui leur manquait.
d’être simplifiés chez Wenders. Ici, l’insatisfaction permanente des per-
Raphaël Bassan
postulat inédit (à moins qu’on en sonnages de Wenders indique, pro-
La saison Cinématographique 1987
revienne aux vieilles conceptions bablement, que ces derniers savent
théologiques qui prétendent que la qu’ils se meuvent dans un "univers
femme n’a pas d’âme?), ce n’est pas vide". Wenders leur a donc cherché
Stigmates de la "douleur" une barrière raciale, psychologique des attaches, des bases dans la
ou sociale qui sépare les sexes, mobilité, le parcours de territoires
Tous les films, toutes les œuvres mais une différence d’essence. qui étaient de véritables méta-
d’art ne sont pas forcément taillés
phores de voyages intérieurs. Il a
sur mesures pour être appréhen- Comme nous l’écrivions au début, jeté des ponts entre la vie et le ciné-
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SALLE D'ART ET D'ESSAI
CLASSÉE RECHERCHE
8, RUE DE LA VALSE
42100 SAINT-ETIENNE
RÉPONDEUR : 77.32.71.71
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77.32.76.96D O C U M E N T S
ma, entre l’Europe et l’Amérique — un but, à un matériau qui se déro- Filmographie
continent qui offrait d’autres bent toujours. Le véritable désir, en
espaces et d’autres mythes cultu- somme, de continuer à faire du ciné- Summer in the City (L’été dans la
rels. Cela l’a laissé insatisfait. Après ma. A y regarder de près, il n’y a pas ville 1971)
les trajets horizontaux, il choisit la d’authentique approche de la méta-
verticalité, et le retour à l’Allemagne physique dans Les ailes du désir. Die Angst des Tormanns beim
via son centre, Berlin. La forme suit, Wenders use de certains codes Elfmeter (L’angoisse du gardien de
qui introduit une série de plongées baroques ou irrationnels (solide- but au moment du penalty, 1971)
et de contre-plongées, en principe ment implantés toutefois dans notre
rares chez l’auteur de Paris, Texas. culture), qui trouvent un intéressant DerScharlachrote Buchstabe (La
L’argument du film est simple dans contrepoint formel dans le passage lettre écarlate, 1972)
son énonciation: deux anges, Damiel progressif du noir et blanc à la cou-
et Cassiel, se posent à Berlin. Ils leur, au fur et à mesure que Damiel Alice in den Stadten (Alice dans les
sont invisibles, peuvent côtoyer les se rapproche de la nature humaine villes, 1973)
humains sans éveiller de soupçons, Tout le film étant, conventionnelle-
lire dans leurs pensées... Ils auraient ment, vu par l’œil de l’ange. Falsche Bewegung (Faux mouve-
pu, d’un coup d’œil, embrasser ment, 1974)
passé et présent de la ville. Mais Différent dans la forme de ses pré-
Wenders ne peut s’empêcher cédentes créations, le dernier film Im Lauf der Zeit (Au fil du temps,
d’introduire le cinéma dans le ciné- de Wenders permet au cinéaste 1975)
ma, et c’est en assistant au tourna- d’approfondir certains de ses
ge d’un film sur la dernière guerre thèmes (l’homme-ange déphasé, Der amerikanische Freund (L’ami
qu’ils prennent conscience du encore une fois, par rapport à son américain 1977)
passé. Ils rencontrent Peter Falk environnement ; la difficile fusion
(qui aurait été un ange devenu des sexes; le 7 éme Art comme nou- Lightening over Water (Nick’s
humain... mais comme c’est un vel espace territorial) sous un angle Movie, 1980)
acteur, on ne sait jamais où est le nouveau où l’artifice (les codes) des
vrai ou le faux avec lui). Ce dernier situations est bien assumé. Le Hammett (Hammett, 1982)
sent leur présence. Damiel assiste, résultat, surprenant, confirme le fait
aussi, à la dernière représentation que Wenders demeure un des plus Der Stand der Dinge (L’état des
d’un cirque ambulant (très wender- grands cinéastes contemporains. choses, 1982)
sien cela !) et tombe amoureux de Raphaël Bassan
la trapéziste Marion, faux ange qui Revue du Cinéma n° 431 1987 Paris, Texas (Paris Texas, 1984)
connaît l’ivresse de voler suspendue
à des cordes. Pour elle, il deviendra Tokyo-Ga (1985)
humain, donc visible. Ils se rencon-
trent à la fin, sans qu’on sache où Der Himmel über Berlin (Les ailes
tout cela va déboucher. du désir, 1987)
L’ange qui descend du ciel pour voir Bis aus Ende der Welt (Jusqu’au
comment vivent les humains est un bout du monde, 1991)
personnage relativement familier de
la mythologie cinématographique.
Sauf, qu’habituellement, cet être
doit rendre des comptes à son
maître : Dieu ou le Diable. Ce qui
n’est pas le cas ici où on a affaire à
des "anges sans attaches". Comme
nous le notions, la parenté qui unit
Wenders aux trois cinéastes préci-
tés est cette même douleur face à
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