Aujourd’hui, quatre jeunes femmes de vingt ans travaillent pour survivre le jour et vivent la nuit. Elles sont ouvrières réparties en deux castes : les textiles et les crevettes. Leur obsession : bouger. «On est là» disent-elles. De l’aube à la nuit la cadence est effrénée, elles traversent la ville. Temps, espace et sommeil sont rares. Petites bricoleuses de l’urgence qui travaillent les hommes et les maisons vides. Ainsi va la course folle de Badia, Imane, Asma et Nawal...
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ProPos de la réalisatrice
QuaranteasanslédguernandtnsateanarQu,na,tdrulleicetua«ustedeh»en’avait fait de Tanger qu’une métropole régionale atrophiée en totale récession économique. Et puis la ville a explosé. Tanger la mal aimée du pouvoir royal, la délaissée, prenait sa revanche la ville transit est ellemême en transition, charnière de deux mondes. a ville se métamorphose autour du nouveau port et de la one ranche. our le aroc, c’est le chantier du siècle, l’ un des doue travaux d’ercule. ’est l’Europe en territoire marocain, en terre africaine. n miroir aux alouettes dont l’oectif déclaré est de créer emplois d’ici à et de faire de la région la ase arrière industrielle de l’Europe.
Au dépArt…
l’hiver , e tournais mon premier documentaire. e filmais «les rûleurs», les immigrés clandestins qui tentent de traverser la éditerranée. e les suivais sur le port, la nuit. l’aue, au moment où ils rentraient dormir, on découvrait ces armées d’ouvrières, ces colonnes compactes de femmes qui engorgent la ville dans un va et vient quotidien.
ranche c’est propre, moderne, «tout en verre». ne vraie technopole, qu’elles décrivent de manière très visuelle. Quand e suis rentrée pour la première fois ’ai eu le même regard qu’elles. des crevettes et des textiles es ouvrières sont réparties en deux castes les textiles et les crevettes. es textiles sont plus faciles à aorder. revette à leurs yeux, c’est pire que le purgatoire. e n’est pas une question d’argent. ne crevette peut gagner plus ’ textil qu une e.
e sont les hordes du «aroc de l’ntérieur», celles qui ont posé leur alluchon dans les collines des fauourgs, dont l’énergie, le mouvement, l’apparence offraient un contraste saisissant avec l’onirisme de l’attente des rûleurs. ès l’aue, elles se mettent en marche et traversent à pieds ’estune affaire de statut. es filles crevettes sont payées ce genre de paysage commun à toutes les périphéries des à la tâche. Elles font touours partie du temps archaïque, villes marocaines des immeules aux murs de éton nu, du temps de la nonmaîtrise. ’accession à la maîtrise de aux rideaux de fer aissés, aux araques inachevées qui soi,à la maîtrise de son temps, c’est d’être payé à l’heure. gangrènent le flanc pelé des collines. ais la grande affaire c’est aysage de trous oueux l’hiver«je ne vole pAs : je me remboursel’odeur. a description qu’elles et poussiéreux l’été , où le vent ne font de l’odeur des filles crevettes tome amais, d’où on ne voit amaisje ne cAmbriole pAs : je récupèreest incroyale. «Quand elles la mer. ’où on oulie que le portje ne trAfique pAs : je commercepassent sur le port, leur odeur donne sur une mer et un océan à laje ne me prostitue pAs : je m’inviterecouvre celle des camions ». fois et qu’on est ien à Tanger.je ne mens pAs :e qui est asolument faux. e motif extrêmement physiqueje suis déjà ce que je serAiais c’est vrai que l’odeur est était très emlématique de la transje suis juste en AvAnce sur lA vérité :insupportale et terrilement formation de la ville. persistante. Elles disent que ’ai commencé à discuter avec cesïer’hlA,dibAmlifudlAmiennequand tu arrêtes tu mets six filles. eur osession, c’est le travailneomois à te déarrasser de l’odeur. stale sous contrat, l’usine. e»Elles n’ont pas de douche che statut à conserver coûte que coûte. elles. Elles vivent dans de tout ’angoisse se mettre à l’étal pour louer sa force de travail à petits endroits, où il n’y a souvent pas de fenêtre. ’est la ournée, être parmi les autres à attendre qu’un employeur souvent très oli, très soigné. Et totalement aigné dans vous désigne pour une tâche. cette odeur. Elles parlent de la one ranche comme de l’Europe, a fille crevette est pun. n finit crevette quand on s’est reprenant à leur compte un peu du discours officiel. En faiteter de partout. ais l’usine de crevettes, c’est aussi cela aussi elles s’opposent aux hommes, elles ne veulent la première porte qui s’ouvre quand on arrive à Tanger. «l pas rûler. Elles n’y croient pas. our elles, la one ne faut amais rester plus de trois mois sinon t’es foutue.
partir du moment où t t’en sors, que tu apprends vraiment u à éplucher, que tu commences à faire eaucoup de ilos, t’es foutue» disentelles. n peut appliquer ça à tout en fait quand tu fais dirhams par our, autant dire une fortune, t’es foutue. ’est de la suversion totale. e revenu, c’est ce qui va te tuer.
des filles jeunes…
es filles pour moi sont un emlème de la transformation du aroc, mais aussi d’une transformation plus vaste, qui a lieu partout. e sont des filles eunes, qui arrivent, qui changent la ville. Elles sont dans un rapport à l’espace, un rapport à ellesmêmes, un rapport au temps, complètement différent. a manière qu’elles ont d’affirmer leur identité individuelle est totalement nouvelle, pas du tout idéologique. e flot d’humains qui vient uter sur cette ville à Tanger c’est un peu la alifornie dans les années ou , avec en toile de fond la récession qui frappe toute l’frique.
… et insoumises
Elles arrivent sans leur famille avec un élan et une vitalité incroyales. Elles sont dans un ricolage très intuitif et très intelligent de leur survie, dans une lierté de fait, pas du tout revendiquée. ux yeux des autres, leurs actes peuvent apparaître contradictoires mais pour elles tout se tient la survie doit se faire dans la ouissance. Elles s’emparent d’espaces très neufs. Elles ne s’interdisent pas de lieux en cédant à des à priori. ertaines sont
serveuses, une profession qui était encore il y a peu de temps exclusivement masculine. eurs relations avec les hommes d’ailleurs, elles n’appellent pas cela prostitution. our elles, c’est le t’dear la dérouille. n les dit «t’dearrins.» et être étonnant créé par soixantedix ans d’histoire marocaine qui ricole sa survie auourleourenfunamule,pourcontinueràêtrecetomot incassale et comatif, présent au monde. «n dearatus est là » disentils. e quatuor du film, adia, sma, aal, mane sont des «t’dearrates». es petites ricoleuses de l’urgence moins horslaloi que simples ouvrières mais pas plus. «Travailler» voulant dire course à la survie au our le our, la transformation des matières, des occasions, des
opportunités en monnaie d’échange, payer de sa personne, de son temps et se remourser sur les autres. Elles passent d’un lieu à un autre, changent de vêtements, ne renoncent à rien. es filleslà attent en rèche toutes ces représentations orientalistes de la femme arae qui sont tellement prégnantes la femme orientale, au mieux dégoulinante de sensualité parce qu’il faut qu’elle fasse la danse du ventre, au pire soumise. lA lAngue Elles parlent un marocain très singulier, la langue de rue du aroc d’auourd’hui. ’est un marocain hachuré la grammaire est marocaine, mais elle est concassée, nourrie de termes de toutes les langues qui composent le pays, et de langues inventées, de erère, de français, d’anglais, d’espagnol... ’est une langue en perpétuelle réinvention, qui repose sur une poésie et une capacité de métaphoriser le monde. lus qu’un langage, c’est un mode de vie, une attitude à laquelle on reconnaît les «urains», les affranchis. n peu comme le verlan en rance, qui peut être très crypté quand il est parlé au coeur des cités et moins lorsqu’il migre dans les autres quartiers. euxci déploient donc un véritale art de la «Tchatche»… ’ai travaillé avec oufia en lui faisant écouter du rap, la scansion coranique, la rythmique des conteurs traditionnels, des cadences d’oralité marocaine très anciennes… our faire résonner la langue du film un flux de slam, musical, dans une sorte d’hyridations et de mélanges de références.
un fAit divers ’ai écrit le film à partir d’un fait divers. En , e m amusais à lire la presse à scandale marocaine. n parlait ’ d’un nouveau trend la féminisation de la criminalité. ne ande de quatre filles, un peu ouvrières, mais ce n’était pas tout à fait clair, repéraient des mecs dans les cafés et les dévalisaient. l y avait eu un meurtre. partir de cette matière, ’ai écrit un proet, et puis ’ai proposé à afed enotman, un écrivain de roman noir… qui a aussi à son actif d’avoir raqué quelques anques, d’écrire avec moi. e film noir n’était pas un choix de ma part mais une évidence.
une ville de polAr
J’ai toujours pensé que Tanger était une ville de polar. C’est indissociable dans rapport à la ville. Cela tient à la tradition littéraire, à l’unité visuelle, au rapport à la violence… C’est une ville avec un imaginaire de la mafia, avec des héros magnifiés, une ville où il a un rapport au temps très particulier qui ait que l’on est dans une tension permanente. ne ville interlope, aite de ones grisâtres… l a quelque ch d’ cessi, de ose e proondément romantique dans cette ville. t puis il avait cette idée qu’il était très dificile d’entrer dans la one ranche, que c’était comme un checpoint, une citadelle barricadée. J’ voais un moti de polar très ort. e polar m’amuse. l permet de vider un peu les choses de leur substance dramatique, d’être dans le ludique.
cAsting
J’ai vu filles à Tanger. n a ait distribuer des flers sur les plages, dans les caés, les stands commerciau, on a passé des annonces à la radio, créé une page aceboo, ait circuler
des choses sur le eb… Tout le aroc a défilé, toutes les classes sociales. es filles venaient avec les parents, ce qui aurait été totalement inconcevable il a vingt ans. ’interdit est tombé la star académie est passée par là. ucune des actrices n’a été choisie juste pour elle. C’est le quatuor qui comptait. Celles que l on a gardées avaient en ’ commun une manière asse intuitive de travailler, sans être dans la caricature de leur propre image.
prépArAtion
n a ait des essais, une très longue préparation à Tanger. Je leur ai montré des films, pour qu’elles comprennent equj’aime.andadearbaraoden,enpremierlieu,c e pour sa liberté cinématographique, sa mise en scène, pour ce personnage subversi à souhait. C’est virtuose mais il a ce côté spartiate et très inventi que j’aime énormément, qui passe par l’inscription dans un espace et dans un moment. Je sais que les gens ne me suivent pas sur cette idée, mais moi anda je la trouve très drôle. e jeu devait être précis, comme un métronome, pour entrer dans le rthme eréné du film, où tout est chorégraphié. our coller au vaetvient incessant qui est l’essence même du film, on a beaucoup travaillé la retenue, le placement de voi, la scansion, les déplacements, la tension phsique…
n leur a appris à être actrices dans la ville, à compter leurs pas sans que personne ne le remarque. prendre la lumière, placer paraitement leur tete en onction des ambiances, du bruit… filmer dAns lA ville, Avec lA ville epuisqueattamonestvenuàTangerpouraémoiredanslapeau,onnepeutplustournerlibrementdans la ville. n n’avait pas les moens financiers et, de toute açon, ce qui m’amusait c’était de balancer mes actrices dans le marché. u début, les gens du sou se sont énervés. Je leur ai dit que j’étais tangéroise, et qu’ils n’allaient pas tout de même pas empêcher une fille de che eu de tourner dans les rues de Tanger. ls ont rigolé, et l’idée qu’une tangéroise les filme dans cet endroit leur a plu. J’ai donné cinq minutes au vendeur de téléphone pour apprendre son tete, et on a ait la scène avec lui. es films neorais du début des années sont aits comme ça, le néoréalisme aussi. J’ i cette même idée ava s d’essaer de pomper l’énergie de la ville en balançant mes actrices.
AvAnt les révolutions
es révolutions arabes ne se sont pas aites en un printemps. Cette générationlà, c’est ma génération. l a une communauté de comportements, un reus de l’aliénation de l’individu tell ’ la subit depuis quarante ans. e qu on ’écume la plus visible, et certainement la moins glamour, c’est l’immigration clandestine. Ce n’est rien d’autre que l’afirmation de l’individu qui dit «maintenant ce n’est plus possible parce que je n’accepte pas ces conditionslà
je ne peu pas me réaliser dans cet espacelà». n Tunisie, en gpte, les entrepreneurs, les avocats, n’étaient pas les plus visibles, mais ont joué un rôle ondamental. ussi paradoal que ça puisse paraître, je pense que c’est le même mouvement. Ce sont des gens qui ont juste envie de aire du business et qui disent q ’ils ne peuvent plus u continuer à travailler dans ces sstèmes véreu. e la même manière, notre génération ne peut plus accepter cette projection tellement manichéenne d’un rient qui serait enermé dans la dictature comme si un élan naturel les conduisait vers le despotisme. «eaa », «Ca sufit », c est la phrase qu’on entend le plus dans le monde arabe. ’
leilA KilAni
Née à asalanca en 0 eïla ilani a touours rêé d’être clown lle it auourd’ui entre aris et anger et s’oriente ers le documentaire en 2000 aec des films trèsremarquésangerlerêedesBrûleursNoslieux
interdits aant de réaliser SR A AN son remier