La marche des conservateurs
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La marche des conservateurs

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L I B E R A T I O N
L U N D I 2 4 A V R I L 2 0 0 6
37
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d
s
CHAT
Dialoguez tous les mardis
de 15 h à 15 h 30
avec
Daniel Schneidermann
chroniqueur à
Libération.
www.liberation.fr
L
e succès retentissant qu’a connu
la
Marche de l’Empereur
outre-Atlan-
tique s’est soldé par une belle victoi-
re française à la remise des Oscars
d’Hollywood, le 7mars. Ce réchauf-
fement de l’axe Paris-Washington va de
pair avec celui de la planète, toile de fond
suggérée d’un documentaire relatant les
tribulations en Antarctique d’une tou-
chante espèce de manchots confrontée
de plein fouet à la sélection naturelle.
Mais de darwinisme, il ne saurait être
question pour la droite religieuse améri-
caine, qui, de son côté, loin de connaître
la voie de l’extinction, continue de gagner
du terrain sur le thème des valeurs mo-
rales. C’est ainsi que la procession des
pingouins est devenue chez les prédica-
teurs évangélistes la parabole d’un par-
cours semé d’embûches que seuls le cou-
rage, la foi et la fidélité permettent de
transcender et qui conforte, assurent-ils,
la notion de
«dessein intelligent»
dont ils
se font les porte-parole.
La récupération par la droite chrétienne
du documentaire de Luc Jacquet aurait
tendance à faire sourire une France dont
le socle laïc et le recul des pratiques reli-
gieuses opacifient de plus en plus la com-
préhension des bouleversements en
cours dans la psyché américaine, et ac-
croissent progressivement les diffé-
rences culturelles séparant nos deux
Par
CATHERINE
CROISIER
chercheuse
associée
à l’Institut de
relations
internationales
et stratégiques
(Iris) en charge
des Etats-Unis.
pays. Il convient néanmoins de s’in-
terroger sur la marche conservatrice
qui s’inscrit en profondeur dans les
Etats du sud de l’Amérique et qui
pourrait bien, un jour prochain, faire
basculer l’Etat fédéral tout entier
dans une version technicolor des an-
nées pré-
Civil Rights
.
Si les chrétiens évangélistes ont rega-
gné en puissance avec l’élection de
George W. Bush en novembre2000, il
n’en demeure pas moins que le
conservatisme américain est resté vi-
vace depuis la période Reagan, «an-
nées folles» du télévangélisme, de Jer-
ry Falwell, Pat Robertson, de la
Christian Coalition
et de la
Moral Ma-
jority
. Discrédités par leurs actions
violentes du milieu des années 90,
sous l’impulsion du
conservative revi-
val
incarné par le
Contrat avec l’Amé-
rique
du speaker à la Chambre des re-
présentants, Newt Gingrich, les
évangélistes et la droite chrétienne se
sont attaqués plus pacifiquement,
mais néanmoins de manière plus
agressive et bien plus efficace, à la lé-
gislation américaine pour faire pen-
cher la balance de la Cour suprême
dans le camp des
Born Again
.
La présidence Bush marquera certai-
nement de son empreinte conserva-
trice les prochaines décennies, à tra-
vers la nomination des juges Roberts
et Alito à la Cour suprême, mais c’est
avant tout au niveau des Etats fédérés
que s’inscrit en dominos la poussée
traditionaliste, et parfois réactionnai-
re, de forces civiles et de groupes de
pression désormais rompus aux
rouages législatifs et judiciaires.
Cheval de bataille des chrétiens évan-
gélistes: l’abrogation de l’arrêt «Roe
versus
Wade» qui, en 1973, légalisa
l’avortement. Ces dernières années,
une trentaine d’Etats a strictement
limité le droit à l’avortement à travers
de nouveaux arrêts. Avec les déci-
sions Webster de 1989 et Casey de
1992, les
pro-lifers
se sont enhardis et
ont cherché des failles juridiques per-
mettant de décourager ou d’empê-
cher la pratique de l’avortement. La
dernière décision de la juge «modé-
rée» Sandra Day O’Connor fut de
maintenir la brèche ouverte avec l’ar-
rêt «Ayotte
v
. New Hampshire» du
30 novembre 2005, dans laquelle se
sont engouffrés sans tarder les oppo-
sants à cette pratique.
La situation est particulièrement cri-
tique, voire dramatique, dans les ré-
gions les plus pauvres et les plus ru-
rales des Etats-Unis où, sous les
coups de boutoir législatif et d’un lob-
bysme exacerbé, ferment une par
une les cliniques pratiquant l’avorte-
ment, remplacées par des centres de
soins inculquant à des mineures en-
ceintes les valeurs de l’abstinence et
se refusant à faire circuler toute in-
formation sur les méthodes contra-
ceptives ou palliatives. Il ne reste, à
titre d’exemple, qu’une seule clinique
pratiquant l’avortement au Missis-
sippi, obligeant les femmes à se
rendre dans les Etats voisins ou à me-
ner à terme une grossesse non dési-
rée pour celles ne disposant d’aucun
moyen de locomotion.
Après avoir célébré la journée inter-
nationale de la femme, en jetant
quelques coups d’œil furtifs et cri-
tiques chez nos voisins de cultures
proches et plus éloignées, c’est une
véritable remise en cause du droit des
femmes qui se joue sous nos yeux
dans le pays des libertés civiles. Une
marche assurée vers des situations
individuelles tragiques et que les pin-
gouins d’Antarctique, si leur avis était
requis, refuseraient très certaine-
ment d’endosser.•
Les Briseurs de machines
de Nicolas
Chevassus-au-Louis, coll. «Science ouverte»,
Seuil, 264 pp., 20 ¤.
Impasse de l’espace
de Serge Brunier,
coll. «Science ouverte», Seuil, 286 pp., 22 ¤.
Q
ui choisit les technologies?
Peut-on arrêter le pro-
grès technique? Sur ces
questions hautement poli-
tiques, la collection «Science ou-
verte» du Seuil propose deux ré-
flexions concomitantes, dont la
comparaison stimule l’esprit. Le
premier,
les Briseurs de machines
,
évoque la révolte des
luddites
– ces
ouvriers anglais qui, à l’orée de la
révolution industrielle, vers 1811-
1812, ont cassé machines à tisser et
à tricoter – pour la mettre en re-
gard avec les faucheurs d’OGM.
«De Ned Ludd à José Bové»
, sou-
ligne le sous-titre de l’ouvrage.
Le lien entre ces deux histoires
peut sembler lâche. Il se tisse pour-
tant solidement autour de la
«dé-
mocratisation des choix technolo-
giques»
, comme l’écrit Nicolas
Chevassus-au-Louis, pour qui
«la
technologie restant largement hors
du champ d’intervention démocra-
tique, n’est-il pas normal que ces
luttes conservent aujourd’hui leur
vigueur?»
L’épisode luddite an-
glais eut d’ailleurs ses répliques
françaises, raconte l’auteur – villes
lainières du Lyonnais s’insurgeant
contre la
«grande tondeuse»
en
1819, imprimeurs parisiens com-
battant l’arrivée des presses méca-
niques en 1830.
L’auteur a décidé de faire des fau-
cheurs d’OGM les luddites actuels.
L’intérêt du rapprochement tient à
la finesse de l’analyse: c’est moins
l’objet (la machine, la plante trans-
génique) que les conséquences at-
tribuées à son usage – chômage, en-
vironnement, santé – qui motivent
luddites et faucheurs. Les luddites
luttent moins contre
«le progrès
technique que contre la dégradation
de leurs conditions de travail»
, ont
montré les historiens.
Les agriculteurs français qui mè-
nent l’action contre les quelques se-
mences transgéniques existantes
sont en réalité confrontés à la dimi-
nution drastique de leurs effectifs:
25 % de la population active en
1950, 3 % aujourd’hui. Chevassus
en tire une conclusion balancée:
l’action violente peut freiner la dif-
fusion d’une innovation technolo-
gique, mais pas
«l’enterrer»
. Son
principal intérêt résulte en une am-
plification, voire une naissance, du
débat social sur l’usage d’une tech-
nologie. L’efficacité du luddisme –
ou des faucheurs – est donc réelle,
mais pas nécessairement celle
qu’en attendent les militants.
S’il n’est guère question de «luttes»
dans le livre de Serge Brunier,
Im-
passe de l’espace
, c’est également de
politique qu’il s’agit. Comment ex-
pliquer l’obstination des Etats-
Unis et de l’URSS, puis de la Russie,
à poursuivre de dispendieux pro-
grammes de vols spatiaux habités?
La description qu’en fait l’auteur ne
rate aucune des impasses: rende-
ment scientifique proche de zéro,
technologies chères et dange-
reuses, programmes mensongers,
budgets dépassés… Quel autre sec-
teur y survivrait? Quant au futur, le
retour sur la Lune, le bond vers
Mars…
«and beyond»
, comme le
claironne la Nasa, Serge Brunier en
fait une critique acerbe, pointant
les impasses (ainsi les lanceurs
permettant de ravitailler une base
lunaire n’existent pas…).
Le bilan est d’autant plus cruel
qu’il s’oppose de manière éclatan-
te au succès massif et croissant des
engins automatiques, civils ou mi-
litaires (réduits dans ce dernier
cas aux Etats-Unis), qu’il s’agisse
de surveiller la Terre, d’assurer les
télécommunications, d’explorer
l’Univers lointain ou le système
solaire.
C’est qu’il s’agit de politique pure:
les astronautes vivent certes une
aventure personnelle (qui parfois
tourne mal au retour sur Terre);
mais ils sont en réalité en service
commandé. Il s’agissait, hier, de
montrer la supériorité d’un systè-
me social sur un autre. Aujour-
d’hui, d’affirmer la domination
américaine sur les esprits, celle sur
le monde utilisant plutôt le spatial
militaire, lequel n’a que faire des
astronautes. Ces objectifs, écrits
noir sur blanc dans des textes offi-
ciels (rapport Webb à Kennedy,
justification du retour sur la Lune
par Bush), réduisent à néant l’argu-
mentation publicitaire sur
«le be-
soin humain d’explorer l’univers»
.
L’Europe, qui stérilise une part
non négligeable de son budget spa-
tial dans la station spatiale, devrait
s’interroger, insiste Brunier, sur le
bon usage de ses deniers. Y a-t-il, là,
matière à
«démocratiser les choix
technologiques?»
Peu probable, si
l’on relève les réactions au tir du
premier astronaute chinois – des
membres du Congrès américain
agitant la
«menace»
d’une nouvel-
le course à la Lune, que les Etats-
Unis perdraient, cette fois. Ou cel-
le des dirigeants de l’Agence
spatiale européenne aux annonces
de Bush, exhortant les gouverne-
ments à se joindre à cette
«aventu-
re»
, sans préciser que ce serait aux
conditions imposées par la Nasa.
Dans un tel contexte, le parler vrai
de Serge Brunier ne peut faire que
du bien.•
SYLVESTRE HUET
Livres.
Deux parutions mettent en lumière l’instrumentalisation des techniques nouvelles.
Quand technologique rime avec politique
Les centres de soins inculquent aux mineures
enceintes les valeurs de l’abstinence
et refusent d’informer sur la contraception.
A nos lecteurs.
Un empêchement nous prive
de la chronique économique
de Thomas Piketty, qui reprendra
le 29 mai. «Economiques» ne
paraîtra pas lundi prochain pour
cause de 1
er
mai. Philippe Martin
signera la chronique du 8 mai.
Le lobbysme antiavortement forcené des évangélistes américains est une négation du droit des femmes.
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