Le Président
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Extrait

Le Président mystifiéC'était avec un regret mortel que le marquis d'Olincourt, colonel de dragons, pleind'esprit, de grâce et de vivacité, voyait passer Mlle de Téroze, sa belle-sœur, dansles bras d'un des plus épouvantables mortels qui eût encore existé sur la surface duglobe ; cette charmante fille, âgée de dix-huit ans, fraîche comme Flore et faitecomme les Grâces, aimée depuis quatre ans du jeune comte d'Elbène, colonel ensecond du régiment d'Olincourt, ne voyait pas non plus arriver sans frémir le fatalinstant qui devait, en la réunissant au maussade époux qu'on lui destinait, laséparer pour jamais du seul homme qui fût digne d'elle, mais le moyen de résister ?Mlle de Téroze avait un père vieux, entêté, hypocondre et goutteux, un homme quise figurait tristement que ce n'était ni les convenances, ni les qualités qui devaientdécider les sentiments d'une fille pour un époux, mais seulement la raison, l'âge mûret principalement l'état, que l'état d'un homme de robe était le plus censé, le plusmajestueux de tous les états de la monarchie, celui d'ailleurs qu'il aimait le mieuxdans le monde ; ce ne devait nécessairement être qu'avec un homme de robe quesa fille cadette devait être heureuse. Cependant le vieux baron de Téroze avaitdonné sa fille aînée à un militaire, qui pis est, à un colonel de dragons ; cette filleextrêmement heureuse et faite pour l'être à toute sorte d'égards, n'avait aucun lieude se repentir du choix de son père. Mais tout cela n'y faisait rien ; si ce premiermariage avait réussi, c'était par hasard, au fait il n'y avait qu'un homme de robe seulqui pût rendre une fille complètement heureuse ; cela posé, il avait donc falluchercher un robin : or de tous les robins possibles, le plus aimable aux yeux duvieux baron était un certain M. de Fontanis, président au Parlement d'Aix, qu'il avaitautrefois connu en Provence, moyennant quoi, sans plus de réflexion, c'était M. deFontanis qui allait devenir l'époux de Mlle de Téroze.Peu de gens se figurent un président au Parlement d'Aix, c'est une espèce de bêtedont on a parlé souvent sans la bien connaître, rigoriste par état, minutieux, crédule,entêté, vain, poltron, bavard et stupide par caractère ; tendu comme un oison danssa contenance, grasseyant comme Polichinelle, communément efflanqué, long,mince et puant comme un cadavre... On dirait que toute la bile et la roideur de lamagistrature du royaume aient choisi leur asile dans le temple de la Thémisprovençale pour se répandre de là au besoin, chaque fois qu'une cour française ades remontrances à faire ou des citoyens à pendre. Mais M. de Fontanisenchérissait encore sur cette légère esquisse de ses compatriotes. Au-dessus dela taille grêle, et même un peu voûtée, que nous venons de peindre, on apercevaitchez M. de Fontanis un occiput étroit, peu bas, fort élevé par le haut, décoré d'unfront jaune que couvrait magistralement une perruque à plusieurs circonstances,dont on n'avait point encore vu de modèle à Paris ; deux jambes un peu torsessoutenaient avec assez d'appareil cet ambulant clocher, de la poitrine duquels'exhalait, non sans quelques inconvénients pour les voisins, une voix glapissante,débitant avec emphase de longs compliments moitié français, moitié provençaux,dont il ne manquait jamais de sourire lui-même avec une telle ouverture de boucheque l'on apercevait alors jusqu'à la luette un gouffre noirâtre, dépouillé de dents,excorié en différents endroits et ne ressemblant pas mal à l'ouverture de certainsiège qui, vu la structure de notre chétive humanité, devient aussi souvent le trônedes rois que celui des bergers. Indépendamment de ces attraits physiques, M. deFontanis avait des prétentions au bel esprit ; après avoir rêvé une nuit qu'il s'étaitélevé au troisième ciel avec saint Paul, il se croyait le plus grand astronome deFrance ; il raisonnait législation comme Farinacius et Cujas et on l'entendaitsouvent dire avec ces grands hommes, et ses confrères qui ne sont point de grandshommes, que la vie d'un citoyen, sa fortune, son honneur, sa famille, tout ce qu'enfinla société regarde comme sacré, n'est rien dès qu'il s'agit de la découverte d'uncrime, et qu'il vaut cent fois mieux risquer la vie de quinze innocents que de sauvermalheureusement un coupable, parce que le ciel est juste si les Parlements ne lesont pas, que la punition d'un innocent n'a d'autre inconvénient que d'envoyer uneâme en paradis, au lieu que de sauver un coupable risque de multiplier les crimessur la terre. Une seule classe d'individus avait des droits sur l'âme cuirassée de M.de Fontanis, c'était celle des catins, non qu'il en fît un grand usage en général :quoique fort chaud, il était de faculté rétive et peu usante, et ses désirs s'étendaienttoujours beaucoup plus loin que ses pouvoirs. M. de Fontanis visait à la gloire detransmettre son illustre nom à la postérité, voilà tout, mais ce qui engageait cemagistrat célèbre à user d'indulgence envers les prêtresses de Vénus, c'est qu'ilprétendait qu'il était peu de citoyennes plus utiles à l'État, qu'au moyen de leurfourberie, de leur imposture et de leur bavardage, une foule de crimes secrets
parvenait à se découvrir, et M. de Fontanis avait cela de bon, qu'il était ennemi juréde ce que les philosophes appellent les faiblesses humaines.Cet assemblage un peu grotesque de physique ostrogoth et de morale justiniennesortit pour la première fois de la ville d'Aix en avril 1779 et vint, sollicité par M. lebaron de Téroze qu'il connaissait depuis très longtemps pour des raisons de peud'importance au lecteur, se loger à l'hôtel de Danemark, non loin de celui du baron.Comme on était alors au temps de la foire Saint-Germain, tout le monde crut dansl'hôtel que cet animal extraordinaire venait pour se montrer. Un de ces êtresofficieux, toujours offrant leurs services dans ces maisons publiques, lui proposamême d'aller avertir Nicolet qui se ferait un véritable plaisir de lui préparer une loge,à moins qu'il n'aimât mieux pourtant débuter chez Audinot. Le président dit1 : « Mabonne m'avait bien prévenu quand j'étais petit que le parisien était un peuplecaustique et facétieux qui ne rendrait jamais justice à mes vertus, mais monperruquier m'avait pourtant ajouté que ma tignasse leur en imposerait ; le bonpeuple, il badine quand il meurt de faim, il chante quand on l'écrase... oh ! je l'aitoujours soutenu, il faudrait à ces gens une inquisition comme à Madrid ou unéchafaud toujours dressé comme à Aix. »Cependant M. de Fontanis, après un peu de toilette qui ne laissa pas que derelever l'éclat de ses charmes sexagénaires, après quelques injections d'eau-roseet de lavande, qui n'étaient point, comme dit Horace, des ornements ambitieux,après tout cela, dis-je, et peut-être quelques autres précautions, qui ne sont pasvenues à notre connaissance, le président vint se présenter chez son ami le vieuxbaron ; les deux battants s'ouvrent, on annonce et le président s'introduit.Malheureusement pour lui, les deux sœurs et le comte d'Olincourt s'amusaient tousles trois comme de vrais enfants dans un coin du salon, quand cette figure originalevint à paraître, et quelques efforts qu'ils fissent, il leur devint impossible de sedéfendre d'une attaque de rire dont la grave contenance du magistrat provençal setrouva prodigieusement dérangée ; il avait étudié longtemps devant un miroir sarévérence d'entrée, et il la rendait assez passablement, quand ce maudit rire,échappant à nos jeunes gens, pensa faire rester le président en forme d'arcbeaucoup plus longtemps qu'il ne se l'était proposé ; cependant il se releva, unregard sévère du baron sur ses trois enfants les ramena aux bornes du respect, etla conversation s'engagea.Le baron qui voulait aller vite en besogne et dont toutes les réflexions étaient faites,ne laissa point finir cette première entrevue sans déclarer à Mlle de Téroze que telétait l'époux qu'il lui destinait et qu'elle eût à lui donner la main sous huit jours auplus tard ; Mlle de Téroze ne dit mot, le président se retira et le baron répéta qu'ilvoulait être obéi. La circonstance était cruelle : non seulement cette belle filleadorait M. d'Elbène, non seulement elle en était idolâtrée, mais aussi faible quesensible, elle avait malheureusement laissé déjà cueillir à son délicieux amant cettefleur qui, bien différente des roses quoiqu'on les lui compare quelquefois, n'a pascomme elles la faculté de renaître à chaque printemps. Or qu'aurait pensé M. deFontanis... un président au Parlement d'Aix... en voyant sa besogne faite ? unmagistrat provençal peut avoir bien des ridicules, ils sont d'état dans cette classe,mais encore se connaît-il en prémices, et est-il bien aise d'en trouver au moins unefois en sa vie dans sa femme. Voilà ce qui arrêtait Mlle de Téroze qui, quoique trèsvive et très espiègle, avait cependant toute la délicatesse qui convient à une femmedans ce cas-là, et qui sentait parfaitement bien que son mari l'estimerait fort peu, sielle venait à le convaincre qu'elle avait pu lui manquer de respect même avant quede le connaître ; car rien n'est juste comme nos préjugés sur cette matière : nonseulement il faut qu'une malheureuse fille sacrifie tous les sentiments de son cœurau mari que ses parents lui donnent, mais elle est même coupable si avant que deconnaître le tyran qui va la captiver, elle a pu, n'écoutant que la nature, se livrer uninstant à sa voix. Mlle de Téroze confia donc ses chagrins à sa sœur qui, beaucoupplus enjouée que prude et beaucoup plus aimable que dévote, se mit à rire commeune folle de la confidence et en fit aussitôt part à son grave mari, lequel décida queles choses étant en cet état de brisure et de délabrement, il fallait bien se garder deles offrir aux prêtres de Thémis, que ces messieurs-là ne badinaient point sur deschoses de cette importance, et que sa pauvre petite sœur ne serait pas plus tôtdans la ville de l'échafaud toujours dressé, qu'on l'y ferait peut-être monter pour enformer une victime à la pudeur. Le marquis cita, après son dîner surtout, il avaitquelquefois de l'érudition, il prouva que les Provençaux étaient une colonieégyptienne, que les Égyptiens sacrifiaient très souvent des jeunes filles, et qu'unprésident au Parlement d'Aix, qui ne se trouve originairement qu'un colon égyptien,pourrait sans aucun miracle faire couper à sa petite sœur le plus joli col du monde...- Ce sont des tranchaux de têtes que ces présidents colons ; ils vous coupent unenuque, poursuivait d'Olincourt, comme une corneille abat des noix, juste ou non ilsn'y regardent pas de si près ; le rigorisme a comme Thémis un bandeau que la
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