Carmen, ne Voix-tu rien venir ?
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Description

Présentation du film Carmen de Francesco Rosi(1984) tiré de l'opéra de Bizet (1875). On y approchera le discours de l'hystérique et celui du maître avec les outils lacaniens des 4 discours, du graphe et du nœud Borroméen ainsi que les questions de l'objet pulsionnel et du "sens" de l'interprétation analytique.

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Publié le 04 décembre 2013
Nombre de lectures 66
Langue Français

Extrait

1

Carmen ne
voix tu
rien venir ?
Le vendredi 11 octobre 2013 a eu lieu au cinéma Bel'air de Mulhouse, une double rencontre.
Sous l'impulsion de Joël Fritschy, nous avions rendez-vous avec le Carmen de Francesco Rosi
1et la présence de Jean-Charmoille , dont le parcours professionnel l'a conduit
de la psychologie, à la médecine, à la psychiatrie, à la pédopsychiatrie, à la psychanalyse puis
enfin – à l'âge de 60 ans et suite à sa rencontre avec le Don Juan de Mozart – au chant ténor et à
l'univers lyrique. Rosi, pour réaliser cette œuvre cinématographique en 1984, s'inspira de l'opéra en
4 actes de Georges Bizet (crée en 1875 d'après la nouvelle rédigée en 1845 par Prosper Mérimée).
Voir ou revoir Carmen, c'est se placer sous le signe :
 du chant et de la chorégraphie,
 de tant d'histoires d'amour impossibles comme autant de "faits divers",
 et de l'Andalousie dont la chaleur brûle nos yeux et chauffe nos oreilles.
Une terre brune et vert-olive avec ses taureaux, ses séguedilles et ses vins de Manzanille,
où la sensualité espagnole enfièvre la courtoisie française du texte.
Mais voir Carmen c'est aussi vaciller sous le déferlement d'un au-delà aux plaisirs du chant, de la
danse, de la culture et de la terre, à savoir la question de ce que voudrait la Femme, la question de la
jouissance de l'Autre et de celle que, pas plus que le soleil, on ne peut regarder dans les yeux :
la mort.
------
Lors de sa présentation au public le 03 mars 1875, l'œuvre fut un fiasco. Ce rejet fut une défense de
la part d'un public bourgeois, heurté dans sa morale conformiste. Pareil opéra était bon pour le
boulevard, disait-on, plus canaille et plébéien. A l'Opéra-Comique, où il fut joué, on goûtait peu ces
insoumissions torrides qui suggéraient des plaisirs "défendus" dont plus d'un dans le public se
régalait pourtant en catimini dans des maisons, closes sur d'autres Carmencitas anonymes.
La critique musicale de l'époque ne fut pas tendre non plus. Pour Camille du Locle, qui dirigea
l'opéra-comique en 1870, « c'était de la musique "cochinchinoise" ; on n'y comprenait rien ! »
En Europe, après la mort de Bizet (le 03 juin 1875), Carmen démarra rapidement une carrière
éblouissante. Le premier triomphe de cette œuvre eut lieu à Vienne dès le mois d'octobre 1875.
Richard Wagner et Frédéric Nietzsche en furent des admirateurs passionnés et Tchaïkovski
prophétisa « qu'il ne faudrait pas plus de dix ans pour que Carmen soit l'opéra le plus célèbre de
toute la planète ».
Le succès extraordinaire de cette œuvre tient à sa trame mais aussi à sa musique, « archétype de ce
qui caractérise l'esprit et le style si particulier de la musique française : clarté, sonorités limpides,
2élégance, suggestion, … ». Il procède également de l'unité entre la dramaturgie et le chant :
« Le premier coup de cymbales dès l'ouverture contient toute la fulgurance d'un rayon de soleil
3acéré mais fait aussi luire la pointe menaçante d'un couteau brandi ».
1 Charmoille jean, Psychiatre et Psychanalyste exerçant à Montbéliard (25). Voir son site : http://www.sonecrit.com/
2 Casadesus Jean-Claude, chef-d'orchestre français né en 1935.
3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Bizet2
Le ton est ainsi donné et comme l'a souligné Joël Fritschy, le film débute comme il se termine, dans
la palingénésie moebienne d'une mise à mort, en dedans puis en dehors d'une arène – le tout dans un
4apparent fatum qui prend soin de dissimuler la question du désir, de la pulsion et de la jouissance –
une tragédie grecque dont la psychanalyse, de façon singulière, peut permettre d'entendre l'écho
d'une vérité humaine.
Et puis cette œuvre est aussi politique. Sur les remparts de Séville, Carmen l'insoumise incarne la
5révolution (la Commune est récente et la France se réveille, à peine convalescente des massacres
6de Juin 1848 ), elle incarne la liberté, et qu'est-ce que la liberté sinon vouloir sortir de
l'enfermement de préjugés et de brimades sociales ? Carmen est un fleuve impétueux, un oiseau
rebelle que nul ne saurait garder en cage, incapable de transiger avec les élans de ses pulsions quitte
à y laisser plumes et peau. Aussi prêtresse que femme fatale, cette pasionaria apparaîtra comme une
menace pour les bonnes mœurs et surtout comme une tentation ; passant d'amant en amant,
elle tentera de s'affranchir, violemment parfois, de tout ordre établi par des maîtres.
Gitane célibataire, elle est une des nombreuses ouvrières de la manufacture de tabac de la ville,
et ce gynécée attire tous les soirs, à l'heure de la sortie, une procession d'hommes en mal d'amour
7sous le regard épiscopal mais concupiscent des militaires voisins. Les "maîtres" évoqués plus haut
seront ici les militaires de la garnison des Dragons, mais aussi Escamillo, toréador adulé
(incarné par le baryton-basse Ruggero Raimondi) "possédant" l'animal d'une mortelle pénétration
et, in fine, tout homme prétendant posséder la femme.
Comme Le Boléro pour Ravel, Carmen est devenu un mythe. Depuis, écrit Yann Queffelec,
« la gravitation du monde a changé. L'amour gitanisé, est devenu enfant de bohème. Un œil noir te
regarde. Œil de la femme, œil du taureau, œil du destin. On n'en finit jamais avec la belle
8 cigarière », celle qui les roulent entre ses cuisses avant qu'ils ne disparaissent en fumée...
------
Sans détailler davantage l'histoire, rappelons que Don José (incarné par le baryton-ténor Placido
Domingo) tombe sous le charme envoûtant de la Carmencita (interprétée par la mezzo-soprano Julia
Migenes-Johnson) ; cette dernière détourne le soldat navarrais, de la direction amoureuse que lui
prédestinait sa mère, à savoir la jeune, douce et réservée Micaëla (la soprano Faith Esham).
Cette dernière se place en messagère du désir de la mère au travers d'une lettre ; messagère que Don
José dit avoir été recueillie par sa famille (l'a plaçant du coup en position de quasi-sœur),
introduisant, de fait, la problématique œdipienne, l'interdit de l'inceste et éclairant autrement
l'impossibilité de cet hymen.
Mais Carmen, c'est aussi la clinique de l'hystérie. Julia Migenes danseuse accomplie nous
ensorcelle dans ses ondulations et frappe tout autant Don José que le spectateur fasciné par la
percussion de ses "seins-balles". Le réalisateur trace pour nous les contours de ce, vers quoi
l'hystérique ne cesse d'orienter sa marche : l'impuissance de tout maître à détenir la vérité de la
Femme. Un des outils conceptuels apportés par Lacan en 1969, nous servira à le souligner : il s'agit
9des « 4 discours ». Ces quatre discours sont une lecture mathématisante de quatre types de
relations possibles ; ces rapports mettant en scène quatre places, variant selon leurs adressages.
4 Le destin, la fatalité.
5 Insurrection sanglante de 1871 à Paris.
6 Les journées de Juin 1948 furent une révolte du peuple de Paris violemment réprimée (du 22 au 26 juin 1848) pour
protester contre la fermeture des Ateliers Nationaux.
7 Scruté d'en haut (epi-scopos) dans le sens de "surveillant".
8 Yann Queffélec, A propos de Carmen, texte d'introduction à l'œuvre présent dans le carnet accompagnant le CD,
Éditions Erato, Radio-France.
9 Lacan J., L'envers de la psychanalyse (1969-70), Le séminaire, Livre XVII, Le Seuil, Paris, 1991.3
Rapports d'adresses
et leurs directions
possibles :
Un "agent" (celui qui parle) s'adresse à un "Autre" (celui à qui s'adresse le discours) en le
questionnant à "produire" la "vérité" pleine du sujet. Ceci s'articule en un tétraèdre rotatif par quarts
de tours mais dont une direction est une impasse (la production d'une vérité absolue). En dessous de
l'Autre se trouve la production, c'est-à-dire ce que produit le discours. Sous l'agent se trouve la
Vérité, c'est-à-dire ce que l'Agent méconnaît encore en totalité à propos de son désir inconscient.
La Vérité est le moteur de l'Agent et ne reçoit aucun flux d'aucune des trois autres places, mais elle
peut tout aussi bien s'adresser à l'Autre directement. En aucune façon la production ne peut faire
surgir une Vérité univoque et finie mais cette première peut faire

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