Les entreprises se plaignent souvent de la complexité et de l'incertitude liées aux règles en vigueur en matière de protection des emplois salariés. Ces règles les empêcheraient de s'ajuster aux mutations technologiques et aux rapides changements de demande qui caractérisent les économies modernes. Cette perte d'efficacité et les surcoûts qu'elle implique décourageraient la création d'emploi et contribueraient au chômage élevé en France. Ce sont des conclusions beaucoup plus mitigées que tirent Olivier Blanchard et Jean Tirole dans leur rapport, qui se penche sur les institutions et règles de la protection de l'emploi en France. Ils s'interrogent notamment sur la rationalité de la politique française d'indemnisation du chômage et de contrôle des licenciements. Selon eux, le système actuel dans lequel l'entreprise ne paie rien à la caisse d'assurance chômage en cas de licenciement implique une double incitation à licencier. Ils défendent l'idée que, comme toute externalité, les coûts sociaux liés aux pertes d'emplois doivent être internalisés et qu'il conviendrait donc d'instaurer un principe revenant à taxer les licenciements. Le rapport est complété par les commentaires de Fiorella Kostoris Padoa Schioppa et Jacques Freyssinet. Jacques Freyssinet, en particulier, se montre sceptique quant à la remise en cause radicale des compromis successifs qui ont construit le système français d'indemnisation du chômage. Substituer à un régime paritaire mutualisé un régime de taxes payées par chaque entreprise à une agence indépendante relève, selon lui, d'une vision réductrice des problèmes sociaux liés aux licenciements.
Introduction .................................................................................. Christian de Boissieu
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RAPPORT La protection de l emploi ............................................................7 Olivier Blanchard et Jean Tirole
1. Introduction.......................................................................................... 7 1.1. Le débat ........................................................................................ 7 1.2. Le principe de responsabilisation ................................................. 8 1.3. Principales recommandations : trois axes de réforme .................. 9 1.4. Plan du rapport ............................................................................ 11
2. Protection de lemploi et marché du travail : connaissances empiriques.................................................................. 12 2.1. Comparaison entre pays .............................................................. 13 2.2. Protection de lemploi et réallocation ......................................... 15 2.3. Corrélation et causalité ............................................................... 15 2.4. Limpact des réformes récentes .................................................. 18
3. La responsabilisation des entreprises................................................ 21
4. Difficultés financières des entreprises, détermination des salaires et assurance chômage partielle.......................................................... 22 4.1. Difficultés financières de lentreprise ........................................ 22 4.2. Problèmes de négociation salariale ............................................. 26 4.3. Imperfections de lassurance chômage ....................................... 29
5. Hétérogénéité des entreprises et des salariés, départs volontaires et licenciements.................................................. 30 5.1. Problèmes posés par lhétérogénéité des entreprises et des salariés .............................................................................. 30 5.2. Départs volontaires et licenciements : reclassifications concertées au détriment de la caisse dassurance chômage ........ 33 5.3. Report de responsabilité : licenciements abusifs et pour faute .. 35
6. Liens avec dautres institutions du marché du travail....................... 36 6.1. Subventions à la création demplois ........................................... 36 6.2. Formation continue ..................................................................... 37
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6.3. Ouverture des droits et des obligations ...................................... 38 6.4. Gestion de lassurance chômage ................................................. 39
7. La protection de lemploi en France : état des lieux et directions de réforme............................................... 40 7.1. La nécessité de justifier explicitement les licenciements ........... 41 7.2. Des coûts directs de licenciement limités ................................... 42 7.3. Une procédure souvent longue et lourde .................................... 43 7.4. Une différence très forte entre CDD et CDI ............................... 44
8. Les contours dune réforme ................................................................45 8.1. Une responsabilisation financière des entreprises plus élevée .................................................................................. 45 8.2. Une simplification du processus administratif et une réduction du rôle du processus judiciaire ........................ 46 8.3. La mise en place dun système unique de protection de lemploi ............................................................ 47
COMMENTAIRES
Jacques Freyssinet ......................................................................51
Le rapport qui suit ne laissera pas indifférent. Non seulement parce quil traite de la question centrale du chômage et de lemploi, mais aussi parce quil propose des pistes non conventionnelles, du moins dans le contexte français, pour responsabiliser davantage les entreprises dans leur politique de gestion du personnel. Lidée qui sert de fil directeur au rapport est claire et nette : les firmes qui licencient devraient payer une taxe aux caisses dassurance-chômage, finançant ainsi une part significative des ressources de celles-ci. Le sys-tème ainsi conçu diffère fondamentalement de celui appliqué en France, dans lequel les cotisations chômage sont assises sur les salaires et tota-lement mutualisées. Il sinspire en partie dune formule appliquée aux États-Unis («experience rating») et trouve une illustration très spécifique dans le contexte français avec la contribution Delalande mise en place en 1987 et concernant le licenciement des « seniors ». Au plan des principes, le dis-positif proposé vise à démutualiser en partie lassurance-chômage en solli-citant les entreprises ; il étend au marché du travail le mécanisme dincita-tions correspondant, en matière denvironnement, à la règle du « pollueur-payeur ». Comment passer du principe général à des recommandations concrètes ? Nos auteurs combinent lhumilité scientifique justifiée par lampleur des incertitudes et le pragmatisme économique. Ils montrent les différentes raisons pour lesquelles la taxe de licenciement doit être positive (aujourdhui, en France, hors contribution Delalande, elle est nulle) mais inférieure à lunité : cette taxe doit donc être en deçà du montant anticipé des allocations-chômage à payer par la caisse dassurance au salarié licencié. Autrement dit, il doit subsister une partie mutualisée dans la couverture de lassurance-chômage. Concrètement, cette taxe viserait avant tout les licenciements économiques (et pas les autres cas de licenciement). Ce sont les nombreuses interrogations sur les effets micro et macro-économiques dune telle for-mule qui exigent une demande pragmatique. Ce qui, par contre, est certain et qui ressort du rapport et des premiers débats suscités par lui, cest que les implications dune taxe sur les licen-ciements seraient multiples : liens nécessaires avec la politique de forma-tion continue, liaisons possibles mais pas indispensables avec des formules
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de subventions à la création demplois, plus fondamentalement déplacement du curseur entre centralisation et décentralisation, mais aussi entre règles de droit et contraintes économiques. En particulier, le rôle du juge serait réduit pour les cas de licenciements passibles de la taxe, mais il resterait entier dans les autres cas de figure. Et le clivage si central en France entre CDI et CDD devrait seffacer au profit dune approche unitaire évitant les effets de seuil actuels. Personne naffirme que la taxe de licenciement serait la recette miracle qui ferait disparaître, dun coup de baguette, le chômage de masse en France ou en Europe. Le rapport conclut quelle pourrait cependant entraîner « une protection de lemploi plus efficace, des coûts plus faibles pour les entre-prises et une diminution du chômage ». Il reviendra au débat ainsi ouvert de tester la portée exacte dune telle proposition. Ce rapport dont Jean-Christophe Bureau a assuré le suivi au sein de léquipe permanente du CAE, a été discuté en séance plénière du Conseil le 27 mars 2003, puis le 5 mai 2003 en présence du Premier ministre.
Christian de Boissieu Président délégué du Conseil danalyse économique
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
La protection de lemploi(*)
Olivier Blanchard Professeur au Massachusets Institute of Technology (États-Unis) Jean Tirole Professeur à lUniversité de Toulouse et chercheur à lÉcole nationale des ponts et chaussées, Paris
1. Introduction
1.1. Le débat Peu de sujets liés aux institutions du marché du travail font lobjet dautant de controverses que celui de la protection de lemploi, définie dans ce rapport comme lensemble des obligations des entreprises et des salariés en jeu lorsquil est mis fin à un emploi : les entreprises se plaignent non seulement du coût direct des licencie-ments, mais aussi de la complexité et de lincertitude liées aux règles en vigueur. Selon elles, les institutions actuelles les empêchent de sajuster aux mutations technologiques et aux rapides changements de demande qui caractérisent les économies modernes. Cette perte defficacité et les sur-coûts quelle implique, disent-elles, découragent la création demplois ; les salariés, quant à eux, insistent sur le coût financier et psychologi-que du chômage et sur la nécessité pour les entreprises dinternaliser ce coût lorsquelles licencient. Que les salariés protégés par le dispositif de protection de lemploi actuel soient en faveur de son maintien nest certes
(*) Nous remercions Daron Acemoglu, David Autor, Olympia Bover, Pierre Cahuc, Daniel Cohen, Francis Kramarz, Fiorella Kostoris Padoa Schioppa, Thomas Philippon, Gilles Saint-Paul, Robert Solow, Nicolas Véron, Robert Wagner, et surtout Denis Fougère et Jacques Freyssinet pour leurs commentaires et suggestions, et Jean-Christophe Bureau, Jean-Yves Kerbourch et Frédéric Lerais pour leur aide lors de la préparation de la première version de ce rapport.
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