Florence Chaix Lycée Fustel de Coulanges CAPES interne La Méditerranée au XII° siècle La Méditerranée zone de contacts entre les trois civilisations Le cadre chronologique que nous avons fixé lors de la séance introductive est borné par deux événements qui concernent la chrétienté l appel d Urbain II la croisade en et le sac de Constantinople par les Vénitiens en Ce siècle n est pourtant pas sans signification pour le monde musulman Il correspond en effet l apogée de l extension territoriale du Dar al Islam maison de l islam C est aussi le siècle où le Dar al Harb maison de la guerre c est dire le monde non encore islamisé n est plus inconnu des musulmans Enfin pour le monde byzantin le XII° siècle est une phase de stagnation économique et de recul territorial face aux percées normandes et aux Turcs On peut poser deux problématiques principales Quelles sont les formes de contact entre les trois civilisations Quels sont les lieux privilégiés où ont lieu ces contacts Trois principales formes de contacts La guerre Le commerce Les contacts culturels A ces trois formes principales il faut ajouter la question des minorités dans les espaces dominés par l une ou l autre civilisation I Les relations politiques et militaires Elles prennent souvent la forme de la guerre A Les musulmans d al Andalus et la reconquista En le califat omeyyade d al Andalus s effondre cause de la guerre civile La péninsule se divise alors en petites principautés les taïfas souvent rivales C est cet affaiblissement qui permet aux souverains des royaumes chrétiens d envisager la reconquista Des soldats chrétiens interviennent d ailleurs dans ces conflits aux côtés de tel ou tel souverain musulman C est une situation acceptée des deux côtés Lors de ces interventions les chrétiens remarquent la situation calamiteuse du califat Ils peuvent exploiter cette situation et créer les conditions de la reconquête Si les taïfas sont brillantes sur le plan culturel et intellectuel elles sont en situation d infériorité militaire royaumes chrétiens et la ...
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Florence Chaix Lycée Fustel de Coulanges CAPES interne La Méditerranée au XII° siècle La Méditerranée zone de contacts entre les trois civilisations Le cadre chronologique que nous avons fixé lors de la séance introductive est borné par deux événements qui concernent la chrétienté l'appel d'Urbain II la croisade en et le sac de Constantinople par les Vénitiens en Ce siècle n'est pourtant pas sans signification pour le monde musulman Il correspond en effet l'apogée de l'extension territoriale du Dar al Islam maison de l'islam C'est aussi le siècle où le Dar al Harb maison de la guerre c'est dire le monde non encore islamisé n'est plus inconnu des musulmans Enfin pour le monde byzantin le XII° siècle est une phase de stagnation économique et de recul territorial face aux percées normandes et aux Turcs On peut poser deux problématiques principales Quelles sont les formes de contact entre les trois civilisations Quels sont les lieux privilégiés où ont lieu ces contacts Trois principales formes de contacts La guerre Le commerce Les contacts culturels A ces trois formes principales il faut ajouter la question des minorités dans les espaces dominés par l'une ou l'autre civilisation I Les relations politiques et militaires Elles prennent souvent la forme de la guerre A Les musulmans d'al Andalus et la reconquista En le califat omeyyade d'al Andalus s'effondre cause de la guerre civile La péninsule se divise alors en petites principautés les taïfas souvent rivales C'est cet affaiblissement qui permet aux souverains des royaumes chrétiens d'envisager la reconquista Des soldats chrétiens interviennent d'ailleurs dans ces conflits aux côtés de tel ou tel souverain musulman C'est une situation acceptée des deux côtés Lors de ces interventions les chrétiens remarquent la situation calamiteuse du califat Ils peuvent exploiter cette situation et créer les conditions de la reconquête Si les taïfas sont brillantes sur le plan culturel et intellectuel elles sont en situation d'infériorité militaire royaumes chrétiens et la ...

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Niveau: Supérieur, Bac+5
1 Florence Chaix, Lycée Fustel de Coulanges. CAPES interne. La Méditerranée au XII° siècle. La Méditerranée, zone de contacts entre les trois civilisations. Le cadre chronologique que nous avons fixé lors de la séance introductive est borné par deux événements qui concernent la chrétienté : l'appel d'Urbain II à la croisade en 1095 et le sac de Constantinople par les Vénitiens en 1204. Ce siècle n'est pourtant pas sans signification pour le monde musulman. Il correspond en effet à l'apogée de l'extension territoriale du Dar al-Islam (maison de l'islam). C'est aussi le siècle où le Dar al-Harb (maison de la guerre, c'est-à-dire le monde non encore islamisé) n'est plus inconnu des musulmans. Enfin pour le monde byzantin, le XII° siècle est une phase de stagnation économique et de recul territorial face aux percées normandes et aux Turcs. On peut poser deux problématiques principales : Quelles sont les formes de contact entre les trois civilisations ? Quels sont les lieux privilégiés où ont lieu ces contacts ? Trois principales formes de contacts : • La guerre • Le commerce • Les contacts culturels. A ces trois formes principales, il faut ajouter la question des minorités dans les espaces dominés par l'une ou l'autre civilisation. I/ Les relations politiques et militaires Elles prennent souvent la forme de la guerre. A/ Les musulmans d'al-Andalus et la reconquista.

  • musulman

  • ordre militaire

  • lieu saint

  • terre du dar al-islam

  • chrétien

  • méditerranée latine

  • conquête d'al-andalus par les almoravides

  • recul par l'emprise du pouvoir étatique sur le contrôle des activités navales des façades maritimes

  • orient


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Florence Chaix, Lycée Fustel de Coulanges.  CAPES interne. La Méditerranée au XII° siècle.  La Méditerranée, zone de contacts entre les trois civilisations.  Le cadre chronologique que nous avons fixé lors de la séance introductive est borné par deux événements qui concernent la chrétienté : l’appel d’Urbain II à la croisade en 1095 et le sac de Constantinople par les Vénitiens en 1204. Ce siècle n’est pourtant pas sans signification pour le monde musulman. Il correspond en effet à l’apogée de l’extension territoriale du Dar al-Islam (maison de l’islam). C’est aussi le siècle où le Dar al-Harb (maison de la guerre, c'est-à-dire le monde non encore islamisé) n’est plus inconnu des musulmans. Enfin pour le monde byzantin, le XII° siècle est une phase de stagnation économique et de recul territorial face aux percées normandes et aux Turcs. On peut poser deux problématiques principales :  Quelles sont les formes de contact entre les trois civilisations ? Quels sont les lieux privilégiés où ont lieu ces contacts ?  Trois principales formes de contacts :  La guerre  Le commerce  Les contacts culturels. A ces trois formes principales, il faut ajouter la question des minorités dans les espaces dominés par l’une ou l’autre civilisation.  I/ Les relations politiques et militaires Elles prennent souvent la forme de la guerre.  A/ Les musulmans d’al-Andalus et la reconquista. En 1009, le califat omeyyade d’al-Andalus s’effondre à cause de la guerre civile. La péninsule se divise alors en petites principautés, les taïfas, souvent rivales. C’est cet affaiblissement qui permet aux souverains des royaumes chrétiens d’envisager la reconquista. Des soldats chrétiens interviennent d’ailleurs dans ces conflits aux côtés de tel ou tel souverain musulman. C’est une situation acceptée des deux côtés. Lors de ces interventions, les chrétiens remarquent la situation calamiteuse du califat. Ils peuvent exploiter cette situation et créer les conditions de la reconquête. Si les taïfas sont brillantes sur le plan culturel et intellectuel, elles sont en situation d’infériorité militaire // royaumes chrétiens et la souveraineté des émirs y est souvent contestée (ils apparaissent comme les fossoyeurs du califat = âge d’or et sont compromis avec les chrétiens). On peut dater de 1065 avec la prise de Coimbra le début effectif de la reconquête. Les chrétiens exploitent leur supériorité militaire globale. Ils profitent aussi des parias pour prélever une partie de la richesse d’al-Andalus. Les parias sont des traités entre les souverains des deux religions. Les émirs achètent la paix ou l’aide des chrétiens. Les ponctions deviennent régulières et systématiques. Grenade est taxée à partir de 1075. Ces revenus constituent une part importante du budget chrétien. Pour payer ces parias, les princes musulmans sont obligés d’augmenter les charges fiscales, ce qui les rend impopulaires.
 
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La prise de Tolède en 1085 et la restauration chrétienne dans ce qui avait été la capitale des Wisigoths provoque un changement dans l’attitude des souverains musulmans // souverains chrétiens. Les musulmans prennent conscience qu’il s’agit de la première conquête chrétienne d’une terre du dar al-Islam. Ils ont peur de disparaître. C’est dans ce contexte que le plus puissant des rois de taïfas, al- Mu’tamid de Séville, demande de l’aide aux Almoravides pour sauver l’islam en al-Andalus. En 1086, les troupes almoravides traversent donc le détroit de Gibraltar pour stopper l’avance castillane. Elles apportent non seulement un sang militaire frais mais surtout un nouveau souffle religieux, avec la volonté de rassembler les musulmans et de convertir les païens ou les égarés. L’alliance entre les Almoravides et al- Mu’tamin permet de vaincre les Castillans à la bataille de Zallaqà. Tolède n’est pas reprise, mais l’affront des musulmans est lavé, les rapports entre chrétiens et musulmans sont placés sous un nouveau plan. Une succession de malentendus va amener progressivement la conquête d’al-Andalus par les Almoravides. Yusuf b. Tashfin élimine progressivement les rois de taïfas, et, à l’exception de Tolède, revient aux frontières antérieures. La guerre devient le seul lien maintenu avec l’ennemi chrétien.  B/ La conquête normande de la Sicile. On peut faire un // entre reconquista et conquête normande de la Sicile pour ce qui est de la chronologie : Palerme est prise en 1071, l’ensemble des opérations militaires est achevé vers 1091-92. La prise de Tolède et celle de Palerme vont représenter un tournant dans l’histoire de la pensée de l’occident médiéval en ce sens ces deux villes vont devenir des centres d’études et de traduction. Maintenant, peut-on parler de reconquista pour la Sicile ? Les chroniqueurs postérieurs à 1095 présentent les Normands comme les précurseurs des croisés. En fait, la conquête de la Sicile n’est ni une reconquête ni une croisade. C’est la conséquence de la domination des Normands sur l’Italie du Sud et la conséquence de l’attrait des richesses de la Sicile. Le comte Roger, frère de Robert Guiscard assume l’essentiel des combats et prend progressivement le contrôle de l’île. Il fortifie les localités conquises et restaure progressivement le réseau ecclésiastique, installant des évêques latins vers 1090. On arrive donc à une situation paradoxale : d’un côté la Sicile appartient au monde chrétien par l’installation des Normands, d’un autre côté, elle est majoritairement peuplée d’arabo-musulmans.  C/ L’orient musulman et l’irruption des chrétiens. L’orient musulman a été profondément bouleversé par l’installation des Fatimides en Egypte (969) et par l’arrivée des turcs Seljukides au pouvoir. Il reste mal connu des occidentaux malgré l’augmentation du nombre des voyageurs. Les chrétiens d’occident vont découvrir un monde en mutation, une société assez nouvelle mais assez solide pour résister. Ils avaient peut-être une vision déformée de cet orient, du fait du recul des musulmans en al-Andalus et en Sicile. Les croisades vont être le moment essentiel de cette « rencontre  entre Latins et musulmans. Le mot croisade lui-même n’apparaît qu’après 1250 pour désigner l’expédition vers Jérusalem des soldats du christ. Les contemporains ne distinguaient pas clairement pèlerinage et croisade. Les participants sont qualifiés de crucisignati  à partir de 1199. Cependant, le pape les a incités à coudre une croix sur leur vêtement et la croix tient une grande place dans la prédication de la croisade. Qu’est-ce que la croisade ? Pèlerinage en armes se donnant pour objectif la délivrance du saint sépulcre à Jérusalem. Lancée par l’initiative pontificale, la croisade est placée sous l’autorité de l’Eglise en la personne d’un légat pontifical. Ses participants s’engagent par un vœu, se reconnaissent à certains signes extérieurs et bénéficient de privilèges spirituels et
 
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matériels garantis par l’Eglise. Pour l’historien Jean Flori, ce fut le génie d’Urbain II que de faire l’amalgame entre guerre sainte et pèlerinage. Pourquoi prêcher la croisade en 1095 ? L’attitude des dirigeants de Syrie n’a pas changé la situation des pèlerins, qui sont plutôt mieux organisés et mieux accueillis à Jérusalem qu’avant. Les pèlerins bénéficient déjà de l’indulgence plénière attachée aux lieux saints. Ce sont la personnalité et les conditions de l’élection d’Urbain II qui permettent de comprendre pourquoi il prêche la croisade (sans la nommer ainsi) en 1095. Urbain II est un moine clunisien champenois qui a participé à la réforme grégorienne de reprise en mains de l’Eglise en tant que cardinal. Il est élu pape en 1088 dans un contexte de profonde division religieuse. En 1054, on l’a vu, les relations entre Rome et Constantinople se dégradent fortement, en 1088, le trône de Saint Pierre est occupé par l’anti-pape Clément III, installé par l’empereur Henri IV. Urbain, élu « contre  l’anti-pape, veut d’une part poursuivre l’application de la réforme grégorienne et d’autre part imposer aux princes séculiers l’autorité de la papauté. Autrement dit, la croisade se comprend surtout // histoire intérieure de l’Europe latine : le combat de Dieu prolonge la paix de Dieu qui vise à christianiser les chevaliers et s’inscrit dans la contrôle par l’Eglise de l’action des combattants. Elle a aussi des implications extérieures :  Le renforcement de l’autorité pontificale quand la conquête permet de rétablir des évêchés. En Aragon et en Sicile par exemple, les rois obtiennent des privilèges mais se reconnaissent vassaux du Saint Siège.  La reconstruction d’un réseau ecclésiastique en orient permet de poursuivre l’extension du christianisme.  La protection des communautés chrétiennes de Syrie et d’Egypte, avec un double résultat : d’une part agir pour la réunification des chrétiens, d’autre part et surtout, se substituer à l’empereur, traditionnel protecteur des Lieux saints depuis Charlemagne. En mars 1095, au concile de Plaisance réuni pour la réforme ecclésiastique en occident, Urbain II reçoit la visite d’une ambassade envoyée par Alexis Comnène. Il insiste sur les menaces qui pèsent sur Byzance (les Petchenègues au nord, les Seljukides à l’est) et demande l’aide militaire des chrétiens d’occident. Le basileus pense alors que les occidentaux vont lui envoyer des mercenaires. Le pape incite alors les Latins à s’engager sous serment à secourir les grecs et l’idée apparaît d’une importante expédition militaire. Il n’est cependant question ni de Jérusalem, ni du Saint Sépulcre. A l’automne 1095, au concile de Clermont, il est question de Jérusalem. Nous nous heurtons cependant ici au problème des sources : le discours d’Urbain II est rapporté dans des discours recomposés ultérieurement par Foucher de Chartres, Robert le Moine et Guibert de Nogent. Des trois hommes, seul Foucher de Chartres était présent à Clermont. Urbain II s’adresse aux chevaliers et seigneurs chrétiens de Languedoc et de Bourgogne. A-t-il subi l’influence d’Adhémar de Monteil qui revient de Jérusalem (il devient le légat de la première croisade) ? De Raymond IV de Saint Gilles, comte de Toulouse qui rend compte de la Reconquista ? Toujours est-il qu’Urbain II exalte la cité de Jérusalem, qui devient l’objectif premier à délivrer pour rétablir le royaume du christ. Le pèlerinage à Jérusalem doit devenir une action militaire à but religieux, il ne doit rechercher ni butin ni profit. Quels sont les résultats de cette prédication ? Deux expéditions distinctes se préparent : une croisade populaire, guidée par Pierre l’Ermite et dont les membres seront presque tous massacrés lors de leur traversée de la Hongrie (ils s’étaient eux-mêmes attaqués aux juifs en traversant les villes rhénanes) et la croisade des chevaliers emmenée par Godefroy de Bouillon, Bohémond de Tarente, Raymond de Saint Gilles et Baudouin de Boulogne, qui part en août 1096. L’itinéraire est imposé par le relief et correspond aux grandes voies romaines et byzantines. Aucun croisé n’a envisagé de voyager par mer et tous passent par Constantinople où ils prêtent serment de vassalité au Basileus (sauf Raymond qui ne jure que fidélité).
 
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En mars 1098, les croisés fondent le Comté d’Edesse. En juin 1098, ils prennent Antioche qui devient la base de la principauté établie par les Normands. Le 15 juillet 1099, c’est la prise de Jérusalem, dans un bain de sang puisque les chroniqueurs rapportent que les croisés marchaient dans le sang jusqu’aux chevilles après avoir passé par le fil de la lame juifs et musulmans. Enfin, le comté de Tripoli est fondé en 1104. Les Latins, divisés et souvent en désaccord, mesurent mal les facteurs qui les ont favorisés, à savoir les divisions politiques entre musulmans turcs et arabes fatimides et l’aide apportée par les communautés chrétiennes d’orient (communauté arménienne et maronite). Antioche par exemple est prise grâce à l’aide d’un chrétien arménien. Ces terres conquises deviennent les Etats latins d’Orient, organisés selon le système féodal (seul exemple d’exportation de ce système hors d’Europe occidentale). Cela dit, les chevaliers sont trop peu nombreux et la défense de ces Etats, largement situés en milieu hostile, est confiée aux ordres militaires créés en occident, tels que les Templiers (chevaliers du temple de Jérusalem, moines soldats). Tout le système de défense repose sur les fortifications : des châteaux sont construits sur les collines (cf. le Krak des chevaliers), dans un quadrillage du territoire qui vise aussi à contrôler les sources d’approvisionnement en eau. Les moyens défensifs sont concentrés aux points stratégiques et la défense est hiérarchisée : une grande forteresse est toujours entourée de fortins secondaires. Ces châteaux sont parfois surdimensionnés : pour faire « fonctionner  le krak des chevaliers, il fallait 2000 personnes, or les ressources en hommes étaient insuffisantes. Des Francs s’installent cependant dans ces Etats. Ils deviennent ceux que Foucher de Chartres appelle « les poulains  et se sont orientalisés. En 1131, seulement moins du cinquième des colons sont d’anciens croisés, ce qui montre l’importance d’une immigration pacifique. Les Francs ne s’installent pas que dans les villes, mais aussi dans les campagnes comme le montre le résultat des campagnes archéologiques. Enfin, une société « franco-syrienne  se forme, entre Francs et chrétiens d’orient, par mariage, en excluant l’élément musulman. La masse des musulmans vit en fait dans une situation d’exploités, même si ce n’est pas l’impression ressentie et rapportée par Ibn Jubayr, qui visite cependant ces contrées à une période où la présence franque s’est déjà réduite. Les trois premières décennies du XII° siècle sont marquées par l’expansion franque au Proche-Orient. Après 1130, cette expansion est stoppée par le réveil du djihad. En 1144, Edesse est reprise, d’où la prédication de la II° croisade (1144-1187) dont l’objectif est de préserver la conquête. Cette prédication est assurée par Bernard de Clairvaux. La croisade est conduite par le roi de France, Louis VII et l’empereur germanique Conrad III. Elle est chroniquée par Eudes de Deuil, moine de Saint Denis, chapelain de Louis VII. Cette croisade échoue devant Damas. Du coup, les critiques se font entendre : on met en doute la piété de la croisade, le prédicateur est accusé, Manuel Comnène est tenu pour responsable de l’échec, les Francs d’Orient ne songeraient plus qu’au profit et ne se soucieraient plus de défendre les lieux saints. L’idée de croisade s’en trouve affaiblie. En juillet 1187, Saladin écrase l’armée franque à Hattin, éliminant la fine fleur de la chevalerie. En octobre de la même année, Saladin rentre dans Jérusalem. Tout est à refaire. Grégoire VIII et Clément III prêchent la troisième croisade, conduite par l’empereur Frédéric Barberousse, Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion et Guillaume II de Sicile. Frédéric choisit la route terrestre. Il part avec 100 000 hommes. Seulement 300 arrivent en terre sainte après la noyade de Frédéric en juin 1190 dans le fleuve Salef. Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion choisissent la voie maritime, signe indéniable des progrès de la navigation en Méditerranée, mais signe également que Constantinople est perçue comme un obstacle à la croisade. Cette troisième croisade est financée par un impôt prélevé par les souverains dans leur pays : la dîme saladine. Les armées arrivent en Orient en ordre dispersé et en nombre insuffisant pour mener de grandes actions. De plus, les seigneurs de Terre sainte divergent sur les objectifs. On s’accorde finalement pour reprendre Acre, ce qui est fait en 1191. Philippe
 
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Auguste rentre en France pour récupérer l’héritage du comte de Flandres mort pendant la bataille et Richard est le seul souverain restant. Il signe un traité avec Saladin le 2 septembre 1192. Ce traité confirme la possession du littoral par les chrétiens, depuis Tyr au Nord, jusqu’à Ascalon au Sud, les positions commerciales des chrétiens sont également confirmées et les relations maritimes avec l’Europe sont d’autant mieux protégées que Richard a conquis Chypre en juin 1191, au détriment des Byzantins, île qui sert d’escale et de base de soutien. Cependant, le principal objectif n’est pas atteint : Saladin reste maître de Jérusalem, devenue la clé de voûte de son idéologie du jihad, il accorde simplement des garanties de protection aux chrétiens en pèlerinage. Enfin la IV° croisade, prêchée en 1204, rapportée par Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari est finalement détournée vers Zara et Constantinople, mise à sac par les Vénitiens en avril 1204. Quel bilan peut-on tirer des croisades ? La domination franque a été trop éphémère pour avoir durablement marqué les espaces occupés. En même temps, elle a été suffisamment violente pour être destructrice. Elle a profondément et durablement bouleversé les sociétés musulmanes. Elle a fragilisé encore davantage la situation des chrétiens d’Orient, sans même parler de celle de l’empire byzantin. Enfin, elle est à l’origine d’une fracture qui dure encore entre chrétiens et musulmans (qui dure d’autant plus qu’elle est réactivée par les extrémistes islamistes). Si on suit Jacques Le Goff, le seul point positif est l’introduction en Europe de la culture de l’abricotier… qui aurait sans doute eu lieu, grâce aux échanges économiques.  II/ Les relations économiques A/ D’une Méditerranée musulmane à une Méditerranée latine. Dans le courant du XI° siècle, on passe d’une Méditerranée musulmane à une Méditerranée latine. Les signes du recule de la maîtrise musulmane en Méditerranée apparaissent dès la fin du X° siècle. Les marchands musulmans restent présents en Méditerranée, mais essentiellement sur les routes desservant les pays musulmans (bien que Nicolas de Munkhatvera, pèlerin islandais ait aperçu à Pise des « hommes d’Egypte  vers 1151). Ibn Jubayr est obligé d’emprunter des bateaux chrétiens pour se rendre à La Mekke. On peut expliquer ce recul par l’emprise du pouvoir étatique sur le contrôle des activités navales des façades maritimes. La piraterie est en effet mise au service des ambitions du pouvoir musulman. Cette emprise du pouvoir a limité l’autonomie maritime et n’a pas permis l’essor de sociétés maritimes comme dans l’Europe chrétienne. Elle explique aussi que les phases offensives en Méditerranée correspondent aux moments où les pouvoirs centraux sont forts. A partir du XI° siècle, ce sont donc les Italiens qui font l’essentiel du commerce entre chrétiens et musulmans. Ils bénéficient d’un atout maître, en particulier // juifs : leurs navires. Ils peuvent ainsi acheminer facilement le bois et le métal qui manquent en Egypte après la rupture entre le califat fatimide du Caire et le califat abbasside de Bagdad. Au XII° siècle, le trafic maritime chrétien s’impose dans les pays d’Islam, comme dans l’ensemble de la Méditerranée. Ce sont surtout des Italiens qui font ce commerce (Amalfitains, puis Génois, Pisans, Vénitiens dans la Méditerranée orientale) mais aussi des Catalans et des Provençaux dans la partie occidentale de la Méditerranée. Tous ces marchands tendent à privilégier les Etats forts, capables d’assurer leur sécurité et celle de leurs marchandises. Les autorités musulmanes s’organisent d’ailleurs pour accueillir les commerçants chrétiens.  En Egypte, les Fatimides ont besoin des Italiens qui leur fournissent le bois et le métal dont ils ont besoin depuis qu’ils sont coupés des ressources orientales. Par ailleurs, ils contrôlent le commerce plus lointain de l’or, de l’alun, des produits artisanaux et de produits d’orient puisque la Mer Rouge est interdite aux chrétiens. Ils ont construit un
 
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arsenal et une douane, dont Ibn Jubayr souligne d’ailleurs le caractère tatillon. A partir de 1153, les Italiens obtiennent des funduqs (= comptoir commercial, hôtel et entrepôt), Pise à Fustat et Alexandrie.  En occident, Gênes et Pise investissent avec le soutien almohade (à Séville, construction de la Giralda et de la Torre de Oro). Les investissements des chrétiens se concentrent dans les ports les plus importants.  En orient, ce sont les Vénitiens qui dominent ce commerce. Ils ont déjà un accord très avantageux avec l’empire byzantin. Ils concluent également en 1207-1208 un traité avec le souverain d’Alep et à partir de 1211 ils ont aussi des accords avec les Seljukides du sultanat de Rum (les ennemis directs et les plus menaçants de l’empire byzantin). Comment expliquer cette domination italienne ?  D’une part les négociants byzantins sont dépassés par les évolutions techniques et économiques. Ils sont donc absents de ce commerce, qu’ils ont laissé aux Vénitiens.  Il semble que les musulmans n’ont pas eu l’intention de développer le commerce avec le monde latin. Ils délèguent donc le commerce N/S aux juifs, évincés pour des raisons techniques par les Italiens, et se contentent de pratiquer la razzia pour se procurer du bois et des esclaves. En outre, jusqu’au XII° siècle, ils contrôlent les sources d’approvisionnement de l’or et ont une balance commerciale en équilibre. Au XII° siècle, ils perdent la maîtrise de la balance commerciale à cause du contrôle des Italiens sur le prix des transports et sur le choix des marchandises.  Les chrétiens veulent établir leur suprématie navale et interdire l’accès de leurs côtes aux musulmans. Ils sont en plus attirés par la richesse de ce monde musulman. Le renversement de situation du XII° s. s’explique par les difficultés économiques du monde musulman, les difficultés d’approvisionnement en or et les ponctions faites par les puissances chrétiennes. On peut ajouter à ces raisons des facteurs socio-politiques : il n’y a pas de classe marchande autonome dans les pays d’Islam susceptible de concurrencer le pouvoir politique. Les activités maritimes sont contrôlées par l’institution de l’Arsenal, auquel marchands et armateurs louent des navires. Si on prend le cas de Séville, on constate que le grand négoce est aux mains de grands propriétaires terriens, pour qui l’activité marchande n’est qu’une source annexe de revenus.  B/ Les marchands chrétiens en Méditerranée. Ce sont essentiellement des marchands italiens, même s’il ne faut pas oublier la présence de Catalans, mais ce ne sont pas toujours les mêmes cités qui dominent. Avant le XII° siècle, ce sont surtout les marchands des cités d’Italie du sud, comme Amalfi, qui se chargent de ce commerce. Ils sont favorisés par leur position géographique et par la relative autonomie dont ils jouissent // pouvoir politique. Amalfi a même fourni les vaisseaux qui ont permis aux Fatimides de prendre Le Caire et a dès 996 une colonie permanente d’environ 100 personnes dans cette ville. Le XI° siècle voit l’ascension de nouvelles puissances : Pise et Gênes, qui dominent la mer tyrrhénienne. L’appui fourni aux Normands leur permet d’obtenir des escales à Palerme et Messine mais aussi en Corse et en Sardaigne. Elles profitent également du déclin d’Amalfi en proposant des navires pour la première croisade. Elles fournissent également le bois indispensable au siège de Jérusalem. En récompense, elles obtiennent des quartiers dans 7 villes côtières. Mais la puissance italienne montante est incontestablement la cité des Doges. Venise, ancienne possession byzantine mais qui jouit d’une autonomie importante depuis la fin du X° siècle a pour mission d’assurer la sécurité du transport entre Byzance et ses dernières possessions d’Italie du Sud. Cela lui permet de développer une flotte puissante et de devenir
 
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dès le début du XI° siècle un intermède commercial actif sur les routes de l’orient méditerranéen. En 1082, Alexis Comnène élargit les franchises des Vénitiens dans 30 ports de l’Empire byzantin. En 1099, Venise participe à la prise de Jaffa et y obtient un comptoir. Elle bat les Pisans près de Rhodes, ce qui lui assure le contrôle des eaux grecques. Son monopole à Byzance est rompu en 1111 par les privilèges qu’Alexis Comnène, conscient de la puissance montante de Venise, accorde aux Pisans. Venise se tourne alors vers les Etats latins d’orient. Elle obtient un comptoir à Tyr et enfin en 1126 elle retrouve ses droits à Constantinople. Les rivalités sont donc très fortes entre cités italiennes sur les routes du monde musulman, et au-delà de l’orient. Au milieu du XII° siècle, les rivalités augmentent, mais il n’y a pas de zone d’influence propre à chaque cité. Entre 1137 et 1156, l’alliance des Pisans et des Génois avec Roger II et Guillaume II de Sicile est une menace pour Venise. En 1171, les Vénitiens sont expulsés de Constantinople, ce qui explique en partie pourquoi ils détournent la 4° croisade en 1204. La concurrence est d’ailleurs très forte sur la route des Etats croisés et les cités italiennes participent alternativement aux opérations militaires (Pise et Gênes pour la 3° croisade, Venise à la 4°). Progressivement, la Méditerranée est partagée : l’orient est dominé par Venise, l’occident est partagé entre Pise et Gênes. Les marchands catalans et provençaux sont en retrait même si Barcelone et les ports de Provence ne sont pas inactifs. Les Italiens conservent leurs funduqs dans les pays musulmans et obtiennent des comptoirs dans les Etats latins d’orient. Ces comptoirs deviennent de vrais quartiers réservés. Certains auteurs parlent même de colonies, mais le terme est excessif dans la mesure où ils restent toujours sous l’autorité des princes latins.  C/ Routes et produits du grand commerce. Les lieux d’échanges sont multiples, mais il y a cependant trois zones privilégiées :  Les zones frontalières où les villes jouent le rôle de marché de part et d’autre de la frontière. C’est le cas en Al-Andalus, puis, à partir du XII° siècle au Proche-Orient.  L’espace maritime et les ports. Le cabotage musulman joue un rôle très important. Il existe de nombreux mouillages secondaires où les marins italiens accostent sans payer de taxes de douane et où les pirates peuvent s’abriter. L’essentiel du trafic transite cependant par quelques grands ports.  Les capitales du monde musulman, à cause de la présence des souverains. Les produits : l’orient musulman exporte des produits de luxe : des épices (poivre, noix de muscade), des pierres précieuses (rubis d’Asie centrale, perles du Golfe persique) et des parfums, de la soie et des produits en relation avec les besoins de l’industrie textile : lin, coton, indigo et surtout l’alun qui permet de fixer les teintures. Alexandrie et Acre sont les plaques tournantes de ces échanges. L’occident musulman exporte de la laine, des produits manufacturés comme la cire de bougie et des produits alimentaires comme la canne à sucre, le blé, l’huile d’olive et le sel. Constantinople enfin bénéficie de sa situation au carrefour de l’Europe et de l’Asie, de la mer Noire et de la Méditerranée. Elle est le débouché des produits du monde slave : fourrures, esclaves, bois. Les Latins exportent leurs toiles de laine, des produits alimentaires comme l’huile ou le vin, destiné aux chrétiens d’orient. Malgré les interdits lancés par la papauté, ils exportent également des matériaux qui manquent dans le monde musulman et qui sont considérés comme stratégiques : le bois et le métal nécessaire à la fabrication des armes.  Au XIII° siècle, les Latins dominent le secteur des échanges économiques. Les marchands italiens, catalans, provençaux dominent la route des échanges. Les juifs jouent un rôle secondaire dans ce commerce, sauf ceux qui sont installés dans le monde latin.
 
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Cette domination s’explique aussi par le poids politique des marchands italiens qui s’emparent du pouvoir dans les cités d’Italie du Nord. Au contraire dans le monde musulman, les marchands ne forment pas un bloc social différencié. Ils sont soumis à une tradition étatique rigoureuse et n’ont donc pas d’autonomie // docteurs de la foi et clients du gouvernement. Le rôle du pouvoir musulman a permis aux chrétiens d’acquérir la suprématie dans presque tous les domaines économiques et si ce sont des agents des gouvernements des pays musulmans qui contrôlent routes, entrepôts, taxes, frappe des monnaies, les produits sont ceux que les marchands italiens ont acheté, marchands qui influent donc sur l’orientation de l’économie et les monnaies occidentales dominent en Méditerranée. Dans l’esprit des musulmans en effet, le commerce n’est pas un secteur stratégique. Pour Saladin par exemple, l’essentiel est de contrôler les étapes des échanges sur le plan fiscal et stratégique et de se procurer les produits indispensables.  III/ Les contacts et échanges culturels . Deux espaces sont particulièrement favorables à ces contacts et échanges culturels, même si ces derniers ont quand même un caractère inégal :  L’Espagne  La Sicile La Terre sainte et les Etats latins d’orient restent en effet à l’écart de ces échanges, sans doute parce que l’affrontement y est trop présent.  A/ Les rencontres entre chrétiens et musulmans. Bien que les déplacements soient peu fréquents et qu’ils ne concernent qu’un nombre réduit de personnes, le brassage est constant et le monde méditerranéen est parcouru par des voyageurs aux objectifs divers. 1/ Les voyageurs. Ce sont d’abord les diplomates : le monde musulman envoie des ambassades vers le monde latin, assurées le plus souvent par des juifs, ou, pour Al-Andalus, par des mozarabes (chrétiens vivant sous la domination musulmane, arabisés). A cette utilisation de ressortissants de minorités, on trouve des raisons linguistiques : Juifs et mozarabes peuvent en effet s’exprimer en arabe et en latin mais aussi des raisons d’ordre religieux et culturel : les arabo-musulmans ont des réticences à se rendre dans des régions qui n’ont jamais appartenu au monde musulman. Même al Idrisi écrit de seconde main en utilisant les informations de nombreux enquêteurs. Il n’est allé lui-même que jusqu’à Lisbonne. Les allées et venues sont nombreuses de part et d’autre de la frontière d’Al-Andalus, en Sicile, en Italie du Sud, mais globalement, les musulmans se déplacent peu vers le nord. La curiosité envers l’autre monde est plutôt à sens unique, du monde latin vers le monde musulman. En Orient, les souverains des deux bords se connaissent. Les premières générations de souverains des Etats latins d’orient ont recours à des diplomates italiens pour nouer des relations avec les souverains musulmans. La deuxième génération de chefs croisés sait assez d’arabe pour négocier directement. Autres voyageurs dans ce monde méditerranéen : les marchands. Dans le monde chrétien, on trouve quelques marchands musulmans, mais surtout des marchands juifs comme Benjamin de Tudèle qui voyage en orient vers 1170. Les marchands musulmans voyagent dans le reste du monde musulman, mais on les rencontre aussi dans les Etats latins d’orient. Ibn Jubayr rapporte ainsi qu’à Acre, les marchands musulmans étaient reçus dans un khan spécialement apprêté pour les voyageurs musulmans. Ces marchands musulmans empruntent d’ailleurs parfois des navires latins (ce sera le cas par exemple d’Ibn Jubayr). Mais les marchands latins sont les plus nombreux sur les rives méditerranéennes, en particulier les Italiens (mais il ne faudrait négliger ni les Catalans, ni les Provençaux). Ils sont nombreux dans le monde
 
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byzantin, en particulier les Vénitiens qui bénéficient des privilèges accordés par la chrysobulle de 1082. Ils sont d’ailleurs victimes d’émeutes à Constantinople. En revanche, il semble que les marchands byzantins sont peu nombreux à se rendre dans les pays musulmans. Ils préfèrent déléguer leurs affaires à des intermédiaires italiens. Les marchands latins ont eux-mêmes souvent un intermédiaire musulman dans les ports d’Afrique ou d’Orient. Si les marchandises échangées sont bien connues, on connaît mal en revanche les informations que les marchands latins rapportaient sur les pays musulmans. Dernière catégorie de voyageurs, les pèlerins. Pour les musulmans, le pèlerinage à La Mekke joue un grand rôle dans les déplacements des musulmans. Celui d’Ibn Jubayr est bien connu par le récit qu’il en a laissé. Ibn Jubayr est un lettré de Valence. Il embarque en 1183 sur un bateau génois et suit une route bien fixée avec des escales en Sardaigne, Sicile, Crête jusqu’à Alexandrie. De là il se rend sur la mer Rouge puis à La Mekke via Jeddah. Il reste 9 mois à La Mekke puis rentre par la voie de terre de Bagdad à Acre où il embarque pour Valence. Il fait naufrage, refait une escale en Sicile et regagne Carthagène en 1185. Il rédige une relation de voyage (la rihla), journal littéraire qui constitue un genre littéraire nouveau dans le monde musulman. Le monopole croissant des Italiens sur les transports pose d’ailleurs des problèmes aux musulmans. Le grand cadi de Cordoue Abû Walid b. Rushd (grand père d’Averroès) indique vers 1120 qu’il vaut mieux renoncer au pèlerinage à la Mekke et le remplacer par le jihad dans un ribat des frontières. Les chrétiens quant à eux poursuivent la tradition du pèlerinage vers Jérusalem, qui remonte au IV° siècle. Avant 1099, ce pèlerinage se fait par la voie maritime et est donc réservé aux catégories sociales les plus élevées. Au cours du XI° siècle, les Hongrois se convertissent. Le voyage par voie terrestre devient possible. Les croisades et la mise en place des Etats latins d’Orient augmentent le caractère populaire des pèlerinages de masse, en particulier parce que les liaisons maritimes entre l’Orient et l’Europe sont plus fréquentes. Pèlerins chrétiens et musulmans se côtoient d’ailleurs sur les bateaux.   2/ Des populations qui se côtoient C’est le fait de lieux particuliers : la péninsule ibérique, la Sicile, les Etats latins d’orient et quelques grandes villes méditerranéennes.  Dans la péninsule ibérique, on peut prendre l’exemple de Tolède. Après la prise de cette ville, Alfonso V puis Alfonso VI accordent des privilèges à ses habitants. Tolède devient une cité pluri ethnique dans laquelle chaque communauté garde ses lois et ses usages. Mozarabes et musulmans se trouvent plutôt dans le secteur du commerce et de l’artisanat, la communauté juive d’Aljama est un foyer de savants et d’intellectuels. Toute cette population est surveillée par une minorité d’administrateurs et de militaires chrétiens, qui forment une communauté à part, confinée dans des quartiers spécifiques. Progressivement au cours du XII° siècle, le chapitre cathédral de Tolède rachète les boutiques et ateliers qui l’entourent, favorisant l’installation d’artisans et de commerçants chrétiens qui s’initient aux techniques musulmanes. Puis le clergé chasse une partie de l’oligarchie intellectuelle musulmane, qui se réfugie alors en territoire almoravide. Vers 1250, Tolède est une ville à majorité chrétienne. Cette politique de « tolérance  n’a pas été inspirée par des valeurs de tolérance, mais bien par le rapport de forces qui existe entre chrétiens (peu nombreux) et musulmans (plus nombreux). On voit bien que, quand ce rapport s’inverse, la politique des chrétiens change rapidement.  En Sicile, Roger II est présenté comme un souverain à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Il a adopté des pratiques de ses contemporains maghrébins et égyptiens. Il réussit à établir une symbiose entre les éléments grecs, arabes et latins présents en Sicile. Si son action est limitée dans les campagnes, les trois langues coexistent à la cour et dans l’administration, laquelle utilise la terminologie arabe. Le cérémonial de
 
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cour mêle rituel byzantin et islamique (le parasol par exemple est repris du rituel fatimide et a été offert par la cour d’Egypte). Cette symbiose se fait surtout dans le domaine artistique et culturel : la chapelle palatine mêle des motifs orientalisants, des mosaïques byzantines et un programme religieux latin. Guillaume Ier et Guillaume II ne renient pas cette orientation, les jardins palermitains de Guillaume Ier sont ainsi organisés sur le modèle islamique. Cependant, la cour de Palerme est plus multi-culturelle que multi-confessionnelle. Les souverains normands ont fait le choix d’une Sicile fortement arabisée mais irréprochablement chrétienne. Cela les rend finalement suspect aux yeux des sujets des deux confessions, ce qui provoque finalement des tensions internes et leur chute.  Dans les Etats latins d’Orient, le témoignage d’Usâma ibn Munqidh (1095-1188) montre bien que musulmans et latins se côtoient, jusqu’à partager les mêmes lieux de prière. Usâma observe d’ailleurs une certaine communauté de pratiques avec les seigneurs chrétiens : la chasse, le tournoi, mais il juge aussi de façon très critique leur façon de vivre (des rustres), leur retard dans le domaine médical et leur duplicité. Enfin, il révèle une certaine « orientalisation  des seigneurs latins, ce sont les « poulains  mentionnés par Foucher de Chartres. Bien que conquérants et qu’ayant imposé leur organisation socio-politique (le système féodal, seul cas d’exportation de ce système), les Francs sont minoritaires dans cette région. Quant ils s’installent en zone rurale, ils privilégient les régions où les chrétiens d’orient sont nombreux. Si certains sont animés par le désir de rechristianiser cette région du monde, la plupart sont conscients de la faiblesse de leur présence et de l’enjeu économique que représentent les seigneuries latines et les ports. La survie matérielle des croisés dépend en effet du travail des populations autochtones, surtout musulmanes, qu’ils doivent en principe combattre. Certains auteurs voient dans cette cohabitation le premier type d’une « société coloniale . La réalité est en fait plus complexe puisque les Francs ne se contentent pas d’exporter leur modèle féodal mais qu’ils gardent en plus l’administration musulmane : le dîwan pour les taxes foncières par exemple.  Enfin, on peut dire que les villes méditerranéennes sont des villes cosmopolites. Dans les ports du monde musulman en particulier, bien que les marchands latins soient isolés dans leurs fundouks, il y a un brassage de population. Les marchands ont en effet des relations d’affaires avec des musulmans, il existe des traités entre les villes italiennes et les autorités musulmanes pour régler des questions juridiques.  B/ Les minorités Une des caractéristiques de la société méditerranéenne est son aspect multiconfessionnel. Cependant, dès le X° siècle dans l’occident musulman et le XI° en Orient, le déclin du christianisme et du judaïsme sont amorcés. Dans ce cadre, les offensives latines (reconquista, croisades, normands en Sicile) modifient l’attitude des musulmans // chrétiens. Les musulmans en effet respectent les chrétiens orientaux qui vivent dans les pays d’islam, tout en rappelant la dhimma. L’arrivée des latins bouleverse cet équilibre. 1/ Les dhimmis Ce sont les membres des « religions du livre , juifs et chrétiens. Ils peuvent conserver leur religion, mais doivent payer un tribut, la jizya, signe de la protection que leur accorde le pouvoir musulman. Dans l’ensemble du monde musulman, les chrétiens sont minoritaires au début du XII° siècle. Le XII° siècle est marqué d’une part par l’antagonisme entre chrétiens d’orient et chrétiens d’occident et par l’attitude contradictoire des souverains musulmans.
 
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 Saladin affirme la nécessité de bien faire respecter les règles de la convention des dhimmis. Il fait la distinction entre les chrétiens orientaux et les Ifranjî dans le contexte de la croisade.   L’attitude du souverain almohade Abd al-Mumin est radicalement différente. Il prend al-Andalus vers 1146-47. Il ne remet pas en cause le principe de la dhimma mais prend des mesures pour accélérer la disparition de la communauté chrétienne.  L’expansion latine a des incidences sur les minorités chrétiennes : ainsi la campagne d’Alfonso Ier en 1125-26 est catastrophique pour les populations mozarabes, qui sont ensuite condamnées à l’exil. L’échec de la conquête normande en Ifriqiya a aussi des conséquences catastrophiques pour les chrétiens qui doivent s’exiler. En orient, les croisades ont entamé le crédit des chrétiens. Le christianisme devient la cible des attaques des militants du jihad. Jusque là, le christianisme, considéré comme une prophétie définitivement disqualifiée par l’islam, était la religion de régions lointaines et ne représentait donc pas une menace. Les croisades transforment cette indifférence // christianisme en crainte et en haine et la répression contre les chrétiens d’orient augmente, surtout en Syrie.  2/ Les musulmans en Sicile chrétienne, les mudéjars dans la péninsule ibérique  En Sicile, les colons normands sont bien trop peu nombreux pour pouvoir coloniser l’île. Ils doivent donc ménager la population musulmane. La vie de chacun continue d’être régie par les lois de la communauté à laquelle il appartient et la majorité de la population musulmane reste en place jusqu’aux émeutes de 1161. Jusque dans le dernier quart du XII° siècle, le nord de l’île est encore très musulman, cf. le témoignage d’Ibn Jubayr. A la mort de Guillaume II, de nouveaux pogroms contre les musulmans éclatent. Les musulmans jouent ensuite un rôle non négligeable dans la guerre civile qui éclate en Sicile à l’extrême fin du XII° siècle, après la mort de Constance en 1198. Après sa victoire, Frédéric II déporte une grande partie des musulmans dans les Pouilles (1225).  Les mudéjars d’Espagne sont des communautés nombreuses. En général, ils peuvent conserver leurs lieux de culte (sauf quand la mosquée devient église), leurs lois, juges et magistrats. Cependant, dans les provinces reconquises, on constate un exode important vers al-Andalus, en particulier chez les fonctionnaires, les artisans, les courtisans, les gens de lettres. En revanche, les musulmans restent dans les campagnes. C’est en effet l’intérêt des souverains de pouvoir maintenir les cultures, surtout dans le domaine irrigué. Le royaume de Valence prend ainsi des mesures pour retenir des musulmans capables d’entretenir la huerta.  3/ Les juifs.  En terre d’islam. Les travaux de S.D. Goitein dans « A Mediterranean Society  montre l’interaction des échanges entre les deux communautés. Comme les chrétiens, les juifs sont des dhimmis et payent la jizya. Ils jouent un grand rôle dans le commerce tout autour de la Méditerranée, du fait de la présence de nombreuses communautés. On les trouve aussi dans les métiers liés à l’orfèvrerie et à la frappe des monnaies, dont les musulmans se tiennent éloignés.  Dans l’Espagne de la reconquista. Les juifs forment 10 à 25% de la population urbaine d’al-Andalus. Ils sont plus nombreux dans les échanges, dans l’administration et la vie culturelle que les mozarabes. Après la reconquête, les communautés juives sont nombreuses dans les terres chrétiennes. Tolède est le point d’ancrage le plus important et les juifs jouent un rôle important de passeurs culturels et scientifiques entre les deux mondes. Ils vivent dans des quartiers spéciaux, la judéria, et jusque vers 1250
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