1935-1938 : photographies du Dust Bowl
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  • cours - matière potentielle : depuis les années vingt
- 247 - Christophe MASUTTI 1935-1938 : photographies du Dust Bowl Christophe MASUTTI Docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques Institut de Recherches Interdisciplinaires sur les Sciences et la Technologie Université Louis Pasteur, Strasbourg Le photographe A. Rothstein fut mandaté par la Farm Security Administration en 1936 pour illustrer la situation agricole dans les Grandes Plaines du Midwest, alors en proie à une intense érosion éolienne des sols : le Dust Bowl. Pour remédier à cette catastrophe naturelle et économique, le gouver- nement Roosevelt procéda à une réorganisation des bureaux agricoles et mandata ingénieurs agricoles, biologistes et botanistes afin de mettre en place une politique de gestion des sols.
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  • histoire du dust bowl
  • institutions politiques
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  • pratiques agricoles
  • dust bowl

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Extrait

46)46-28
in René Favier et Anne-Marie Granet-Abisset dir., Récits et représentations des catastrophes
depuis l’Antiquité, Grenoble, CNRS, MSH-Alpes, 2005, pp. 247-269. Christophe MASUTTI
1935-1938 : photographies du Dust Bowl
Christophe MASUTTI
Docteur en épistémologie,
histoire des sciences et des techniques
Institut de Recherches Interdisciplinaires
sur les Sciences et la Technologie
Université Louis Pasteur, Strasbourg
Le photographe A. Rothstein fut mandaté par la Farm Security Administration
en 1936 pour illustrer la situation agricole dans les Grandes Plaines du
Midwest, alors en proie à une intense érosion éolienne des sols : le Dust
Bowl. Pour remédier à cette catastrophe naturelle et économique, le gouver-
nement Roosevelt procéda à une réorganisation des bureaux agricoles et
mandata ingénieurs agricoles, biologistes et botanistes afin de mettre en place
une politique de gestion des sols. Dès lors, les clichés d’A. Rothstein ne se
contentent pas d’illustrer les conséquences du Dust Bowl, ils montrent aussi
que cette réponse à la catastrophe est motivée par un mouvement “conserva-
tionniste” faisant de la préservation des sols une question d’utilité publique.
On pourrait croire que cet élan de préservation des sols a permis de condamner
les pratiques agricoles industrielles capitalistes en cours depuis les années
vingt. Or, si le discours scientifique s’attache à réajuster pratiques agricoles
et connaissance des sols, les impératifs économiques et politiques inversent
une adaptation de l’agriculture aux sols en une adaptation des sols à l’agri-
culture. Ainsi, les photographies d’A. Rothstein illustrent davantage les pa-
radoxes de la politique agricole que le Dust Bowl lui-même.
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C’est lors de la grande crise de la fin des années vingt que commen-
cèrent à s’enchaîner sécheresse et érosion dans les Grandes Plaines améri-
caines, aboutissant à une suite de tempêtes de sables destructrices, les “Black
1Blizzards” du milieu des années trente. Le Dust Bowl s’annonce comme un
élément de l’environnement régional, il devient même substantif : des “Dust
Bowl Farmers” des années trente on en vient à parler du Dust Bowl améri-
cain, élément caractérisant la région des Grandes Plaines jusqu’à aujourd’hui.
Pourtant, à la lecture des journaux américains, le Dust Bowl ne fut pas seule-
ment ce phénomène géographique et géologique que nous décrivons
aujourd’hui. Il est doté d’une dimension politique et scientifique qu’il faut
prendre en compte pour comprendre l’ampleur de l’événement. Ce sont ces
aspects, relayés par les médias gouvernementaux, qui renvoient directement
à la lourde charge politique de la décision, particulièrement à partir de 1935.
Nous envisagerons deux axes d’interprétation pour relater l’histoire du Dust
Bowl : le renvoi des faits à la responsabilité (la manière de gérer les sols propo-
sée par les institutions gouvernementales) et la prise en compte de l’événement
par les gestionnaires des sols, écologues, botanistes, et ingénieurs agricoles.
Pour guider notre tâche, nous pouvons nous intéresser à un médium
particulier : la photographie. Nous retiendrons surtout les plus importants
clichés des photographes de la FSA (Farm Security Administration), établis
2pour le compte du gouvernement F. Roosevelt , et parmi eux ceux d’Arthur
Rothstein, dont les missions portaient explicitement sur l’agriculture dans le
Midwest.
A travers ce médium, nous voyons se dessiner une politique ambiva-
lente de la gestion des sols. Une controverse vit le jour : doit-on interpréter le
Dust Bowl selon une mauvaise gestion des sols, une erreur à ne plus répéter ?
Ou bien le Dust Bowl n’est-il qu’un événement chronique de l’histoire des
Grandes Plaines, que l’on peut qualifier, en établir les statistiques, et l’intégrer
dans une gestion des sols ?
Nous proposons dans un premier temps une courte présentation du
Dust Bowl, phénomène assez mal connu en France. Puis nous verrons que
c’est l’interrogation sur les causes du phénomène qui constitue la clé de la
cohérence des clichés de la FSA. A la lumière de ces derniers, il conviendra
ensuite d’éclaircir les initiatives en faveur de la protection des sols, ainsi que
les discours scientifiques qui lui sont associés. Nous verrons alors que les
solutions au Dust Bowl proviennent plus d’un mouvement d’idées que des
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directives des gestionnaires des sols influencés par l’écologie : préserver ou
adapter les sols, cette nuance prend alors toute son importance.
I. Le contexte
Le Dust Bowl
Le 21 mai 1934, un article du Time exprime très justement le malaise
agricole provoqué par le Dust Bowl. Alors que l’Agricultural Adjustment Act
(AAA, prononcé par le Bureau fédéral des aides compensatoires agricoles)
annonçait une dépense de 67 millions de dollars pour réduire la surproduc-
tion américaine de blé, le Département de l’Agriculture ne cessait de baisser
ses estimations de production de l’année, passée de 461 millions de boisseaux
à 442 millions. Différence légère certes mais l’article accuse très justement
ces statistiques d’être sans commune mesure avec les faits concrets dans le
Midwest : l’érosion des sols continue son travail et envoie dans les airs des
millions de tonnes de terre fertile. L’article fait référence à la plus impres-
sionnante série de tempêtes de poussière de la période, celle de mai 1934,
dont les effets se firent sentir jusque sur la côte Est, de Chicago à Manhattan :
« elle s’arrêta pendant 5 heures comme un brouillard sur Manhattan – la
plus grande tempête de poussière de l’histoire américaine, démontrant à l’Est,
avec une incroyable efficacité, la réduction des récoltes du Midwest ». La
conclusion de l’article relève en fait d’un désastre annoncé : avec une esti-
mation de 442 millions de boisseaux produits, au regard de la catastrophe
s’aggravant jour après jour, la prochaine production risque d’être réduite à la
portion congrue. « Pour conclure, des bruines légères se font sentir dans le
Midwest, assez pour enrayer la poussière. Mais ce sont des pluies diluviennes
qu’il faudrait pour rétablir la production, et ce déluge ne vient toujours pas ».
Un second article du Time, daté du 9 août 1934, fait état de la tournée
présidentielle de Roosevelt dans le Minnesota et le Nord Dakota. Il s’intitule :
“Roosevelt, le « faiseur de pluie »”. En effet tout le long du trajet du Président,
des chutes de pluie furent recensées 5 à 7 heures après le passage du convoi.
Cet article est court mais en dit long sur la conception des actions politiques
en faveur de l’agriculture, et sur ce qu’en attendaient les agriculteurs du
Midwest. En 1934, la situation est plus que désastreuse mais l’espoir est permis.
Ces épisodes du Dust Bowl sont marginaux mais éclairant. Le débat
s’engage lorsqu’on tente d’en analyser les causes. Le sens commun nous
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incite à penser que si les interprétations économiques des faits avaient été
établies par les institutions, le drame social n’aurait pas eu l’ampleur des
mouvements de migration à travers les Etats-Unis. C’est ce qu’incite à pen-
ser le premier article. Le second article nous montre qu’en fait, en 1934, les
esprits n’étaient pas en faveur d’un catastrophisme ou d’un déterminisme
face à un environnement devenu hostile, encore moins en faveur d’une remise
en question de l’usage humain des sols des Grandes Plaines : si, en 1933, des
manifestations de paysans du Midwest et des marches sur Washington eurent
lieu, ce fut plus par esprit de revendication sociale que par indignation contre
le mode de production agricole. C’est à partir de 1935 que cette attitude changea.
L’expression “Dust Bowl” est lourde de sens. S’il est facile de com-
prendre que la traduction fait référence à la poussière et aux tempêtes de
poussière, comment expliquer la référence au bol, cet objet quotidien de la
table ? En fait, le 15 avril 1935, dans le Washington Evening Star, Robert Geiger,
reporter de Denver, désigna la zone des tempêtes de poussière par “Dust
3Belt” . David Nail (1973, p. 124), historien à Canyon, Texas, expliqua l’ori-
gine de la transformation populaire de “Belt” en “Bowl” à travers la lecture
populaire d’un pionnier du Colorado, William Gilpin, qui compara en 1850
le Grand Bassin du Colorado à un bol (bowl) fertile dont les rebords e

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