La banlieue apparaît comme un espace où plus encore qu ailleurs il est urgent de tisser du lien social et d  éduquer la citoyenneté Face ce qui est devenu un allant de soi on peut adopter deux atti tudes Ou bien l on dénonce une naturalisation géographique des rap ports sociaux qui aboutit stigmatiser un territoire et distendre plus encore les liens qui l attachent au reste du pays Ou bien on considère la banlieue comme un objet problématique dans les lieux ainsi désignés se développent de façon plus précoce et plus exacerbée des contradic tions qui travaillent la société tout entière Si l on adopte cette seconde perspective comme nous le faisons la banlieue est un objet précieux pour le chercheur elle produit un effet loupe qui permet de mieux apercevoir ces contradictions Celles ci traversent les discours mais aussi les pratiques innovantes qui s expérimentent dans ces lieux où
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La banlieue apparaît comme un espace où plus encore qu'ailleurs il est urgent de tisser du lien social et d' éduquer la citoyenneté Face ce qui est devenu un allant de soi on peut adopter deux atti tudes Ou bien l'on dénonce une naturalisation géographique des rap ports sociaux qui aboutit stigmatiser un territoire et distendre plus encore les liens qui l'attachent au reste du pays Ou bien on considère la banlieue comme un objet problématique dans les lieux ainsi désignés se développent de façon plus précoce et plus exacerbée des contradic tions qui travaillent la société tout entière Si l'on adopte cette seconde perspective comme nous le faisons la banlieue est un objet précieux pour le chercheur elle produit un effet loupe qui permet de mieux apercevoir ces contradictions Celles ci traversent les discours mais aussi les pratiques innovantes qui s'expérimentent dans ces lieux où

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161 La banlieue apparaît comme un espace où, plus encore qu'ailleurs, il est urgent de « tisser du lien social » et d'« éduquer à la citoyenneté ». Face à ce qui est devenu un allant-de-soi, on peut adopter deux atti- tudes. Ou bien l'on dénonce une naturalisation géographique des rap- ports sociaux qui aboutit à stigmatiser un territoire et à distendre plus encore les liens qui l'attachent au reste du pays. Ou bien on considère la banlieue comme un objet problématique : dans les lieux ainsi désignés se développent, de façon plus précoce et plus exacerbée, des contradic- tions qui travaillent la société tout entière. Si l'on adopte cette seconde perspective, comme nous le faisons, la banlieue est un objet précieux pour le chercheur : elle produit un effet loupe qui permet de mieux apercevoir ces contradictions. Celles-ci traversent les discours mais aussi les pratiques « innovantes » qui s'expérimentent dans ces lieux où Ville-École-Intégration, n° 118, septembre 1999 LES AIDES-ÉDUCATEURS : LE LIEN SOCIAL CONTRE LA CITOYENNETÉ Bernard CHARLOT (*) Laurence EMIN (*) Olivier de PERETTI (*) (*) ESCOL, université Paris VIII. L'emploi d'aides-éducateurs contribue à réduire les tensions au sein de l'établissement scolaire. On peut cependant s'interroger sur ses effets à long terme.

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  • quartier

  • jugement scolaire

  • remise en cause par les élèves de la légitimité des professionnels de l'école

  • lien social

  • jeune

  • citoyenneté


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Publié le 01 septembre 1999
Nombre de lectures 52
Langue Français

Extrait

Ville-École-Intégration, n° 118, septembre 1999
LES AIDES-ÉDUCATEURS :
LE LIEN SOCIAL CONTRE LA CITOYENNETÉ
Bernard CHARLOT (*)
Laurence EMIN (*)
Olivier de PERETTI (*)
L’emploi d’aides-éducateurs
contribue à réduire les tensions au
sein de l’établissement scolaire.
On peut cependant s’interroger sur
ses effets à long terme. En privilé-
giant la proximité identitaire de ces
nouveaux intervenants avec les
élèves et les liens interpersonnels, on
s’inscrit de fait dans des logiques de
socialisation qui sont aux antipodes
de l’universel républicain incarné
par l’institution scolaire.
La banlieue apparaît comme un espace où, plus encore qu'ailleurs, il
est urgent de « tisser du lien social » et d’« éduquer à la citoyenneté ».
Face à ce qui est devenu un allant-de-soi, on peut adopter deux atti-
tudes. Ou bien l’on dénonce une naturalisation géographique des rap-
ports sociaux qui aboutit à stigmatiser un territoire et à distendre plus
encore les liens qui l’attachent au reste du pays. Ou bien on considère la
banlieue comme un objet problématique : dans les lieux ainsi désignés
se développent, de façon plus précoce et plus exacerbée, des contradic-
tions qui travaillent la société tout entière. Si l’on adopte cette seconde
perspective, comme nous le faisons, la banlieue est un objet précieux
pour le chercheur : elle produit un effet loupe qui permet de mieux
apercevoir ces contradictions. Celles-ci traversent les discours mais
aussi les pratiques « innovantes » qui s’expérimentent dans ces lieux où
(*) ESCOL, université Paris VIII.
161l’on court plus de risques à ne rien faire qu’à innover. Nous nous inté-
resserons dans cet article à une innovation majeure : la mise en place
des emplois-jeunes en banlieue et, plus particulièrement encore, l’im-
plantation d’aides-éducateurs dans trois collèges de Seine-Saint-Denis.
Ces aides-éducateurs sont-ils vecteurs de « lien social » et de « citoyen-
neté » ? Pourquoi ? Comment ? À travers quelles contradictions ?
La création des emplois-jeunes s’inscrit à l’intersection de deux poli-
tiques, porteuses toutes deux d’une ambition intégratrice. D’une part,
une politique de l’emploi : il s’agit d’insérer dans le tissu économique et
social des jeunes qui ont reçu une formation et détiennent un diplôme
d’un certain niveau. D’autre part, une politique d’aide aux services
publics et aux associations : ont été privilégiés ceux et celles qui agissent
dans des territoires « sensibles », bousculés par une jeunesse qui, pense-
t-on, s’intègre difficilement à la société française. Ces deux politiques
semblent s’articuler étroitement et démultiplier leurs effets lorsque les
jeunes recrutés sur ces emplois sont eux-mêmes issus des quartiers dits
sensibles. Non seulement on insère ainsi ces jeunes mais en outre ils
facilitent, pense-t-on, la communication avec les autres jeunes vivant
dans ces quartiers, ils développent avec eux des interactions que d’autres
intervenants peinent à instaurer, ils servent de médiateurs entre mondes
différents, éventuellement ils apparaissent comme des modèles.
Insertion, communication, interaction, médiation, modélisation : ces
jeunes apparaissent comme vecteurs d’un renforcement du lien social.
L’idée semble a priori pertinente. Toutefois, lorsque l’on prend un
peu de recul, les doutes apparaissent.
Tout d’abord, on oublie que ces mêmes idées se sont avérées peu per-
tinentes lorsqu’elles ont guidé l’action municipale : la politique consis-
tant à embaucher des « grands frères » comme animateurs-régulateurs
des quartiers s’est heurtée à de nombreuses limites.
Ces jeunes se sont retrouvés catalyseurs des contradictions entre les
jeunes du quartier et la politique municipale et ont souvent été obligés
de jouer un rôle d’équilibristes soucieux de préserver leurs positions
plus qu’ils n’ont pu remplir des fonctions de médiateurs.
Ensuite, ces idées ne prennent pas assez en considération les caracté-
ristiques des services publics « à la française », et tout particulièrement
162de l’école. L’école à la française, celle qui s’est construite en s’adossant
aux idées de Jules Ferry (modèle en large partie mythique, mais peu
importe ici), ne se définit pas en référence aux liens sociaux tissés dans
une communauté mais par des références universalistes : les droits de
l’homme et le savoir (en allant vite, la République de Condorcet),
considérés comme les deux fondements de la citoyenneté républicaine.
Il ne suffit pas d’être vecteur de lien social pour produire de la
citoyenneté ; encore faut-il savoir de quel lien social il s’agit et quels
sont ses fondements. Autrement dit, il faut distinguer la question du lien
social et celle de la citoyenneté, trop souvent confondues dans les
débats. Dans la construction politique de la République française, c’est
la notion d’intérêt général (ou celle de volonté générale), telle qu’elle a
été définie par Rousseau, qui permet de fonder celle de citoyenneté. La
volonté générale n’est pas la somme des volontés particulières (la
volonté de tous), l’intérêt général ne s’obtient pas en additionnant les
intérêts particuliers ou en cherchant un compromis entre eux. La
volonté générale, l’intérêt général, c’est ce qu’il y a de commun à cha-
cun, par-delà les différences. « Il y a souvent bien de la différence entre
la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’inté-
rêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de
volontés particulières » (Rousseau, Du contrat social, livre II,
chapitre III). Dans la perspective de Rousseau, il peut exister une majo-
rité, et même une unanimité, qui trahisse l’intérêt général dans la
mesure où elle est fondée sur une convergence des intérêts particuliers.
La distinction n’est pas toujours très facile à opérer dans l’interpréta-
tion des événements mais elle nous semble philosophiquement fonda-
mentale. L’entrelacement des positions, des conduites et des modèles de
référence (produit par l’insertion, la communication, l’interaction…)
construit du lien social – qui peut éventuellement être un lien par exclu-
sion de l’autre et cristallisation d’un groupe de « nous » définis par des
« droits » qui ne sont en fait que des privilèges partagés. La construc-
tion de la citoyenneté repose sur la référence à des valeurs portées par
chacun au-delà de ses particularités d’origine et d’appartenance et sur la
référence à des savoirs dont la validité, loin d’être enfermée dans la
seule reconnaissance par la communauté d’appartenance, s’affirme uni-
verselle. En ce sens, il peut y avoir opposition, et non pas continuité,
entre l’aide-éducateur version « lien social » (celui qui, de par ses ori-
gines, entre plus facilement en communication et en interaction avec
163des jeunes de la même origine) et l’aide-éducateur version citoyenneté
(celui qui, quelles que soient ses origines – y compris, donc, si ce sont
les mêmes que celles des élèves –, contribue à la construction de réfé-
rences universalistes au-delà des valeurs communautaires et des savoirs
empiriques de la cité). Cette distinction (prenant parfois la forme d’une
opposition) permet de dépasser les idées de sens commun ci-dessus rap-
pelées et d’analyser l’impact, en termes de « lien social » et de
« citoyenneté », de l’introduction d’aides-éducateurs dans des établisse-
ments scolaires comme les collèges de Seine-Saint-Denis.
Ce nouveau personnel affecté dans les établissements scolaires, dans
le cadre du plan « emplois-jeunes », représente la mesure la plus nova-
trice du plan de lutte contre la violence scolaire arrêté par le ministère
de l’Éducation nationale. L’enquête menée par l’équipe ESCOL
(Charlot B., Emin L., De Peretti O., 1998) lors de la mise en route de ce
plan avait pour ambition de montrer que l’analyse de l’utilisation des
emplois-jeunes par les établissements permettrait de mieux comprendre
les logiques que ces établissements mettent en œuvre dans leur lutte
contre les violences scolaires.
Avant de savoir quels sont le

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