Michèle Petit extrait de La littérature dès l alphabet dirigé par Henriette Zoughebi Gallimard Jeunesse
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Michèle Petit, extrait de « La littérature dès l'alphabet », dirigé par Henriette Zoughebi, Gallimard Jeunesse La culture se chaparde Les lecteurs font penser à ces villageois de l'Égée qui dévalisaient les ruines de Délos, l'île sacrée de l'Antiquité, pour construire leurs maisons : chacun chargeait dans sa barque ce dont il avait besoin, une colonne, quelques plaques gravées, une statue de marbre, et il les transformait en linteaux de portes, en marches d'escalier, en chaux. Tout récit de lecteur comporte une évocation des phrases, des histoires qu'il a emportées et qui ont donné lieu à des réemplois, des transpositions souvent insolites, pour édifier sa maison intérieure. Il y a ainsi dans la lecture une dimension d'appropriation, voire de chapardage ou de détournement, dont on ne prend pas assez la mesure, probablement parce qu'elle a toujours effrayé, dès lors qu'aucune autorité ne peut jamais contrôler la façon dont un texte va être lu, compris, interprété. C'est pourtant en prêtant attention à ces étonnants « braconnages' » auxquels se livrent discrètement les lecteurs que l'on comprend pourquoi chacun doit pouvoir accéder, dès le plus jeune âge, aux livres, et en particulier aux oeuvres littéraires (2). Un espace intime et lointain, un temps repris au temps social Ces braconnages commencent très tôt, peut-être au moment où, s'il est en confiance, l'enfant s'empare d'une comptine ou d'un fragment d'une histoire que sa mère lui propose, et l'éprouve comme son bien propre,

  • activité culturelle

  • voix intérieure

  • rythme des activités scolaires

  • pensée inventive

  • bibliothèque au droit de cité

  • partage


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Michèle Petit, extrait de « La littérature dès l’alphabet », dirigé par Henriette Zoughebi, Gallimard Jeunesse La culture se chapardeLes lecteurs font penser à ces villageois de l'Égée qui dévalisaient les ruines de Délos, l'île sacrée de l'Antiquité, pour construire leurs maisons : chacun chargeait dans sa barque ce dont il avait besoin, une colonne, quelques plaques gravées, une statue de marbre, et il les transformait en linteaux de portes, en marches d'escalier, en chaux. Tout récit de lecteur comporte une évocation des phrases, des histoires qu'il a emportées et qui ont donné lieu à des réemplois, des transpositions souvent insolites, pour édifier sa maison intérieure. Il y a ainsi dans la lecture une dimension d'appropriation, voire de chapardage ou de détournement, dont on ne prend pas assez la mesure, probablement parce qu'elle a toujours effrayé, dès lors qu'aucune autorité ne peut jamais contrôler la façon dont un texte va être lu, compris, interprété. C'est pourtant en prêtant attention à ces étonnants « braconnages' » auxquels se livrent discrètement les lecteurs que l'on comprend pourquoi chacun doit pouvoir accéder, dès le plus jeune âge, aux livres, et en particulier aux oeuvres littéraires (2). Un espace intime et lointain, un temps repris au temps social Ces braconnages commencent très tôt, peut-être au moment où, s'il est en confiance, l'enfant s'empare d'une comptine ou d'un fragment d'une histoire que sa mère lui propose, et l'éprouve comme son bien propre, comme quelque chose qu'il a créé, alors même qu'elle le lui a donné. Il prend en lui ces sonorités qui le protègent et commence à élaborer ce que les psychanalystes appellent sa « capacité d'être seul(3) », à se construire comme sujet. Or si l'on suit Winnicott ou Diatkine, les expériences culturelles ne seraient qu'une extension de ces premières expériences de jeu, d'émancipation. La lecture s'inscrit dans le prolongement de ces moments de la petite enfance où l'on prend en soi quelque chose qui vient de l'autre pour faire son chemin. Et tout au long de la vie, les pratiques culturelles restent des voies privilégiées pour retrouver cet espace paisible, et l'expérience de l'enfant qui, à partir de ce lieu calme, protecteur, esthétique, entre sa mère et lui, se ressource et s'autonomise. On ne s'étonnera donc pas en entendant des lecteurs raconter si souvent qu'avec des matériaux dérobés dans des livres, ils construisent un habitacle où ils ne dépendent de personne : « J'avais un secret pour moi, c'était mon univers à moi. Mes images, mes livres, et tout ça. Mon monde à moi, c'est dans les rêves », dit Agiba, se souvenant des livres empruntés en bibliothèque(4). Au-delà de l'enfance, tout au long de la vie, un livre est une hospitalité offerte, un refuge que l'on peut emporter avec soi. Même dans des contextes où aucune possibilité de disposer d'un univers personnel ne semble être laissée, il ouvre sur une contrée intime, secrète, où l'on se perçoit comme différent, capable d'une pensée indépendante, et où l'on est pourtant relié à d'autres -l'auteur du livre, ceux qui l'ont fabriqué ou conseillé, ceux qui l'ont lu ou le liront, les personnages que l'on découvre au fil de l'histoire ; un lieu qui ouvre une marge de liberté, donne l'idée d'un autre devenir possible, fréquemment associée à la découverte d'un monde différent, lointain : « Les livres, c'était le bonheur, la découverte qu'il y avait un ailleurs, un monde, plus loin, où je pourrais vivre », dit Rosalie. Cet appel du lointain éveille le désir, la curiosité, l'intériorité : par ce biais, on embarque vers l'autre en soi, méconnu, loin du « soi » social tout entier dans le regard porté sur lui. L'espace auquel la lecture introduit est réglé par un temps spécifique, repris au temps social, en rupture par rapport à l'agitation quotidienne, au rythme des activités scolaires, au tempo des médias ou des jeux électroniques ponctué de violence crue. Et c'est sans doute par ce décalage même qu'il introduit du jeu, une créativité. Car dans ces moments où apparemment rien ne se passe, la rêverie a libre cours. « On se fait par le rêve, dit Daoud, c'est pas en ouvrant un livre de maths avec des formules scientifiques 1. Selon l'heureuse expression de Michel de Certeau (« Lire: un braconnage », in:L'Invention du quotidien, 1. Arts de faire,Paris, 10/18, 1980). 2. Cf. Michèle Petit,Éloge de la lecture,Paris, Belin, coll. Nouveaux mondes, 2002, où sont développés les thèmes évoqués dans cet article. 3. Donald Winnicott, « La capacité d'être seul », in : Dela pédiatrie à la psychanalyse,Paris, Payot, 1969, p. 325-333. Voir aussijeu et réalité. l'espace potentiel,Paris, Gallimard, 1975.
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