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1 James JOYCE (1882-1941)
  • année-clé
  • loi inflexible pendant des années
  • clé frugale
  • portrait de l'artiste en jeune homme
  • ulysse
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James JOYCE (1882-1941)





1 INTRODUCTION
De notre pléiade de génies, James Joyce est peut-être celui qui en impose
le plus au lecteur d’aujourd’hui. L’auteur d’Ulysse (1922) et de Finnegans Wake
(1939) serait-il le dernier « monstre sacré » de la littérature occidentale ?
L’homme rivalise en puissance avec Dante, Cervantès, Goethe, Shakespeare,
Hugo, et Homère – Homère, dont il reprend, comme pour bien marquer sa
généalogie avec les génies du passé, le nom de l’illustre héros pour le titre de
son chef-d’oeuvre. Contemporain de Kafka (1883-1924), Joyce fait plus
qu’égaler les géants littéraire de jadis, il les assimile, les digère, les englobe, les
résume tous, dans une littérature totale : Joyce est mythologique comme
Homère, mystique comme Dante, comique comme Cervantès, dramaturgique
comme Shakespeare, pornographique comme Sade, philosophique comme
Goethe, poétique comme Hugo, épique comme Tolstoï, labyrinthique comme
Kafka.
Joyce a un autre point commun avec le poète de la Divine Comédie.
L’auteur d’Ulysse terrorise son lecteur. Mais pour des raisons différentes. Joyce
lui complique la tâche en mélangeant les discours (chaque chapitre d’Ulysse est
écrit dans un style différent), en bousculant l’ordre habituel des mots, en
faisant des assemblages verbaux (darkplumaged = aux-sombres-plumes), en
introduisant des vocables étrangers. Si l’intelligibilité globale du propos n’est
pas en cause, la prose de Joyce, admettons-le, est souvent déconcertante.
Anthony Burgess explique ainsi le désarroi du lecteur :

On excuse plus aisément la bizarrerie d’un poète que celle d’un
romancier. Les mots sont le commerce du poète, et c’est sa prérogative
de les arranger bizarrement pour faire ressortir le mystère du langage […]
Mais le romancier a moins à faire avec les mots qu’avec les personnages,
les lieux, l’action. La plupart des lecteurs veulent accéder au contenu d’un
roman sans être gêné par un style d’écriture trop envahissant qui fasse de
l’ombre à l’intrigue. (Au sujet de James Joyce, 2008)

Mais Joyce est-il si difficile qu’on le dit ? La vérité est que l’œuvre du
maître irlandais exige une attention supérieure à la moyenne. Mais pour peu
que le lecteur dispose de quelques clés, il accède aisément au texte, et peut en
tirer beaucoup de plaisir. Car contrairement à une idée reçue qui fait de lui une
sorte de Mallarmé du roman, Joyce est un écrivain qui cherche à exprimer, par
tous les moyens que lui offre la langue, la vie dans ce qu’elle a de plus
truculent. Ce qui en fait, paradoxalement, le descendant direct de Cervantès et
de Shakespeare.
Un premier moyen de faire baisser l’anxiété du lecteur consiste à
rappeler quelques épisodes de sa vie, car, en dépit de l’effacement volontaire
de l’auteur, son œuvre est très autobiographique. Un second moyen est de
retracer le parcours littéraire de Joyce, des nouvelles lisibles du début –
2 Dubliners (1914) – à la « falaise » abrupte de Finnegans Wake (1939) en passant
par la « cathédrale de prose », qui a fait la célébrité mondiale de Joyce : Ulysse.

I. UN EXIL PERPETUEL
Comme Hugo, Joyce se range dans la catégorie supérieure des « génies »
dès son plus jeune âge, et ne s’en cache pas...

On colportait partout ses mots féroces, ses épigrammes, non sans railler
sous cape ses ambitions dantesques. Car, ayant produit en tout et pour
tout un essai sur Ibsen et cinq ou six poèmes anachroniques, le jeune
homme posait volontiers au génie méconnu et réclamait des concitoyens
une admiration sans limite. (Jean Paris, Joyce par lui-même, p. 21)

Cette arrogance de dandy est une réaction d’orgueil à la situation humiliante
que vit le jeune Joyce dans sa famille, à l’école et vis-à-vis de son pays.



[James Joyce, en 1904 (il a 22 ans)]
1. Les trois carcans
L’enfant naît dans un milieu défavorisé. Aîné de dix enfants, sa mère
metombe enceinte une quinzaine de fois (à l'instar de M Dedalus, dans Ulysse).
La vie est difficile en raison de l'incapacité chronique des parents à gérer leurs
3 finances ; en raison aussi de l'alcoolisme du père. Joyce hérite
fantasmatiquement de l’aristocratie des ancêtres, mais subit au quotidien la
pauvreté de son milieu. De surcroît, le garçon est « mince, très nerveux »,
introspectif… On songe à Kafka, persécuté par son père. James n’est pas plus
heureux à l’école que Franz...
A l’âge de six ans, Joyce est envoyé chez les Jésuites au Clongowes Wood
Collège, dont il subit la loi inflexible pendant des années. L’adolescent se
réfugie dans la littérature (il fait de solides études classiques et religieuses).
Mais la morale catholique et les règles scolaires l’étouffent. Le Portrait de l’artiste
en jeune homme, premier récit autobiographique écrit en un jour (1904), relate
cette enfance malheureuse, vécue comme un carcan.
Pour ajouter à la difficulté, il y a la situation politique de l’Irlande, pays
occupé par l’Angleterre depuis des siècles. Joyce ne supporte pas la docilité de
ses compatriotes, qu’il assimile à de la lâcheté. Pour avoir fait le choix de la
morale (le catholicisme) contre la liberté, l’Irlande est à ses yeux un pays
honni, qui porte l’erreur dans son nom même : « Irland, Irr Land, Error land ».

2. Le double électrochoc de la chair et du livre
Joyce connaît dans sa jeunesse une double révélation qui le libère de ses
entraves morales et religieuses. D’abord il rencontre le plaisir charnel, aspect
qui occupera une place considérable dans Ulysse (rappelons que l’ouvrage sera
pendant longtemps considéré comme pornographique en raison des scènes
obscènes – masturbation, copulation, scatologie – qui s’y trouvent). Dans
Stephen Dedalus, Joyce relate l’émoi du premier baiser, rendu d’autant plus
savoureux qu’il est interdit (il s’agit d’une « passe » avec une prostituée) :

D’un mouvement soudain, elle lui inclina la tête, unit ses lèvres aux
siennes et il lut le sens de ses mouvements dans ces yeux francs levés
vers lui. C'en était trop. Il ferma les yeux, se soumettant à elle, corps et
âmes, insensible à tout au monde, sauf à la farouche pression de ses
lèvres qui s'entrouvraient doucement. C’était son cerveau qu’elles
pressaient en même temps que sa bouche, comme si elles eussent été le
véhicule de quelque vague langage ; et entre ses lèvres il sentit une
pression inconnue et timide, plus ténébreuse que la pâmoison du péché,
plus douce qu’un son ou qu’un parfum. (Stephen Dedalus)

Puis a lieu la première rencontre avec les auteurs athées, en particulier, Ibsen
(l’auteur d’Une Maison de poupée, pièce sur l’émancipation des femmes), dont il
apprend trois choses fondamentales, mises en application dans ses romans :
1. qu'une journée suffit pour exprimer une vie entière (c’est le principe sur
lequel est construit Ulysse).
2. qu’on peut peindre des vies moyennes à condition de les montrer dans une
vérité sans fard.
4 3. que l'artiste doit rester « comme Dieu, à l'intérieur, ou derrière, ou au-delà,
ou au-dessus de son oeuvre, invisible, subtilisé, hors de l'existence, indifférent,
en train de se curer des ongles ».
A partir de ce moment, l’auteur entre en résistance contre tout ce qui bride sa
liberté ; entrée en résistance qui le conduit logiquement à faire ses valises et à
quitter le pays natal. Commence trente-cinq ans d’exil, qui vont le conduire de
Zurich à Trieste en passant par Paris…

I will not serve that in which I no longer believe, whether it call itself my
home, my fatherland, or my church: and I will try to express myself in
some mode of life or art as freely as I can and as wholly as I can, using
for my defence the only arms I allow myself to use... silence, exile, and
cunning. (Chap. V)

Je ne veux pas servir ce à quoi je ne crois plus, que cela s'appelle mon
foyer, ma patrie ou mon église. Je veux essayer de m’exprimer, sous une
forme quelconque d'existence ou d’art, aussi librement et aussi
complètement que possible, en employant pour ma défense les seules
armes que je m'autorise à employer : le silence, l’exil, la ruse. (Dedalus)

3. L’exil silencieux
A Vingt ans (1902), Joyce s’embarque donc pour Paris afin de

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