Ce rapport étudie la conflictualité au travail et les représentations qui en ressortent. En mesurant les formes de conflictualité avec arrêt de travail (la grève de plus de deux jours, de moins de deux jours, le débrayage) et sans arrêt de travail (grève du zèle, refus d'heures supplémentaires, manifestations, pétitions), l'analyse permet de restituer la diversité et l'évolution des pratiques contestataires utilisées au quotidien dans les entreprises. Elle montre également comment s'articulent les formes collectives et les formes individuelles de conflictualité (repérées par les sanctions subies par les salariés, mais aussi leur absentéisme ou leur recours aux prud'hommes), voire comment ces registres se brouillent (par exemple autour des refus d'heures supplémentaires en forte augmentation). Elle permet d'observer enfin que la négociation et l'action collectives, que l'on présente souvent comme des pratiques opposées, ne s'excluent pas mais se combinent, et relativise ainsi fortement l'idée du conflit comme produit du manque de dialogue social. L'analyse de ces différents paramètres permet de comprendre à la fois les continuités dans la pratique de la grève et les transformations en cours, dans des secteurs marqués par différentes formes de précarité.
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Langue
Français
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1 Mo
Extrait
RAPPORT DE RECHERCHE
Entre grèves et conflits : les luttes quotidiennes au trav
SO P H I EBE R O U DUniversité Lyon 2, laboratoire Triangle(ENS-LSH)
JE A N- MI C H E LDE N I S Centre d’études de l’emploi, Université de Marne-la-Vallée
GU I L L A U M EDE S A G ECeraps
BA P T I S T EGI R A U DUniversité Paris 1, CRPS
JE R O M EPE L I S S EUniversité de Reims, AEP-Reims, IDHE-Cachan
j u i n 2 0 0 8N° 49
ISSN 1629-5684 ISBN 978-2-11-098160-8
Entre grèves et conflits : les luttes quotidiennes au travail
Les mouvements de grève dans les services publics dé-clenchent, de façon récurrente, des commentaires « défini-tifs » sur des conflits du travail devenus lapanage de quelques « catégories privilégiées ». Les agents du public, les chemi-nots en tête, abuseraient de larme de la grève alors que, dans un secteur industriel ex-sangue, les salariés confrontés aux délocalisations et aux fermetures dusine, soriente-raient vers des formes daction radicales. L objet de ce rap- port consiste à déconstruire ces représentations dominantes en les soumettant à un examen critique et informé. La réalité des conflits du tra-vail en France, dans lensem-ble du secteur marchand, de-meure, de fait, largement mé-connue. Lintensité des grèves dans les entreprises sest indé-niablement affaiblie au cours des trois dernières décennies
RESUMÉ sans pour autant signifier la disparition des conflits dans le monde du travail. Lexploi-tation denquêtes statistiques initiées par le ministère de lEmploi tend même plutôt à montrer une hausse significative du nombre détablissements touchés par des conflits sociaux entre 1998 et 2004. Ces enquê-tes permettent par ailleurs dappréhender finement une situation beaucoup plus com-plexe. En mesurant les formes de conflictualité avec arrêt de travail (la grève de plus de deux jours, de moins de deux jours, le débrayage) et sans arrêt de travail (grève du zèle, refus dheures supplémentai-res, manifestations, pétitions), lanalyse permet de restituer la diversité et lévolution des pratiques contestataires utili-sées au quotidien dans les entreprises. Elle montre égale-ment comment sarticulent ces formes collectives et des for-
mes individuelles de conflic-tualité (repérées par les sanc-tions subies par les salariés, mais aussi leur absentéisme ou leur recours aux prudhommes), voire comment ces registres se brouillent (par exemple autour des refus dheures supplémen-taires en forte augmentation). Elle confirme enfin que la né-gociation et laction collecti-ves, que lon présente souvent comme des pratiques opposées, ne sexcluent pas mais se com-binent, et relativise ainsi forte-ment lidée du conflit comme produit du manque de dialogue social. Lanalyse de ces différents pa-ramètres permet de compren-dre à la fois les continuités dans la pratique de la grève et les transformations en cours, dans des secteurs marqués par différentes formes de précarité.
Mots clefs: conflits du travail, enquêteREPONSE, statistiques, grèves, mobilisations, négociations, institutionnalisa-tion, syndicats, relations professionnelles.
Cette recherche, bénéficiant du soutien financier de la Dares, a été réalisée dans le cadre d’une convention entre le CEE et la Dares (n° CO 0500073) entre octobre 2005 et décembre 2008. Que cette institution en soit remerciée, même si, selon la formule consacrée, les thèses et propos avancés dans ce document n’engagent que leurs auteurs.
LES AUTEURS
Sophie Béroudest maître de conférences en science politique à lUniversité Lyon 2 et chercheur au laboratoire TRIANGLE (ENS-LSH). Elle travaille principalement sur lévolution du syndicalisme français et a publié plusieurs ouvrages et articles sur ce thème dont :Le mouvement social en France(La Dispute, 1998 avec R Mouriaux et M. Vakaloulis),Les Robins des Bois de lénergie(Le Cherche Midi, 2005).
Jean-Michel Denis maître de estconférences en sociologie à lUniversité de Marne-la-Vallée, chercheur au Centre détudes de lemploi. Il a notamment publiéLe conflit en grève ? Tendances et perspectives de la conflictualité contemporaine (La Dispute, 2005) etLe Groupe des Dix, un mo-dèle syndical alternatif ?(La Documentation française, 2001).
Guillaume Desage est ingénieur détudes en sciences humaines et sociales au Ceraps (Centre détudes et de recherche administratives, politiques et sociales, Lille). Il travaille actuellement sur lengagement professionnel, militant et associatif des enseignants en France.
Baptiste Giraud 1. doctorant en science politique à lUniversité Paris est Il achève une thèse consacrée aux usages de la grève dans les conflits du travail en France. Sur ce point, il a publié de premiers éléments de réflexion : « Au-delà du déclin. Difficultés, rationalisation et réinvention du recours à la grève dans les stratégies confédérales des syndicats »,Revue Française de Science Poli-tiqueLe syndicalisme saisi par le management »,, 56 (6), décembre 2006 et « Politix,79, 2007.
Jérôme Pélisseest maître de conférences en sociologie à lUniversité de Reims, chercheur au Cen-tre Analyse et évaluation des professionnalisations (AEP, Reims), et à lIDHE Cachan (UMR CNRS). Il a publié notammentLa réduction du temps de travail, des politiques aux pratiques(La Documentation française, 2003, avec C. Bloch-London) ou plus récemment « Les usages syndicaux du droit et de la justice »inJ. Commaille, M. Kaluzynski (dir.),La fonction politique de la justice, La Découverte, 2007.
Chapitre 1 - Des données à l enquête, les différentes facettes d une recherche ’ ’ couplée (statistique et monographies) sur les conflits du travail ...............................13
1. Le conflit vu parREPONSE ...........................................: richesses et limites d’un dispositif d’enquête 13
1.1. REPONSE : un complément nécessaire à la collecte administrative ..............................................13 1.2. Conflit/grève : de quoi parle-t-on ? ...................................................................................................16 2. Point de méthode : entre enquête statistique et enquêtes monographiques.......................................... 25 2.1 L’exploitation des données ...............................................................................................................26 . 2.2. Quelques difficultés de l’analyse statistique .....................................................................................27 2.3. L’articulation entre l’enquête quantitative et l’enquête qualitative ....................................................29 2.4. Les obstacles rencontrés lors de la réalisation des monographies..................................................31
Chapitre 2 - Réinterroger les déterminants classiques des conflits du travail ..........35
1. L’influence maintenue des variables « lourdes » .................................................................................... 37 1.1. Des différences sectorielles au profit de l’industrie ..........................................................................37 1.2. La taille, facteur clivant : une augmentation plus forte des conflits collectifs dans les entreprises moyennes................................................................................................................................................401.3. La présence syndicale : une condition essentielle à la conflictualité collective ...............................43 2. Une évolution sensible et des différences sectorielles sur les thèmes des conflits collectifs ................. 46 3. « Autres formes » et « autres thèmes » : une hétérogénéité révélatrice de la diversité des contextes et dessignificationsdesconflits......................................................................................................................523.1. Boycott de réunions et contestation de l’encadrement : des formes plus ordinaires de protestation ? (du côté des représentants du personnel)........................................................................53 3.2. De la perception du sabotage à celle de l’absentéisme (du côté des représentants des directions)56
Chapitre 3 - Le redéploiement sous contrainte des formes de la conflictualité, comprendre les transformations ....................................................................................59
1. Formes individuelles et formes collectives de conflictualité : des frontières poreuses ........................... 61
1.1. Interpréter les formes individuelles de conflictualité en les contextualisant .....................................61 1.2. Formes organisées et inorganisées du conflit : saisir uncontinuum............69.................................... 1.3. Brouillage et porosité des formes collectives et individuelles des conflits du travail........................70
2. Avec et/ou sans arrêt de travail ? Une évolution asynchrone des formes collectives de conflictualité .. 71
2.1. Avec ou sans arrêts de travail ? Quelques éléments d’évolution.....................................................72 2.2. La transformation détaillée des pratiques conflictuelles par secteurs d’activité...............................74 3. Un espace dynamique de la conflictualité ou l’intégration de la grève dans une combinaison de pratiques protestataires............................................................................................................................... 75 4. Conflits et formes de précarité : des liens complexes à explorer............................................................ 79 4.1. Un processus de précarisation dont les effets ne sont pas linéaires ...............................................79 4.2. Quand les indicateurs de précarité ne font pas disparaître ceux de la conflictualité .......................80 4.3. Prendre en compte une précarité multidimensionnelle ....................................................................83
Chapitre 4 - Le conflit pris dans l institutionnalisation des relations professionnelles.85 ’
1. Conflit et négociation ne s’excluent pas, mais se combinent.................................................................. 85
1.1. Incitations aux négociations et évacuation du conflit .......................................................................87 1.2. Les IRP déconflictualisées ...............................................................................................................89 1.3. Des investissements syndicaux différenciés ....................................................................................91
2. Conflits et négociations dans l’espace des pratiques militantes ............................................................. 95 2.1. Les enseignements d’un indicateur des pratiques ...........................................................................95 2.2. Le poids des configurations locales dans le jeu des relations professionnelles ............................100 2.3. Dispositifs participatifs et conflictualité : canalisation ou vecteur des luttes ?................................102
Annexe 1 - L espace de la conflictualité ......................................................................111 ’
1. Visualiser les espaces de la conflictualité ............................................................................................. 111 1.1. Une ACM exploratoire ....................................................................................................................111 1.2. Projection des variables juridico-institutionnelles (ancienneté de l’établissement, taille, secteurs)113 1.3. Projection de variables sociodémographiques ...............................................................................114 1.4. Projection des variables « précarité du salariat »...........................................................................115 1.5. Projection de variables « relations professionnelles » ...................................................................115 1.6. Projection des variables « climat social » et absentéisme (posant problème à la direction), ainsi que des formes détaillées de formes sans arrêts de travail des conflits collectifs (manifestation, pétition, refus d’heures supplémentaires, autres formes) ...................................................................................116 1.7. Comparaison avec la conflictualité déclarée par les représentants du personnel .........................116 2. Quelques tris croisés complémentaires sur l’articulation conflits collectifs/conflits individuels............. 117 2.1. Conflits collectifs et sanctions individuelles sur l’ensemble des établissements ...........................117 2.2. Conflits collectifs et recours aux prud’hommes sur l’ensemble des établissements......................117 2.3. Prise en compte du facteur « taille » ..............................................................................................117
Annexe 2 - Les analyses toutes choses égales par ailleurs ......................................119
1. Analyses « toutes choses égales par ailleurs » : aide à la lecture........................................................ 119
2. Régressions logistiques sur les principaux thèmes de conflits collectifs .............................................. 119 3. Régressions logistiques sur la survenue des principales formes de « conflits collectif » (ensemble des établissements, répondant direction) ........................................................................................................ 121 4. Comparaison de régressions logistiques sur la déclaration de conflit selon que le répondant est du côté de la direction ou des représentants du personnel ................................................................................... 123 5. Régressions logistiques sur les conflits individuels (sanctions et prud’hommes)................................. 124
Annexes 3 - Les monographiques ...............................................................................127
Lobjet de cette recherche est détudier la conflictualité au travail. Reconnus par le droit, sous leurs dimensions individuelle et collective, les conflits du travail forment lun des axes communément admis du champ des relations professionnelles (Lallement, 1995 ; Da Costa, Morin, Murray, 1996) et plus largement de la sociologie du travail (Stroobants, 1993). Mais depuis plus dune vingtaine dannées, celle-ci sest plutôt concentrée sur lévolution des modes dorganisation (Sociologie du travail, 2001) ou le travail comme activité (Bidet, 2004), ne sintéressant plus que de façon rési-duelle à lapparition dune conflictualité ouverte (Denis, 2005).Par ailleurs, les études spécialisées sur le syndicalisme se sont focalisées sur la crise des effectifs pour éclairer les processus dinstitutionnalisation des structures syndicales et mettre en avant la thèse de laffaiblissement de leur emprise sur le vécu au travail des salariés (Andolfatto, Labbé, 2006), ou pour chercher à com-prendre les effets produits par la combinaison de facteurs externes et internes dans la transformation du syndicalisme (Mouriaux, 1998). Lobservation des pratiques et des stratégies conflictuelles dé-ployées par les militants syndicaux est ainsi devenue plus marginale, à quelques exceptions près (Bouquin, 2006). Enfin, la sociologie de laction collective sest aussi largement détournée des mo-bilisations propres au monde du travail, en privilégiant lanalyse de nouveaux mouvements sociaux, ou en sintéressant au redéploiement de la contestation sociale dans les marges du salariat (mouve-ment des chômeurs et des « sans ») ou dans dautres sphères (associative, transnationale, humani-taire) (Sommier, 2003). Ce désintérêt, sinon cette disqualification du phénomène, exprimé dans de nombreux discours à usage savant ou politique sest construit en lien avec les résultats des statistiques administratives qui indiquent une chute importante du nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève (JINT). En effet, alors que lindicateur établi par le ministère du Travail indiquait encore plus de trois millions de JINT dans le secteur privé à la fin des années 1970, ce chiffre a considérable-ment chuté, par paliers successifs, avant dosciller, à partir du milieu des années 1990, dans une fourchette comprise entre 250 000 et 500 000 JINT. Dans le même temps, la grève programmée, les journées nationales daction et les mouvements interprofessionnels, qui ont connu des regains ex-ceptionnels en 1995 ou en 2003, se concentrent pour lessentiel dans les fonctions publiques et les grands entreprises publiques (Sirot, 2002 ; Pernot, 2005). Dans ce contexte, lidée dune marginali-sation du recours à la grève et de son confinement dans des corporations professionnelles « proté-gées » de la concurrence économique semble simposer. Ceci étant, la dernière édition de lenquêteREPONSE (2002-2004) confirme que les conflits du travail restent une dimension structurante des rapports sociaux dans lentreprise1, révélant de ce point de vue une réalité différente de celle présentée par les statistiques administratives2. Différente car plus complexe. En effet, lun des apports de lenquêteREPONSEest de restituer le conflit dans sa diversité, en ne réduisant pas son évaluation au seul indicateur de la grève mais en prenant en compte la palette plus large des différents moyens daction pouvant être utilisés par les salariés pour défendre leur cause : laction collective, bien évidemment, et pas uniquement sous la forme relati-vement codifiée et formalisée de larrêt de travail (de deux jours ou plus ou de moins de deux jours), mais aussi sous ses modes plus ponctuels (débrayages, grèves perlée) ; laction individuelle également, que lon ne peut réduire au recours prudhomal car elle peut également prendre la forme de labsentéisme, de la tension ou de lincident ; voire des formes hybrides ou à la croisée du collec-tif et de lindividuel comme le refus des heures supplémentaires.
1Doit-on rappeler ici que le conflit est une dimension structurelle des organisations (Simmel, 1995 ; Coser, 1982) et quil a dautant plus de chance de survenir lorsque les relations sociales en leur sein sont dune nature subordonnée. 2pointer la sous-évaluation structurelle du nombre de JINT par cesLes précédentes éditions de 1993 et 1998 avaient déjà permis de dernières (Brochard, 2003).
Rapport de recherche du centre d’études de l’emploi
Cette ouverture à ces formes daction diversifiées présente plusieurs intérêts. Elle permet tout dabord de restituer le caractère dynamique du conflit, et notamment de la grève, en la replaçant dans « lecontinuum de pratiques dans laquelle elle sinscrit » (Giraud, 2006). Elle rend possible ensuite le repérage de formes conflictuelles moins visibles que la grève et par conséquent peu trai-tées par lanalyse car trop souvent reléguées au rang de « menu fretin de la conflictualité au jour le jour » (Furjot, 1994). Enfin, et surtout, elle autorise de considérer avec un peu de circonspection la « baisse paradoxale »3des conflits du travail signalée presque continûment par le ministère duTra-vail depuis de nombreuses années, et étaye la thèse dune transformation des conflits du travail plu-tôt que celle de leur déclin. Car les conflits augmentent selonREPONSE % des directions dentreprise déclarent avoir: 30 connu au moins une forme de conflit entre 2002 et 2004 contre 21 % entre 1996 et 1998. Mais selon une orientation particulière car ce sont les conflits courts qui progressent (grèves de moins de deux jours, débrayages) au détriment des conflits longs (grèves de deux jours ou plus), et surtout les conflits sans arrêt de travail (manifestation, pétition, refus dheures supplémentaires) qui croissent de plus de 6,9 points contre 2,4 points pour les conflits avec arrêt. De tels résultats doivent être ana-lysés avec prudence car les évolutions quils indiquent sont complexes. Sils permettent donc décarter assez facilement lidée dun déclin généralisé des conflits du travail et sils attestent que lindividualisation, qui « progresse à grand pas » dans les entreprises (Linhart, 2001), na pas anni-hilé les capacités de mobilisation des salariés ni modifié totalement les formes daction engagées par ces derniers - certes, les conflits individuels progressent mais ont tendance lorsque cela est pos-sible (très clairement, en cas de présence syndicale) à se combiner avec les modes de protestation collectifs -, ce quils nous disent des formes « anciennes » et « renouvelées » de mobilisation restent assez largement à déterminer. Ainsi, la grève, qui en plus dun siècle et demi dexistence, va pro-gressivement sériger en mode daction privilégié pour un nombre croissant de salariés, notamment après la Seconde Guerre mondiale, au point de devenir le principal vecteur de régulation des rap-ports sociaux (Sirot, 2002), laisse-t-elle la place à dautres moyens daction, soit mieux adaptés aux modifications de la nature et de la forme des entreprises (Supiot& al., 1999), soit moins coûteux pour les salariés dans un contexte de précarisation des statuts et des relations demploi ? De fait, les données produites par lenquêteREPONSE bien une transformation sous contrainte des indiquent pratiques conflictuelles : la difficulté réelle des salariés à se mobiliser et à maintenir la confronta-tion ouverte dans la durée les conduisant à ajuster leur répertoire daction. Pour autant, la grève fait plus que résister et reste un mode de protestation important dans de nombreux secteurs dactivité (industrie, transports, finances-immobilier-services). Parallèlement, ce déplacement partiel des re-gistres de mobilisation laisse-t-il entrevoir lapparition et le développement de « nouvelles formes de conflictualité » ? Là encore, il convient dêtre circonspect. Car, si certaines formes, relativement originales augmentent spectaculairement (cest le cas par exemple du « refus dheures supplémen-taires » dont la forme reste relativement indéterminée, entre action individuelle et action collective, qui croît de 6,6 points entre 1998 et 2004), tout nest pourtant pas nouveau dans le paysage conflic-tuel au sein des entreprises. Aussi, après avoir présenté dans un premier chapitre les options méthodologiques retenues pour la conduite de cette post-enquête sur la conflictualité au travail (couplage de lexploitation statistique du questionnaire avec la réalisation de monographies, choix des terrains en lien avec les hypothèses formulées suite à lanalyse des données quantitatives, etc.) et les obstacles rencontrés (dans lexploitation des données quantitatives comme dans les investigations monographiques ainsi que dans larticulation des deux dispositifs), il conviendra dans un second temps de sintéresser aux « variables lourdes » (secteur dactivité, taille des établissements, présence et implantation syndica-
3La hausse des conflits du travail pointée par lédition 2004 de lenquêteREPONSE qualifiée de « paradoxale » par la Dares sera (Carlier et Tenret, 2007). Sans ironie, on peut effectivement considérer comme paradoxal le maintien voire le renforcement de la structure des inégalités sociales dun côté et le fait que les questions dinégalités savèrent moins porteuses sur le plan social de lautre (Beck, 2001).