1 Maurice GODELIER

Mb

Informations

• Publié par: iminuvuf
• Nombre de lectures: 147
• Langue: Français

Extrait

1

Maurice GODELIER

LA PRODUCTION D

’

UN

«

GRAND HOMME

»…

OU LES LEÇONS DE L

’

ANTHROPOLOGUE

Cher Maurice, permets à la géographe que je suis d’exprimer aujourd’hui avec

beaucoup d’humilité sa perception de l’homme de science que tu es.

Tu fais d’abord partie de cette génération de philosophes, qui se sont convertis, à la manière

de Claude LEVI-STRAUSS, et de bien d’autres, à l’anthropologie. Ces anthropologues

« philosophes » des années 1950-60 ont particulièrement perturbé, on l’a oublié, le monde

des ethnologues et de leurs ethnies qui ont voulu voir dans ce détour ethnographique des

philosophes un simple prétexte nourri d’exotisme et de préoccupations théoriques.

Le choix de l’anthropologie, économique, sociale et culturelle, c’était pour ces

« philosophes » celui d’une science de l’Homme avec un grand H, d’une science de l’unité

de l’homme comprise, au-delà de la diversité des cultures et des sociétés, dans ses

invariants et dans la comparaison de ses variations. Cette science unitaire avait vocation à

dépasser également l’opposition traditionnelle entre les « humanités littéraires » et les

sciences naturelles, en un mot à transcender le grand partage des sciences de la culture et

de la nature.

Au sein de cette génération d’anthropologues (qui irritent aussi bien les ethnologues et leurs

« ethnies » que les conservateurs et leurs musées), Maurice GODELIER se distingue avec

force et originalité de deux façons :

1) Tout d’abord, l’ambition théorique incontestable va profondément de pair, chez lui,

avec l’investissement du terrain dans la longue durée

.

Entre 1967 et 1988, il a vécu et fait du

terrain parmi les Baruya, une tribu des hautes terres de la Nouvelle-Guinée, et sa conception

du terrain de longue durée (bien éloignée on le sait sur ce plan des « voyages » de Lévi-

Strauss) est très proche de la tradition ethnographique anglaise du terrain constamment

revisité.

2) L’anthropologie fondamentale et structurale, la recherche des invariants

anthropologiques, est surtout pour lui inséparable de la prise en compte des transformations

historiques et de leur logique. La structure a une histoire, et l’anthropologie structurale est

aussi fondamentalement dynamique. De ce point de vue M. GODELIER fait bien le pont

entre LEVI-STRAUSS et BALANDIER.

La pratique de l’ethnographie oblige à appréhender une société comme celle des Baruya de

tous les points de vue, à la fois géographique et historique, technique et économique,

linguistique, esthétique et religieux, et la formation pluridisciplinaire de ce jeune normalien (à

l’époque), psychologue aussi bien qu’économiste, le préparait à pratiquer la monographie,

monographie qui lie nécessairement comme il le dira l’idéel et le matériel, en un mot ce

qu’on appelait à l’époque toutes les « instances », la parenté ou la religion pouvant jouer le

rôle dans certaines sociétés de détermination en « dernière instance ». L’idée de l’unité et de

la totalité de la condition humaine s’impose d’elle-même, et toutes les compétences sont

mobilisées pour en rendre compte.