De la belle totalité l éclectisme
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Description

Niveau: Supérieur
29 De la « belle totalité » à l'éclectisme Les polémiques régulières sur les définitions du mot « culture » n'y changent rien (1) : au fil des années, la culture est devenue un grand bazar où l'on trouve tout y compris le même et son contraire, un self- service où l'on choisit ce qui convient en fonction du sexe, de l'âge, du moment du cycle de vie ou même du moment dans la journée : un peu de patrimoine par-ci, un peu de spectacle par-là, du rock'n'roll au Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n° 133, juin 2003 DE LA CULTURE LÉGITIME À L'ÉCLECTISME CULTUREL Pierre MAYOL (*) (*) Chargé d'études au Département des études et de la prospective (DEP) du ministère de la Culture et de la Communication, professeur associé à l'université de Bourgogne. Email : Les cultures populaires, quand elles relèvent du folklore, ne sont plus que résiduelles et, telles quelles, peu aptes au changement. Elles sont rem- placées par les cultures de « l'ordi- naire », qui s'inscrivent de plain-pied dans la modernité de la vie quoti- dienne. De fait, la vie culturelle des indi- vidus et de leurs groupes déborde les institutions culturellement spéciali- sées.

  • pratique culturelle

  • empilement des cultures

  • ministère de la culture et de la communication

  • donne du sens

  • culture

  • génération après génération

  • primitive culture

  • vie culturelle


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Publié le 01 juin 2003
Nombre de lectures 46
Langue Français

Extrait

Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n° 133, juin 2003
DE LA CULTURE LÉGITIME
À L’ÉCLECTISME CULTUREL
Pierre MAYOL (*)
Les cultures populaires, quand
elles relèvent du folklore, ne sont plus
que résiduelles et, telles quelles, peu
aptes au changement. Elles sont rem-
placées par les cultures de « l’ordi-
naire », qui s’inscrivent de plain-pied
dans la modernité de la vie quoti-
dienne.
De fait, la vie culturelle des indi-
vidus et de leurs groupes déborde les
institutions culturellement spéciali-
sées. Elle est caractérisée aujour-
d’hui par un éclectisme culturel et
artistique qui préfigure, peut-être, les
nouvelles dimensions de la culture
dans la société.
De la « belle totalité » à l’éclectisme
Les polémiques régulières sur les définitions du mot « culture » n’y
changent rien (1) : au fil des années, la culture est devenue un grand
bazar où l’on trouve tout y compris le même et son contraire, un self-
service où l’on choisit ce qui convient en fonction du sexe, de l’âge, du
moment du cycle de vie ou même du moment dans la journée : un peu
de patrimoine par-ci, un peu de spectacle par-là, du rock’n’roll au
(*) Chargé d’études au Département des études et de la prospective (DEP) du ministère
de la Culture et de la Communication, professeur associé à l’université de Bourgogne.
Email : pierre.mayol@culture.gouv.fr
29réveil, du grégorien au coucher, Proust entre deux BD, Descartes lardé
de quelques pages d’orientalisme, le cinéma en salle obscure ou sur
DVD, et ainsi de suite. La « belle totalité » (Hegel) culturelle de la civi-
lisation gréco-latine explose en agrégats qui partent du centre vers des
espaces inconnus. La casuistique adaptait la morale au cas par cas, la
vie culturelle s’adapte au « goût par goût », selon les environnements,
les rencontres et les découvertes par les médias, les réseaux ou les
voyages : l’éclectisme est aujourd’hui la norme des pratiques cultu-
relles, la subjectivité est plus décisive que l’héritage, et le face à face
avec l’instant plus fascinant que la nostalgie du passé.
Si la vie culturelle « moderne », et plus encore « postmoderne »,
mélange les cultures au gré des circonstances, que devient la culture
légitimée qui suppose un socle stable de références ? Comment parler
de « culture populaire » ou de « culture de masse » quand tout bouge en
même temps dans toutes les directions, et quand disparaissent les
espaces sociaux (la paysannerie, le monde ouvrier, la télévision « des
années soixante ») qui les ont vues naître ? Que signifient les termes
« culture » et « pratiques culturelles » ? Quels nouveaux objets voyons-
nous émerger ?
La Culture comme civilisation
Pour définir la culture, la plupart des commentateurs utilisent la pro-
position de l’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor (1832-
1917) dans son livre Primitive Culture (1871) : « Culture, pris dans son
sens ethnologique le plus étendu, est ce tout complexe qui inclut la
connaissance, la croyance, l’art, les choses morales, la loi, la coutume,
et toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par l’homme en tant
que membre de la société. »
Cette citation est à la fois descriptive et structurale.
Elle est descriptive parce qu’elle rassemble les éléments principaux
qui, selon son auteur, entrent dans la définition de toute culture. Propre-
ment encyclopédique, elle contient les mots clés (« connaissance,
croyance, art, loi, coutume, homme... ») que l’on peut décliner à l’infini
– comme les hypertextes d’un écran d’ordinateur – pour remplir une
énorme bibliothèque. Cette définition ouverte n’arrive jamais au terme
des univers sociaux qu’elle contient : qui oserait, sans rire, atteindre le
fond de la religion, du droit ou des coutumes ? La Culture à l’anglo-
saxonne englobe des choses disparates qui vont de la vie quotidienne à
30la plus haute des transcendances, des objets coutumiers usuels (cuisine,
hygiène, etc.) aux plus rares (rituels, « artistiques », etc.). Il lui faut les
dimensions plus vastes de la civilisation pour fonctionner à son aise. La
Culture est, pour Tylor et ceux qui l’ont imité, un équivalent de la civili-
sation dans laquelle objets et événements ont du sens parce qu’ils s’in-
sèrent dans une durée collective, unité sociale identifiable malgré ses
dimensions et ses croisements avec d’autres aires culturelles, avec
d’autres civilisations.
La définition est structurale en ce que « la structure peut être définie
comme le rapport interne par lequel les éléments constitutifs d’un tout
sont organisés » (2). À l’instar des points d’une constellation, chaque
terme occupe une place précise dans un système donné. Cette place lui
donne sens, et lui permet en retour de participer à la signification glo-
bale du tout. De même que les sons des phonèmes, en eux-mêmes
dépourvus de signification, n’ont de sens que combinés dans les mots
d’une langue et dans ses lois, de même un goût, un désir, un geste, un
rite, n’ont de valeur que dans une tradition capable de les recevoir et de
les interpréter. Chaque civilisation, chaque culture au sens large impose
des références fondamentales auxquelles personne ne peut échapper
pour communiquer, en tant qu’humain, avec d’autres humains. Cette
organisation a pour finalité la communication, le partage d’un bien :
c’est là la dimension symbolique de toute culture, qui est faite pour unir,
pour « vivre ensemble ». Cette dimension est le tissu (ou la texture, ou
le texte : l’étymologie est commune) du lien social. Le mot « symbole »
tire ici toute sa force du vieux sumbolon grec qui veut dire « signe de
reconnaissance » (3). Mais aussi signe d’exclusion : toute culture étant
spontanément centripète, elle trace des frontières entre les autochtones,
où elle se reconnaît « chez elle », et les étrangers considérés comme
une menace. C’est tout le problème de la différence : « l’histoire montre
que les communautés [...] font toutes preuve d’une difficulté de fond à
accepter la différence » (4). Intégration, exclusion : dialectique
constante de toute vie culturelle...
Dans l’anthropologie anglo-saxonne, Culture a aussi une forte déno-
tation fonctionnaliste. Des chercheurs ont eu tendance à relativiser la
disparité sociale en privilégiant l’emboîtement holistique où tout
ensemble fait corps. Le fonctionnement de la machine à vapeur
constitue la métaphore la plus adéquate : aucune pièce ne saurait faire
défaut sans mettre en péril son état de marche. Un être humain « perdu
dans la Nature », comme dit l’expression populaire, est réellement
« perdu » : il n’existe pas, culturellement s’entend. Considéré comme
31nuisible (anomique), il est rayé de la carte des vivants, il n’a pas sa
place dans la « machine ».
Dans ces conditions, il est vrai que tout est Culture puisque tous les
éléments dépendent les uns des autres. De la conception à la tombe (5),
c’est l’humanité entière qui est concernée au plus profond d’elle-même.
Alors : la prohibition de l’inceste, faire des enfants, laver le linge, rece-
voir des amis ou acheter telle automobile sont des actes aussi impor-
tants, culturellement parlant, qu’écrire de la poésie, apprendre le solfège
ou une langue étrangère, prier, sculpter des masques, peindre, chanter
ou danser...
Edgar Morin a bien résumé cette situation un peu bancale : « Il est
clair que nous avons un sens restreint et un sens ample du mot “cul-
ture”. Le sens restreint, c’est la culture cultivée, la culture des produc-
tions esthétiques, artistiques, intellectuelles, et le sens ample, qui est en
même temps un sens très profond, c’est un sens anthropologique, c’est
l’ensemble des normes, des comportements, des prescriptions, des
tabous qui en quelque sorte ordonnent notre “vivre” dans une société
donnée. Évidemment, nous sommes ballottés entre ces deux sens et nous
faisons sans cesse le va et vient, nous sautons d’un code à un autre,
d’une façon tout à fait inconsciente » (6).
Culture, « culture » (7) : le malentendu
Cette définition de la culture en deux entités distinctes n’est pas entiè-
rement satisfaisante : c’est le mariage de la carpe et du lapin. Sous pré-
texte d’homographie (« culture » = Culture), la ressemblance entre l

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