Les fantˆomes de l Ecole Normale
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Les fantˆomes de l'Ecole Normale

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Les fantômes de l’Ecole Normale Vie, mort et destin de René Gateaux
1 Laurent MAZLIAK 14 août 2007
Résumé Le présent article traite de la vie et de certains aspects du travail scientifique du mathématicien René Gateaux, tué pendant la Première Guerre Mondiale, à l’âge de 25 ans. Bien qu’il fût mort très jeune, il eut le temps de laisser d’intéressants résultats en analyse fonctionnelle. En particulier, il fut un des premiers à essayer de construire une intégrale sur un espace de dimension infinie. Ses idées furent ensuite considérablement étendues par Paul Lévy. Entre autres, Lévy interpréta l’intégrale de Gateaux dans un cadre probabiliste qui mena plus tard à la construction de la mesure de Wiener. Cet article essaye de replacer ce singulier destin personnel et professionnel dans la France des années qui entourent la Première Guerre Mondiale. Il rappelle aussi le massacre qui décima les étudiants franc¸ais pendant le conflit. Abstract The present paper deals with the life and some aspects of the scientific contribution of the mathematician René Gateaux, killed during World War 1 at the age of 25. Though he died very young, he left interesting results in functional analysis. In particular, he was among the first to try to construct an integral over an infinite dimensional space. His ideas were extensively developed later by Paul Lévy. Among other things, Lévy interpreted Gateaux’s integral in a probabilistic framework that later led to the construction of Wiener measure. This article tries to explain this singular personal and professional destiny in pre and postwar France. It also recalls the slaughter inflicted on French students during the conflict. Keywords and phrases: History of mathematics, functional analysis, integration, Brownian motion AMS classification: Primary: 01A70, 01A60, 4603 Secondary: 60J65
INTRODUCTION
E quando che meno ti pensi nel seno ti vien a finire bisogna morire Se tu non vi pensi hai persi li sensi sei morto e puoi dire 2 bisogna morire
1 Laboratoire de Probabilités et Modèles aléatoires & Institut de Mathématiques (Histoire des Sciences Mathématiques), Université Paris VI, France. mazliak@ccr.jussieu.fr 2 Et quand tu y penses le moins, tout arrive à sa fin/ Nous devons mourir. Si tu n’y penses pas, tu as perdu la raison, tu es mort et tu peux dire : nous devons mourir. [34] 1
2
Laurent MAZLIAK
Dans ses mémoires [41] écrites à la fin des années 1960, la romancière Camille Marbo, fille du mathématicien Paul Appell et veuve d’Emile Borel, mentionna qu’après la fin de la Première Guerre Mondiale, son mari lui déclara qu’il ne pouvait plus supporter l’atmosphère de l’ Ecole Normale en deuil, et décida de demissionner de ce poste. Depuis 1910 (quand il avait pris la succession de Jules Tannery), Emile Borel avait été le vicedirecteur de l’ Ecole Normale Supérieure pendant une période florissante de l’institution. C’était en particulier vrai pour l’ana lyse mathématique en raison de la présence de personnalités exceptionnelles comme Henri Poin caré, Emile Picard, Jacques Hadamard, Henri Lebesgue, et naturellement Borel luimême qui à la fin du 19ème siècle avait introduit ses nouvelles conceptions autour de la mesure des ensembles. Un superficiel, mais impressionnant tableau de l’effet que la Première Guerre Mondiale eut sur les membres de la communauté mathématique franc¸aise, est fourni par les biographies des mathématiciens précédemment cités (à l’exception naturellement de Poincaré qui mourut en 1912). Picard perdit un fils en 1915, Hadamard deux en 1916 (un en mai, l’autre en juillet !), Borel son fils adoptif en 1915. Les chiffres concernant les pertes subies par les élèves de l’Ecole Nor male, et en particulier par ceux qui venaient de finir leurs trois années d’étude Rue d’Ulm sont ef frayants. Ils sont réunis dans une petite brochure publiée par l’Ecole Normale à la fin de la guerre [12]. Pour mentionner uniquement les plus spectaculaires, mentionnons que sur les quelques 280 élèves qui formaient les promotions de l’Ecole entre 1911 et 1914, 241 furent directement mobilisés pour le front et 101 moururent pendant la guerre. Si le Président de la République Ray mond Poincaré put déclarer que l’Ecole de1914 a[vait] vengé l’Ecole de 1870, le prix qu’il avait fallupayerétaitsiénormequonpouvaitsedemandercommentlasciencefran¸caisesurvivrait à une telle hemorragie. La plupart des disparus étaient de brillants jeunes gens, ceux dont on attendait qu’ils prissent la succession des universitaires de la génération précédente dans tous les domaines du savoir. Naturellement, ils étaient si jeunes que presque aucun d’entre eux n’avait eu le temps de faire ses preuves et de commencer à se faire un nom. Frédéric Gauthier, un jeune hel leniste qui faisait partie de la promotion 1909 et fut tué en juillet 1916 à Verdun, nous a laissé un mélancolique témoignage de cette période d’abnégation assumée :Mes études, il est vrai, seront demeurées stériles, mais mes actions dernières, utiles au pays, vaudront toute une vie d’action ([1]). Dans cet article, nous nous concentrons sur le cas de René Gateaux qui mourut au tout début de la guerre. Gateaux apparait en effet en même temps comme un bon représentant de la génération perdue desnormaliensque nous venons de mentionner, mais aussi comme un cas exceptionnel, car son nom, contrairement à celui de pratiquement tous ses compagnons d’infortune, a été retenu en mathématiques, domaine professionnel qu’il venait à peine de pénétrer. Une preuve de ceci peut être vue dans le fait que le nom de Gateaux est encore de nos jours connu des étudiants des premières années d’études mathématiques à travers ladifférentielle de Gateauxqui est la dérivée directionnelle d’une fonction définie sur un espace vectoriel, et généralise ainsi la diffentielle globale de Fréchet. Cette notion de différentielle était en fait uniquement un petit point technique dans les travaux de Gateaux. Mais le fait qu’on ait donné le nom d’un mathématicien inconnu, qui mourut si jeune, avant d’avoir occupé une quelconque position académique ou même d’avoir soutenu une thèse, à une notion générale d’analyse élémentaire apparâıt comme une énigme et nous semble mériter un examen. C’est cette contradiction apparente que nous voulons approcher dans ce papier à travers la présentation de la vie, de la mort, des études mathématiques et du destin mathématique de René Gateaux.
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