Mallarmé et l alphabet - article ; n°1 ; vol.27, pg 321-343
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1975 - Volume 27 - Numéro 1 - Pages 321-343
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1975
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Brigitte Léon-Dufour
Mallarmé et l'alphabet
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1975, N°27. pp. 321-343.
Citer ce document / Cite this document :
Léon-Dufour Brigitte. Mallarmé et l'alphabet. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1975, N°27. pp.
321-343.
doi : 10.3406/caief.1975.1093
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1975_num_27_1_1093VIA
MALLARMÉ ET L'ALPHABET
Communication de Mme Brigitte LÉON-DUFOUR
(Brigitte LEVEL)
{Paris)
au XXVIe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1974.
Depuis trois quarts de siècle, de savants exégètes.d'émi-
nents critiques se sont mis en quête d'un nouveau Graal :
les clefs de Mallarmé, et, périodiquement, l'un d'eux s'é
crie : « Eurêka ! » en brandissant sa trouvaille, clef de toute
forme et de tout format, du bref article au gros diction
naire (1). Pour moi, la clef que je vais vous proposer aujour
d'hui est toute petite : il s'agit d'une seule lettre. Toute
l'œuvre de Proust « est sortie d'une tasse de thé », il l'affi
rmait lui-même et qui le contredirait ? Je serais tentée de
dire que « Tout Mallarmé est sorti de cette petite con
sonne », que sans cette petite consonne Mallarmé n'eût
pas été Mallarmé... mais je sais que « tout ce qui est exa
géré est insignifiant » et je dirai seulement que ma con
sonne s'apparente peut-être au nez de Cléopâtre...
Il ne s'agit pas d'un passe-partout : ma clef ne prétend
pas ouvrir les poèmes hermétiques, ce n'est d'ailleurs pas
la clef des poèmes, mais c'est peut-être la clef de la voca*
tion de Mallarmé.
Quittons les métaphores et venons au fait.
(1) II s'agit de l'article de Mallarmé L'art pour tous paru le 15-9-1862
dans la revue L'Artiste et redécouvert en 1948 par Мше Noulet et du
Dictionnaire Littré, paru de 1S63 à 186S, indiqué par Charles Chassé
dans son article (R.H L., n° 3, 1952) puis son livre Les clefs de Mallarmé
(Aubier 1954).
21 BRIGITTE LÉON-DUFOUR 322
Au premier regard jeté sur un poème de Mallarmé, le
lecteur est frappé par l'étrangeté de la syntaxe. Cette syn
taxe témoigne en effet, selon le mot de Valéry, « d'une
audace et d'une ingéniosité qui firent, d'horreur les uns,
d'admiration les autres, s'exclamer ». Du temps même de
Mallarmé, tandis que ses disciples la déclaraient « savante
et réfléchie, à la fois solide et transparente » (H. de Régnier),
ses détracteurs la voyaient « tortillée et tarabiscotée » : indé
niablement, « délice des uns, scandale des autres » (2), elle
est pour tous insolite.
De nombreux critiques ont cherché des causes au choix
et à l'élaboration d'une telle syntaxe, mais ils me semblent
avoir souvent confondu la fin et le moyen : cette syntaxe
n'a pas été recherchée pour elle-même, elle est seulement
l'un des moyens employés par Mallarmé pour atteindre
la fin qu'il se proposait. En effet, qu'est-ce à tout prendre
que la syntaxe ? la disposition des mots dans la phrase.
Et selon l'image de Pascal : « Quand on joue à la paume,
c'est d'une même balle que l'on joue, mais l'un la place mieux. »
Habituellement, nous considérons comme le « mieux » la
plus grande clarté de la phrase, mais ce critère est tout
relatif, on peut en préférer d'autres, et, comme le « bonheur»
selon Saint-Exupéry, ce « mieux » est différent pour cha
cun. Lorsque le maître de philosophie de M. Jourdain
place et déplace les mots de « Belle marquise », le mieux
qu'il recherche n'est pas un mieux de clarté, c'est un
d'élégance. Lorsque Proust nous entraîne dans le laby
rinthe de ses phrases interminables, son « mieux » est celui
qui rendra compte des tâtonnements de sa recherche. Et
si le Joseph Grand de Camus ne parvient pas à élaborer
sa phrase sur l'élégante amazone du Bois de Boulogne,
c'est qu'il a le tort de croire à un mieux absolu... Pour
Mallarmé, il y a un but à atteindre et la syntaxe doit être
au service de la magie.
(2) Paul Valéry, Œuvres complètes, Pléiade, I, p. 632. MALLARMÉ ET ť ALPHABET 323
Ce que cherche Mallarmé, c'est la « formule magique » (3)
qui fera sourdre du poème ce qu'il appelle le « trésor » (4),
indépendant du sens. Le magie est fonction du vers, car le
vers mallarméen n'est pas simple partie de phrase, il est
« refait de plusieurs vocables, un mot total, neuf, étranger à
la langue, et comme incantatoire » (5). C'est un mot d'une
seule coulée. Ainsi devrons-nous lire : « Le vierge, le vivace
et le bel aujourd'hui » ou « Herodiadě au clair regard de dia
mant ».
Sans doute la place des mots est capitale dans un tel vers
mais le vieux Malherbe le savait déjà, qui « d'un mot mis
en sa place enseigna le pouvoir », et Mallarmé se conforme
tout bonnement à cet exemple classique, car tel sera le
rôle de sa syntaxe insolite : multiplier le pouvoir des mots.
C'est bien alors qu'elle prendra le « rang de Muse » (6).
Mais il ne s'agit pas de n'importe quels mots.
Lorsque Mallarmé dit à Degas : « Ce n'est pas avec des
idées, c'est avec des mots qu'on fait un poème. », ou lorsqu'il
veut « laisser l'initiative aux mots » (7), c'est qu'il croit,
qu' « II se trouve dans les mots comme l'écrivait Joubert,
employés par le vrai poète pour les yeux un certain phos
phore, pour le goût un certain nectar, pour l'attention une
ambroisie qui n'est point dans les autres mots. » Les mots
que choisit Mallarmé, il les veut « diamants sonores » :
« s' allumant de reflets réciproques comme une virtuelle traî
née de feux sur des pierreries » (8), se reflétant « les uns sur
les autres jusqu'à ne paraître plus avoir leur couleur propre
(3) Ibid , p 649 : « 11 arrivait qu'il donnât par le rapprochement insol
ite, étrangement chantant, et comme stupéfiant des mots, par l'éclat
musical du vers et sa plénitude singulière, l'impression de ce qu'il y eut
de plus puissant dans la poésie originelle • la formule magique. Une ana
lyse exquise de son art avait dû le conduire à une sorte de doctrine et à
une sorte de synthèse de l'incantatoire »
(4) Mallarmé, Œuvres complètes, Pléiade, p. 382, in Le Mystère dans
les Lettres
(5) Ibid , p. 368, in Crise de vers et p. 858. Cf. également p. 400, in
Magie : « Le vers, trait incantatoire ! on ne déniera au cercle que perpé
tuellement ferme, ouvre la rime, une similitude avec les ronds parmi
l'herbe de la fée ou du magicien. »
Í6) Valéry, éd. ctt , p. 646
(7) Mallarmé, m Crise de vers, p. 366.
(8) Lettres à Cazahs, 1868 {Correspondance, tome I, p. 278) et à
Gustave Kahn, 1887 Ifiorr., III, p. 120). BRIGITTE LÉON-DUFOUR 324
mais n'être que les transitions d'une gamme » (9). Il cherche
ce « miroitement », ce « mirage interne », dont M. Staub
nous a donné ce matin un exemple. En définitive, les mots
ainsi élus constitueront un vocabulaire assez restreint —
dont Mme Noulet dressa naguère une liste : indubitable,
ennui, solitaire, fête, recelant, etc. — mais de ce vocabul
aire on sent bien que, comme Mallarmé le confiait à Cazalis
dès 1864 à propos de L'Azur, « II n'y a pas un mot qui ne
{lui) ait coûté plusieurs heures de recherches. »
Quels sont donc les éléments qui ont guidé le choix de
ces diamants sonores ? On le détermine aisément. Malgré
qu'il en ait, ce n'est pas en philologue, en érudit, que Mal
larmé a choisi son lexique, c'est en artiste, en poète, en
sorcier.
Sans doute le sens intervient-il, ou plutôt le sens total :
polysémie, etymologie, permettront de « faire rêver les
mots », selon l'expression bachelardienne si heureusement
appliquée à Mallarmé par Jean-Louis Backès (10).
« Le son et la couleur des mots » (11) sont plus détermi
nants encore. De tout temps, depuis la lyre d'Orphée,

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