°Supplément au voyage Bougainville ou dialogue entre A et B sur linconvénient dattacher des idées morales à certaines actions physiques qui nen comportent pas. Denis Diderot, 5 Octobre 1713 à Langres - 31 Juillet 1784 Paris Date de rédaction: 1772 Date de parution:1796 Édition utilisée: Le Livre de Poche
°Il y a différents modes de narration dans ce récit, avec un mise en abîmes. En effet ce dialogue entre A et B est présenté par un narrateur extérieur au récit et sans identité connue. Un discours direct est employé dans le cadre dun point de vue externe. Mais lun des deux protagonistes du dialogue mène en parallèle de son débat, une lecture portée sur un autre récit. Celui-ci est rédigé avec un point de vue omniscient et un narrateur présent dans le récit. Son identité peut varier en fonction du passage.
°Le lieu du dialogue initial reste inconnu, il fait sombre et un épais brouillard occupe lesprit de A et B. Par déduction, laction se passe en Europe et même en France, patrie de Bougainville qui débat sur son périple. Quant au second récit, il se déroule dans lîle fictive dOtaïti ou les marins et Bougainville ont accostés. Un village, des cases» et un paysage vallonné et verdoyant sont évoqués.
°Le dialogue de A et B se situe au retour de Bougainville en France, après la publication du récit de son voyage. Un repère historique précis nest donc pas mentionné mais en se référant au tour du monde du navigateur, il est possible de placé laction après cette publication et donc à partir de 1771. La durée totale du dialogue entre A et B est de moins dune journée, une conversation ne pouvant pas durer plus longtemps. Mais il est tout de même question de quelques heures, puisque des changements météorologiques soppèrent.
°Très peu dinformations sont données sur A et B, si ce nest que ces deux personnages sont érudits et débattent aisément sur un compte rendu de tour du monde. Leur portrait séclipse au profit du débat. Ainsi leur situation sociale et leur âge ne sont pas évoqués mais les personnages du compte rendu ont une identité plus développée. Le vieillard, est lhabitant le plus âgé et le plus sage dOtaïti. Il occupe un rôle important, en faisant rééchir tout Otaïti et les colons sur la légitimité de leurs actes.
Orou est un autre habitant de lîle, il offre tout ce quil peut à un aumônier pour quil se sente bien accueilli. Il a trois filles et parlera longuement avec laumônier. Laumonier est un jeune homme récemment devenu membre du clergé. Il est tiraillé entre les coutumes otaïtiennes et, sa religion, son état, les bonnes moeurs et son honnêteté ».
°Le récit débutent au dialogue entre A et B, in medias res ». Après un échange de quelques commodités ils décident de débattre sur le voyage de Bougainville, en en lisant le compte rendu. Les actions qui suivent sont le départ depuis Otaïti de Bougainville et le discours du vieillard. Le séjour de laumônier chez Orou est en suite évoqué. Il y passe plusieurs journées et plusieurs nuits en compagnie de ses filles. Puis le dialogue entre A et B reprend. Dans ce récit, les dialogues et les discours sont constamment philosophiques et axés sur la différence des points de vues.
°Le livre est divisé en cinq chapitres de longueur équivalentes. Un changement de chapitre annonce un changement de lieu et de personnages sauf pour le chapitre quatre qui est la suite dun entretien.
°Les principaux thèmes abordés sont :la colonisationavec lavis de B, du vieillard et des colonisateurs;les différences de culturesavec la confrontation des deux peuples;les lois religieusesvues par laumônier ou par Orou etles lois civilescomme pour Polly Baker;léloge de la vie sauvagepar Orou et le vieillard qui démontrent la superficialité des lumières européennes » etla liberté sexuelledont le peuple Otaïtien fait preuve. Diderot, au travers de ces personnages, cherche à exprimer ces pensées. Une prise de position est donc perceptible. L'auteur est convaincu que la vie sauvage a plus d'avantages que la vie civilisée et que la morale générale des habitants d'Otaïti surpasse les lois et est suffisante pour maintenir l'ordre dans cette société. Mais Diderot est contradictoire, il défend des points de vues opposés d'une œuvre à lautre.
°Ce roman étant un conte philosophique, il inspire la réexion. Les sujets soulevés peuvent être : La vie sauvage est elle meilleure que la vie civilisée? et les lois religieuses et civiles ont-elles lieu d'être? En effet ce roman fait une éloge de la vie sauvage, à sa simplicité, et va même plus loin en blâmant la vie civilisée. A et B pensent que la société a tout dénaturé en instaurant des règles qui ne servent que le souverain, et une hiérarchie qui a créé la concurrence. Faut il civiliser l'homme ou l'abandonner à son instinct?» B y répond que l'état de nature séduit
l'homme civilisé mais la civilisation ne séduit pas l'homme sauvage et c'est exactemant la constatation que l'on peut faire après l'arrivée de Bougainville en Otaïti. Ceci est illustré par l'exemple d'Aoutourou. Un portrait mélioratif de l'homme naturel est fait. Quant aux lois, A et B, lors de leur débat, viennent à dire que celui qui de son autorité privée enfreint une loi mauvaise, autorise tout autre à enfreindre les bonnes». Les Otaïtiens cherchent à savoir si une loi est juste en se ramenant à la nature: la coquetterie n'est pas naturelle, une loi interdisant la coquetterie est donc logique! L'aumônier explique à Orou les fondements de sa religion, et Orou en fait une analyse pointue pour arriver à la conclusion que ces règles ne sont pas justes. Elles créent la jalousie, la suspicion, l'accusation et l'envie. Ce n'est pas dans la nature. Les Otaïtiens, eux, ont pour seule constitution la loi de la nature et B fait remarquer qu'ils ont une meilleure législation que n'importe quel peuple civilisé.
°La particularité de cette œuvre est que c'est un dialogue. Ce dialogue est le fil directeur du récit et permet une réflexion philosophique. Le fait dutiliser un dialogue est intéressant puisque cest lauteur lui même qui donne les deux répliques, les deux points de vue et la contradiction. Diderot est donc réellement en train de peser le pour et le contre. Ainsi, les qualités de l'auteur qui se manifestent ici sont sa philosophie des lumière et sa manière d'amener à la réflexion. Diderot a ici employé une tonalité polémique, critique, et parfois comique comme avec la phrase d'Orou au sujet de Dieu : vieil ouvrier qui a tout fait sans tête, sans mains, et sans outils, qui est partout et qu'on ne voit nulle part, qui dure aujourd'hui et demain, il commande et il n'est pas obéi ; il peut empêcher et il n'empêche pas » Différents procédés d'écriture sont employés, principalement au sujet des Otaïtiens. Il y a donc une apposition dans la phrase lOtaïtien, est ton frère » ou un chiasme dans la construction des pronomsqueldroit as-tusurluiquil nait pas surtoi?» Une analogie est également présente, toujours au sujet d'Otaïti: Si un Otaïtien débarquait un jour sur vos côtes, et quil gravât sur une de vos pierres ou sur lécorce dun de vos arbres :Ce pays appartient aux habitants d'Otaïti, quen penserais-tu ?»