Pionnières malgré tout !
80 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Pionnières malgré tout !

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
80 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

En 1664, Ville-Marie, la petite cité fondée par monsieur de Maisonneuve au Canada, fait l’objet des rumeurs les plus inquiétantes. À Québec comme à la Cour de France, on dit que la ville est tombée aux mains des Iroquois.
Que sont donc devenues Clotilde, Iris, Apolline et Louise, les filles du Roy envoyées par Louis XIV pour peupler les terres sauvages de la Nouvelle-France ?
Thibault de l’Estorade est bien décidé à le savoir. Il connaît le cour de ces jeunes filles, intrépides et résolues, aucune n’a pu renoncer à s’implanter sur ces terres sauvages pour y réaliser ses rêves d’une vie libre et heureuse.
Le second tome des Aventurières nous entraîne à la suite de ces pionnières courageuses, lancées sur les routes du Nouveau Monde, au souffle de l’espérance.


Sujets

Informations

Publié par
Publié le 17 septembre 2015
Nombre de lectures 15
EAN13 9782728922437
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

G WENAËLE B ARUSSAUD
L ES A VENTURIÈRES DU N OUVEAU M ONDE
Pionnières malgré tout !
CHAPITRE I
La lune était pleine dans le ciel d’encre. Elle vaporisait sa clarté blafarde sur les bois qui ceignaient le fort de Ville-Marie. Quiconque voyant cette nuit-là la petite cité fondée en 1642 par le sieur de Maisonneuve n’eût pu deviner qu’elle était encore habitée. Les planches de chêne de la palissade qui entourait le fortin étaient encore debout, mais éventrées çà et là par des incisions franches, taillées grossièrement à coups de tomahawk. Dans l’enceinte, des maisons brûlées laissaient voir leurs charpentes à nu, calcinées. Des flèches enflammées avaient eu raison du chaume qui coiffait les habitations de bois. Les fermes alentour, les cabanes de rondins, les redoutes étaient désertées : on ne voyait point de fumée sortir des cheminées. Surtout, on n’entendait plus qu’un épais silence, un silence de mort, parfois troué par les aboiements d’un dogue aux aguets.
Sur les pieux qui formaient l’enceinte, on avait juché des scalps qui laissaient deviner le sort cruel réservé aux habitants de la cité. Chevelures blondes, brunes, châtains se balançaient au gré du vent en un mouvement lugubre et affreux. Devant l’entrée du fort, une massue, dont les entailles nombreuses figuraient le nombre de victimes, traînait sur le sol. Selon leurs coutumes, les Indiens avaient laissé derrière eux les traces ostensibles de leur victoire : scalps, armes gravées étaient autant de signes destinés à affirmer leur bravoure et à dissuader de potentiels ennemis. Chaque trophée criait que l’Iroquois était maître de ce territoire et que le Français assez aventureux pour le défier était voué à périr.

De quand datait la dernière attaque ? Deux jours ? Trois ? Dix ? Clotilde n’aurait pu le dire. Il ne se passait pas de semaine sans alerte. Depuis plus d’un an qu’elle était arrivée au Canada, elle s’était accoutumée à vivre sous la menace permanente du peuple iroquois, pour qui la guérilla était à la fois un plaisir et un honneur. Elle avait appris à être toujours sur ses gardes, à ne jamais quitter seule l’enceinte du fort et même à se servir d’une arme. Son éducation de jeune fille de famille noble, quoique désargentée, l’avait sûrement habituée à manier l’aiguille davantage qu’un pistolet, mais depuis qu’elle avait quitté la France, tout était changé. Elle n’était plus une demoiselle sans dot, vouée au couvent ou au célibat, elle était devenue une pionnière, une de ces femmes hardies et fières parties en quête d’un destin sur les terres du Nouveau Monde.
Oh, la vie n’y était pas plus facile qu’au royaume de France, ni moins dangereuse, au contraire ! Clotilde, comme les Filles du Roy enrôlées dans la grande recrue de 1663, avait découvert un pays aux mœurs rudes, au climat âpre, aux hivers interminables… N’empêche, elle ne regrettait rien : il y avait sur ces terres sauvages un tel souffle de liberté que tout y semblait possible, on avait le sentiment qu’ici chacun pouvait inventer son avenir… à condition de survivre aux Iroquois et aux ­rigueurs de l’hiver.
Survivre… pour l’heure, c’était l’unique préoccupation de Ville-Marie. Depuis le retour du printemps, les Iroquois harcelaient sans cesse la petite bourgade. Quoique la cité française se défendît avec vigueur, la guérilla menée depuis plus de six mois avait décimé les habitants de la ville. Les moins téméraires avaient pris la fuite, persuadés que la menace iroquoise aurait raison du courage des derniers Français. À la demande de monsieur de Maisonneuve, fondateur et gouverneur de la ville, les familles avaient abandonné les fermes des écarts et s’étaient réfugiées derrière les palissades. On vivait là, en alerte permanente, prêt à se réfugier dans le fortin, l’oreille tendue pour distinguer les cris gutturaux qui précédaient les attaques ennemies. Combien de temps pourrait-on encore tenir ? L’hiver, l’interminable hiver canadien serait bientôt là. Dans la ferme Saint-Ange où monsieur de Maisonneuve les avait convoqués, les habitants de Ville-Marie échangeaient des regards inquiets. Le gouverneur, vêtu d’un manteau de serge brune brodé d’une maigre fourrure, allait parler. Qu’avait-il à leur annoncer ?
– Mes chers amis, commença le gouverneur, à l’heure du danger, il ne convient pas à des braves de fermer les yeux. Depuis six mois, notre cité a été l’objet d’attaques incessantes. Nous y avons perdu nos hommes les meilleurs, et parmi les plus vaillants. Notre milice, dont le courage n’a pas failli, est exsangue. Le dernier combat a vu la mort de dix de nos hommes, et de deux de nos chiens. Dix hommes, c’est beaucoup, c’est trop pour notre colonie déjà éprouvée. L’an dernier, à la même heure, nous étions trois cents. Aujourd’hui, comptez-vous mes amis, nous ne sommes guère plus de quatre-vingts…
Un long silence se fit. Adossés contre les barils de poudre du fort, rassemblés sous de larges couvertures de fourrure, les habitants de Ville-Marie se dévisageaient. Le fait d’être là, présents, vivants, tenait déjà du miracle ; aussi chacun regardait-il l’autre comme un rescapé, et peut-être aussi comme un ami, tant il est vrai que le lien qui naît sous les armes ressemble à l’amitié et que le danger imminent l’avive.
Clotilde se tourna vers Iris et Apolline. Débarquées avec elle de L’Aigle d’or en provenance de La Rochelle, les deux jeunes filles faisaient partie des survivantes. Pour ces trois-là, il n’était nul besoin de danger menaçant pour entretenir la flamme d’une amitié profonde. Depuis que leurs routes s’étaient croisées sur le navire qui les menait aux portes du Nouveau Monde, elles avaient tissé des liens indéfectibles. Aussi, quoiqu’Iris fût une marionnettiste nomade à la chevelure de feu, Clotilde une blonde demoiselle issue de la vieille noblesse française, et Apolline une Huronne récemment convertie, elles étaient comme des sœurs. À défaut du mari qu’on les avait envoyées chercher au-delà de l’Atlantique pour peupler l’Amérique française, elles avaient trouvé dans la petite colonie une famille, fondée sur des liens ­d’affection mutuelle, dominée par la figure maternelle de Marguerite Bourgeoys qui les avait accueillies et guidées dans la découverte de leur nouvelle vie. Même si les trois jeunes filles connaissaient le danger de leur position, aucune d’elles n’eût voulu quitter le Canada. Pour rien au monde, elles n’auraient fait à l’envers le chemin périlleux mais semé d’espérance qui les avait menées jusque-là. Clotilde savait que monsieur de Maisonneuve était un brave homme. Elle espérait qu’il les inciterait à demeurer en ce lieu pour y attendre des jours meilleurs.
Monsieur de Maisonneuve reprit :
– Oui, mes amis, il ne conviendrait point à un gentilhomme de vous mentir : notre situation est périlleuse. Périlleuse, mais non désespérée. Partir, renoncer, serait contraire à l’espérance qui nous habite, cette espérance qui a guidé nos pas jusqu’en ces lieux, cette espérance qui a présidé à chacun de nos actes, à chacun de nos choix. Mais demeurer là, dans l’état actuel des choses, est impossible. Alors, que faire ? Si la colonie ne reçoit quelque renfort, sa perte est assurée ; c’est ­pourquoi je suis déterminé à me rendre en France afin de lever une nouvelle recrue.
Il y eut dans l’assistance des murmures. Quoi ? Partir seul, sans protection, sans ressource, traverser l’océan, lever une recrue ? Ce serait une folie ! Quand bien même monsieur de Maisonneuve parviendrait à regagner la France malgré la menace de l’hiver et des Iroquois, rien ne permettait de croire qu’à son retour la colonie serait toujours vivante, toujours debout.
– Bien sûr, c’est un risque à courir, continua le gouverneur, et je ne prendrai ma décision sans connaître votre avis. Quand les circonstances sont périlleuses, il n’est jamais bon qu’un seul homme décide pour tous. C’est pourquoi je vous ai réunis aujourd’hui. Que tous ceux qui veulent donner leur opinion se lèvent et s’expriment. Après quoi, je trancherai.
Monsieur de Maisonneuve vint s’asseoir parmi les habitants silencieux, à même le sol, le dos appuyé contre les barils de poudre. En matière d’éloquence, les Français installés au Canada avaient adopté les usages des Peaux-Rouges : l’art d’écouter sans jamais interrompre, de prendre la parole chacun à son tour, de méditer les paroles de l’orateur avant de s’exprimer soi-même. Et, chez ce peuple français, bavard et volontiers querelleur, ce n’était pas le moindre signe de son adaptation aux mœurs indigènes que d’avoir réglé sa parole sur celle des Indiens.
À son tour, un petit homme sec, habillé d’une longue robe noire, se leva. C’était le

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents