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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 83 |
EAN13 | 9782824711447 |
Langue | Français |
Extrait
V ICT OR SEGALEN
LES IMMÉMORIA UX
BI BEBO O KV ICT OR SEGALEN
LES IMMÉMORIA UX
1921
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1144-7
BI BEBO OK
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1A UX MA ORI DES T EMPS
OU BLI ÉS
(Dans tous les mots maoris u doit se prononcer ou : atua comme
« atoua », tatu comme « tatou », etc.)
2CHAP I T RE I
LE RÉCI T AN T
— comme tant d’autr es nuits si nombr euses qu’ on
n’y p ouvait song er sans une confusion — T érii le Ré citant mar-C chait, à p as mesurés, tout au long des p ar vis inviolables. L’heur e
était pr opice à rép éter sans trê v e , afin de n’ en p as omer e un mot, les
b e aux p arler s originels : où s’ enferment, assur ent les maîtr es, l’é closion
des mondes, la naissance des étoiles, le façonnag e des vivants, les r uts et
les monstr ueux lab eur s des dieux Maori. Et c’ est affair e aux pr omeneur
sde-nuit, aux haèré-p o à la mémoir e longue , de se liv r er , d’autel en autel
et de sacrificateur à disciple , les histoir es pr emièr es et les g estes qui ne
doiv ent p as mourir . A ussi, dès l’ ombr e v enue , les haèré-p o se hâtent à
leur tâche : de chacune des ter rasses divines, de chaque maraè bâti sur le
cer cle du rivag e , s’élè v e dans l’ obscur un mur mur e monotone , qui, mêlé
à la v oix houleuse du ré cif, entour e l’île d’une ceintur e de prièr es.
T érii ne tenait p oint le rang pr emier p ar mi ses comp agnons, sur la
ter r e T ahiti ; ni même dans sa pr opr e vallé e ; bien que son nom « T érii
3Les Immémoriaux Chapitr e I
a Paraü-rahi » annonçât « Le Chef au grand-Parler ». Mais les noms
déçoiv ent autant que les dieux de bas ordr e . On le cr o yait fils de T é vatané , le
p orte-idoles de la riv e Hitia, ou bien de V éhiatua no T é ahup o o , celui qui
batailla dans la pr esqu’île . On lui connaissait d’autr es pèr es encor e ; ou
plutôt des p ar ents nour ricier s entr e lesquels il avait p artag é son enfance .
Le plus lointain p ar mi ses souv enir s lui racontait l’aer rissag e , dans la
baie Matavaï, de la grande pir ogue sans balancier ni p ag ay eur s, dont le
chef se nommait T uti. C’était un de ces étrang er s à la p e au blême , de l’
espè ce qu’ on dit « Piritané » p ar ce qu’ils habitent, très au loin, une ter r e
app elé e « Piritania ¹ ». T uti frayait av e c les anciens Maîtr es. Bien qu’il eût
pr omis son r etour , on ne le vit p oint r e v enir : dans une autr e île maori, le
p euple l’avait adoré comme un atua durant deux lunaisons, et puis, aux
pr emier s jour s de la tr oisième , dép e cé av e c r esp e ct afin de vénér er ses os.
T érii ne cher chait p oint à dénombr er les saisons depuis lor s é
coulé es ; ni combien de fois on avait crié les adieux au soleil fé condateur . —
Les hommes blêmes ont seuls cee manie bar o que de compter , av e c grand
soin, les anné es enfuies depuis leur naissance , et d’ estimer , à chaque lune ,
ce qu’ils app ellent « leur âg e présent ! » A utant mesur er des millier s de
p as sur la p e au chang e ante de la mer . . . Il suffit de sentir son cor ps agile ,
ses membr es alertes, ses désir s nombr eux, pr ompts et sûr s, sans
s’inquiéter du ciel qui tour ne et des lunes qui p érissent. — Ainsi T érii. Mais, v er s
sa pleine adolescence , de v enu curieux des fêtes et désir eux des fav eurs
réser vé es aux familier s des dieux, il s’ en était r emis aux prêtr es de la vallé e
Pap ara.
Ceux-là sacrifiaient au maraè le plus noble des maraè de l’île . Le chef
des ré citants, Paofaï T ériifataü, ne méprisa p oint le nouv e au disciple :
Paofaï avait dor mi p arfois av e c la mèr e de T érii. L’appr entissag e
commença. On de vait accomplir , av e c une pieuse indolence , tout ce que les
initiateur s avaient, jusque-là , pieusement et indolemment accompli.
C’étaient des g estes rig our eux, des incantations cadencé es, pr ofondes
et confuses, des en-allé es délimité es autour de l’ enceinte de corail p oli.
C’étaient des rir es oblig és ou des pleur s conv entionnels, selon que le dieu
brillant Or o v enait planer haut sur l’île , ou semblait, au temps des
sé1. Piritania : Britain, Angleter r e . T uti : Co ok. ( Fin du X V I I I ᵉ siè cle ).
4Les Immémoriaux Chapitr e I
cher esses, s’ enfuir v er s le p ay s de l’abîme et des morts. D o cilement, le
disciple rép était ces g estes, r etenait ces dir es, hurlait de joie , se
lamentait. Il pr ogr essait en l’art d’inter préter les signes, de discer ner , dans le
v entr e ouv ert des chiens pr opitiatoir es, les frémissements d’ entrailles qui
présag ent un combat heur eux. A u début de la mêlé e , p enché sur le pr
emier ennemi tombé , le haèré-p o savait en épier l’ag onie : s’il sanglotait, le
guer rier dur , c’était p our déplor er le malheur de son p arti ; s’il fer mait le
p oing, la résistance , alor s, s’annonçait opiniâtr e . Et T érii au grand-Parler
r e v enant v er s ses frèr es, leur jetait les p ar oles sup erb es qui mordent les
cœur s et p oussent à b ondir . Il chantait, il criait, il se démenait, et pr
ophétisait sans trê v e , jusqu’à l’instant où lui-même , épuisé de le v er les courag es,
tombait.
Mais si les av entur es app araissaient funestes ou contrair es aux avis
my stérieux de ses maîtr es, il s’ empr essait à dissimuler , et à chang er les
signes é quiv o ques en de plus rassurants présag es. Ce n’était p as ir r esp e ct
des choses saintes : à quoi ser viraient les prêtr es, si les desseins des dieux
— se manifestant tout à coup immuables et clair s — n’ e xig e aient plus que
des prièr es conjurantes ou de subtils accommo dements ?
T érii satisfaisait pleinement ses maîtr es. Fier de cee distinction
p ar mi les haèré-p o — le cer cle de tatu bleuâtr e incr usté sur la che ville
g auche — il escomptait des or nements plus rar es : la ligne ennoblissant
la hanche ; puis la mar que aux ép aules ; le signe du flanc, le signe du
bras. Et p eut-êtr e ; avant sa vieillesse , p ar viendrait-il au degré septième
et suprême : celui des D ouze à la jamb e-tatoué e . Alor s il dép ouillerait ces
misèr es et ces farde aux qui incomb ent aux manants. Il lui serait sup erflu
de monter , à trav er s les taillis humides, en quête des lourds régimes de féï
p our la faim : les dé v ots couv riraient le seuil de son faré de la nour ritur e
des prêtr es, et des femmes nombr euses, grasses et b elles, r e cher cheraient
ses embrassements comme r emède à la stérilité . Alor s il serait Arioï, et
le frèr e de ces Maîtr es-du-jouir , qui, pr omenant au trav er s des îles leur s
tr oup es fêteuses, célèbr ent les dieux de vie en p arant leur s vies mêmes de
tous les jeux du cor ps, de toutes les splendeur s, de toutes les v oluptés.
A vant de prétendr e en ar riv er là , le haèré-p o de vait, maintes fois, fair e
p arade ir répr o chablement du sav oir transmis. Pour aider sa mémoir e
adolescente , il r e courait aux artifices tolér