IV. Le Jardinier & ſon Seigneur. Un amateur de jardinage, Demy Bourgeois, demy manant, Poſſedoit en certain Village Un jardin aſſez propre, & le clos à tenant. Il avoit de plan vif ſemé cette étendue, Là croiſſoit à plaiſir l’oſeille & la laituë ; Dequoy faire à ...
U n amateur de jardinage, Demy Bourgeois, demy manant, Poſſedoiten certain Village Un jardin aſſez propre, & le clos à tenant. Il avoit de plan vif ſemé cette étendue, Là croiſſoit à plaiſir l’oſeille & la laituë ; Dequoy faire à Margot, pour ſa feſte, un bouquet ; Peu de jaſmin d’Eſpagne, & force ſerpolet. Cette felicité par un Lievre troublée, Fit qu’au Seigneur du Bourg noſtre homme ſe plaignit. Ce maudit animal vient prendre ſa goulée Soir & matin, dit-il, & des pieges ſe rit : Les pierres, les baſtons y perdent leur crédit. Il eſt Sorcier, je croy. Sorcier ? je l’en défie, Repartit le Seigneur. Fuſt-il diable, Miraut, En dépit de ſes tours, l’attrapera bien-toſt. Je vous en déferay, bon homme, ſur ma vie : Et quand ? & dés demain, ſans tarder plus long-temps. La partie ainſi faite, il vient avec ſes gens : Çà déjeunons, dit-il, vos poulets ſont-ils tendres ? La fille du logis, qu’on vous voye, approchez. Quand la marierons-nous ? quand aurons-nous des gendres ? Bon homme, c’eſt ce coup qu’il faut, vous m’entendez, Qu’ilfaut foüiller à l’eſcarcelle. Diſant ces mots, il fait connoiſſance avec elle ; Auprésde luy la fait aſſeoir ; Prend une main, un bras, leve un coin du mouchoir ; Toutesſotiſes dont la Belle Sedéfend avec grand reſpect ; Tant qu’au pere à la fin cela devient ſuſpect. Cependant on fricaſſe, on ſe ruë en cuiſine. De quand ſont vos jambons ? Ils ont fort bonne mine. Monſieur, ils ſont à vous. Vraiment, dit le Seigneur, Jeles reçois, & de bon cœur. Il déjeûne tres-bien, auſſi fait ſa famille, Chiens, chevaux & valets, tous gens bien endentez : Il commande chez l’hoſte, y prend des libertez, Boitſon vin, careſſe ſa fille. L’embarras des Chaſſeurs ſuccede au déjeuné. Chacuns’anime & ſe prépare : Les trompes & les cors font un tel tintamarre,
Quele bon homme eſt étonné. Le pis fut que l’on mit en piteux équipage Le pauvre potager ; adieu planches, quarreaux ; Adieuchicorée & poreaux ; Adieudequoy mettre au potage. Le Lievre eſtoit giſté deſſous un maiſtre chou. On le queſte, on le lance, il s’enfuit par un trou, Non pas trou, mais troüée, horrible & large playe Quel’on fit à la pauvre haye Par ordre du Seigneur ; car il euſt eſté mal Qu’on n’euſt pû du jardin ſortir tout à cheval. Le bon homme diſoit : Ce ſont là jeux de Prince : Mais on le laiſſoit dire ; & les chiens & les gens Firent plus de degât en une heure de temps, Quen’en auroient fait en cent ans Tous les Lievres de la Province.
Petits Princes, vuidez vos debats entre vous : De recourir aux Rois vous ſeriez de grands fous. Il ne les faut jamais engager dans vos guerres, Niles faire entrer ſur vos terres.
Fables de La Fontaine: Barbin & Thierry | Georges Couton