Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin, avec un discours sur la religion
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Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
XXXIV. Lettre à la duchesse Mazarin, avec un discours sur la religion, 1677.
À LA MÊME, AVEC UN DISCOURS SUR LA RELIGION.
(1677.)
J’ai songé toute la nuit à la conversation que nous eûmes hier au soir, et je ne m’en
étonne point, Madame : quand on a eu le plaisir de vous voir et de vous parler le
soir, il ne faut pas s’attendre à celui de bien dormir. Il me sembloit que M. de
Barillon raisonnoit avec beaucoup de solidité. Le comte de Mélos, qui préféroit
toujours la soumission de l’esprit au raisonnement, voulut bien se rendre au vôtre ;
et vos lumières lui tinrent lieu de l’autorité, qu’il a coutume de respecter.
J’avoue que j’étois convaincu et enchanté de vos raisons ; elles faisoient leur
impression sur mon esprit avec toute la force de la vérité, et s’insinuoient dans mon
cœur avec tous vos charmes. Le cœur doux et tendre comme il est, a une
opposition naturelle à l’austérité de la raison. La vôtre a trouvé un grand secret : elle
porte des lumières dans les esprits, et inspire en même temps de la passion dans
les cœurs. Jusqu’ici, la raison n’avoit pas été comptée entre les appas des
femmes : vous êtes la première qui l’ait rendue propre à nous donner de l’amour.
Sans vous, Madame, les vérités que nous cherchons nous auroient paru bien dures.
La vérité qu’on a bannie du commerce comme une fâcheuse, et qu’on a cachée au
fond d’un puits comme une séditieuse qui troubloit l’univers, cette vérité change de
nature dans votre bouche ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées XXXIV. Lettre à la duchesse Mazarin, avec un discours sur la religion, 1677.
À LA MÊME, AVEC UN DISCOURS SUR LA RELIGION. (1677.)
J’ai songé toute la nuit à la conversation que nous eûmes hier au soir, et je ne m’en étonne point, Madame : quand on a eu le plaisir de vous voir et de vous parler le soir, il ne faut pas s’attendre à celui de bien dormir. Il me sembloit que M. de Barillon raisonnoit avec beaucoup de solidité. Le comte de Mélos, qui préféroit toujours la soumission de l’esprit au raisonnement, voulut bien se rendre au vôtre ; et vos lumières lui tinrent lieu de l’autorité, qu’il a coutume de respecter. J’avoue que j’étois convaincu et enchanté devos raisons ; elles faisoient leur impression sur mon esprit avec toute la force de la vérité, et s’insinuoient dans mon cœur avec tous vos charmes. Le cœur doux et tendre comme il est, a une opposition naturelle à l’austérité de la raison. La vôtre a trouvé un grand secret : elle porte des lumières dans les esprits, et inspire en même temps de la passion dans les cœurs. Jusqu’ici, la raison n’avoit pas été comptée entre les appas des femmes : vous êtes la première qui l’ait rendue propre à nous donner de l’amour. Sans vous, Madame, les vérités que nous cherchons nous auroient paru bien dures. La vérité qu’on a bannie du commerce comme une fâcheuse, et qu’on a cachée au fond d’un puits comme une séditieuse qui troubloit l’univers, cette vérité change de nature dans votre bouche, et n’en sort que pour vous concilier généralement tous les esprits. Vous la rétablissez dans le monde avec une pleine satisfaction de tous ceux qui vous entendent. Ce n’est pas, Madame, que vous n’ayez votre part de la malignité de la nature. Vous avez quelquefois des desseins formés de nous choquer. Sans être trop pénétrant, on découvre la malice de vos intentions ; mais vos charmes sont au-dessus de ces intentions malicieuses. Vous plaisez, lors même que vous avez envie de déplaire ; et de toutes les choses que vous voudriez entreprendre, ne plaire pas est la seule dont vous ne sauriez venir à bout. La vérité ne peut plus souffrir la violence que vous lui faites : elle veut reprendre la sécheresse et l’austérité que vous lui avez ôtées. Je vais lui rendre ses qualités naturelles ; et vous vous en apercevrez, Madame, à la lecture du petit discours que je vous envoie. DISCOURS. Aussitôt que nous avons perdu le goût des plaisirs, notre imagination nous offre des idées agréables, qui nous tiennent lieu de choses sensibles. L’esprit veut remplacer des plaisirs perdus ; et il va chercher ses avantages en l’autre monde, quand les voluptés qui touchoient le corps nous sont échappées. Le dégoût du libertinage nous fait quelquefois naître l’envie de devenir dévots ; mais sommes-nous établis dans un état plus religieux et plus saint, nous passons la vie à vouloir comprendre ce qui ne sauroit être compris ; et il vient des temps de sécheresse et de langueur, où l’on fait de fâcheuses réflexions sur le tourment qu’on se donne pour un bien opposé aux sens, peu connu à la raison, conçu faiblement par une foi incertaine et mal assurée. C’est de là que viennent les plus grands désordres des monastères. Quand la félicité qu’où promet aux religieux leur paroît douteuse, le mal certain qu’il faut souffrir leur devient insupportable. La diversité des tempéraments a beaucoup de part aux divers sentiments qu’ont les hommes, sur les choses surnaturelles. Les âmes douces et tendres se portent à l’amour de Dieu, les timides se tournent à la crainte de l’enfer, les irrésolus vivent dans le doute, les prudents vont au plus sûr, sans examiner le plus vrai ; les dociles se soumettent, les opiniâtres s’obstinent dans le sentiment qu’on leur a donné, ou qu’ils se forment eux-mêmes ; et les gens attachés à la raison veulent être convaincus par des preuves qu’ils ne trouvent pas.
1 Quand les hommes, disoit M. Wurtz ,auront retiré du christianisme ce qu’ils y ont mis, il ny aura qu’une seule religion, aussi simple dans sa doctrine, que pure dans sa morale.
2 Comme nous ne recevons point notre créance par la raison , aussi la raison ne nous fait-elle pas changer. Un dégoût secret des vieux sentiments nous fait sortir de la religiondans laquelle nous avons vécu : l’agrément que trouve l’esprit en de nouvelles pensées, nous fait entrer dans une autre ; et, lorsqu’on a changé de religion, si on est fort à parler des erreurs qu’on a quittées, on est assez foible à établir la vérité de celle qu’on a prise.
La doctrine est contestée partout : elle servira éternellement de matière à la dispute dans toutes les religions ; mais on peut convenir de ce qui regarde les mœurs. Le monde est d’accord sur les commandements que Dieu nous fait et sur l’obéissance qui lui est due ; car alors Dieu s’explique à l’homme en des choses que l’homme connoît et qu’il sent. Pour les mystères, ils sont au-dessus de l’esprit humain, et nous cherchons inutilement à connoître ce qui ne peut être connu, ce qui ne tombe ni sous les sens, ni sous la raison. La coutume en autorise le discours : la seule grâce en peut inspirer la créance.
Il ne dépend pas de nous de croire ce qu’on veut, ni même ce que nous voulons. L’entendement ne sauroit se rendre qu’aux lumières qu’on lui donne ; mais la volonté doit se soumettre aux ordres qu’elle reçoit.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Génénal des troupes hollandaises, pendant la guerre de 1672. Voy. Boileau,Passage du Rhin.
2. Voy. leCommentaire philosophique deBayle, sur ces paroles de Jésus-Christ : e Contrains-les d’entrerpart., p. 334 du tome III de ses. IIŒuvres diverses.
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