Lettre du 9 octobre 1675 (Sévigné)
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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SévignéLettres de Madame de Sévigné,de sa famille et de ses amisHachette, 1862 (pp. 169-172).455. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTEDE BUSSY RABUTIN.[1]Quinze jours après que j’eus écrit cette lettre (n° 451, p. 152), je reçus celle-ci de Mme deSévigné.eAux Rochers, ce 9 octobre 1675.Voilà donc le mariage de Mlle de Bussy tout assuré. Savez-vous bien que j’en suis[2]fort aise, et qu’après avoir tant traîné, il nous falloit une conclusion ? J’ai reçu uncompliment très-honnête de M. de Coligny. Je vois bien que vous n’avez pas[3]manqué de lui dire que je suis votre aînée , et que mon approbation est une chosequi tout au moins ne lui sauroit faire de mal.[4]À propos de cela, je vous veux faire un petit conte qui me fit rire l’autre jour. Ungarçon étoit accusé en justice d’avoir fait un enfant à une fille ; il s’en défendoit àses juges, et leur disoit : « Messieurs, je pense bien que je n’y ai pas nui, mais cen’est pas à moi l’enfant. » Mon cousin, je vous demande pardon, je trouve cela naïfet plaisant. S’il vous vient un petit conte à la traverse, ne vous en contraignez pas.Mais pour revenir à M. de Coligny, il est certain que mon approbation ne lui peutpas nuire. Sa lettre me paroît de très-bon sens et tout homme qui sait faire uncompliment comme celui-là, aussi simple et aussi juste, doit avoir de la raison et del’esprit. Je le souhaite pour l’amour de ma nièce que j’aime fort. À tout hasard, lesleçons que vous ...

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 169-172).
455. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSYRABUTIN. [1] Quinze joursaprès que j’eus écrit cette lettre (n° 451, p. 152), je reçus celle-ci de Mme de Sévigné. e Aux Rochers, ce 9octobre 1675. Voilà donc le mariage de Mlle de Bussy tout assuré. Savez-vous bien que j’en suis [2] fort aise, et qu’après avoir tant traîné, il nous falloit une conclusion? J’ai reçu un compliment très-honnête de M. de Coligny. Je vois bien que vous n’avez pas [3] manqué de lui dire que je suis votre aînée, et que mon approbation est une chose qui tout au moins ne lui sauroit faire de mal. [4] À propos de cela, je vous veux faireun petit conte qui me fit rire l’autre jour. Un garçon étoit accusé en justice d’avoir fait un enfant à une fille ; il s’en défendoit à ses juges, et leur disoit : « Messieurs, je pense bien que je n’y ai pas nui, mais ce n’est pas à moi l’enfant. » Mon cousin, je vous demande pardon, je trouve cela naïf et plaisant. S’il vous vient un petit conte à la traverse, ne vous en contraignez pas. Mais pour revenir à M. de Coligny, il est certain que mon approbation ne lui peut pas nuire. Sa lettre me paroît de très-bon sens et tout homme qui sait faire un compliment comme celui-là, aussi simple et aussi juste, doit avoir de la raison et de l’esprit. Je le souhaite pour l’amour de ma nièce que j’aime fort. À tout hasard, les leçons que vous lui donnez pour s’ennuyer et pour se divertir sont très-bonnes en ménage. Je suis les règles que vous me donnez pour vivre longtemps : je ne suis [5] pas au lit plus de sept heures ; je mange peu; j’ajoute à vos préceptes de marcher beaucoup ; mais ce que je fais de mal, c’est que je ne puis m’empêcher de rêver tristement dans de grandes allées sombres que j’ai. C’est un poison pour nous que la tristesse, et c’est la source des vapeurs. Vous avez raison de trouver que ce mal est dans l’imagination : vous l’avez parfaitement défini, c’est le chagrin qui le fait naître, et la crainte qui l’entretient. Un admirable remède pour moi seroit d’être avec vous : le chagrin me seroit inconnu, et vous m’apprendriez à ne pas craindre la mort. Il y a douze jours que je suis ici ; j’y suis venue par la rivière de Loire : cette route est délicieuse. J’y ai vu en passant l’abbé d’Effiat à Veret : cette maison est [6] merveilleuse. Je vis aussi Vineuilà Saumur ; il est dévot : c’est un sentiment qui est bien naturel dans le malheur et dans la vieillesse. Je les trouve moins patients que vous : c’est qu’ils ont moins de santé, de force d’esprit et de philosophie. J’ai été quelques jours à Nantes, où M. de Lavardin et M. d’Harouys m’ont régalée en reine. Enfin je suis arrivée dans ce désert, où je trouve des promenades que j’ai faites, et dont le plant me donne un ombrage qui me fait souvenir que je ne suis pas jeune. Le bon abbé ne m’a point quittée. Nous pensons fort à régler nos affaires, et je profite de ses bontés. Il n’y a rien de si juste et de si bien réglé que nos comptes. Il ne manque qu’une petite circonstance à notre satisfaction : c’est de recevoir de l’argent. C’est ce qu’on ne voit point ici ; l’espèce manque, c’est la vérité. Êtes-vous aussi mal en Bourgogne ?
Je ne crois pas passer ici l’hiver : mais si je retourne à Paris, ce sera pour les affaires de la belle Madelonne ; car il faut l’avouer, j’ai une belle passion pour elle. Je ne dis rien de mon fils ; cependant je l’aime extrêmement, et ses intérêts me font bien autant courir que ceux de ma fille. Il s’ennuie fort dans la charge de guidon; cette place est jolie à dix-neuf et vingt ans ; mais quand on y a demeuré sept ans,
c’est pour en mourir de chagrin. Si vous connoissiez quelque Bourguignon qui nous [7] voulût faire le plaisir de nous en tirer, je vouspayerois votre courtage. Cette charge nous a coûté vingt-cinq mille écus ; elle vaut près de quatre mille livres de rente, à cause d’une pension de mille écus que nous y avons attachée.
Adieu, Comte ; j’embrasse ma nièce ; mandez-moi un peu des nouvelles de votre noce. Langhac est un terrible nom pour la grandeur et pour l’ancienneté. Je l’ai entendu louer jusques aux nues par le cardinal de Retz : il est dans sa solitude. Que dites-vous de la beauté de cette retraite ? Le monde, par rage de ne pouvoir mordre sur un si beau dessein, dit qu’il en sortira. Eh bien, envieux, attendez donc qu’il en sorte, et en attendant taisez-vous ; car de quelque côté qu’on puisse regarder cette action, elle est belle ; et si on savoit comme moi qu’elle vient purement du desir de faire son salut, et de l’horreur de sa vie passée, on ne cesseroit point de l’admirer.
1. ↑LETTRE 455. i.Au-dessus des motsquinze jours, qui sont biffés dans le manuscrit, on lit, écrit d’une autre main :six semaines. Cette correction était er faite en vue de l’impression : la lettre de Bussy du Ioctobre est omise dans l’édition de 1697. 2. ↑Dans le manuscrit de l’Institut, cette seconde phrase est réduite à: « J’en suis fort aise. » 3. ↑Dans le manuscrit de l’Institut : « l’aînée de notre maison. » Voyez tome I, p. 356 et 357. 4. ↑Dans le manuscrit de l’Institut : « Je me trouve d’humeur de vous faire. » Les autres variantes de ce manuscrit sont : à la ligne 7 du paragraphe suivant, « pour savoir s’ennuyer et se divertir ; » ligne 10, « je mange peu, je marche beaucoup ; » lignes 16 et 17, « c’est le chagrin qui le fait venir, et la crainte qui l’entretient et qui l’augmente. Un souverain remède… » cinq lignes plus loin, « cette maison est admirable. » À la seconde ligne du cinquième alinéa, « m’ont reçue en reine ; » ligne 11, « c’est une vérité. » Dans l’avant-dernier paragraphe de la lettre, ligne 5, « et ses intérêts me réveillent bien autant ; » ligne 6, « dans sa charge de guidon ; » ligne 7, « est jolie à un garçon de dix-neuf ou vingt ans ; » à la fin de l’alinéa : « que le Roi a eu la bonté d’y attacher. » Dans le dernier paragraphe, ligne 4, «. Il s’est mis dans la solitude. » 5. ↑Dans notre copie, peu est écrit au-dessus de la ligne, et d’une autre main. 6. ↑Ardier, sieur de Vineuil, « qu’on appeloit à la cour M. le marquis de Vineuil (ou Ardier le Gentilhomme), secrétaire du Roi, garçon qui a pourtant de l’esprit et qui est bien fait (voyez tome IV de Tallemant des Réaux, p. 231), » était, dit Bussy (Histoire amoureuse des Gaules, tome II, p. 387), « frère du président Ardier, d’une assez bonne famille de Paris, agréable de visage, assez bien fait de sa personne ; il étoit savant en honnête homme, il avoit l’esprit plaisant et satirique, quoiqu’il craignît tout, et cela lui avoit attiré souvent de méchantes affaires. » C’était, dit M. Cousin (tome II, p. 260, dela Société française), « une sorte de bel esprit maniéré, tranchant du gentilhomme… C’est pourtant à ce Vineuil qu’on a quelque temps attribué certaines parties desMémoiresde la Rochefoucauld, celle entre autres où se trouve le portrait de Mme de Longueville, un des chefs-d’œuvre du grand écrivain. » — « Confident de Condé, dit à son tour Walckenaer (tome V, p. 319), Vineuil avait été l’ami de Turenne et écrivait la vie de ce héros (voyez la lettre du 20 novembre 1676). Son ardeur pour les plaisirs l’avait condamné à une vieillesse précoce, et il était devenu dévot ; mais il n’en était pas moins resté un homme aimable et spirituel. Sa conversation plaisait à Mme de Sévigné. Avec lui, plus encore qu’avec la princesse de Tarente, elle aimait à remonter vers son passé. » Vineuil était un des exilés de la Loire. Voyez p. 167, la note 7 de la lettre précédente, et le second alinéa de la lettre du 17 septembre, p. l36. 7. ↑Les mots « en tirer, je vous » sont sautés dans la copie autographe dont nous suivons le texte ; nous avons comblé la lacune au moyen du manuscrit de l’Institut.
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