Cours de philosophie positive.(2/6) par Auguste Comte
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Cours de philosophie positive.(2/6) par Auguste Comte

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Publié le 08 décembre 2010
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Langue Français

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Project Gutenberg's Cours de philosophie positive.(2/6), by Auguste Comte
This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org
Title: Cours de philosophie positive.(2/6)
Author: Auguste Comte
Release Date: April 4, 2010 [EBook #31882]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK COURS DE PHILOSOPHIE ***
Produced by Sébastien Blondeel, Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
COURS DE PHILOSOPHIE POSITIVE.
IMPRIMERIE DE BACHELIER, rue du Jardinet, n° 12.
COURS
DE
PHILOSOPHIE POSITIVE,
PAR M. AUGUSTE COMTE,
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE, RÉPÉTITEUR D'ANALYSE TRANSCENDANTE ET DE MÉCANIQUE RATIONNELLE À LADITE ÉCOLE.
TOME DEUXIÈME,
CONTENANT
LA PHILOSOPHIE ASTRONOMIQUE ET LA PHILOSOPHIE DE LA PHYSIQUE.
PARIS, BACHELIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE POUR LES SCIENCES, QUAI DES AUGUSTINS, Nº 55.
1835
AVIS DE L'AUTEUR.
Le premier volume de cet ouvrage, renfermant les préliminaires généraux et la philosophie mathématique, a paru en juillet 1830. La crise extraordinaire survenue dans la librairie, à la suite des événements politiques, a long-temps interrompu cette publication, que les premiers éditeurs se sont vus contraints d'abandonner. Confiée maintenant à un nouvel éditeur, dont le nom est une garantie, elle sera désormais continue, de façon à être terminée à la fin de l'année 1835.
Il peut être utile de rappeler ici que, suivant le plan général exposé dès l'origine, ce second volume comprend la philosophie astronomique et la philosophie de la physique proprement dite; le troisième sera consacré à la philosophie chimique et à la philosophie physiologique; enfin, le quatrième contiendra la philosophie sociale et les conclusions philosophiques qui résultent de l'ensemble de l'ouvrage; chaque volume étant composé de dix-huit leçons.
COURS
DE
PHILOSOPHIE POSITIVE.
DIX-NEUVIÈME LEÇON.
Considérations philosophiques sur l'ensemble de la science astronomique.
L'astronomie est jusqu'ici la seule branche de la philosophie naturelle dans laquelle l'esprit humain se soit enfin rigoureusement affranchi de toute influence théologique et métaphysique, directe ou indirecte; ce qui rend particulièrement facile de présenter avec netteté son vrai caractère philosophique. Mais, pour se faire une juste idée générale de la nature et de la composition de cette science, il est indispensable, en sortant des définitions vagues qu'on en donne encore habituellement, de commencer par circonscrire avec exactitude le véritable champ des connaissances positives que nous pouvons acquérir à l'égard des astres.
Parmi les trois sens propres à nous faire apercevoi r l'existence des corps éloignés, celui de la vue est évidemment le seul qui puisse être employé relativement aux corps célestes; en sorte qu'il ne saurait exister aucune astronomie pour des espèces aveugles, quelque intelligentes qu'on voulût d'ailleurs les imaginer; et, pour nous-mêmes, les astres obscurs, qui sont peut-être plus nombreux que les astres visibles, échappent à toute étude réelle, leur existence pouvant tout au plus être soupçonnée par induction. Toute recherche qui n'est point finalement réductible à de simples observations visuelles nous est donc nécessairement interdite au sujet des astres, qui sont ainsi de tous les êtres naturels ceux que nous pouvons connaître sous les rapports les moins variés. Nous concevons la possibilité de déterminer leurs formes, leurs distances, leurs grandeurs et leurs mouvemens; tandis que nous ne sa urions jamais étudier par aucun moyen leur composition chimique, ou leur structure minéralogique, et, à plus forte raison, la nature des corps organisés qui vivent à leur surface, etc. En un mot, pour employer immédiatement les expressions scientifiques les plus précises, nos connaissances positives par rapport aux astres sont nécessairement limitées à leurs seuls phénomènes géométriques et mécaniques, sans pouvoir nullement embrasser les autres recherches physiques, chimiques, physiologiques, et même sociales, que comportent les êtres accessibles à tous nos divers moyens d'observation.
Il serait certainement téméraire de prétendre fixer avec une précision rigoureuse les bornes nécessaires de nos connaissances dans chaque partie déterminée de la philosophie naturelle; car, en s'engageant dans le détail, on les placerait presque inévitablement ou trop près ou trop loin. Une telle appréciation est d'ailleurs singulièrement influencée par l'état de notre développement intellectuel. Ainsi, tel esprit, entièrement étranger aux conceptions mathématiques, ne comprend pas même qu'on puisse estimer avec certitude les distances et les dimensions des corps célestes, puisqu'ils ne sont point accessibles; tandis que tel autre, à demi éclairé sous ce rapport, admettra sans difficulté la possibilité de semblables mesures, mais niera à son tour qu'on puisse peser indirectement le soleil et les planètes. Nonobstant ces remarques évidentes, il n'en est pas moins indispensable, ce me semble, de poser à cet égard des limites générales, pour que l'esprit humain ne se laisse point égarer dans le vague de recherches nécessairement inabordables, sans que cependant il s'interdise celles qui sont vraiment accessibles par des procédés plus ou moins indirects, quelque embarras qu'on doive éprouver à concilier ces deux conditions également fondamentales. Cette conciliation si délicate me paraît essentiellement établie à l'égard des recherches astronomiques par la maxime philosophique ci-dessus énoncée, qui les circonscrit dans les deux seules catégories des phénomènes géométriques et des phénomènes mécaniques. Une telle règle n'a rien d'arbitraire, puisqu'elle résulte évidemment d'une comparaison générale entre les objets à étudier et nos moyens pour les explorer. Son application peut seule présenter quelque difficulté, qu'un examen spécial plus approfondi fera presque toujours disparaître dans chaque cas particulier, e n continuant à procéder d'après le même principe fondamental. Ainsi, pour fixer les idées, dans la célèbre question des atmosphères des corps célestes, on pouvait certainement concevoir, même avant la découverte des ingénieux moyens imaginés pour leur exacte exploration, qu'une telle recherche nous présentait quelque chose d'accessible, à cause des phénomènes lumineux plus ou moins appréciables que ces atmosphères doivent évidemment produire; mais il est tout aussi sensible, par la même considération, que nos connaissances, à l'égard de ces enveloppes gazeuses, sont nécessairement bornées à celles de leur existence, de leur étendue plus ou moins grande, et de leur vrai pouvoir réfringent, sans que nous puissions nullement déterminer ni leur composition chimique, ni même leur densité; en sorte qu'il y aurait une grave inadvertance à supposer, par exemple, comme on l'a fai t quelquefois, l'atmosphère de Vénus aussi dense que notre atmosphère, d'après la réfraction horizontale d'environ un demi-degré qui leur est commune, car la nature chimique des gaz influe autant que leur densité sur leur puissance réfringente.
En général, dans chaque espèce de question que nous pouvons imaginer sur les astres, ou nous apercevons clairement qu'elle ne dépend en dernier lieu que d'observations visuelles plus ou moins directes, et alors nous n'hésitons pas à la déclarer tôt ou tard accessible; ou bien nous reconnaissons avec évidence qu'elle exigerait par sa nature, quelque autre genre d'exploration, et dans ce cas nous ne devons pas balancer davantage à l'exclure comme radicalement inabordable; ou, enfin, nous ne voyons nettement ni l'un ni l'autre, et dès lors nous devons complétement suspendre notre jugement, jusqu'à ce que le progrès de nos connaissances réelles vienne nous fournir quelques indications décisives, disposition d'esprit malheureusement fort rare et pourtant bien nécessaire. Cette règle est d'autant plus aisément applicable que l'observation scientifique n'emploie jamais et ne saurait employer d'autres moyens que l'observation la plus vulgaire dans des circonstances analogues; seulement elle en perfectionne et en étend l'usage.
La détermination des températures est probablement la seule à l'égard de laquelle la limite précédemment établie pourra paraître aujourd'hui trop sévère. Mais, quelques espérances qu'ait pu faire concevoir à ce sujet la création si capitale de la thermologie mathématique par notre immortel Fourier, et spécialement sa belle évaluation de la température de l'espace dans lequel nous circulons, je n'en persiste pas moins à regarder toute notion sur les véritables températures moyennes des différens astres comme devant nécessairement nous être à jamais interdite. Quand même toutes les influences thermologiques proprement dites, relatives aux échanges de chaleur entre les divers corps célestes, auraient été mathématiquement analysées, ce qui d'ailleurs me semble peu admissible, la question renfermerait toujours un élément qui doit être éternellement inconnu, et qui cependant est peut-être prépondérant pour certains astres, l'état interne de chacun d'eux, et, dans beaucoup de cas, la manière non moins inconnue dont la chaleur est absorbée par son atmosphère. Ainsi, par exemple, la tentative de Newton, pour évaluer la température de la comète de 1680 à son périhélie, était certainement illusoire; car un tel calcul, refait même aussi convenablement qu'il peut l'être aujourd'hui, apprendrait, tout au plus, quelle serait la température de notre terre si, sa ns rien changer à sa constitution actuelle, on la supposait transportée dans cette position: ce qui, vu les différences physiques et chimiques, peut s'écarter extrêmement de la température effective de la comète.
D'après les considérations précédentes, je crois do nc pouvoir définir l'astronomie avec précision, et néanmoins d'une manière assez large, en lui assignant pour objet de découvrir les lois des phénomènes géométriques et des phénomènes mécaniques que nous présentent les corps célestes.
À cette limitation nécessaire portant sur la nature des phénomènes observables, il faut, ce me semble, pour être pleinement dans la réalité scientifique, en ajouter une autre relative aux corps qui peuvent être le sujet de telles explorations. Cette dernière restriction n'est point sans doute absolue comme la première, et il importe beaucoup de le remarquer; mais, dans l'état présent de nos connaissances, elle est presque aussi rigoureuse.
Les esprits philosophiques auxquels l'étude approfondie de l'astronomie est étrangère, et les astronomes eux-mêmes, n'ont pas suffisamment distingué jusqu'ici, dans l'ensemble de nos recherches célestes, le point de vue que je puis appelersolaire, de celui qui mérite véritablement le nom d'universel. Cette distinction me paraît néanmoins indispensable pour séparer nettement la partie de la science qui comporte une entière perfection, de cellequi,par sa nature, sans être sans doutepurement conjecturale, semble cependant devoir
toujours rester presque dans l'enfance, du moins comparativement à la première. La considération du système solaire dont nous faisons partie nous offre évidemment un sujet d'étude bien circonscrit, susceptible d'une exploration complète, et qui devait nous conduire aux connaissances les plus satisfaisantes. Au contraire, la pensée de ce que nous appelons l'universest par elle-même nécessairement indéfinie, en sorte que, si étendues qu'on veuille supposer dans l'avenir nos connaissances réelles en ce genre, nous ne saurions jamais nous élever à la véritable concepti on de l'ensemble des astres. La différence est extrêmement frappante aujourd'hui, puisque, à côté de la haute perfection acquise dans les deux derniers siècles par l'astronomie solaire, nous ne possédons pas même encore, en astronomie sidérale, le premier et le plus simple élément de toute recherche positive, la détermination des intervalles stellaires. Sans doute nous avons tout lieu de présumer, comme j'aurai soin de l'expliquer plus tard, que ces distances ne tarderont pas à être évaluées, du moins entre certaines limites, à l'égard de plusieurs étoiles, et que, par suite, nous connaîtrons, pour ces mêmes astres, divers autres élémens importans, que la théorie est toute prête à déduire de cette donnée fondamentale, tels que leurs masses, etc. Mais l'importante distinction établie ci-dessus n'en sera nullement affectée. Quand même nous parviendrions un jour à étudier complètement les mouvemens relatifs de quelques étoiles multiples, cette notion, qui serait d'ailleurs très précieuse, surtout si elle pouvait concerner le groupe dont notre soleil fait probablement partie, ne nous laisserait évidemment guère moins éloignés d'une véritable connaissance de l'univers, qui doit inévitablement nous échapper toujours.
Il existe, dans toutes les classes de nos recherche s et sous tous les grands rapports, une harmonie constante et nécessaire entre l'étendue de nos vrais besoins intellectuels et la portée effective, actuelle ou future, de nos connaissances réelles. Cette harmoni e, que j'aurai soin de signaler dans tous les phénomènes, n'est point, comme les philosophes vulgaires sont tentés de le croire, le résultat ni l'indice d'une cause finale. Elle dérive simplement de cette nécessité évidente: nous avons seulement besoin de connaître ce qui peut agir sur nous, d'une manière plus ou moins directe; et, d'un autre côté, par cela même qu'une telle influence existe, elle devient pour nous tôt ou tard un moyen certain de connaissance. Cette relation se vérifie d'une manière remarquable dans le cas présent. L'étude la plus parfaite possible des lois du système solaire dont nous faisons partie, est po ur nous d'un intérêt capital, et aussi sommes-nous parvenus à lui donner une précision admirable. Au contraire, si la notion exacte de l'univers nous est nécessairement interdite, il est évident qu'elle ne nous offre point, excepté pour notre insatiable curiosité, de véritable importance. L'application journalière de l'astronomie montre que les phénomènes intérieurs de chaque système solaire, les seuls qui puissent affecter ses habitans, sont essentiellement indépendans des phénomènes plus généraux relatifs à l'action mutuelle des soleils, à peu près comme nos phénomènes météoroliques vis-à-vis des phénomènes planétaires. Nos tables des événemens célestes, dressées, long-temps d'avance, en ne considérant dans l'univers aucun autre monde que le nôtre, s'accordent jusqu'ici rigoureusement avec les observations directes, quelque minutieuse précision que nous y apportions aujourd'hui. Cette indépendance si manifeste se tro uve d'ailleurs pleinement expliquée par l'immense disproportion que nous savons certainement exister entre les distances mutuelles des soleils et les petits intervalles de nos planètes. Si, suivant une grande vraisemblance, les planètes pourvues d'atmosphères, comme Mercure, Vénus, Jupiter, etc., sont effectivement habitées, nous pouvons en regarder les habitans comme étant en quelque façon nos concitoyens, puisque, de cette sorte de patrie commune, il doit résulter nécessairement une certaine communauté de pensées et même d'intérêts; tandis que les habitans des autres systèmes solaires nous doivent être entièrement étrangers. Il faut donc séparer plus profondément qu'on n'a coutume de le faire le point de vue solaire et le point universel, l'idée de monde et celle d'univers: le premier est le plus élevé auquel nous puissions réellement atteindre, et c'est aussi le seul qui nous intéresse véritablement.
Ainsi, sans renoncer entièrement à l'espoir d'obtenir quelques connaissances sidérales, il faut concevoir l'astronomie positive comme consistant essentiellement dans l'étude géométrique et mécanique du petit nombre de corps célestes qui composent lemondedont nous faisons partie. C'est seulement entre de telles limites que l'astronomie mérite par sa perfection le rang suprême qu'elle occupe aujourd'hui parmi les sciences naturelles. Quant à ces astres innombrable s disséminés dans le ciel, ils n'ont guère, pour l'astronome, d'autre intérêt principal que celui de nous servir de jalons dans nos observations, leurs positions pouvant être regardées comme fixes relativement aux mouvemens intérieurs de notre système, seul objet essentiel de notre étude.
En considérant, dans tout le développement de ce cours, la succession des divers ordres de phénomènes naturels, je ferai soigneusement ressortir une loi philosophique très importante, et tout-à-fait inaperçue jusqu'à présent, dont je dois signaler ici la première application. Elle consiste en ce que, à mesure que les phénomènes à étudier deviennent plus compliqués, ils sont en même temps susceptibles, par leur nature, de moyens d'exploration plus étendus et plus variés, s ans que toutefois il puisse y avoir une exacte compensation entre l'accroissement des difficultés et l'augmentation des ressources; en sorte que, malgré cette harmonie, les sciences relatives aux phénomènes les plus complexes n'en restent pas moins nécessairement les plus imparfaites, suivant l'échelle encyclopédique établie dès le début de cet ouvrage. Ainsi, les phénomènes astronomiques étant les plus simples, doivent être ceux pour lesquels les moyens d'exploration sont les plus bornés.
Notre art d'observer se compose, en général, de trois procédés différens: 1º l'observation proprement dite, c'est-à-dire l'examen direct du phénomène tel qu'il se présente naturellement; 2º l'expérience, c'est-à-dire la contemplation du phénomène plus ou moins modifié par des circonstances artificielles, que nous instituons expressément en vue d'une plus parfaite exploration; 3º la comparaison, c'est-à-dire la considération graduelle d'une suite de cas analogues, dans lesquels le phénomène se simplifie de plus en plus. La science
des corps organisés, qui étudie les phénomènes du plus difficile accès, est aussi la seule qui permette véritablement la réunion de ces trois moyens. L'astronomie, au contraire, est nécessairement bornée au premier. L'expérience y est évidemment impossible; et, quant à la comparaison, elle n'y existerait que si nous pouvions observer directement plusieurs systèmes solaires, ce qui ne saurait avoir lieu. Reste donc la simple observation, et réduite même, comme nous l'avons remarqué, à la moindre extension possible, puisqu'elle ne peut concerner qu'un seul de nos sens. Mesurer des angles et compter des temps écoulés, tels sont les seuls moyens d'après lesquels notre intelligence puisse procéder à la découverte des lois qui régissent les phénomènes célestes. Mais ces moyens n'en sont pas moins parfaitement adaptés à la nature des véritables recherches astronomiques, car il ne faut pas autre chose pour observer des phénomènes géométriques ou des phénomènes mécaniques, des grandeurs ou des mouvemens. On doit seulement en conclure que, entre toutes les branches de la philosophie naturelle, l'astronomie est celle où l'observation directe, quelque indispensable qu'elle soit, est pa r elle-même la moins significative, et où la part d u raisonnement est incomparablement la plus grande, ce qui constitue le premier fondement de sa dignité intellectuelle. Rien de vraiment intéressant ne s'y décide jamais par la simple inspection, contrairement à ce qui se passe en physique, en chimie, en physiologie, etc. Nous pouvons dire, sans exagération, que les phénomènes, quelque réels qu'ils soient, y sont pour la plupart essentiellement construits par notre intelligence; car on ne sauraitvoirimmédiatement la figure de la terre, ni la courbe décrite par une planète, ni même le mouvement journalier du ciel; notre esprit seul peut former ces diverses notions, en combinant, par des raisonnemens souvent très prolongés et fort complexes, des sensations isolées, que, sans cela, leur incohérence rendrait presque entièrement insignifiantes. Ces difficultés fondamentales propres aux études astronomiques, qui offrent un attrait de plus aux intelligences d'un certain ordre, inspirent ordinairement au vulgaire une répugnance très pénible à surmonter.
La combinaison de ces deux caractères essentiels, extrême simplicité des phénomènes à étudier, et grande difficulté de leur observation, est ce qui constitue l'astronomie une science si éminemment mathématique. D'une part, la nécessité où l'on s'y trouve sans cesse de déduire d'un petit nombre de mesures directes, soit angulaires, soit horaires, des quantités qui ne sont point par elles-mêmes immédiatement observables, y rend l'usage continuel de la mathématique abstraite absolument indispensable. D'une autre part, les questions astronomiques étant toujours en elles-mêmes ou des problèmes de géométrie, ou des problèmes de mécanique, elles tombent naturellement dans le domaine de la mathématique concrète. Enfin, sous le rapport géométrique, la parfaite régularité des formes astronomiques, et, sous le rapport mécanique, l'admirable simplicité de mouvemens s'opérant dans un milieu dont la résistance est jusqu'ici négligeable et sous l'influence d'un petit nombre de forces constamment assujetties à une même loi très facile, permettent d'y conduire, beaucoup plus loin qu'en tout autre c as, l'application des méthodes et des théories mathématiques. Il n'est peut-être pas un seul procé dé analytique, une seule doctrine géométrique ou mécanique, qui ne trouvent aujourd'hui leur emploi dans les recherches astronomiques, et la plupart même n'ont pas eu jusqu'ici d'autre destination primitive. Aussi est-ce surtout en étudiant convenablement une telle application qu'on peut acquérir un juste sentiment de l'importance et de la réalité des spéculations mathématiques.
En considérant la nature éminemment simple des recherches astronomiques, et la facilité qui en résulte d'y appliquer de la manière la plus étendue l'ensemble des moyens mathématiques, on conçoit pourquoi l'astronomie est unanimement placée aujourd'hui à la tête des sciences naturelles. Elle mérite cette suprématie, 1º par la perfection de son caractère scientifique; 2º par l'importance prépondérante des lois qu'elle nous dévoile.
Je ne dois point envisager ici sa haute utilité pratique pour la mesure des temps, pour la description exacte de notre globe, et surtout pour le perfectionnement de la navigation; car une telle considération ne saurait devenir un moyen de classement entre les différente s sciences, qui, à cet égard, sont en réalité essentiellement équivalentes. Mais il importe de remarquer à ce sujet, comme rentrant pleinement dans l'esprit général de cet ouvrage, que l'astronomie nous offre l'exemple le plus étendu et le plus irrécusable de l'indispensable nécessité des spéculations scientifiques les plus sublimes pour l'entière satisfaction des besoins pratiques les plus vulgaires. En se bornant au seul problème de la détermination des longitudes en mer, on voit que sa liaison intime avec l'ensemble des théories astronomiques a été établie, dès l'origine de la science, par son plus éminent fondateur, le grand Hipparque. Or, quoiqu'on n'ait, depuis cette époque, rien ajouté d'essentiel à l'idée fondamentale de cette relation, il a fallu tous les immenses perfectionnemens successivement apportés jusqu'ici à la science astronomique pour qu'une telle application devînt susceptible d'être suffisamment réalisée. Sans les plus hautes spéculations des géomètres sur la mécanique céleste, qui ont tant augmenté la précision des tables astronomiques, il serait absolument impossible de déterminer la longitude d'un vaisseau avec le degré d'exactitude que nous pouvons maintenant obtenir; et, bien loin que la science soit à cet égard plus parfaite que ne l'exige la pratique, il est au contraire certain que si nous ne pouvons pas encore connaître toujours sûrement notre position avec une erreur de moins de trois ou quatre lieues dans les mers équatoriales, cela tient essentiellement à ce que la précision de nos tables n'est point encore assez grande. De telles réflexions sont propres à frapper ces esprits étroits qui, s'ils pouvai ent jamais dominer, arrêteraient aveuglément le développement des sciences, en voulant les restreindre à ne s'occuper que de recherches immédiatement susceptibles d'utilité pratique.
En examinant scrupuleusement l'état philosophique actuel des diverses sciences fondamentales, nous aurons lieu de reconnaître, comme je l'ai déjà indiqué, que l'astronomie est aujourd'hui la seule qui soit enfin réellement purgée de toute considération théologique ou métaphysique. Tel est, sous le rapport de la méthode, son premier titre à la suprématie. C'est là que les esprits philosophiques peuvent efficacement étudier en quoi consiste véritablement une science; et c'est sur ce modèle qu'on doit s'efforcer, autant que
possible, de constituer toutes les autres sciences fondamentales, en ayant toutefois convenablement égard aux différences plus ou moins profondes qui résultent nécessairement de la complication croissante des phénomènes.
Sans doute, la géométrie abstraite et la mécanique rationnelle sont, en réalité, des sciences naturelles, et les premières de toutes, comme je me suis efforcé de le montrer dans le premier volume; elles sont supérieures à l'astronomie elle-même, à cause de la perfection de leurs méthodes et de l'entière généralité de leurs théories. En un mot, nous avons établi qu'elles constituent le véritable fondement primitif de toute la philosophie naturelle, et cela est particulièrement sensible à l'égard de l'astronomie. Mais, quelque réel que soit leur caractère physique, leurs phénomènes sont d'une nature trop abstraite pour qu'elles puissent être habituellement, sous ce rapport, appréciées d'une manière convenable, surtout à cause de l'esprit vicieux qui domine encore dans leur exposition ordinaire. Nos i ntelligences ont besoin jusqu'ici de voir ces combinaisons générales de figures ou de mouvemens se spécifier dans des corps existans, comme le fait si complètement l'astronomie, pour que leur réalité de vienne suffisamment manifeste. Quoique la connaissance des lois géométriques et mécaniques soit, en elle-même, extrêmement précieuse, il est certain que, dans l'état présent de l'esprit humain, elle est bien plus employée comme un puissant et indispensable moyen d'investigation dans l'étude des autres phénomènes naturels, que comme une véritable science directe. Ainsi, le premier rang, dans la ph ilosophie naturelle proprement dite, reste incontestablement à l'astronomie.
Ceux qui font consister la science dans la simple accumulation des faits observés, n'ont qu'à considérer avec quelque attention l'astronomie, pour sentir combien leur pensée est étroite et superficielle. Ici, les faits sont tellement simples, et d'ailleurs si peu intéressans, qu'il devient impossible de méconnaître que leur liaison seule, l'exacte connaissance de leurs lois, constituent la science. Qu'est-ce réellement qu'un fait astronomique? rien autre chose habituellement que: tel astre a été vu à tel instant précis et sous tel angle bien mesuré; ce qui, sans doute, est, en soi-même, fort peu important. La combinaison continuelle et l'élaboration mathématique plus ou moins profonde d e ces observations caractérisent uniquement la science, même dans son état le plus imparfait. L'astronomie n'a pas réellement pris naissance quand les prêtres de l'Égypte ou de la Chaldée ont fait sur le ciel une suite d'observations empiriques plus ou moins exactes, mais seulement lorsque les premiers philosophes grecs ont commencé à ramener à quelques lois géométriques le phénomène général du mouvement diurne. Le véritable but définitif des recherches astronomiques étant toujours de prédire avec certitude l'état effectif du ciel dans un avenir plus ou moins lointain, l'établissement des lois des phénomènes offre évidemment le seul moyen d'y parvenir, sans que l'accumulation des observations puisse être, en elle-même, d'aucune utilité pour cela, autrement que comme fournissant à nos spéculations un fondement solide. En un mot, il n'y a pas eu de véritable astronomie tant qu'on n'a pas su, par exemple, prévoir, avec une certaine précision, au moins par des procédés graphiques, et surtout par quelques calculs trigonométriques, l'instant du lever du soleil ou de quelque étoile pour un jour et pour un lieu donnés. Ce caractère essentiel de la science a toujours été le même depuis son origine. Tous ses progrès ultérieurs ont seulement consisté à apporter définitivement dans ces prédictions une certitude et une précision de plus en plus grandes, en empruntant à l'observation directe le moins de données possible pour la prévoyance la plus lointaine. Aucune partie de la philosophie naturelle ne peut donc manifester avec plus de force la vérité de cet axiome fondamental:toute science a pour but la prévoyance, qui distingue la science réelle de la simple érudition, bornée à raconter les événemens accomplis, sans aucune vue d'avenir.
Non-seulement le vrai caractère scientifique est plus profondément marqué dans l'astronomie qu'en aucune autre branche de nos connaissances positives; mais on peut même dire que, depuis le développement de la théorie de la gravitation, elle a atteint la plus haute perfection philosophique à laquelle une science puisse jamais prétendre sous le rapport de la méthode, l'exacte réduction de tous les phénomènes, soit quant à leur nature, soit quant à leur degré, à une seule loi gé nérale; pourvu toutefois que, suivant l'explication précédemment établie, on ne considère que l'astronomie solaire. Sans doute, la complication graduelle des phénomènes doit nous faire envisager une telle perfection comme absolument chimérique dans toutes les autres sciences fondamentales. Mais tel n'en est pas moins le type général que les diverses classes de savans doivent sans cesse avoir en vue, en s'efforç ant d'en approcher autant que le comportent les phénomènes correspondans, comme je tâcherai de le montrer successivement dans les différentes parties de cet ouvrage. C'est toujours là qu'il faut remonter désormais pour sentir, dans toute sa pureté, ce que c'est que l'explicationpositive d'un phénomène, sans aucune enquête sur sa cause ou première ou finale; c'est là enfin qu'on doit apprendre le véritable caractère et les conditions essentielles deshypothèses vraiment scientifiques, nulle autre science n'ayant fait de ce puissant secours un usage à la fois aussi étendu et aussi convenable. Après avoir exposé la philosophie astronomique de manière à faire ressortir, le plus qu'il me sera possible, ces grandes propriétés générales, je m'efforcerai ensuite de les appliquer, plus profondément qu'on ne l'a fait encore, à perfectionner le caractère philosophique des autres sciences principales.
En général, chaque science, suivant la nature de ses phénomènes, a dû perfectionner la méthode positive fondamentale sous quelque rapport essentiel qui lui est propre. Le véritable esprit de cet ouvrage consiste, à cet égard, à saisir successivement ces divers perfe ctionnemens, et ensuite à les combiner, d'après la hiérarchie scientifique établie dans la deuxième leçon, de manière à acquérir, comme résultat final d'un tel travail, une connaissance parfaite de la méthode positive, qui, j'espère, ne laissera plus aucun doute sur l'utilité réelle de semblables comparaisons pour les progrès futurs de notre intelligence.
En considérant maintenant l'ensemble de la science astronomique, non plus relativement à la méthode, mais quant aux lois naturelles qu'elle nous dévoile effectivement, sa prééminence est tout aussi incontestable.
J'ai toujours regardé comme un véritable trait de génie philosophique, de la part de Newton, d'avoir intitulé son admirable traité de Mécanique céleste:Philosophiæ naturalis principia mathematica. Car, on ne pouvait indiquer avec une plus énergique concision que les lois générales des phénomènes célestes sont le premier fondement du système entier de nos connaissances réelles.
La loi encyclopédique établie au commencement de cet ouvrage me dispense de grands développemens à ce sujet. Il est évident que l'astronomie doit être par sa nature, essentiellement indépendante de toutes les autres sciences naturelles, et qu'elle a seulement besoin de s'appuyer sur la science mathématique. Les divers phénomènes physiques, chimiques et physiologiques, ne peuvent certainement exercer aucune influence sur les phénomènes astronomiques, dont les lois ne sauraient éprouver la moindre altération même par les plus grands bouleversemens intérieurs de chaque planète sous tous ces autres rapports naturels. La 1 physique, il est vrai, et même, à quelques égards secondaires, la chimie , ont pu fournir à l'astronomie, lorsqu'elle a été très avancée, des secours indispensables pour perfectionner ses observations; mais il est clair que cette influence accessoire n'a été nullement nécessaire à sa constitution scientifique. L'astronomie avait certainement, entre les mains d'Hipparque et de ses successeurs, tous les caractères d'une véritable science, au moins sous le rapport géométrique, pendant que la physique, la chimie, etc., étaient encore profondément enfouies dans le chaos métaphysique et même théologique. À une époque toute moderne, Képler a découvert ses grandes lois astronomiques d'après les observations faites par Tycho-Brahé, avant les grands perfectionnemens des instrumens, et esse ntiellement avec les mêmes moyens matériels qu'employaient les Grecs. Les instrumens de précision n'ont aussi nullement contribué à la découverte de la gravitation; et c'est seulement depuis lors qu'ils sont devenus nécessaires pour correspondre à la nouvelle perfection que la théorie permettait désormais dans les déterminations astronomiques. Le grand instrument qui réellement produisit toutes les découvertes fondamentales de l'astronomie, ce fut d'abord la géométrie, et plus tard la mécanique rationnelle, dont les progrès sont, en effet, à chaque époque, un excellent critérium pour présumer, avec une entière certitude, l'état g énéral des connaissances astronomiques correspondantes. L'indépendance de l'astronomie, relativement aux autres branches de la philosophie naturelle, demeure donc incontestable.
Note 1:(retour)C'est évidemment la chimie, par exemple, qui a fourni à Wollaston l'ingénieux procédé par lequel on obtient aujourd'hui les meilleurs fils micrométriques.
Mais, au contraire, il est certain que les phénomènes physiques, chimiques, physiologiques, et même sociaux, sont essentiellement subordonnés, d'une ma nière plus ou moins directe, aux phénomènes astronomiques, indépendamment de leur coordination mutuelle. L'étude des autres sciences fondamentales ne peut donc avoir un caractère vraiment rationnel, qu'en prenant pour base une connaissance exacte des lois astronomiques, relatives aux phénomènes les plus généraux. Notre esprit pourrait-il penser, d'une manière réellement scientifique, à aucun phénomène terrestre, sans considérer auparavant ce qu'est cette terre dans le monde dont nous faisons partie, sa si tuation et ses mouvemens devant nécessairement exercer une influence prépondérante sur tous les phénomènes qui s'y passent? Que deviendraient nos conceptions physiques, et par suite chimiques, physiologiques, etc., sans la notion fondamentale de la gravitation, qui les domine toutes? Pour choisir l'exemple le plus défavorable, où la subordination est la moins manifeste, il faut reconnaître, quoique cela puisse d'abord sembler étrange, que, même les phénomènes relatifs au développement des sociétés humaines, ne sauraient être conçus rationnellement sans la considération préalable des principales loi s astronomiques. On pourra le sentir aisément en observant que si les divers élémens astronomiques de notre planète, comme sa distance au soleil, et, par suite, la durée de l'année, l'obliquité de l'écliptique, etc., éprouvaient quelques changemens importans, ce qui, en astronomie, n'aurait guère d'autre effet que de modifier quelques coefficiens, notre développement social en serait sans doute notablement affecté, et deviendrait même impossible si ces altérations étaient poussées trop loin. Je ne crains nullement de mériter le reproche d'exagération, en établissant à ce sujet, que la physique sociale n'était point une science possible, tant que les géomètres n'avaient pas démontré, comme résultat général de la mécanique céleste, que les dérangemens de notre système solaire ne sauraient jamais être que des oscillations graduelles et très limitées autour d'un état moyen nécessairement invariable. Comment espérerait-on, en effet, former avec certitude quelques lois naturelles relativement aux phénomènes sociaux, si les données astronomiques, s ous l'empire desquelles ils s'accomplissent, pouvaient comporter des variations indéfinies? Je reprendrai cette considération d'une manière spéciale dans la dernière partie de cet ouvrage. Il me suffit, quant à présent, de l'indiquer pour faire comprendre que le système général des connaissances astronomiques est un élément aussi indispensable à combiner dans la formation rationnelle de la physique sociale qu'à l'égard de toutes les autres sciences principales.
On n'aurait qu'une idée imparfaite de la haute importance intellectuelle des théories astronomiques, si l'on se bornait à envisager ainsi leur influence nécessaire et spéciale sur les diverses parties de la philosophie naturelle, quelque essentielle que soit d'ailleurs une telle considération. Il faut encore avoir égard à l'action générale qu'elles exercent directement sur les disp ositions fondamentales de notre intelligence, à la rénovation de laquelle les progrès de l'astronomie ont plus puissamment contribué que ceux d'aucune autre science.
Je n'ai pas besoin de signaler expressément ici, comme trop évident par lui-même et trop communément apprécié aujourd'hui, l'effet des connaissances astronomiques pour dissiper entièrement les préjugés absurdes et les terreurs superstitieuses, tenant à l'ignorance des lois célestes, au sujet de plusieurs phénomènes remarquables, tels que les éclipses, les comètes, etc. Ces dispositions naturelles ont cessé ou cessent de jour en jour dans les esprits les plus vulgaires, même indépendamment de la diffusion des vraies notions astronomiques, par l'éclatante coïncidence de ces événemens avec les prédictions scientifiques.
Toutefois, nous ne devons jamais oublier à cet égard que, suivant la juste remarque de Laplace, elles renaîtraient promptement si les études astronomiques pouvaient jamais cesser d'être cultivées.
Mais je dois principalement insister dans cet ouvrage sur une action philosophique plus générale et plus profonde, jusqu'ici bien moins sentie, inhérente à l'ensemble même de la science astronomique, et qui résulte de la connaissance de la vraie constitution de notre monde et de l'ordre qui s'y établit nécessairement. Je la développerai soigneusement à mesure que l'examen philosophique des diverses théories astronomiques m'en fournira l'occasion. En ce moment, il me suffira de l'indiquer.
Pour les esprits étrangers à l'étude des corps célestes, quoique souvent très éclairés d'ailleurs sur d'autres parties de la philosophie naturelle, l'astronomie a encore la réputation d'être une science éminemment 2 religieuse, comme si le fameux verset:Coeli enarrant gloriam Deiconservé toute sa valeur . Il est avait cependant certain, ainsi que je l'ai établi, que toute science réelle est en opposition radicale et nécessaire avec toute théologie; et ce caractère est plus prononcé en astronomie que partout ailleurs, précisément parce que l'astronomie est, pour ainsi dire, plussciencequ'aucune autre, suivant la comparaison indiquée ci-dessus. Aucune n'a porté de plus terribles coups à la doctrine des causes finales, généralement regardée par les modernes comme la base indispensable de tous les systèmes religieux, quoiqu'elle n'en ait été, en réalité, qu'une conséquence. La seule connaissance du mouvement de la terre a dû détruire le premier fondement réel de cette doctrine, l'idée de l'univers subordonné à la terre et par suite à l'homme, comme je l'expliquerai spécialement en traitant de ce mouvement. D'ailleurs, l'exacte exploration de notre système solaire ne pouvait manquer de faire essentiellement disparaître cette admiration aveugle et illimitée qu'inspirait l'ordre général de la nature, en montrant, de la manière la plus sensible, et sous un très grand nombre de rapports divers, que les élémens de ce système n'étaient certainement point disposés de la 3 manière la plus avantageuse, et que la science permettait de concevoir aisément un meilleur arrangement . Enfin, sous un dernier point de vue encore plus capital, par le développement de la vraie mécanique céleste depuis Newton, toute philosophie théologique, même la plus perfectionnée, a été désormais privée de son principal office intellectuel, l'ordre le plus régulier étant dès lors conçu comme nécessairement établi et maintenu, dans notre monde et même dans l'univers entier, par la simple pesanteur mutuelle de ses diverses parties.
Note 2:(retour)Aujourd'hui, pour les esprits familiarisés de bonne heure avec la vraie philosophie astronomique, les cieux ne racontent plus d'autre gloire que celle d'Hipparque, de Képler, de Newton, et de tous ceux qui ont concouru à en établir les lois.
Note 3:(retour)Il convient d'observer à ce sujet, comme trait caractéristique que, lorsque des astronomes se livrent aujourd'hui à un tel genre d'admiration, il porte essentiellement sur l'organisation des animaux, qui leur est entièrement étrangère; tandis que les anatomistes, au contraire, qui en connaissent toute l'imperfection, se rejettent sur l'arrangement des astres, dont ils n'ont aucune idée approfondie et ce qui est propre à mettre en évidence la véritable source de cette disposition d'esprit.
Si les philosophes qui, de nos jours, tiennent enco re à la doctrine des causes finales n'étaient point, ordinairement, dépourvus d'une véritable instruction scientifique un peu approfondie, ils n'auraient p as manqué de faire ressortir, avec leur emphase habituelle, une considération générale fort spécieuse, à laquelle ils n'ont jamais eu égard, et que je choisis exprès comme l'exemple le plus défavorable. Il s'agit de ce beau résultat final de l'ensemble des travaux mathématiques sur la théorie de la gravitation, mentionné ci-dessus pour un autre motif, la stabilité essentielle de notre système solaire. Cette grande notion, présentée sous l'aspect convenable, pourrait sans doute devenir aisément la base d'une suite de déclamations éloquentes, ayant une imposante apparence de solidité. Et, néanmoins, une constitution aussi essentielle à l'existence continue des espèces animales est une s imple conséquence nécessaire, d'après les lois mécaniques du monde, de quelques circonstances caractéristiques de notre système solaire, la petitesse extrême des masses planétaires en comparaison de la masse centrale, la faible excentricité de leurs orbites, et la médiocre inclinaison mutuelle de leurs plans; caractères qui, à leur tour, peuvent être envisagés avec beaucoup de vraisemblance, ainsi que je le montrerai plus tard suivant l'indication de Laplace, comme dérivant tout naturellement du mode de formation de ce système. On devait d'ailleursà prioris'attendre, en général, à un tel résultat, par cette seule réflexion que puisque nous existons, il faut bien, de toute nécessité, que le système dont nous faisons partie soit disposé de façon à permettre cette existence, qui serait incompatible avec une absence totale de stabilité d ans les élémens principaux de notre monde. Pour apprécier convenablement cette considération, il faut observer que cette stabilité n'est nullement absolue; car elle n'a pas lieu à l'égard des comètes, dont les perturbations sont beaucoup plus fortes, et peuvent même s'accroître presque indéfiniment par le défaut des conditions de restriction que je viens d'énoncer, ce qui ne permet guère de les concevoir habitées. La prétendue cause finale se réduirait donc ici, comme on l'a déjà vu dans toutes les occasions analogues, à cette remarque puérile: il n'y a d'astres habités, dans notre système solaire, que ceux qui sont habitables. On rentre, en un mot, dans le principe des conditions d'existence, qui est la vraie transformation positive de la doctrine des causes finales, et dont la portée et la fécondité sont bien supérieures.
Tels sont, en aperçu, les services immenses et fondamentaux rendus par le développement des théories astronomiques à l'émancipation de la raison humaine. Je m'efforcerai de les mettre en évidence dans les différentes parties de l'examen philosophique dont je vais m'occuper.
Après avoir expliqué l'objet réel de l'astronomie, et m'être efforcé de circonscrire, avec une sévère précision, le véritable champ de ses recherches; après avoir é tabli sa vraie position encyclopédique, par sa subordination nécessaire à la science mathématique et par son rang incontestable à la tête des sciences naturelles;après avoir enfin signalé sespropriétésphilosophiques,quant à la méthode etquant à la doctrine,
naturelles;aprèsavoirenfinsignalésespropriétésphilosophiques,quantàlaméthodeetquantàladoctrine, il ne me reste plus, pour compléter cet aperçu général, qu'à envisager la division principale de la science astronomique, qui découle tout naturellement des considérations déjà exposées dans ce discours.
Nous avons précédemment établi le principe que les phénomènes étudiés en astronomie sont, de toute nécessité, ou des phénomènes géométriques, ou des p hénomènes mécaniques. De là résulte immédiatement la division naturelle de la science e n deux parties profondément distinctes, quoique maintenant combinées de la manière la plus heureuse : 1º l'astronomie géométrique, ou lagéométrie céleste, qui, pour avoir eu, si long-temps avant l'autre, le caractère scientifique, a conservé encore le nom d'astronomie proprement dite; 2º. l'astronomie mécanique, ou lamécanique céleste, dont Newton est l'immortel fondateur, et qui a reçu, dans le siècle dernier, un si vaste et si admirable développement. Il est d'ailleurs évident que cette division convient aussi bien à l'astronomie sidérale, si jamais elle exis te véritablement, qu'à notre astronomie solaire, la seule que je doive avoir essentiellement en vue par les raisons expliquées ci-dessus, et qui, dans toute hypothèse, occupera toujours le premier rang. Une telle distribution dérive si directement aujourd'hui de la nature même de la science, qu'on la voit dominer presque spontanément dans toute exposition un peu méthodique, bien qu'elle n'ait jamais été, ce me semble, rationnellement examinée.
Il importe de remarquer à cet égard que cette divis ion est parfaitement en harmonie avec la règle encyclopédique posée au commencement de cet ouvrage, et que je m'efforcerai toujours de suivre, autant que possible, dans la distribution intérieure de chaque science fondamentale. Il est clair, en effet, que la géométrie céleste est, par sa nature, beaucoup plus simple que la mécanique céleste: et, d'un autre côté, elle en est essentiellement indépendante, quoique c elle-ci puisse contribuer singulièrement à la perfectionner. Dans l'astronomie proprement dite, il ne s'agit que de déterminer la forme et la grandeur des corps célestes, et d'étudier les lois géométriques suivant lesquelles leurs positions varient, sans considérer ces déplacemens relativement aux forces qui les pro duisent, ou, en termes plus positifs, quant aux mouvemens élémentaires dont ils dépendent. Aussi a-t-elle pu faire et a-t-elle fait réellement les progrès les plus importans avant que la mécanique céleste eût aucun commencement d'existence; et, même depuis lors, ses découvertes les plus remarquables ont encore été dues à son développement spontané, comme on le voit si éminemment dans le beau travail du grand Bradley sur l'aberration et la nutation. Au contraire, la mécanique céleste est, par sa nature, essentiellement dépendante de la géométrie céleste, sans laquelle elle ne saurait avoir aucun fondement solide. Son objet, en effet, est d'analyser les mouvemens effectifs des astres, afin de les ramener, d'après les règles de la mécanique rationnelle, à des mouvemens élémentaires régis par une loi mathématique universelle et invariable; et, en partant ensuite de cette loi, de perfectionner à un haut degré la connaissance des mouvemens réels, en les déterminantà priorides calculs de par mécanique générale, empruntant à l'observation directe le moins de données possible, et néanmoins toujours confirmés par elle. C'est par là que s'établit, de la manière la plus naturelle, la liaison fondamentale de l'astronomie avec la physique proprement dite; liaison devenue telle aujourd'hui, que plusieurs grands phénomènes forment de l'une à l'autre une transition presque insensible, comme on le voit surtout dans la théorie des marées. Mais il est évident que ce qui constitue toute la réalité de la mécanique céleste, ainsi que je m'attacherai à le faire ressortir en son lie u, c'est d'avoir pris son point de départ dans l'exacte connaissance des véritables mouvemens, fournie par la géométrie céleste. C'est précisément faute d'avoir été conçues d'après cette relation fondamentale, que toutes les tentatives faites avant Newton pour former des systèmes de mécanique céleste, et entre autres celle de Descartes, ont dû être nécessairement illusoires sous le rapport scientifique, quelque utilité qu'elles aient pu avoir d'ailleurs momentanément sous le point de vue philosophique.
La division générale de l'astronomie en géométrique et mécanique n'a donc certainement rien d'arbitraire, ni même de scolastique: elle dérive de la nature même de la science; elle est à la fois historique et dogmatique. Il serait inutile d'insister davantage sur un principe aussi évident, et que personne n'a jamais contesté. Quant aux subdivisions, d'ailleurs très aisées à établir, ce n'est point le moment de s'en occuper: elles seront expliquées à mesure que le besoin s'en fera sentir.
Relativement au point de vue où le lecteur doit se placer, je renvoie aux judicieuses remarques de Delambre sur l'innovation tentée par Lacaille, qui, pour simplifier son exposition, avait imaginé de transporter son observateur à la surface du soleil. Il est certain que la conception des mouvemens célestes devient ainsi beaucoup plus facile; mais on ne saurait plus comprendre par quel enchaînement de connaissances on a pu s'élever à une telle conception. Le point de vue solaire doit être le terme et non l'origine d'un système rationnel d'études astronomiques. L'obligation de partir de notre point de vue réel est surtout prescrite par la nature de cet ouvrage, où l'analyse de la méthode scientifique et l'observation de la filiation logique des idées principales doivent avoir encore plus d'importance que l'exposition plus claire des résultats généraux.
Il convient, enfin, d'avertir ceux de mes lecteurs qui seraient étrangers à l'étude de l'astronomie, mais qui, doués d'un véritable esprit philosophique, voudraient se former une juste idée générale de ses méthodes essentielles et de ses principaux résultats, que je leur suppose préalablement au moins une exacte connaissance des deux phénomènes fondamentaux, le mouvement diurne et le mouvement annuel, telle qu'on peut l'obtenir par les plus simples observations, faites sans aucun instrument précis, et seulement élaborées par la trigonométrie. Je les renvoie pour cet objet, comme, en général, pour toutes les autres données nécessaires, à l'excellent traité de mon illustre maître en astronomie, le judicieux Delambre. Il ne s'agit point ici d'un traité, même sommaire, d'astronomie; mais d'une suite de considérations philosophiques sur les diverses parties de la science: toute exposition spéciale de quelque étendue y serait donc déplacée.
Ayant ainsi considéré, sous tous les aspects essentiels, le système de la science astronomique,je dois
procéder maintenant à l'examen philosophique de ses diverses parties, dans l'ordre établi ci-dessus. Mais il faut auparavant jeter un coup d'oeil général sur l'ensemble des moyens d'observation nécessaires aux astronomes, ce qui fera l'objet de la leçon suivante.
VINGTIÈME LEÇON.
Considérations générales sur les méthodes d'observation en astronomie.
Toutes les observations astronomiques se réduisent nécessairement, comme nous l'avons vu, à mesurer des temps et des angles. La nature de cet ouvrage ne comporte nullement une exposition, même sommaire, des divers procédés par lesquels en a enfin obtenu, dans ces deux sortes de mesures, l'étonnante précision que nous y admirons aujourd'hui. Il s'agit seulement ici de concevoir, d'une manière générale, l'ensemble des idées fondamentales qui ont pu successivement conduire à une telle perfection.
Cet ensemble se compose essentiellement, pour l'un et l'autre genre d'observations, de deux ordres d'idées bien distincts, quoiqu'il y ait entre eux une harmonie nécessaire: le premier est relatif au perfectionnement des instrumens; le second concerne certaines corrections fondamentales apportées par la théorie à leurs indications, et sans lesquelles leur précision sera it illusoire. Telle est la division naturelle de no s considérations générales à cet égard. Nous devons commencer par celles sur les instrumens.
Quoique les moyens gnomoniques aient dû être rejetés avec raison par les modernes, comme n'étant pas susceptibles de la précision nécessaire, il convient d'abord de les signaler ici dans leur ensemble, à cause de leur extrême importance pour la première formation de la géométrie céleste par les astronomes grecs.
Les ombres solaires, et même, à un degré moindre, les ombres lunaires, ont été, dans l'origine de l'astronomie, un instrument très précieux, immédiatement fourni par la nature, aussitôt que la propagation rectiligne de la lumière a été bien reconnue. Elles peuvent devenir un moyen d'observation astronomique sous deux rapports: envisagées quant à leur direction, elles servent à la mesure du temps; et, par leur longueur, elles permettent d'évaluer certaines distances angulaires.
Sous le premier point de vue, lorsque l'uniformité du mouvement diurne apparent de la sphère céleste a été une fois admise, il suffisait, évidemment, de fixer un style dans la direction, préalablement bien déterminée, de l'axe de cette sphère, pour que l'ombre qu'il projetait sur un plan ou sur toute autre surface fît connaître, à toute époque dans chaque lieu correspondant, les te mps écoulés, par le seul indice de ses diverses positions successives. En se bornant au cas le plus simple, celui d'un plan perpendiculaire à cet axe, duquel tous les autres cas peuvent être aisément déduits par des moyens graphiques, il est clair que les angles horaires sont exactement proportionnels aux déplacemens angulaires de l'ombre depuis sa situation méridienne. Toutefois, de semblables indications doivent être imparfaites, puisqu'elles supposent que le soleil décrit chaque jour le même parallèle de la sphère céleste, et que, par conséquent, elles exigent une correction, impossible à exécuter sur l'appareil lui-même, à raison de l'obliquité du mouvement annuel, outre celle qui correspond à son inégalité; ce qui rend d e tels instrumens inapplicables à des observations précises.
Sous le second point de vue, il est évident que la longueur variable de l'ombre horizontale projetée à chaque instant par un style vertical, étant comparée à la longueur fixe et bien connue de ce style, on en conclut immédiatement la distance angulaire correspondante du soleil au zénith; ce rapport constituant par lui-même la tangente trigonométrique de cet angle, dont il a primitivement inspiré l'idée aux astronomes arabes. De là est résulté un moyen long-temps précieux, d'observer les variations qu'éprouve la distance zénithale du soleil aux divers instans de la journée, et celles plus importantes de sa position méridienne aux différentes époques de l'année. L'inexactitude inévitable des procédés gnomoniques consiste, à cet égard, dans l'influence de la pénombre, qui laisse toujours une incertitude plus ou moins grande sur la vraie longueur de l'ombre, dont l'extrémité ne peut jamais être nettement terminée. Cette influence, qui affecte d'une manière nécessairement fort inégale les diverses distances au zénith, peut bien être atténuée par l'emploi de très grands gnomons; mais il est évidemment impossible de s'y soustraire tout-à-fait.
Cette double propriété des indications gnomoniques avait été réalisée, dès l'origine de la science, pa r l'ingénieux instrument connu sous le nom d'hémisphè re creux de Bérose, qui servait à mesurer simultanément les temps et les angles, quoique, d'ailleurs, il fût encore moins susceptible d'exactitude que les instrumens imaginés plus tard d'après le même principe.
L'imperfection fondamentale des procédés gnomonique s, la difficulté d'une exécution suffisamment rigoureuse, et l'inconvénient de cesser d'être applicables précisément aux instans les plus convenables pour l'observation, ont déterminé les astronomes à y renoncer entièrement, aussitôt qu'il a été possible de s'en passer. Dominique Cassini est le dernier qui en ait fait un usage important, à l'aide de ses grands gnomons, pour sa théorie du soleil. Toutefois, la spontanéité d'un tel moyen d'observation, lui conservera toujours une
valeur réelle, pour procurer une première approximation de certaines données astronomiques, lorsqu'on se trouve placé dans des circonstances défavorables, qui ne permettent pas l'emploi des instrumens modernes. Il est resté, d'ailleurs, dans nos observatoires actuels, la base de l'importante construction de la ligne méridienne, envisagée comme divisant en deux parties égales l'angle formé par les ombres horizontales de même longueur qui correspondent aux deux parties symétriques d'une même journée. Dans ce cas spécial, les deux causes fondamentales d'erreur signalées ci-dessus sont essentiellement éludées; car la pénombre affecte évidemment au même degré les deux ombres conjuguées; et, quant à l'obliquité du mouvement du soleil, il est facile d'en éviter presque entièrement l'influence en faisant l'opération aux environs des solstices, surtout vers le solstice d'été. On peut, en outre, la vérifier et la rectifier aisément par l'observation des étoiles.
Considérons maintenant les procédés les plus exacts, en séparant, comme il devient indispensable de le faire, ce qui se rapporte à la mesure du temps de ce qui concerne celle des angles, et en examinant d'abord la première.
Il faut, à cet égard, reconnaître, avant tout, que le plus parfait de tous les chronomètres est le ciel lui-même, par l'uniformité rigoureuse de son mouvement diurne apparent, en vertu de la rotation réelle de la terre. Il suffit, en effet, d'après cela, lorsqu'on sait exactement la latitude de son observatoire, d'y mesurer, à chaque instant, la distance au zénith d'un astre quelconque, dont la déclinaison, d'ailleurs variable ou constante, est actuellement bien connue, pour en conclure l'angle horaire correspondant, et, par une suite immédiate, le temps écoulé, en résolvant le triangle sphérique que forment le pôle, le zénith et l'astre, et dont les trois côtés sont ainsi donnés. Si l'on avait dressé, dans chaque lieu, des tables numériques très étendues de ces résultats pour quelques étoiles convenablement choi sies, ce moyen naturel deviendrait, sans doute, beaucoup plus praticable qu'il ne le semble d'abord. Mais il ne saurait, évidemment, jamais comporter toute l'actualité nécessaire pour qu'il pût entièrement suffire, outre le grave inconvénient qu'il présente de faire dépendre la mesure du temps de celle des angles, qui est réellement aujourd'hui moins parfaite. Aussi ce procédé chronométrique n'est-il employé qu'à défaut de tout autre moyen exact, comme c'est essentiellement le cas en astronomie nautique. Sa g rande propriété usuelle consiste, dans nos observatoires, à régler avec précision la marche de toutes les autres horloges, en la confrontant à celle de la sphère céleste. Et, cette importante vérification se fait même le plus souvent sans exiger aucun calcul trigonométrique; car on peut se borner à modifier le mouvement du chronomètre jusqu'à ce qu'il marque très exactement vingt-quatre heures sidérales, entre les deux passages consécutifs d'une même étoile quelconque à une lunette fixée, aussi invariablement que possible, dans une direction d'ailleurs arbitraire.
Les moyens artificiels pour mesurer le temps avec précision par des instrumens de notre création sont donc indispensables en astronomie. Cherchons à en saisir l'esprit général.
Tout phénomène qui présente des changemens graduels quelconques est réellement susceptible de nous fournir, par l'étendue des changemens opérés, une certaine appréciation du temps employé à les produire. Dans ce sens général, l'homme semble pouvoir choisi r à cet égard entre toutes les classes des phénomènes naturels. Mais son choix devient, en réalité, infiniment restreint, quand il veut obtenir des estimations précises. Les divers ordres de phénomènes étant, de toute nécessité, d'autant moins réguliers qu'ils sont plus compliqués, cette loi nous prescrit de chercher seulement parmi les plus simples nos vrais 4 moyens chronométriques. Ainsi, les mouvemens physiologiques eux-mêmes pourraient, à cet égard, nous procurer quelques indications, en comptant, par exemple, le nombre de nos pulsations dans l'état sain, ou le nombre de pas bien réglés, ou celui des sons vocaux, etc., pendant le temps à évaluer, et, quelque grossier que soit nécessairement un tel procédé, il peut néa nmoins avoir une véritable utilité dans certaines occasions où tout autre nous est interdit. Mais il est évident, en général, que les divers mouvemens des corps vivans varient d'une manière beaucoup trop irrégulière pour qu'on puisse jamais les employer à la mesure du temps. Il en est encore essentiellement d e même, quoiqu'à un degré bien moindre, des phénomènes chimiques. La combustion d'une quantité déterminée de matière quelconque homogène, peut devenir, par exemple, un moyen d'évaluer, avec une grossière approximation, le temps écoulé. Mais la durée totale de cette combustion, et surtout celle de ses diverses parties, sont évidemment trop incertaines et trop variables pour qu'on en déduise aucune déterminatio n précise. Ainsi, puisqu'il a fallu écarter les phénomènes astronomiques, comme seulement destinés à la vérification, quoiqu'ils soient, par leur nature, les plus réguliers, ce n'est donc que dans les mouvemens physiques proprement dits, et surtout dans ceux dus à la pesanteur, que nous pouvons réellement chercher des procédés chronométriques susceptibles d'exactitude. C'est aussi là où ils ont été puisés de tout temps, aussitôt qu'on a senti le besoin de ne plus se borner aux moyens gnomoniques.
Note 4:(retour)On peut utilement remarquer à ce sujet, d'après les poëmes d'Homère et les récits de la Bible, que, dans l'enfance de la civilisation, les fonctions sociales elles-mêmes servaient, jusqu'à un certain point, à marquer et à mesurer le temps.
Les anciens ont d'abord employé le mouvement produit par la pesanteur dans l'écoulement des liquides: de là leurs diverses clepsydres, et les sabliers encore usités à bord de nos vaisseaux. Mais il est évident que de tels instrumens, même en les supposant aussi perfectionnés que le permettraient nos connaissances actuelles, ne sont pas susceptibles, par leur nature, d'une grande précision, à cause de l'irrégularité nécessaire de tout mouvement dans les liquides. C'est pourquoi on a été rationnellement conduit, dans le moyen âge, à substituer les solides aux liquides, en imaginant les horloges fondées sur la descente verticale des poids. Ainsi, en cherchant, parmi tous les phénomènes naturels, des moyens exacts de mesurer le temps, on a été successivement conduit à se borner à un principe unique de chronométrie, qui semble, d'après l'analyse précédente, être en effet le seul propre à nous fournir définitivement une solution convenable duproblème, etqui, sans doute, servira toujours de base à nos horloges astronomiques. Mais il
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