De Don Quichotte à Dom Juan : les étapes d une inversion ironique - article ; n°1 ; vol.48, pg 205-223
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1996 - Volume 48 - Numéro 1 - Pages 205-223
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Edric Caldicott
De Don Quichotte à Dom Juan : les étapes d'une inversion
ironique
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1996, N°48. pp. 205-223.
Citer ce document / Cite this document :
Caldicott Edric. De Don Quichotte à Dom Juan : les étapes d'une inversion ironique. In: Cahiers de l'Association internationale
des études francaises, 1996, N°48. pp. 205-223.
doi : 10.3406/caief.1996.1247
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1996_num_48_1_1247DE DON QUICHOTTE À DOM JUAN :
LES ÉTAPES D'UNE INVERSION IRONIQUE
Communication de M. Edric CALDICOTT
(University College, Dublin)
au XLVIP Congrès de l'Association, le 18 juillet 1995
Le but de cette étude sera de faire ressortir la particul
arité de l'exploitation par Molière de Don Quichotte
dans son Dom Juan, et chemin faisant de mieux com
prendre ce qu'il devait à Cervantes, aux procédés du
burlesque, et au goût de la Cour en l'année 1664-65 ;
afin de bien cerner le sujet il faudra préalablement exa
miner quelques aspects de la réception du roman de
Cervantes. Très nombreuses dans la première moitié du
siècle, les références à Don Quichotte et les adaptations
du roman se sont prêtées par la suite à la recherche des
influences littéraires, comme nous l'a montré l'œuvre
de Maurice Bardon (1), mais à quelques siècles d'inter
valle il est souvent difficile de faire la distinction néces
saire entre une influence littéraire réelle et l'exploita
tion conjoncturelle d'un passage précis. Loin d'être la
preuve d'une influence, la référence éphémère n'est
parfois rien d'autre qu'un panneau routier qui indique
une direction individuelle entièrement opposée. En
(1) Maurice Bardon, « Don Quichotte » en France au xviF et au xvif siècle,
1605-1815, Paris, Honoré Champion, 1931. 206 EDRIC CALDICOTT
outre, l'attribution trop hâtive d'une influence peut
aussi masquer le fait que deux auteurs puisent dans un
fonds européen commun. L'inventaire diachronique
des emprunts, adaptations ou références éparses est
comme un paysage plat où il est difficile de maintenir
une perspective juste. Combien de fois a-t-on attribué à
Cervantes, l'homme de théâtre et poète qui avait aussi
vécu en Italie, des scènes ou des tendances qui apparte
naient à un fonds européen commun et qu'il aurait lui-
même trouvées ailleurs ?
Il conviendrait, à ce propos, de parler de l'ascendan
ce du valet de Dom Juan car, tout comme Sanche
Pança, il a tous les traits du gracioso, emploi de théâtre
très répandu dans les comédies espagnoles du Siècle
d'Or. Pour un étudiant du théâtre espagnol et dramat
urge comme Molière, les traits de Sanche auraient pu
lui parvenir, initialement du moins, non pas du roman
de Cervantes mais par l'intermédiaire des valets
comiques du théâtre — de Lope de Vega, par exemple.
Et les traits du gracioso ne se retrouvent-ils pas dans les
rôles de valet comique du répertoire européen ? Les
grands rôles comiques de la scène française du XVIIe
siècle doivent peut-être autant à cet exemple du théâtre
espagnol qu'aux personnages de la commedia deïl'arte,
mais ces influences sont très étroitement imbriquées au
théâtre comme elles le sont pour Sancho, parent proche
de Jodelet et amalgame lui aussi des mêmes traditions.
Quels sont donc les traits de caractère propres à
Sanche ? Sa gourmandise, sa lâcheté, son bavardage ?
Voilà tout crachés les traits de Jodelet, de Mascarille et
d'Arlequin. Reste le goût des proverbes, qui permettait
à Sanche Pança de justifier le coq-à-1'âne avec des
bribes de sagesse paysanne ; mais peut-on affirmer
avec confiance que ce trait que l'on retrouve chez le
Sganarelle de Dom Juan provient directement du roman DE DON QUICHOTTE À DOM JUAN 207
de Cervantes ? Comme nous le démontre Le Recueil des
plus Illustres Proverbes de Jacques Lagniet (1657), le goût
des proverbes ne fut pas le monopole des Espagnols. Il
ne faut pas oublier non plus l'interférence possible des
autres adaptations littéraires. Le Gouvernement de Sanche
Pansa (1641) de Daniel Guérin de Bouscal fut une des
reprises comiques préférées de Molière. De ces coméd
ies qui ne furent pas de sa plume mais qui figuraient à
son répertoire, seul le Don Japhet d'Arménie (32 repré
sentations) de Scarron dépassait les 30 représentations
de la comédie de Bouscal par la troupe de Molière. La
question qui se pose évidemment est de savoir si les
emprunts à Don Quichotte que nous retrouvons chez
Molière sont des rencontres fortuites de seconde main,
ou s'il était allé les chercher dans le texte lui-même.
*
* *
L'étude synchronique de la réception nous promet un
moyen d'accès plus sûr aux perceptions contempor
aines d'une œuvre, mais même à ce niveau-là, avec
l'ambiguïté de son texte, Don Quichotte nous réserve
des difficultés : pour les uns c'était un livre comique,
alors que pour les autres il s'agissait d'un ouvrage che
valeresque. Pour les ennemis de l'Espagne c'était un
véhicule des sentiments de dérision, mais pour le poète
Vincent Voiture, qui avait tant marqué la mode du
"vieil langaige" et du chevaleresque au salon de Mada
me de Rambouillet, Don Quichotte était un personnage
admirable, comme le disent ses lettres d'Espagne (2).
La conjoncture sociale jouait évidemment un rôle aussi
(2) Voir CF. Davison, « Cervantes, Voiture and the Spirit of Chivalry in
France », Studi Francesi, 1974, p. 82-86. 208 EDRIC CALDICOTT
important que l'appréciation littéraire dans la réception
du roman. Le recueil Conrart de la bibliothèque de
l'Arsenal conserve toujours la correspondance en vieux
français de Voiture et d'autres habitués du salon
comme François de Beauvilliers (1610-1687), comte de
Saint-Aignan, auteur de lettres rédigées dans le style
d'Amadis et signées « Guilan le Pensif prisonnier en
l'Ile Invisible » (3). Emprisonné à la Bastille en 1639 par
Richelieu, le futur duc de Saint-Aignan, celui qui allait
diriger avec tant de brio les menus plaisirs de Louis
XIV, se livrait sans doute à des sentiments vaguement
subversifs avec ce style fleuri qui exprimait l'exclusivi
té de la caste nobiliaire sous le régime austère du cardi
nal. L'emploi d'un surnom chevaleresque pour dési
gner sa propre condition dans la vie indique non
seulement un goût pour le langage chiffré, mais le désir
de confirmer les initiés dans leurs sentiments d'une
intimité d'élite. La notion de la chevalerie aurait eu un
sens réel bien au-delà des questions d'ordre littéraire.
Plus de trente ans plus tard, devenu l'ornement de la
Cour, Saint-Aignan n'avait rien perdu de son compor
tement chevaleresque, ce qui lui valut un bel hommage
de Madame de Sévigné qui l'appela « le Paladin par
eminence, le vengeur de torts, l'honneur de la Chevaler
ie » (lettre du 3 avril 1675, à son cousin Bussy-Rabu-
tin). Madame de Grignan l'appela à son tour « le Che
valier Errant » (lettre du 22 décembre 1677). Nous
n'avons là qu'un rapport très ténu entre Guilain le Pens
if et le Chevalier de la Triste Figure ; mais tout comme
Don Quichotte notre beau ténébreux était un grand
amateur des romans de la Table Ronde (Histoire de Merl
in ; Le Livre de Lancelot du Lac ; Des aventures de St Graal ;
La Mort le Roy Artu) dont il possédait les parchemins
(3) Arsenal, ms 4115, f° 893. DON QUICHOTTE À DOM JUAN 209 DE
superbement enluminés du quatorzième siècle, actuel
lement l'un des trésors de l'Arsenal (ms. 3482). Loin de
faire allusion à l'île de Barataria si brièvement gouver
née par Sanche Pança, l'île invisible de Guilain le Pens
if, référence voilée sans doute à la Bastille d'où il avait
écrit ses lettres à Voiture, évoquait l'île de la sorcière
Alcine, lieu de perdition pour les chevaliers du Roland
Furieux de l'Arioste. Avant de disparaître sous les feux
d'artifice, cette même île devait fournir en 1664 le dé

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